Je devrais avoir honte de moi, quel humain normalement constitué ne visite pas l’intégralité des endroits qu’offrent un nid d’amour comme celui dans lequel nous sommes enfermés depuis maintenant cinq semaines. Ne pas avoir mis les pieds dans le jardin pendant plus de deux minutes relève du défi et pourtant je l’ai relevé bien malgré moi. Pas besoin de me donner une médaille, au contraire j’aurais presque honte de ne pas être passé par ici plus tôt. Pourquoi ? C’est assez simple, avec les balançoires, le trampoline et tout ce qui se trouve dans le coin je serais parvenu à faire passer le temps tellement plus simplement. Je me sens comme un enfant qui vient de découvrir que le Père Noël est passé cette nuit et a déposé des cadeaux sous le sapin, je suis tout agité et excité à l’idée de faire de la balançoire… Que cela sonne mal d’ailleurs, j’ai l’impression d’être retombé en enfance mais mettez-vous à ma place, on ne peut pas installer une balançoire lorsqu’on change de destination toutes les semaines et rares sont les fois où mes parents m’ont emmené au parc pour enfant. Sans plus attendre je grimpe donc sur ma balançoire, utilisant mes jambes pour pouvoir gagner un peu de vitesse et me lancer. L’air me fouette le visage mais c’est plutôt agréable comme sensation, à vrai dire je me sens super bien.

J'essaie toujours de passer un peu de temps dehors. Chaque jour, j'essaie de parcourir le jardin, la plage ou encore la forêt afin de m'oxygéner au maximum, pour me donner l'impression que je ne suis pas réellement enfermée aussi. La journée d'aujourd'hui ne fait en rien l'objet d'une dérogation et, en cette journée de Toussaint, je décide d'aller disperser mes pensées dans le jardin. Le jardin est en ce moment, occupé par un seul et unique candidat que j'identifie facilement. Blond, grand, Jaheim. Simplement. Il se balance d'avant en arrière avec autant d'entrain que pourrait le faire ma fille, il a l'air vraiment content d'être là et ce genre de bonne humeur fait plaisir à voir. Je décide d'en faire de même et prends place sur la seconde balançoire. Je m'y assois simplement pour le moment «ça te dérange pas si je te tiens un peu compagnie ? » On ne se connait pas mais il n'est pas trop tard pour faire un peu connaissance, pour que j'en sache un peu plus à son sujet et que je ne le cantonne pas uniquement au rôle de l'hétéro qui a viré gay. Ou bi, peu importe dans le fond. Je n'ai pas envie qu'il ne soit que cela, j'ai envie qu'il me montre qui il est réellement. «Dis-moi Jaheim, qui es-tu ? D'où viens-tu pour que l'homosexualité soit ainsi refoulée par chez toi ?  » J'ai envie de le localiser dans son véritable environnement, de savoir d'où il provient pour que son entretien ai encore, à notre époque, de telles idées bien arrêtées sur ce sujet

La vie regorge de plaisirs simples, inutile d’avoir des millions d’euros sur son compte dans ces moments-là, il suffit juste de savoir comment apprécier ce qu’on a sous la main et s’en servir à bon escient. Prenons un exemple plus parlant, une balançoire, il n’y a rien de plus accessible au monde et il est très simple de retrouver le sourire en s’offrant quelques petites sensations sympathiques en se balançant d’avant en arrière à la force de ses jambes. De manière plus générale je n’ai jamais eu besoin de beaucoup pour être de bonne humeur, pour me sentir bien dans ma peau. Je dirais même que personne n’a jamais eu besoin de sortir le grand jeu pour me divertir ou me plaire d’un point de vue séduction. Je respire la simplicité même s’il m’arrive d’être parfois aussi superficiel que tout un chacun. Une candidate approche, l’une de celles que j’aurais aimé apprendre à connaitre davantage, ne venons-nous pas de trouver le moment idéal pour dépasser les simples banalités et rentrer dans le vif du sujet ? J’espère que si en tout cas. «ça te dérange pas si je te tiens un peu compagnie ? » Je continue à me balancer, sourire aux lèvres. « Pas du tout au contraire. » Je suis dans l’un de ces moments où vous avez l’impression d’avoir ingéré je ne sais laquelle des drogues les plus puissantes au monde, vous êtes euphoriques sans trop savoir pourquoi. «Dis-moi Jaheim, qui es-tu ? D'où viens-tu pour que l'homosexualité soit ainsi refoulée par chez toi ? » On ne pourra pas lui reprocher de ne pas avoir mis les pieds dans le plat en tout cas. « Je viens de partout et de nulle part à la fois, je n’appartiens pas vraiment à un endroit, plutôt à une communauté. Celle des gens du voyage… Les forains pour être plus précis. » Je marque une pause le temps de forcer sur mes mollets pour accélérer un peu la cadence. « Ma famille a des idées très arrêtées, notre communauté est globalement très homophobe alors je n’imagine même pas ce qui m’attend lorsque je vais sortir d’ici. Je risque très probablement d’être renié, à moins que ma grand-mère se soit imposée pour me sauver la mise, c’est la seule qui a toujours été ouverte d’esprit. Elle a même été en France défiler pour le mariage pour tous, choquée qu’on ne puisse pas se marier avec n’importe qui. » Je ne sais même pas pourquoi je me confie aussi profondément mais ça me fait du bien en tout cas. « Tu viens d’où toi ? »