Les têtes à têtes nocturnes dans la salle de bains, c'est devenu une routine quasi-quotidienne pour Paloma qui n'est plus surprise de rencontrer ses camarades à des heures impromptues. Y'a rien d'étonnant à ce que tous préfèrent éviter la cohue pour prendre leur douche en toute quiétude après tout... Bientôt, il faudra pousser le vice assez loin pour se rendre à la salle d'eau en heure de pointe, puisqu'elle sera désertée de facto. Mais nous n'en sommes pas encore là et pour éviter de partager sa toilette avec la moitié du nid, tard le soir et tôt le matin semblent être des options correctes alors Paloma s'y plie. Sauf qu'elle est rarement seule et que ce soir ne déroge pas à la règle. Elle ouvre précautionneusement la porte, au cas où quelqu'un se trouve juste derrière et manque faire tomber ce qu'elle tient en main de surprise lorsque ses yeux perçoivent le spectacle qui se joue devant eux. Gaëtane. Blonde. Gäetane qui s'observe dans le miroir pour s'habituer à son nouveau visage avant de se retourner en sa direction. Paloma ancre ses prunelles aux siennes, un instant, avant de les laisser s'abreuver à loisir de la frimousse aux traits fins, délicats, de sa camarade. Elle est jolie, comme ça. Elle a définitivement le teint d'une blonde, la peau de porcelaine, claire et sans défaut et les yeux clairs qui offrent un air fragile, mélancolique, pour parfaire le tableau. La blonde peut jouer sur tous les tableaux, femme fatale ou figure vulnérable, comme une héroïne sortie tout droit d'un film d'Hitchcock. C'est fascinant comme couleur, le blond. Pas seulement parce que le jaune était la couleur favorite de Van Gogh et que Paloma y est du coup sensible. C'est juste la plus lumineuse des couleurs de cheveux, celle que toutes les filles ont voulu essayer au moins une fois en espérant gagner en confiance, en beauté, attirer les regards, se sentir différente, plus forte. C'est un mythe, mais un mythe qui a encore la vie devant lui. Elle aussi, s'y est essayé une fois. Bien sûr, ça a été un échec parce que le blond n'est pas la couleur qui flatte le plus sa peau dorée ou ses yeux noisettes. Mais en tout cas sur Gaëtane, c'est vraiment réussi. Consciente de la fixer depuis une bonne poignée de minutes, même si c'est un d'oeil tendre, appréciateur, Paloma estompe l'intensité de ses yeux baladeurs pour les replonger dans les prunelles de l'ex-rouquine. « T'en fais pas, je suis pas pressée » lance-t-elle dans un sourire tout en s'approchant à pas de loup. Elle laisse tomber ses affaires sur le rebord de la baignoire, là où il reste l'ombre d'une place, et s'y laisse finalement choir à son tour. Paloma croise spontanément les jambes et reporte le regard sur la pagaille environnante pour deviner la prochaine étape de la transformation qui s'opère devant ses yeux. « Tu as besoin d'aide ? » s'enquiert l'espagnole avant de se relever aussi sec quand elle entend l'ombre d'un doute dans le discours de Gaëtane. Paloma se place derrière elle, et fixe son reflet, au lieu de regarder directement son visage. Délicatement, une main vient toucher une mèche platine encore humide alors qu'un sourire fleurit sur ses lèvres charnues. « Comment tu te trouves, hormis bizarre ? » Gaëtane a dit retrouver en parlant de ses cheveux, ça veut dire que c'est une vraie blonde. Peut-être que ça l'aidera à reconquérir sa mémoire ? Qui sait. Paloma ne veut pas la bousculer, alors elle conserve secrètement cette pensée et se contente d'affirmer ce qui est le plus évident. « Ca te donne un petit côté héroïne hitchcockienne, la poupée mystérieuse, froide et discrète. » Sexy, aussi, le volcan sous la neige comme disait le maître de suspense lui-même. L'espagnole glisse un sourire à Gaëtane à travers le miroir avant de revenir à une question fondamentale. Pour elle, du moins. « Pourquoi tu as eu envie de changer ? »

