Je n'ai pas le coeur à aller me coucher, les heures passent et pourtant rien n'y fait. Le sommeil ne vient pas, les candidats montent dans les différentes chambres me laissant désespérément seule au milieu du salon. J'erre comme un fantôme dans les couloirs du nid avant de me décider à faire un saut à la bibliothèque pour trouver de quoi m'occuper. Je ne mets pas longtemps à trouver mon bonheur, une histoire de dragons et d'elfes qui risque de me tenir éveillée encore quelques heures. Je retourne dans le salon pour profiter pleinement des canapés enveloppée dans une couverture. J'ai toujours aimé lire et ce depuis mon plus jeune âge même si d'où je viens le choix d'une oeuvre est plutôt limité. J'ai toujours eu ce besoin de m'évader, on le ressent même dans mes goûts en matière de lecture. Après de longues minutes passées sur le canapé, mes yeux commencent à se faire lourd et je sombre dans le sommeil. Pourtant mon repos sera de courte durée puisqu'un grand fracas se fait entendre dans le nid. Je me réveille en sursaut toujours un peu dans le flou. La lumière est allumée dans la cuisine, sûrement un candidat en pleine dalle nocturne. Je m'approche à pas de loup avant de déboucher sur la cuisine où je retrouve un Andreja confus d'avoir fait tomber lourdement tous ces ustensiles sur le sol. « Tu m'as fait trop peur, j'ai crû que le ciel m'était tombé sur la tête  » . Je lance au serbe qui ne semble pas avoir remarqué ma présence et qui sursaute lorsque je brise le silence. « Ça va ?  Rien de cassé ? » . Je sais que je m'imagine le pire mais personne n'est à l'abris d'un petit incident dans la cuisine.
 

Il avait faim. Rien de bien insolite en soi, sauf qu'il était deux heures du matin passées. La faute très certainement au fait qu'il n'avait pas mangé depuis la veille au soir, pas faim, pas envie, et des talents de cuisinier qui laissaient aussi franchement à désirer. On aurait pu penser d'ailleurs qu'au bout de neuf semaines ici il aurait pu prendre le temps d'améliorer un tant soit peu ses compétences dans ce domaine, mais même pas, il ne savait toujours pas faire autre chose que cuire un œuf ou mettre des pâtes dans de l'eau bouillante. C'était mieux que rien, certes, mais il n'y avait tout de même pas de quoi se vanter. Alors ce qu'il espérait là, c'était trouvé un reste de quelque chose dans le frigo, n'importe quoi, un truc qu'un autre candidat aurait préparé en trop grosse quantité et qu'il aurait décidé de laisser à disposition dans le frigo en ayant pitié des gens qui, comme Andreja, faisaient tâche dans une cuisine. Mais non, rien, que dalle, et par conséquent les pâtes restaient son dernier recours ... Pasta ce serait, donc. S'il avait su pourtant, il y aurait réfléchi à deux fois et il se serait méfié du placard qui contenait des casseroles, celui-là même où au fil des semaines les candidats entassaient les ustensiles sans la moindre logique ni le moindre soin ... Et ce qui devait arriver arriva, forcément. En même temps que le fracas des ustensiles contre le carrelage de la cuisine des bruits de pas, et finalement c'était Felice qui était apparue sur le pas de la porte en s'exclamant « Tu m'as fait trop peur, j'ai crû que le ciel m'était tombé sur la tête. » Tiens justement, c'était un peu ce dont il avait eu l'impression lui aussi, même si en lieu et place du ciel c'était surtout une armée de casseroles qui lui étaient tombées sur la tête, et en toute discrétion bien évidemment, histoire de pousser le ridicule à son paroxysme. « Ça va ? Rien de cassé ? » Machinalement il avait regardé autour de lui, vérifiant à la fois l'état des casseroles et du carrelage, sans se dire à un seul instant que la question qu'elle venait de lui poser pouvait faire référence à lui et non pas au matériel de cuisine. Se massant la tempe droite en bougonnant, le serbe avait pourtant secoué la tête en répondant « Non, rien. Je crois. » Oup's, presque rien, il fallait juste espérer que Cupidon ne tenait pas des masses à cette mini-pœle en forme de cœur, mais entre nous soit dit elle était d'un goût assez douteux. « Si tu pas me dénoncer je ... partager mes pâtes avec toi. » avait-il annoncé tout en ramassant la poele, dont le manche avait été amputé d'un morceau gisant toujours sur le carrelage. Enfin bon, pour partager ses pâtes encore fallait-il qu'il les fasse, et vu comme se présentaient les choses on pouvait se demander s'il terminerait vivant et en un seul morceau d'ici à ce que l'eau boue. « Je me faire maitriser par une casserole ... ça pas trop être glorieux avec mon métier. » Non en effet, on ne pouvait pas dire qu'il soit glorieux pour un garde du corps de se faire maitriser par un objet inanimé et supposément sans danger. Supposément, seulement, parce que la bosse sur son front, elle ne sortait pas de nul part.

