+ alistair

Il était impossible pour moi de rester trop longtemps enfermé à l’intérieur. J’avais toujours besoin de prendre l’air. Après tout, j’avais tellement l’habitude de rester dehors, que rester trop longtemps enfermé me donnait presque la nausée. J’étais un électron libre, moi, messieurs, oui oui. Qu’importe. J’avais donc décidé qu’il était temps de faire une promenade dans la forêt, histoire de me protéger un peu du soleil qui tapait drôlement fort aujourd’hui. Je n’avais pas envie de cramer et qu’on m’apparente à une tomate. Alors j’avais bien évidemment opté pour l’endroit le plus abrité. Et autant dire que je suis surpris lorsque j’y croise Alistrair, alors que je croyais être le seul à ne pas me dorer la pilule au bord de la piscine ou de la plage à cet instant même par ce beau temps. «  Je t’ai percé à jour, tu sais. » Je commence comme si nous nous connaissions depuis toujours, alors que nous avions échangé que de brèves paroles depuis le début de l’aventure lorsque nous nous croisions exceptionnellement. «  Je suis sûr que ta mère ou ton père te frappait à chaque fois que tu prononçais un mot. Du coup maintenant tu ne parles presque plus. » Quoi, je disais n’importe quoi ? À peine. C’était une théorie qui pouvait tenir debout après tout. S’il avait été traumatisé dans son enfance, et avait pris peur dès qu’il prononçait le moindre mot… Non ? Bon, ok.  

L’enfermement, ce n’est pas le truc d’Alistair, il a déjà donné, raison pour laquelle il passe la plupart de ses journées à l’extérieur plutôt que coincé dans le nid. Heureusement qu’ils ont prévu suffisamment d’espace en dehors du nid d’ailleurs, sans quoi il serait déjà fou depuis longtemps. Une fois n’est pas coutume, il occupe son après-midi par une promenade en dehors du nid. Rien de bien transcendant, il commence même à se lasser de suivre les mêmes sentiers, mais au moins il n’a pas l’impression d’être une sardine prise au piège. Il est tout de même surpris de ne croiser personne sur son chemin, en sachant qu’il a une certaine poisse et qu’il finit toujours par tomber sur quelqu’un même quand il ne le souhaite pas. Enfin, il a pensé trop vite puisqu’à peine s’est-il réjouit de cette tranquillité que ses prunelles se déposent sur Lou. Un candidat qu’il ne connait pas beaucoup, mais qui visiblement le connait, lui, beaucoup plus que ce qu’il ne pensait puisqu’il l’a percé un jour. Il hausse un sourcil en le laissant terminer son explication. Il est curieux, si un candidat est parvenu à le percer à jour, il mérite une médaille. Lou concourt même pour le trophée puisqu’il se vante de cela sans même l’avoir questionné ou appris à le connaitre auparavant. Quand il se décide à reprendre la parole, ce n’est plus un faible air de surprise qui s’affiche sur son visage, mais un regard presque noir à l’encontre de son camarade. « Ce n’est pas le cas, non. » Il répond, légèrement agacé. Il a bien compris que c’était une blague, le truc c’est que même s’il n’a plus le moindre contact avec ses parents, ils restent des gens bien. Du moins, il préfère se souvenir d’eux comme tel. « Puisqu’on est dans les suppositions, les tiens se baladaient constamment nus devant toi, non ? » Il vient de dire quoi, déjà ? Il ne parle presque pas ? Il vient de lui apporter la preuve du contraire en faisant probablement sa phrase la plus longue depuis qu’il est ici. Il est presque désolé – non, pas vraiment en fait – de s’en prendre ainsi avec le candidat, il sait bien que ça ne va pas l’aider dans son objectif de se lier aux autres, mais le sujet de ses parents est sensible et n’est donc pas le meilleur sujet pour plaisanter auprès de lui.

