Le diagnostic était toujours le même : insomnie. C'était devenu récurrent depuis ces sept dernières semaines en Australie. Ce n'était pas un phénomène nouveau, il m'arrivait aussi de ne pas arriver à fermer l'oeil lors de mes nuits dans la cité émeraude mais il s'amplifiait depuis mon arrivée dans le nid. Il fallait dire qu'on ne nous laissait pas une minute de répis sur cette île. Il y avait bien un avantage dans cette insomnie, j'avais le balcon pour moi toute seule. Les minutes de solitude dans le nid se faisaient rares et ce même si le nombre de candidats se réduisait considérablement chaque semaine. Je n'étais pas à l'abri d'un départ non plus, ma position de nominée me mettait dans une position dangereuse. Je n'avais pas vraiment envie de partir mais l'idée de retrouver ma petite vie ne m'effrayait pas. Si jamais je venais à sortir, je ne retournerai pas à Seattle dans l'immédiat, il me faudrait me retirer quelque part le temps que l'émission se termine pour éviter d'avoir à supporter les sollicitations. Mon Ohio natale semblait être la meilleure solution, personne n'irait me chercher là-bas alors que moi j'aurai tout le loisir de retrouver le semblant de famille qu'il me restait. « Ce n'était finalement pas si mal quand on y pensait » je ne cesse de me répéter alors que je glisse une cigarette entre mes lèvres. Je l'allume et commence à fumer une clope puis une deuxième et je suis même au point d'en commencer une troisième quand j'entends des bruits de pas se rapprocher. Machinalement je me retourne pour savoir qui a décidé de s'accorder un bol d'air frais nocturne mais je ne suis finalement pas surprise lorsque je découvre le visage d'Alistair. « J'en étais sûre » je murmure pour mon propre compte mais bien assez fort pour qu'il puisse entendre. Il n'y avait que très peu de candidat dont je pouvais croiser la route à une heure aussi tardive de la nuit, Alistair était en tête de liste. « Je suis désolée que tu sois nominé » . Deux fois en plus. J'étais un peu désolée pour tout le monde, pour ceux qui n'avaient rien fait pour mériter ça : Ghika, Jessica ou même lui. Parce que tout le monde, même Akela, avait remarqué ses efforts pour s'ouvrir aux autres pendant que le reste des candidats se braquaient. C'était plutôt pas mal pour quelqu'un qui communiquait par des hochements de tête pendant un mois.

Il est quatre heures du matin, Alistair ne dort pas. Rien d’étonnant, bien évidemment. La fatigue va forcément lui retomber dessus tôt ou tard, peut-être même dès cet après-midi, mais dans l’immédiat il n’a aucune envie de dormir. S’il lui arrive parfois de rencontrer un autre insomniaque au détour d’un couloir, il n’a aperçu personne depuis le coup des deux heures du matin et le temps commence sérieusement à se faire long. Il pourrait essayer de se coucher et d’attendre sagement que le temps passe jusqu’à ce que son corps s’avoue vaincu et décide de rejoindre Morphée l’espace de quelques heures. Mais il n’est pas assez patient pour attendre dans un lit, ou plutôt sur le canapé, quand il sait, d’autant plus, que c’est un plan voué à l’échec. Alors il traîne dans le nid, s’essaie même à un jeu vidéo, passe par la cuisine pour grignoter divers sucreries, passe par le musée dans l’espoir que la vitrine soit allumée, mais rien n’y fait, le temps lui semble ne pas s’écouler. Et finalement, n’écoutant que son envie de nicotine, il prend la direction du balcon, n’ayant, pour une fois, aucune envie de se perdre dans le terrain extérieur malgré son ennui. Et surprise, à peine a-t-il franchi la porte du balcon qu’il découvre qu’il n’est pas le seul à avoir eu une telle idée, Felice ne tardant pas à l’interpeller. J’en étais sûre ? Il met quelques instants à deviner ce qu’elle veut dire par là, jusqu’à comprendre qu’elle fait sûrement référence au fait que sa présence ne soit pas une surprise. Mais il décide de faire un trait d’humour, comme il essaie depuis une ou deux semaines de temps à autre, quand l’envie lui prend. « Quoi ? Tu sais que je t’ai suivie jusqu’ici tant ta présence m’est indispensable ? Mince, je suis découvert. » Ou dans un registre moins léger, qu’il la suivie dans le but de la pousser par-dessus la rambarde ni vu, ni connu, pour éliminer un concurrent ? Non, il préfère garder cette plaisanterie de mauvais goût pour lui. Il est dépressif et torturé aux yeux des autres, il ne faut pas qui l’oublie et qu’il cesse de jouer sur cette image qu’on peut avoir de lui, vu que ça marche généralement que moyennement. Les paroles qu’elle a par la suite lui provoque une esquisse de sourire, c’est toujours plaisant à entendre. « C’est le jeu. » Il déclare en haussant les épaules tout en se rapprochant de Felice, entamant à son tour une cigarette. « Mais c’est gentil, merci. Et je suis désolé aussi que tu sois dans la même galère. » Et il ne dit pas cela juste pour lui faire plaisir ou pour ne pas paraître ingrat parce qu’elle vient exactement de lui dire la même chose et qu’il agit par pure politesse, non, il le pense sincèrement. Il