Si j’avais su que Lara se trouvait dans l’ascenseur et que celui-ci allait se bloquer quelques secondes plus tard, je l’aurai pas emprunté. Putain de machine. Pour le coup, c’est même pas moi qui aie appuyé sur le bouton rouge « stop ». J’ai clairement pas envie de me retrouver avec elle dans un lieu clos. Je l’évite depuis quelques temps même. Du coup, l’ambiance est glaciale. Je la regarde à peine, pareil pour elle je crois. Et aucun mot. Juste des soupirs et l’attente. Finalement, la voix de la candidate résonne dans la pièce confinée. Je la fusille alors du regard. « J’suis pas médium. » Et elle en a d’autres des questions connes ? Qu’est-ce que j’en sais moi combien de temps on va rester là. Suffit que le mécano soit absent pour qu’on poirote un petit moment. Au final, ni elle ni moi ne pourrons y changer quelque chose alors qu’elle prenne son mal en patience et qu’elle se la boucle. Mais non, voilà que je suis tombé sur princesse casse-couille claustrophobe. Manquait plus que ça. « C’est sûr qu’avec ma grosse bouche de renoi, tu vas vite donner ton dernier souffle. » J’hausse les yeux en l’air, usant l’ironie à son paroxysme. « Mais si l’un de nous deux doit crever, autant que ce soit toi. J’ai encore des choses à faire avant de mourir. » Oui, bon, peut-être qu’elle aussi mais moi c’est plus important et puis de toute façon je donnerai pas ma vie pour elle, que ce soit clair. Bref, histoire de jouer mon petit merdeux, je sors de ma poche une clope que j’insère entre mes lèvres. Je fixe aussitôt la brune, regard froid et provocateur, puis je sors un briquet de ma poche.

Elle me dit d’arrêter avec mon ironie bon-marché. Je croirai entendre une fillette de cinq ans. Sérieux, elle m’énerve quand elle fait ça. Elle se croit drôle, elle ? Un vrai glaçon la meuf. Moi qui essayais de détendre la situation et d’entamer un processus de paix, c’est mort dorénavant. J’aime pas qu’on me parle comme ça. « Je savais pas que t’avais changé de prénom. Humanité ? Non, vraiment, c’est moche. » J’entends par là qu’il faut qu’elle arrête de se prendre pour le centre du monde. Elle parle d’une généralité soit disant alors qu’en fait elle reflète juste ses pensées. Bon et celle de Joda à la limite mais lui je m’en bas les steaks. Alors que je sors une cigarette, histoire de pousser le vice un peu plus, la nana s’empare de ma clope pour la réduire en miette. « Prévisible. » Je lâche d’une voix grave et neutre. Je m’en fou de la clope. Elle est fourni par la prod’ donc c’est pas moi qui paye. Rien à battre qu’elle me détruise mon paquet. J’allume alors mon briquet et je décide de me cramer le temps d’une demi-seconde un poil de jambe. Juste histoire de la faire chier et que ça sente le cochon grillé. « Tu mourras asphyxiée par mon doux parfum, comme c’est touchant. » Bon, c’est pas vraiment mon odeur et heureusement. Je remballe mon feu et j’adresse un sourire faussement angélique. De là, je m’empare du shaker que j’avais pris à la base. J’avais presque oublié que j’allais jongler. Du coup, je me lance dans une séance de flair improvisée dans l’ascenseur. Rien à battre qu’elle soit là ou non.

Il me fait de la peine en tentant de jouer platement sur les mots. Il faudrait qu'il arrête de s'inventer une répartie surtout. Je lève les yeux au ciel. Franchement, j'aimerais bien que la production mette à ma disposition une aide psychologique parce que c'est vraiment dur d'être entourée de personne dont le QI n'atteint même pas celui d'une moule. Je me demande même comment j'ai bien pu m'entendre avec lui, pendant une longue période. Franchement, je me le demande. Je devais surement être un peu aveuglée quand même. Il balance que je suis prévisible. Et alors ? Où est le problème ? Je n'ai jamais prétendu que j'étais une originale, il me semble ? Non, alors pourquoi il parle pour rien dire ? Surtout que dans notre société actuelle, ceux qui tentent de sortir des sentiers battus, ceux qui veulent se créer une personnalité finissent par devenir très communs en fait. J'esquisse un léger rictus suffisant comme si je m'adressais à un teubé. Il se crame un poil de jambe, je le regarde consternée, avant de lui offrir mon majeur pendant une poignée de seconde. Le con. Pourquoi fait-il ça ? L'odeur est immonde, il sent la dinde grillée. J'esquisse une mimique dégoûtée. Je me dis qu'il doit vraiment me détester pour me faire subir ça, je ne vois aucune autre explication là.  J'ai décidé de ne plus rien dire, parce qu'il va faire exactement le contraire et que je n'ai pas besoin de cela, surtout en ce moment. Alors, je l'ignore, je ne compte plus gaspiller ma salive pour lui, je me décale pour me mettre dans un coin de l'habitacle, le plus près de la sortie bien évidemment. Monsieur commence à jongler. Mon regard acéré et critique suit les mouvements que décrit la bouteille, oui, à la limite, ça peut faire passer le temps et j'ai envie de dire que c'est peut être l'unique domaine où Silas réussit.

Franchement, ça me fait chier. Elle. Son copain. Ce putain d’ascenseur en panne. Je m’étais dit secrètement que c’était peut-être un signe du destin ou du moins une occasion de renouer le dialogue avec Lara mais j’me suis vraisemblablement planté en beauté. On a bel et bien parlé, ouais, mais pour s’envoyer des pics et se faire chier mutuellement. Bon, c’est ce qu’on faisait avant aussi mais là c’est plus pareil. Y’a pas de bonne intentions cachées derrière nos propos. Je l’énerve. Elle m’énerve. Fin. Je l’aimais bien mais tant pis. Je continuerai ma putain de vie sans elle. Elle m’est nullement indispensable. Des filles dans son genre y’en a à la pelle si je veux en serrer une en dehors du jeu. Puis je trouverai mieux. Une nana avec un meilleur caractère. En attendant, j’ai décidé de l’ignorer comme avant et de tuer le temps avec le flair. Au bout d’un moment, son regard persistant vers moi finit par m’agacer. Je m’arrête net et soupire. « Quoi ? C’est maintenant que tu te dis que j’ai un charme fou et que si tu t’étais pas entaché du papy riche, on aurait baisé comme des bêtes sauvages dans l’ascenseur ? » Inutile de préciser que je ne suis pas sérieux. Ou peut-être que si après tout, allez savoir. Je suis peut-être un queutard fini qui va même à des réunions du genre sex addict. Qui sait ? « Tais-toi, j’entends du bruit. » Je la coupe aussitôt dans sa réponse. Ça ne m’intéresse pas en fait de l’entendre me traiter de connard ou d’imbécile. Et puis, j’ai vraiment entendu un bruit de mécano. Et bingo. Quelques secondes plus tard, l’ascenseur redémarre puis s’arrête enfin au bon étage où les portes s’ouvrent. « C’est pas trop tôt. Ravi d’avoir fait ta connaissance. » Je récupère le shaker et je descends de l’ascenseur après avoir offert un dernier regard et sourire à la brune.