Il y avait bien une raison pour que le candidat soit presque aussi muet qu’une tombe, n’est-ce pas ? J’étais prêt à parier qu’il n’avait pas pleuré quand il était bébé, et qu’il se contentait de lancer des regards noirs pour montrer son mécontentement. Comme maintenant, par exemple. Plus sérieusement, est-ce qu’un gosse pouvait naître naturellement peu bavard ? J’avais de gros doutes là-dessus. Alors oui, j’étais certain qu’il y avait une raison pour que Alistair s’apparente plus à un croque-mort qu’à une personne  normalement constituée. Peut-être que c’était à cause de ses parents. Peut-être pas. Quoi qu’il en soit, le jeune homme me contredit. Et bien évidemment, il relance, en parlant de mes parents. Tout nus devant moi ? Pour quelle raison ? Je ne comprenais pas pourquoi tout le monde croyait que je me promenais tout le temps tout nu, alors que les seuls moments où j’étais sans t-shirt c’était sous la douche, à la piscine, à la plage, ou au moment de dormir. Mais en journée, j’étais toujours fringué. Ils jugeaient vraiment à partir de rien… Tous des jaloux, ah là là. Et il croyait qu’il allait s’en sortir comme ça. Je réfléchis un instant pour repasser sa phrase dans ma tête, comptant les mots comme je pouvais. «  Ça fait 14 mots en une phrase, c’est beaucoup, beaucoup trop Alistair… Je peux te donner 14 fessées pour que tu te sentes comme à la maison… Allez, j’te fais un prix de gros, 15 fessées, rien que pour toi ! » J’abuse, et je le sais bien. Pourtant, ça m’amuse tout particulièrement. Fallait pas parler de mes parents tout nus…

Certes, il n’est pas le candidat le plus réputé pour son humour, mais Alistair parvient généralement à faire abstraction des blagues foireuses qu’on tente en sa présence, puisque sans pour autant être un fan de l’humour, il peut comprendre que c’est un trait de caractère qui existe chez les autres. Il n’est pas bon public, mais en général il se contente d’un vague hochement de tête ou de ne simplement pas réagir. Sauf que le commentaire de son camarade sur ses parents et la possibilité qu’ils l’aient battu quand il prononçait le moindre mot ne le fait pas particulièrement rire et ne le laisse pas indifférent, et pas forcément de la meilleure des façons. On ne s’attaque pas aux parents, par humour ou non, c’est une règle de base, raison pour laquelle Alistair ne se gêne pas de combattre le feu par le feu. Si son camarade n’y a pas vu d’inconvénients, il ne voit pas pourquoi lui en verrait, même si généralement il s’en fiche pas mal des parents des autres et de la façon dont ils ont été éduqués. C’est se rabaisser à son niveau, certes, ça n’en vaut pas la peine mais il n’a jamais prétendu être constamment mature. Des fois, il baisse aussi sa garde. Il fait donc une réflexion sur la supposée nudité constante des parents de son camarade. Quitte à être dans les suppositions, c’est tout à fait probable, ça expliquerait pourquoi il passe d’un garçon à l’autre et pourquoi il le croise presque toujours quand il est torse-nu. Enfin, à vrai dire c’est probablement un problème récurrent chez les candidats de cette saison, un traumatisme lié à leurs parents qui fait qu’ils ont besoin de se réconforter et plus si affinités les uns avec les autres. À la réponse de son camarade, il se permet un long soupir d’exaspération comme première réponse. Il voit ce qu’il fait, il le provoque et il essaie de ne pas lui donner la satisfaction de réagir, mais c’est plus facile à dire qu’à faire. « Garde-les pour Aaron, Sacha ou je ne sais qui. » À vrai dire, il s’en fiche pas mal des gens que le candidat se tape ou ne se tape pas, c’est sa vie privée. Tout comme les relations d’Alistair avec ses parents font partie du domaine du privé tant que lui-même ne vient pas sur le sujet. « Tu comptes continuer sur cette voie-là ? » Il demande par la suite, d’un ton étrangement calme alors qu’il est véritablement exaspéré. « Car je n’ai pas de temps à perdre. » Il ajoute, laissant peu de doute, cette fois-ci, quant à son exaspération. Il est vrai qu’il est – pour son plus grand malheur – rentré dans son jeu, mais ce n’est pas pour autant qu’il veut le continuer.

Il paraît évident que je fais exprès de provoquer Alistair. Rien que pour voir sa réaction. Je ne pense pas un traitre mot de ce que je peux dire, ou du moins presque pas, mais ça reste amusant à mes yeux. Une simple distraction, en somme, sans pour autant chercher à être méchant. Oh non, mon but n’était clairement pas de vexer qui que ce soit ou encore mettre en colère quelqu’un. Pourtant, ça semble presque facile avec Alistair, surtout quant au sujet de ses parents qui l’ont battu, vu qu’il réagit presque automatiquement. Et ça ne devrait peut-être pas, mais ça me fait sourire. Je sais que son but n’est pas de me faire rire, et pourtant il réussit. Je crois que j’aime bien sa répartie. Une bonne répartie est une preuve d’intelligence, à mes yeux. Je ne sais pas d’où je sors ça, mais c’est la conclusion que j’ai fait il y a bien longtemps. Parce que si quelqu’un a une bonne répartie, c’est qu’il est assez intelligent pour réfléchir. Non ? Bon, peut-être que beaucoup de personnes ne seraient pas d’accord avec moi, mais je m’en fichais pas mal. Moi j’y croyais. Alors forcément, sa réplique sur Sacha et Aaron me fait sourire. Je me retiens même de rire, n’étant pas certain qu’il apprécie ma réaction. «  Je leur en transmettrai de ta part, puisque tu y tiens. » Oui, je déformais ses paroles, mais ça n’avait pas une grande importance, si ? Et puis tout cela était bon enfant, du moins à mes yeux. Cette fois-ci je ne compte pas le nombre de mot qu’il prononce, même si je remarque un certain progrès. «  Parce que tu as mieux à faire, peut-être ? Ça fait un mois que tu es enfermé dans le même endroit, je suis prêt à mettre ma main à couper que tu n’allais rien faire de ta journée, si ce n’est rester dans la foret et faire le croque-mort. » Moi non plus je ne vois pas le rapport entre rester dans la forêt et faire le croque-mort, rassurez-vous. Mais ces mots sortent tout seuls de ma bouche, et sonnaient bien sur le coup. Maintenant que j’y réfléchis, ça n’a pas réellement de sens. Mais qu’importe.