Mon sommeil avait été des plus paisibles, bref et pourtant revigorant. Pas de mauvais rêves à l'horizon, juste la perspective de pouvoir passer une bonne nuit de sommeil sur ce lit de fortune. Je n'avais pourtant pas prévu qu'un fracas aussi lourd ne me sorte de l'état d'apaisement où je me trouvais. Il fallait être sourd pour ne rien entendre de ce bruit qui avait ruiné tous mes espoirs de longue nuit paisible. Le bruit provenait de la cuisine où l'on distinguait depuis le salon un faible rayon de lumière. Je décide de m'approcher en imaginant le pire, de la bagarre, aux esprits des défunts mais aussi à un accident domestique qui vire au drame. Pourtant lorsque j'arrive dans la pièce, je suis presque déçue de voir qu'il ne s'agissait pas d'un événement extraordinaire comme je me l'imaginais. Il s'agissait juste d'Andreja et de ses amies les casseroles. Je préfère m'assurer que le serbe n'a rien mais je suis heureuse d'apprendre qu'il n'a rien de casser même si une petite bosse est en train d'apparaître sur son front. « Mets de la glace sur ton front parce qu'avec cette grosse bosse on risque de te retirer le award du candidat le plus sexy de la maison » . Je plaisante en faisant référence au award qu'il avait gagné il y a déjà plusieurs semaines. Pas sûr qu'une bosse violacée l'aide à conserver son titre. Il ramasse un objet sur le sol, une petite poêle en forme de coeur aussi inutile que kitch et pourtant fendue en deux grâce au passage du serbe dans le placard. Il attend de moi que je ne dise rien à personne quant au sort de cette malheureuse poêle. « Mon silence à un prix » . Je décrète comme si j'étais au courant d'un secret d'état et qu'il essayait de me faire garder le silence. « Les pâtes n'y changeront rien mais j'accepte quand même » . Même si je n'ai pas spécialement, je ne vais pas refuser sa proposition, pour une fois que quelqu'un se dévoue pour me préparer quelque chose. C'était une situations coquace pour un bodyguard comme lui de se retrouver attaqué de toute part par une armée de casseroles en furie. Il trouvait ça ridicule mais ayant vécu des situations bien plus humiliantes que celle-là je n'ai pas mon mot à dire. « Les casseroles sont des êtres tenaces » . J'ajoute en haussant les épaules comme si tout était normal et que ces objets étaient de vraies personnes. « D'ailleurs pour ton travail tu dois porter un costume trois pièces et des lunettes de soleil à la Men In Black ou pas ? » . Des bodyguards je n'en croise pas souvent alors maintenant que j'en ai un sous la main je vais pouvoir avoir les réponses aux questions que je me suis toujours posées sur cette profession sans aucune gêne. « Tu es sûr que tu vas t'en sortir avec tes pâtes et que tu vas pas t'ebouillanter avec l'eau ? ». Il est bien capable de se prendre une avalanche de casserole en pleine figure alors il pourrait très bien finir grand brûlé à cause de l'eau des pâtes. Simple question de prévention.

