J’ai enfin fini de lire le livre que j’ai tant cherché. J’aime pas particulièrement lire mais là, c’était dans mon intérêt. J’irai pas à la bibliothèque en dehors du jeu et j’sais que sur internet on trouve de tout et n’importe quoi donc j’ai décidé y’a quelques semaines déjà d’emprunter un livre ici correspondant à mon projet. Ce fameux projet. Putain de projet. J’suis assez content de ce que j’ai pu lire ou voir et j’ai maintenant encore plus hâte. En attendant, je perds pas le nord, je l’ai pas encore réalisé ce projet. Mais je compte bien y arriver et bref, je dépose mon livre, me retourne et tombe nez-à-nez avec Amy. Je grimace, ne dis rien, m’éloigne puis pivote vers elle finalement. « C’est quoi l’étape la plus dur selon toi ? » Je la regarde avec attention en plissant légèrement les paupières. Je vois alors que de l’incompréhension dans son regard. Ah bah oui, c’est vrai, ça pourrait être l’étape du tour de France, l’étape du jeu, l’étape... « Dans le deuil. » Voilà qui est clair. J’ai décidé de faire appel à son expérience. J’imagine que maintenant elle a fini de faire le deuil de sa sœur. Elle a peut-être même enterré son frère avec ce jour-là. Triste et sordide histoire quand même. « C’est toujours les meilleurs qui partent en premier. » Je sais, c’est cliché de dire ça, mais c’est tellement vrai en même temps. Si je le pensais pas d’ailleurs, j’ouvrirai pas la bouche.

Je ne sais pas trop quoi faire. Je n’ai pas faim. Ni spécialement envie de cotoyer mon prochain. Je décide finalement de me rendre dans la bibliothèque. C’est un lieu calme. Je vais peut être lire un livre. Reprendre où j’en étais. Ou en débuter un nouveau. Celui que j’ai commencé me saoule. Je croise Silas. Tiens ça m’étonne de le trouver là. Il m’a pas trop l’air du genre amateur de lecture. Mais bon, vu qu’on s’emmerde ici, même les plus réfractaires pourraient s’y mettre. Je dis rien. Il s’arrête à partir, lorsque finalement il se retourne, pour me poser une question. C’est quoi l’étape la plus dure selon toi ? » Hein ? De quoi il me parle ? S’il pouvait être plus spécifique ça serait pas mal. Parce que bon là c’est beaucoup trop vague pour lui fournir une réponse. A moins qu’il ne veuille jouer aux devinettes, mais je suis pas d’humeur. Dans le deuil. Ah. J’aurais dû m’en douter. « C’est toujours les meilleurs qui partent en premier. » Qu’il me sort. La phrase bateau par excellence. Qui est pourtant bien vraie. Mais je ne sais pas trop pourquoi il dit ça. Pour un peu je croirais que ça ressemble à une tentative de gentillesse. En attendant, qu’est ce que ça peut lui faire de savoir quelle étape je trouve la plus dure ? « L’acceptation. » Je décide de lui répondre néanmoins. « Je crois que je ne l’ai jamais vraiment atteinte… » Et pourtant ça fait dix ans, j’ai eu tout le temps. « Je suis restée très longtemps bloquée sur la colère. » Tellement de colère en moi… « Et quand on croit qu’on a réussi à aller de l’avant…on regresse. » J’avais dépassé le stade de la colère, enfin, mais depuis le retour de Ben dans ma vie, voilà que je refais des pas en arrière. « Pourquoi ? » En quoi ça l’intéresse ? A supposer que ça l’intéresse vraiment.

J’avoue avoir été surpris par le secret d’Amy et de son frère Benjamin. Leur histoire est tordue, sordide, glauque et j’aurai pas aimé vivre ça par ailleurs. Ça me rassure donc en un sens. Chacun sa merde. J’sais que j’suis pas tout seul à avoir vécu quelque chose de difficile. Mais ça ne change rien au final. « Je sais pas, j’ai le droit de me renseigner, non ? » Je lui lance un regard froid et désagréable. Sa question m’énerve. Puis j’me rends compte que j’y vais peut-être un peu fort. Elle a fait l’effort de me donner une réponse quand même. Alors je reprends la parole. « Et tu crois qu’on peut être heureux ? Une fois qu’on a accepté la mort du proche. » Tout ça m’intéresse, ouais. Pas la peine de me demander pourquoi. C’est comme ça. En attendant, les étapes du deuil, j’suis encore septique. J’sais pas si c’est un tunnel avec un terminus où on peut être heureux à la fin après avoir accepté la mort du proche. J’espère, ouais, mais j’ai toujours ce doute. « T’en as voulu à ta sœur ? » Elle serait plutôt censée en vouloir à son frère mais moi je pense qu’elle pourrait aussi en vouloir à sa sœur. Je comprendrai en tout cas que ce soit le cas. Elle est morte, elle n’a pas à vivre ce qu’Amy a vécu. C’est injuste. « Laisse-tomber. » Je vais peut-être un peu trop loin dans mes questions.

« Je sais pas, j’ai le droit de me renseigner, non ? » Qu’il me répond sur un ton désagréable, tout en me lançant un regard glacial. Ok. Je vois. Moi qui suis déjà bien sympa de lui avoir répondu, voilà comment je suis remerciée. Apparement, lui peut se renseigner, mais pas l’inverse. Je ne sais pas ce qui me retient de lui dire d’aller se faire foutre. « Et tu crois qu’on peut être heureux ? Une fois qu’on a accepté la mort du proche. » Voilà qu’il continue. « T’as cru que j’étais la spécialiste du deuil ou quoi ? » Que je lui demande agacée. Je ne sais pas trop à quoi il joue. D’autant que je n’ai pas l’impression qu’il s’intéresse à moi, mais plutôt à la situation en général. Satisfaire une curiosité morbide.   « Je pense qu’on peut être heureux oui… Mon père réussit bien. Ou en tout cas il en a l’air. Je ne sais juste pas comment on fait… » Il faut probablement être doté d’une force de caractère que je n’ai pas. Je me trouve bien gentille à continuer de répondre à ses questions quand même. Voilà qu’en plus il cherche à savoir si j’en veux à ma sœur. Je trouve la question surprenante. « Un temps oui. De m’avoir abandonné. » Ce qui n’est pas très rationnel. Mais on ne l’est pas forcément dans ces moments là. « J’en ai voulu à la terre entière de toute façon. » Tout le monde y est passé à un moment donné ou un autre. « Pourquoi toutes ces questions ? Parce que tu ne vas pas me faire croire que ma vie t’intéresse. » A part mon cul, y a pas grand-chose d’autre quoi doit l’intéresser. «  J’estime avoir le droit à une réponse sincère plutôt qu’un regard assassin. » Autant dire que je ne répondrais plus à aucunes des siennes, si monsieur de son côté ne fait pas d’effort. Faut pas me prendre pour une conne non plus. Et là je crois bien qu'il pourra aller se faire foutre.