Même s’il n’a jamais eu l’occasion de passer du temps avec Lou, celui-ci ne lui avait jamais laissé une mauvaise impression. C’est désormais chose faite. Il n’avait rien contre le candidat jusqu’à cette rencontre, mais une chose est sûre : désormais, il détournera volontairement les talons quand il l’apercevra dans son champ de vision. Alistair a un peu de peine à saisir cet acharnement – même s’il est en mesure de le supporter – alors qu’à priori, il ne lui a jamais rien fait. Certes, il est rentré dans son jeu, mais il s’agit simplement d’un mécanisme de défense. D’autant plus que contrairement à son camarade, lui ne prend pas de plaisir dans cette joute verbale. Il n’est pas pour autant blesser, simplement agacé. Et il ne se gêne pas pour le montrer. Plutôt que de l’emmerder dans cette forêt, il pourrait tout autant occuper son temps en donnant des fessées à Sacha, Aaron ou n’importe qui d’autres, ça a l’air d’être son truc les contacts rapprochés, il ne faut pas qu’il se gêne, ça lui ferait débarrasser le plancher. « Ne te gêne pas. » Il marmonne en serrant les dents, après la réflexion de Lou. Il y tient tellement, c’est évident. Alistair essaie ensuite de se montrer un minimum courtois, contrairement au marin, en lui demandant s’il compte continuer sur cette voie encore longtemps. Qu’il sache, car pour l’instant sa connerie est encore rattrapable, mais elle ne le saura bientôt plus. Mais il persiste et signe. Il est vrai que dans l’immédiat, il n’a pas grand-chose de mieux à faire que de rester dans la forêt et de faire le croque-mort – réflexion qui vaut un nouveau regard noir à Lou – mais cette forêt est assez grande pour que chacun se disperse. « J’ai mieux à faire que de rester avec toi. » Il insiste fortement sur ce dernier mot. Lou est le véritable problème, ça n’est pas cet endroit, ça n’est pas l’ennui qui devient de plus en plus récurrent. À ce moment précis, c’est bien le candidat qui gêne. « Je ne vais pas me rabaisser à ton niveau. » Il ajoute. Il ne compte plus entrer dans son jeu, plus maintenant. Ce n’est pas qu’il ne le veut pas – s’il s’écouterait, il ne se gênerait pas – c’est tout simplement qu’il ne peut pas. Il a fait une promesse à Peter et il sait que se montrer sous ce jour pourrait lui porter préjudice. Alors autant prévenir son camarade qu’il peut continuer s’il veut – même s’il aimerait bien évidemment qu’il reparte d’où il vient – mais lui s’estime légèrement plus mature pour ne pas continuer cette joute verbale. D’ailleurs, sans attendre une quelconque réponse, Alistair reprend sa marche, il se doute bien que si Lou a une réflexion à faire, il ne se gênera pas, alors à défaut de pouvoir être sourd un instant, il peut déjà éliminer la nuisance de son champ de vision.