Gaëtane refuse son aide et Paloma n'insiste pas. C'est sans doute un truc symbolique, une étape qu'elle a besoin de franchir elle-même, sans l'aide de personne, pour en apprécier les effets bénéfiques. Parce que c'est forcément ça qu'elle recherche, au fond. Un effet bénéfique. C'est le propre de toutes les filles qui vont jamais chez le coiffeur sans une idée derrière la tête. Généralement on a envie de se sentir plus jolie ou d'amorcer un changement comme si changer de tête aidait à modifier tout le reste. Mais c'est faux, c'est d'la connerie tout ça. Paloma le sait parce qu'après une rupture douloureuse - sa seule rupture en réalité - elle a eu besoin de changer. Oh pas grand chose, elle reste trop réfléchie pour se raser le crâne sur un coup de tête. Mais quand même, elle avait demandé qu'on lui coupe les cheveux en croyant que se séparer de quarante centimètres de mèches brunes allait la libérer de l'emprise d'Aslam et du goût amer des regrets. Mais non, elle s'était sentie aussi misérable sauf qu'en plus d'être misérable, elle détestait son carré sage et ne se reconnaissait plus dans un miroir. « C'est quoi la prochaine étape ? » demande Paloma en laissant des yeux scrutateurs se promener sur le matériel. Y'a une bouteille bleue qui l'intrigue plus que de raison et des ciseaux qui attendent qu'à être utilisés. « Tu veux peut-être que je te laisse le champ libre... ? » semble comprendre Paloma en reportant son attention sur Gaëtane. Le changement, c'est personnel et elle s'en voudrait de ruiner son rituel par sa simple présence. Mais sa camarade l'écoute plus, toute absorbée qu'elle est par son nouveau reflet et ce qu'il éveille en elle. Aussi silencieuse qu'une panthère, Paloma glisse derrière elle et s'émeut en la voyant un peu perdue, si vulnérable. Gaëtane elle lui fait un drôle d'effet. Elle a l'air d'une poupée de chiffon, fragile et malléable mais y'a la fois un éclat brut chez elle, un éclat presque primitif, dangereux, qui incite à la prudence. Gaëtane, elle lui fait penser à une jolie plante carnivore. Le genre qu'on soupçonne pas mais qu'est moins désarmée qu'elle en a l'air. C'est ce qui lui plaît chez elle, un potentiel qu'elle réalisait pas avant. Mais c'est pas qu'une victime, Paloma en est persuadée. C'est bien plus que ça. « Je sais pas comment ces choses-là fonctionnent mais il faut peut-être du temps... pour que ça revienne » qu'elle souffle délicatement pour la rassurer sans la brusquer ou lui donner de faux espoirs parce que c'est pas ce qu'elle veut. Paloma connaît pas les mécanismes de la mémoire, elle ne s'est jamais penchée là-dessus mais ça peut pas être aussi facile qu'un changement de couleur et des images qui l'assaillent en réponse. Son cerveau doit assimiler tout ça, digérer l'information et après lui renvoyer en pleine face ? « Non pas toi, l'héroïne. Toi tu lui ressembles physiquement et c'est un compliment » Paloma n'a jamais trouvé Gaëtane froide. Réservée, timide, anxieuse parfois, oui. Mais pas froide. Et encore, c'est s'il fallait la couvrir de défauts parce que ce sont pas eux qui viennent spontanément quand elle pense à la rouquine plus si rousse que ça. Elle clame être ici pour changer et pourtant c'est un retour aux sources qu'elle opère en retournant au blond. Revenir à la case départ pour changer c'est con mais ça lui parle à Paloma. C'est une logique particulière qui fait pas sens et c'est justement pour ça que ça marche, chez elle, dont la logique est singulière. Elle hoche la tête, pensive, et reporte finalement un regard à la douceur cotonneuse sur le visage de Gaëtane. « Qu'est-ce que tu aimerais changer ? » Outre la couleur de cheveux mais Paloma imagine que ce n'est pas ce qu'elle sous-entend par changement.