J’étais resté. J’étais resté et je n’arrivais même pas à en être heureux. Tout simplement parce que je m’étais inévitablement dit que ça aurait peut-être été mieux si j’avais quitté l’aventure ce dimanche. Quelle en était la raison ? J’étais las. Las de faire l’ascenseur émotionnel avec ma partenaire. Las de porter de l’importance à ce qui ne devait pas en avoir. J’en avais marre, voilà tout. Sans parler du fait que je dormais mal - moi mal qu’avant, mais quand même mal - je n’en pouvais tout simplement plus. Je n’étais plus sûr d’avoir la force et le courage de rester comme ça très longtemps. J’étais fatigué, je voulais partir, retourné en mer, revoir mes amis, retourner voyager, ne plus me soucier de choses ridicule comme ça. Mais je ne pouvais pas abandonner. Pas comme ça, pas aussi tôt. Alors je me forçais malgré tout, bien que mon envie de rester diminuait à force que mes nerfs s’usaient. La colère a tout simplement disparu pour faire place à la lassitude et à la déception. Autant dire que je ne suis pas du genre à rester en colère contre quelqu’un longtemps, de toute manière. Ce sont plus des phases que j’ai lorsque j’apprends quelque chose, ou qu’il se passe un truc. Enfin bon. Alors que je pénètre dans la cuisine, j’hésite pendant un millième de seconde à faire demi tour lorsque j’aperçois ma partenaire à qui je n’ai pas adressé la parole depuis le prime. Je n’ai rien à lui dire, de toute façon. Pourtant je la regarde, mon regard trahissant encore une fois, malgré moi, la déception. Je finis par ouvrir la porte du frigo dans le silence lourd qui pesait dans la cuisine, attrapant une bouteille d’eau fraîche. Il valait mieux que je parte. Mais elle parle. Elle me parle. Et mes sourcils se froncent. «  Ne sois pas vulgaire. » Je ne peux pas m’empêcher de dire avec un calme qui trahissait ma lassitude et mon manque de volonté. Je n’étais pas du genre à dire d’injures, et encore moi à les supporter dans la bouche des autres. Alors autant dire que ses « sale pute » et « grosse salope », ça ne passait pas trop auprès de moi. «  Et je ne vois pas le rapport. » Effectivement, en quoi était-elle une « grosse pute » d’avoir couché avec Percy, hm ? Elle ne comprenait franchement pas ce qui se passait dans ma tête. Ce qui m’horripilait, c’était le fait qu’elle ait couché avec un être aussi détestable que lui, et qu’en plus il lui manquait de respect. «  Laisse tomber, j’en ai marre. » Je dis, cash. J’en avais marre de tout ça, de lui faire du mal, de me faire du mal. Marre de tout ça. «  On n’a pas besoin de se parler, le nid est assez grand pour s’éviter, et je trouverai bien un lit vide. » J’annonce d’une manière neutre, sans franchement me rendre compte de ce que je disais. Couper définitivement les ponts avec Tilda, c’était sûrement la meilleure des solutions, au final.

Et inévitablement, chacun de ses mots sont comme un coup de poignard dans le coeur. Encore et encore. Chaque mot, chaque regard, chaque geste était comme une lacération de plus. Mon visage se décompose au fur et à mesure qu’elle m’adresse la parole. Je ne suis qu’un trouillard. Elle l’a dit. Je le savais déjà, je ne l’ai jamais nié, mais l’entendre de sa propre bouche me fait tellement mal. Je crois que ça se voit dans mon regard, que rien que le mot « trouillard » a le pouvoir d’éteindre définitivement cette lumière qui brillait pourtant toujours dans mes yeux dans toutes les circonstances. C’est fini, il n’y a plus rien à faire pour moi. Pour nous. J’ai même un mouvement de recul sans même m’en rendre conscience, comme pour me protéger inconsciemment de ses mots qui ont plus de pouvoir que n’importe quoi. Et je déteste cette sensation, je déteste me sentir aussi faible, aussi vulnérable face à des mots. Si ces mots étaient sortis de la  bouche de quelqu’un autre, ça m’aurait été égal. Mais là, c’était Tilda. Et ça importait. Elle importait. Oui, ce qu’elle pensait de moi avait de l’importance pour moi, mais je me rends compte que je n’aurais peut-être pas dû lui laisser autant de place dans mon coeur. Je n’aurais pas dû m’attacher aussi vite. Je savais que je n’en avais pas le droit, mais j’étais déçu. Déçu qu’elle pense ça de moi, déçu de voir que ces semaines passées avec elle étaient réduites à néant. Nous étions réduits à néant, tout simplement. Elle avait pris trop de place, trop d’importance, et maintenant ça se retournait contre moi. Et contre elle aussi. Je n’avais jamais eu l’intention de lui faire du mal, jamais. Mais apparemment, je lui en faisais. Et elle aussi. Ça doit sûrement se lire sur mon visage blême, et mon regard triste, sombre qui trahissait tout ce que je pouvais ressentir en cet instant. Tout ce qu’elle me faisait subir par le pouvoir de ses mots. Pouvoir que je lui avais moi-même donné en m’attachant beaucoup trop à elle. Avais-je eu tord ? N’en valait-elle finalement pas la peine, vu ce qu’elle pensait de moi ? Elle pense que je lui ai manqué de respect, et c’est encore pire. C’est le point d’honneur, la note finale qui me détruit et arrache mon coeur de ma poitrine. Je ne la lâche pas des yeux, muet après ce que je venais d’entendre. Y avait-il quelque chose à dire, de toute manière ? Tout était dit. Tilda avait dit tout ce qu’il y avait à dire, et moi je me retrouvais là comme un con, brisé, détruit, éteint. À cause d’elle. La boucle était bouclée. «  Je ne peux pas croire qu’on en soit arrivé là. » Ma voix se brise à la fin de ma phrase, de la même manière que Tilda avait brisé quelque chose en moi. Ou du moins, elle avait brisé ce que j’avais pourtant réussi à réparer. J’en venais à regretter notre relation. A nous regretter. Elle, moi, nous. Et Dieu sait que je ne regrette pas grand chose dans la vie, mais voilà. Elle me faisait tellement de mal que j’en venais à regretter. Elle avait réussi. Je serre les poings pour empêcher mes mains de trembler. «  Désolé d’être une telle déception pour toi. » je lâche, amer. Froid. Distant. Et pourtant, la tristesse peut aisément se deviner au son de ma voix. J’ai les yeux humides. Elle venait de me dire les pires choses qu’on pouvait me dire, et je me savais incapable de passer outre. Je pose bruyamment la bouteille d’eau que j’avais dans la main depuis tout à l’heure sur la table. «  J’ai été tellement naïf de croire que tu étais différente et que tu me comprenais. » je dis en montrant bien toute la peine que je pouvais avoir, toute la peine qu’elle me faisait subir, avant finalement de passer à côté d’elle pour partir d’ici. C’était fini. Je n'avais plus ma place à ses côtés, et elle venait bel et bien de me le prouver. Je n'avais plus rien à faire ici.