Ça peut paraître complètement fou, mais je crois que je l’aime bien, cet Alisitair. Il me fait rire, même si je sais que c’est involontaire de sa part. Et puis ça a l’air si facile de l’agacer, comme si j’avais déjà tous les bons mots qui sortaient de ma bouche. Alors forcément, j’y prends un plaisir innomé. C’est sûrement parce que tout ne tourne pas rond dans ma tête, mais ce n’est pas bien grave. Je l’assume complètement. D’un côté je me demande si je suis génétiquement capable de détester quelqu’un. Je ne crois pas vraiment. Je n’ai pas dû haïr grand monde dans ma vie, sûrement parce que je n’y portais pas plus d’importance que ça. Je n’avais tout simplement pas d’énergie à perdre pour les personnes que je n’aimais pas, et ils me restaient tout simplement indifférent sans que j’éprouve le besoin de leur cracher dessus. Mais le fait était qu’aujourd’hui, j’avais de l’énergie à perdre, et qu’en plus de ça ça m’amusait particulièrement d’emmerder Alistair. Il a mieux à faire que de rester avec moi, qu’il insiste. Et moi la seule réponse que je trouve à ça, c’est de lui sourire. Un beau et grand sourire. Je ne sais pas s’il se rend compte à quel point il me divertit. Et après avoir ajouté quelques paroles, il reprend sa marche. Je le regarde un instant, et puis je ne me gêne pas pour le rejoindre, marchant à ses côtés. Oh, j’avais bien compris, il ne voulait pas de moi. Mais tant pis pour lui, hein, la forêt ne lui était pas réservée. «  Techniquement, tu ne peux pas te rabaisser à mon niveau. » Je lui réponds alors, enfonçant les mains dans les poches de mon jean, continuant à marcher près du croque-mort. «  Mon niveau est tellement haut,ce qui convient mieux est de ’t’élever à mon niveau ’ » je rajoute en souriant. «  Et pour le coup, je comprends que tu ne puisses pas le faire. » Je le cherche, j’en ai conscience. Peut-être que j’abuse un peu. Mais comme je l’avais dit un peu plus tôt, il n’y avait rien d’autre à faire dans cette baraque, alors autant s’amuser un peu.

Quand on le met en colère, Alistair agit de façon paradoxale. Il est calme tout en bouillonnant. Si à l’intérieur, il a déjà insulté une bonne dizaine de fois Lou de toutes les insultes possibles et inimaginables et qu’il s’est même vu lui donner une droite amplement méritée – mais il ne risquera pas sa place dans le jeu pour un imbécile qui n’en vaut pas la peine et qui savourera le fait d’être l’objet de l’exclusion d’Alistair – à l’extérieur, c’est autre chose. Certes, il a quelques tics qui le trahissent, comme son regard noir ou ses soupirs, mais il ne lui fera pas le plaisir de hausser le ton pour faire entendre le fond de sa pensée. Lou semble intelligent, il a certainement déjà remarqué qu’Alistair est agacé par ses propos, mais ce dernier essaie de ne pas laisser transparaître ses émotions. M’enfin, ça ne change pas des autres jours. Par la suite, il se sent obligé de préciser qu’il a mieux à faire que de rester avec lui et qu’il ne compte pas se rabaisser à son niveau. Il ne tarde d’ailleurs pas à reprendre sa marche, laissant Lou derrière lui, mais c’est sans compter sur la ténacité du marin qui ne tarde pas à le rejoindre. D’ailleurs, en l’apercevant à ses côtés, il est plus que tenté de courir, mais ça ne servirait à rien. Il aurait l’air ridicule d’échapper de cette façon au souci que représente Lou et il se doute également que ce dernier serait capable de piquer un sprint pour le rattraper. Alors il préfère se taire et essayer d’oublier la présence du candidat à ses côtés, mais c’est mal le connaître, puisqu’il n’est pas décidé à laisser Alistair en paix. Il l’écoute avec une attention qu’il n’aimerait pas avoir compte tenu du ramassis de déchets qui sort de sa bouche et ne tarde pas à le fusiller du regard quand il a terminé son petit speech. « Ridicule et modeste, en plus de ça. » Il déclare d’une voix neutre tandis que ses prunelles cessent de se concentrer sur Lou pour se reporter sur l’horizon. « Tu as piqué ces répliques à ton neveu de cinq ans ? » Ce n’est pas vraiment une question à vrai dire, parce qu’il n’a pas besoin que Lou confirme ou non ses propos. Il ne sait même pas s’il a effectivement un neveu de cinq ans, mais dans tous les cas, les paroles du candidat se rapprochent des paroles que pourrait avoir un enfant de cet âge qui nargue un petit camarade dans la cour de récréation avant de lui piquer son goûter. « M’élever ou me rabaisser à ton niveau, c’est du pareil au même, je n’ai pas envie d’être associé à ta personne. » Peut-être que le meilleur moyen de l’aider à faire des phrases plus développées que trois mots consiste à le faire rager. Et dans ce cas-là Lou a une certaine utilité, même si Alistair ne lui donnera pas le moindre crédit. Il presse ensuite le pas, Lou le rattrapera certainement, mais durant une fraction de secondes, il a la satisfaction de ne pas l’avoir dans son champ de vision.