apprécie tous les nominés de cette semaine (bien qu’il connaisse Elsa moins que les cinq autres), mais il n’a clairement pas envie que Felice s’en aille. Parce qu’elle lui fait une bonne impression, qu’il aimerait bien apprendre à la connaître plus et surtout parce qu’elle est la première avec qui il a eu une véritable conversation, ou du moins, quand il était encore pas mal renfermé sur lui-même, puisque les choses ont légèrement changées depuis et que même s’il n’est toujours pas aussi ouvert qu’il le souhaiterait, il a eu l’occasion de discuter plus longuement avec d’autres candidats. « Tu n’es pas fatiguée ou tu as l’esprit préoccupé ? » Qu’il finit par lui demander, en continuant sa cigarette. Il ne voit que l’une de ses deux solutions qui peuvent expliquer le fait qu’elle soit toujours debout à cette heure-ci. Ça l’étonne toujours, d’ailleurs, de rencontrer des candidats à ces heures-ci. Pas qu’il se pense le seul à pouvoir être encore réveillé aux alentours des quatre heures du matin, mais simplement parce que si ce n’est pas le cas et bien les autres candidats réveillés échappent à son radar. Mais pas Felice et il est content d’avoir tout de même un peu de compagnie, d’autant plus que celle de Felice lui est agréable.

Après avoir passé quelques heures dans la bibliothèque à m'archarner sur un livre qui, au final, ne me plaît pas, je décide de me replier sur le balcon pour y trouver le calme et la sérénité que j'aime tant. J'ai besoin d'entendre le bruissement des feuilles après avoir subi les assauts du vent, de me retrouver face à la fraîcheur de la nuit et à la beauté du ciel. On dit de moi que je suis trop sensible à ce qui m'entoure et aux moindres petits atomes qui composent notre monde. Je n'ai jamais été une amatrice des espaces clos et réduits, j'ai besoin d'un horizon sans limite. Ce balcon est donc pour moi la meilleure solution puisque je ne tiens pas vraiment à m'aventurer dans les profondeurs de l'île. Je décide de m'en griller une pour passer le temps et en espérant que le sommeil me viendra plus rapidement si mon corps et mon esprits sont occupés. Rien n'y fait, je suis condamnée à attendre inlassablement que le soleil se lève pour pouvoir trouver moi-même le sommeil. Je n'avais pas prévu qu'un autre candidat décide de se poser sur le balcon en attendant que la fatigue ait raison de lui. Mon intuition me mène à penser qu'il n'y a qu'une seule personne capable de traîner dans le nid à cette heure-ci Je vois juste en découvrant Alistair fermement campé sur le balcon, une cigarette à la main et un briquet dans l'autre. J'en étais sûre et certaine, ça ne pouvait être que lui. Il me lance une plaisanterie à laquelle je réponds pas un léger sourire. « Est-ce que je dois commencer à m'inquiéter parce que tu as un pan de mur entier recouvert de photos de moi ou alors tu es juste un de ces gentils stalkeurs ? . Je lui lance en arquant un sourcil pour paraître on ne peut plus sérieuse alors que je ne fais que dire des enormités beaucoup plus grosses que moi. J'oriente la conversation sur quelque chose de moins amusant qui nous concerne tous les deux : les nominations. Le sort s'est acharné sur nos deux équipes respectives sans que nous ayons demandé quoique ce soit. Je sens ses pas s'approcher dans mon dos et il ne tarde pas à me rejoindre le long de la rembarde qui nous protège du vide. Nous étions dans la même galère et nous étions tous les deux désolés l'un pour l'autre. « Les histoires d'équipe et de coopérations ça ne me réussit jamais » . Parce qu'au final on finit tous par payer pour les conneries de quelqu'un d'autre. Autonome bien avant l'heure, j'avais appris à toujours me débrouiller seule et je gardais toujours cette fâcheuse même quinze ans après. Alors la perspective de devoir affronter les votes du public pour une histoire d'équipes ne me réjouissait pas. J'avais trop à perdre cette semaine entre ma place dans ce jeu et des candidats que j'appréciaient. Sa question m'oblige à réfléchir sur les raisons de mon insomnie, je ne mny suis jamais vraiment penché. Peut être que j'aurai dû. « Je crois que je pense trop, que je me torture et qu'au final ne pas dormir c'est ma punition » . Comme si mon corps dans sa globalité s'était mis d'accord pour que j'arrête de torturer mon esprit de la sorte. Peut être qu'à force de manquer de sommeil j'allais finir par oublier toutes les images qui me hantaient depuis des années. « Et toi pourquoi tu ne dors presque jamais ? » . Je lui retourne la question sans surprise parce que je ne supporte pas de me livrer sans rien recevoir en échange. J'ai envie d'en savoir plus sur lui, ma démarche est sincère et sans arrières pensées. « Tu retiens quoi de tout ça ? De cette aventure, des candidats ? » . Je pourrai bien passer des heures à le questionner pour en apprendre sur sa personnalité et pourtant je sentais que çe ne me suffirait pas à comprendre les moindres petites nuances de son âme. C'était un drôle d'oiseau, le genre qui ne laisse aucun être humain approcher de trop près.

