Je traîne les pieds, je soupire, je erre, les mains dans les poches de mon jogging. Je passe non loin de l’ascenseur lorsque je suis interpellé. Je pense en avoir écarquillé les yeux, la mine soudainement livide, en me demandant ce qui va m'arriver. Toujours avec l'idée en tête que j'ai fait une bêtise, ou qu'on va simplement me dire de cesser d'exister tant que je gaspille de l'oxygène pour rien, je m'attends à tout. Tout sauf à ça. Il veut que je teste l'ascenseur. C'est en tout cas ce que je parviens à comprendre dès que mon cerveau s'est remis en marche après la frayeur que je me suis fait tout seul en pensant au pire. Je n'ai rien contre les ascenseurs. Ma flemme légendaire me pousse d'ailleurs souvent (toujours) à les emprunter. Je ne suis jamais resté coincé dedans, je pense en être chanceux. "Oui, d'accord" je dis en hochant la tête après les paroles du type. Je peux faire ça. Ce n'est que tester l'ascenseur. J'appuie sur le bouton pour l'appeler d'un doigt. L'attente n'est pas très longue, seulement quelques secondes avant que les portes s'ouvrent pour me laisser entrer. J'avance de deux pas et me retourne vers le candidat, lèvres platement étendues sur mon visage. C'est à ce moment que j'ai comme une remontée d'angoisse. Comme si être le cobaye de cette expérience s'avérait trop dangereux pour que je me le permette. Comme si ma vie était trop précieuse pour risquer de la perdre. J'entends un rire hilare dans mon esprit. C'est ma piètre estime de moi qui se fout de ma gueule. Je suis alors sorti avec empressement de la cabine, retournant au côté du candidat. "Je ne suis pas certain de vouloir servir de cobaye, en fin de compte" je m'explique en regardant les portes se fermer. Ce qui est débile. J'ai déjà pris cet ascenseur et rien n'est arrivé. C'est l'attitude méfiante du gars qui me rend méfiant à mon tour.

Il m'en faut peu pour me méfier. À la liste de mes défauts s'ajoute donc ''peureux''. Magnifique portrait de ma personne, j'en ai conscience. Je me dis simplement que si le candidat craint autant cet  ascenseur, ça doit être pour une bonne raison. Peut-être sait-il quelque chose que j'ignore. Je ne suis personne pour affirmer quoi que ce soit. Je préfère me fier à quelqu'un d'autre qu'à moi-même. S'il se méfie de cet ascenseur au point d'avoir besoin d'un cobaye, alors je ne suis plus certain de vouloir emprunter la chose. Je vais passer pour un moulin, à changer d'avis aussi rapidement. Je m'en fiche. Ma vie est plus importante. Son attitude a réussi à me convaincre que ma vie était possiblement en danger là-dedans. Je suis naïf. Tac, autre défaut. Je suis sorti de là aussi vite que j'ai pu afin d'éviter de me retrouver coincé après la fermeture des portes. Il me demande si ça va, je hoche la tête. Tout va bien. Je respire. Je servirai de cobaye une autre fois. Il me remercie malgré tout puis part dans un discours sur son traumatisme d'enfant. Je l'écoute avec attention -même si je me fiche pas mal de ce qui lui est arrivé quand il avait huit ans. Nouveau mouvement de la tête. "Euh, non, je ne suis jamais resté coincé. Mais je suis peut-être tout simplement chanceux." Haussement des épaules. Chanceux ? Moi ? "Non, à vrai dire, je ne suis pas chanceux." Je ne peux pas m'empêcher d'apporter cette petite correction. La chance, ça ne me connaît pas. "Je pense que c'est quand même plutôt sûr... Je ne connais pas les statistiques concernant les accidents d'ascenseur mais..." J'essaye de me montrer rassurant mais je sais bien que je n'y connais rien sur le sujet. Et je ne veux pas dire de bêtises. "Les escaliers, c'est bien aussi. C'est recommandé dans tous les régimes, en tout cas" je laisse alors entendre, penaud. Si ça n'a aucun rapport avec le reste de la discussion, c'est normal. Il m'arrive souvent de dire des trucs stupides qui n'ont pas leur place dans la conversation.