Il doit reconnaître que cela lui fait plaisir de tomber sur quelqu’un compte tenu de l’heure. Il y a encore quelques semaines, il n’aurait probablement pas apprécié de tomber nez-à-nez avec quelqu’un à cette heure-ci, perturbant sa tranquillité nocturne (quoi que, il n’aurait pas été bien disposé à accepter la compagnie d’un autre candidat, même de jour, il y a quelques semaines). Mais le fait que ce soit Felice le satisfait d’autant plus, puisqu’il n’a pas eu l’occasion de lui parler récemment et qu’elle fait tout de même partie des candidats sur lesquels il a une bonne impression qu’il aimerait continuer à creuser encore un peu plus. D’ailleurs, Felice a de la chance, puisqu’Alistair est disposé à faire une petite plaisanterie suite à la remarque de sa camarade. C’est pas souvent qu’il en fait et même si le ton n’est pas encore là, il y a tout de même l’effort, ce n’est pas négligeable. Et c’est agréablement surpris qu’il réalise que Felice entre dans son jeu. Si on lui avait dit, il y a six semaines, qu’il en viendrait à plaisanter, il ne l’aurait pas cru, mais comme quoi il ne faut jamais dire jamais. « Je me considère comme un gentil stalkeur. » Dans l’hypothèse où il en aurait été effectivement un, de stalkeur, il pense qu’il se serait situé dans la catégorie des gentils, ceux qui attendent sagement devant l’ascenseur durant de longues minutes ou guettent à travers la porte le moment propice pour sortir de chez eux, juste pour apercevoir l’espace de quelques instants la personne digne de son obsession. « Mais il parait que je suis méchant, alors si j’étais toi je ferais attention. » Il finit par répliquer, référence aux awards, bien qu'Isaac l’ait heureusement détrôné dans cette catégorie. Ceci dit, c’est un peu l’hôpital qui se fout de la charité, lui-même ayant conscience qu’en dehors de ces murs, dans la vie réelle, il est parfois méchant, bien qu’il s’agisse d’un mécanisme de défense. Enfin, maintenant, avec le recul, il préfère prendre cela à la légère plutôt que de s’énerver. Ils en viennent au sujet des nominations qui se sont jouées lors du précédent prime, prime à l’issue duquel tous les deux savaient leur sort quant à cette semaine. Elle est désolée qu’il soit nominé, et l’inverse l’est tout autant, Felice étant une candidate qu’il apprécie et avec laquelle il aimerait continuer de passer du temps, si l’occasion se présente. Elle lui avoue que les histoires d’équipes, ça n’est pas vraiment son truc. « Ouais, moi non plus. » Il déclare, haussant les épaules tout en tirant sur sa cigarette. C’est pas pour rien qu’il ne vit que pour lui, autant ici qu’à l’extérieur, il sait pertinemment que l’esprit d’équipe, tout ça, ce n’est pas fait pour lui. Et ça ne le dérange pas vraiment, à vrai dire. Il l’interroge ensuite quant à sa présence ici, forcément liée à une insomnie, il ne voit pas d’autres alternatives. A-t-elle l’esprit préoccupé ou est-ce qu’elle n’est simplement pas fatiguée ? Visiblement, c’est la première option qui semble être la bonne. « Je connais ça. » Il rétorque simplement à sa réponse. D’ailleurs, elle ne tarde pas à lui demander pourquoi il ne dort presque jamais. « Pour les mêmes raisons que toi. Et faut ajouter les cauchemars, aussi. » Il n’a pas juste la chance de se tourner encore et encore dans son lit juste parce qu’il pense à trop de choses. Ce n’est pas aussi simple. Il y a les images, il y a les cris, il y a les cauchemars. La question qu’elle lui pose par la suite l’apaise légèrement, puisqu'il s’agit d’une réponse qu’il ne peinera pas à lui donner, puisqu’il ne s’agit aucunement d’un sujet sensible. « Du positif, tout d’abord. » Il marque une pause, tirant à nouveau sur sa cigarette, le temps de trouver une réponse plus acceptable, qui résume assez bien son état d’esprit. « C’était dur au départ, mais ça m’a fait réaliser que je ne suis pas totalement une cause perdue en société, c’est agréable. » Il aurait pu dire pour la société, aussi, ça aurait été tout à fait adapté. Il est vrai que ses premiers jours, voire ses premières semaines ici, furent difficiles, mais il s’estime s’être plutôt bien adapté et avoir pu prouver que malgré son caractère qui peut paraitre atypique, il n’en reste pas moins quelqu’un qui n’a pas un si mauvais fond – bien que beaucoup, à travers leur téléviseur s’ils l’ont reconnu, doivent continuer à penser cela. « Et toi, tu retiens quoi ? » Cela doit bien être une question à laquelle elle a également réfléchi, d’autant plus que vu leur statut de nominés, l’heure du bilan parait une évidence.

Ce n'est pas une surprise de croiser Alistair sur le balcon à une heure pareille. Je n'avais rien contre sa présence, à vrai je la préférais à toute autre. À ce moment de la nuit, je n'avais pas envie qu'on me taquine, qu'on me provoque ou qu'on me lance des banalités affligeantes pour entamer une conversation stérile. Au moins il n'ira pas me poser de questions idiotes et vides de sens comme la plupart des autres candidats. Peut être qu'avec cette conversation j'allais en apprendre un peu plus sur lui et ce qu'il s'efforçait à cacher depuis plus de six semaines maintenant. Sauf que le Alistair qui se tient devant moi n'a rien à voir avec celui que j'ai rencontré au gymnase, celui qui se contentait d'esquiver la conversation avec des signes de têtes et des haussements d'épaules. Maintenant il s'essaie même à la plaisanterie en se faisant passer pour un stalkeur mais de la trempe d'un gentil toutefois. « Tant que tu ne viens pas avec l'intention de me taillader avec un couteau, moi ça me va » . J'en plaisantais mais parfois ce genre d'attaque avait vraiment lieu. Pourtant, selon lui, je devrai me méfier de son prétendu côté méchant, celui que les candidats lui collent à la peau depuis le premier jour. « Je ne crois que ce que je vois et pour l'instant je ne vois pas pourquoi on pense que tu as un mauvais fond. » . Il ne s'était montré ni particulièrement méchant ni particulièrement gentil lors de l'entrevue au gymnase, pourtant je ne le connaissais que de vue avant cet épisode. Peut être qu'avec les autres c'était différent, je n'étais pas en mesure de le vérifier après tout. J'ai l'impression qu'il a fait de gros efforts pour s'ouvrir aux autres et cette nomination qui pèse sur lui n'est pas meritée. C'est cette histoire d'équipe qui nous met dans un sacré pétrin alors que ni lui ni moi ne sommes fait pour les travaux de coopération. J'avais besoin de tout contrôler dans ma vie, je me suis toujours débrouillée avec les moyens du bord et je ne m'en suis pas si mal sortie. Il ne tarde pas à me questionner sur la raison de la présence en ce lieu et à une heure aussi tardive. Je me torture trop l'esprit une fois dans mon lit. Il m'avoue être dans la même situation que moi mais il souffre en plus de cauchemars fréquents. Je ne tiens pas à en savoir plus, nous avions chacun notre jardin secret. Ce qui le hante chaque nuit ne le regarde pas. Alors je détourne la conversation sur un sujet plus léger alors qu'il est temps pour nous de faire le bilan sur ces six semaines d'aventure  Sa soudaine ouverture avait surpris tous les candidats y compris lui-même qui se dit soulagé de constater qu'il n'est pas une cause perdue. « Et tu vas continuer à t'ouvrir aux autres si tu restes ? Et après l'émission ?  » . Ces effort allaient-ils perdurer dans le temps si jamais il sortait dimanche ? Je ne suis pas surprise lorsqu'il me retourne la quetion, je devais m'y attendre   « Plus j'avance et plus je me rends compte que je peux plus continuer à vivre seule et sans attache » J'avais besoin de renouer le contact avec ceux que j'avais laissé derrière moi quand j'ai pris la décision de partir sans espoir de retour. Il ne me fallait pas grand chose, une lettre ou même une petite visite pouvaient tout changer.