Il venait vraiment de manquer d'adresse, on n'avait pas idée de se prendre ainsi une avalanche de casseroles sur la tête et c'était au moins digne d'une émission de caméra cachée ou d'un gag grotesque. Peut-être était-ce pour cette raison que la première chose à laquelle il avait pensé, après bien sûr la salve d'insultes dans sa langue natale qui s'était échappée de sa bouche sans qu'il ne puisse la retenir, c'était qu'il aurait une place de choix dans le prochain bêtisier concocté par la production. C'était trop d'honneur vraiment, et cette bosse ce n'était pas forcément nécessaire, d'ailleurs c'était la première chose que Felice lui avait fait remarquer après s'être assuré que ni lui, ni le carrelage n'avaient de bobo majeur. Du genre mortel ou presque. « Mets de la glace sur ton front parce qu'avec cette grosse bosse on risque de te retirer le award du candidat le plus sexy de la maison. » Les ailes de son nez se pinçant tandis qu'il prenait un air faussement vexé, les doigts su serbe s'étaient de nouveau baladés contre son front comme pour vérifier les dires de la jeune femme, alors qu'il l'avait fait à peine quelques secondes plus tôt. « Trop tard, je être désenfiguré maintenant. » Bien sûr, désenfiguré. Ceci dit son conseil n'était pas stupide non plus, un peu de glace ne serait sans doute pas du luxe, mais avant cela il était peut-être préférable qu'il efface toute trace de sa bêtise et qu'il commence par ramasser les casseroles ... Dont celle qu'il venait d'assassiner, de toute évidence. Vite, une parade pour acheter le silence de Felice ... genre, des pâtes ? « Mon silence à un prix. Les pâtes n'y changeront rien mais j'accepte quand même. » C'est qu'elle était dure en affaire, en plus d'être recouverte de tatouages. Pour un peu il lui demanderait presque si elle n'avait pas un lien de parenté avec Pia, mais la situation familiale de la rouquine étant ce qu'elle était c'était hautement improbable. « Alors il être quoi, ton prix ? » avait-il demandé d'un air narquois tout en balançant la poele en deux morceaux dans la poubelle. Inutile de faire croire que qui que ce soit perdrait son temps à mettre de la superglue pour essayer de réparer les dégâts, de toute façon cette poele était affreuse. Quant aux casseroles elle jonchaient toujours le sol, alors se baissant non sans se rattraper à la table en se sentant perdre un instant l'équilibre, il avait fait remarquer le ridicule de la situation, se faire mettre KO par des ustensiles de cuisine quand on avait été formé à mettre KO toutes sortes d'individus « Les casseroles sont des êtres tenaces. » Adressant une grimace mauvaise aux trois casseroles empilées qu'il tenait dans la main, il les avait remises dans le placard en les poussant tout au fond, comme pour les mettre en pénitence. « D'ailleurs pour ton travail tu dois porter un costume trois pièces et des lunettes de soleil à la Men In Black ou pas ? » La question l'avait fait rire, et tandis qu'il ramassait les dernières casseroles pour les remettre à leur place et refermer se placard de malheur avant de s'en éloigner d'une distance raisonnable, il s'était dirigé vers le frigo tout en répondant « Je porte lunettes noires moins bien beaucoup que Tommy Lee Jones. » Ou que Will Smith, mais ce n'était même pas la peine d'essayer de se comparer à Will Smith, c'était se faire du mal pour rien. « Mais sinon ... oui, je pense. Pour que on être repérés de loin, mais que on tous se ressembler. » La raison était aussi conne et banale que cela, être à la fois élément dissuasif et anonyme parmi les autres. Même si ce n'était en rien au prix de sa cravate ou au cirage de ses chaussures que l'on reconnaissait un bon garde du corps, ce serait trop simple, et c'était tout juste valable dans les films. Passant sous le robinet la seule casserole qu'il n'avait pas rangé avec les autres il l'avait remplie d'eau aux trois quarts avant de la poser sur la plaque électrique. « Tu es sûr que tu vas t'en sortir avec tes pâtes et que tu vas pas t’ébouillanter avec l'eau ? » Est-ce que c'était de la moquerie qu'il percevait dans le ton de la voix de Felice ? Cela y ressemblait bien en tout cas, elle n'était pas très reconnaissante pour quelqu'un à qui on venait d'offrir de préparer à manger. A deux heures du matin passées, certes, mais c'était l'intention qui comptait, non ? « Hey, même mes sœurs elle dire que les pâtes ça être tout ce que je save préparer pour manger. » Alors c'est bon, la cuisson des pâtes il maitrisait à peu près. De même que les œufs au plat, les œufs brouillés, les plats surgelés et les steak hachés ... Quoi que non, il n'arrivait pas à les faire saignants. « Et donc, dans ton métier, vous être tous tatoués autant ? » Puisqu'ils en étaient à discutés clichés professionnels, à son tour de se renseigner à ce sujet. Hésitant un instant entre les Farfale et les Spaghetti il avait opté pour ces dernières et avait posé la boite à côté de lui, en attendant que l'eau finisse de chauffer. « Pourquoi tu pas être dans ton lit, cauchemar ? » qu'il avait finalement demandé, d'un ton plus sérieux. Parce que pour l'avoir entendu faire tout ce ramdam et avoir débarqué si vite elle n'était assurément pas dans son lit. Aaron se la jouait peut-être étoile de mer sur leur matelas, qui sait.

La maladresse de mon camarade avait réussi à me réveiller, il fallait dire qu'il n'avait pas été très discret sur ce coup-là. Se prendre une avalanche de casserole en pleine figure au beau milieu de la nuit c'était la meilleure façon de réveiller une assemblée endormie ou de se chopper une belle bosse sur le front. Le serbe va devoir se trimballer dans le nid avec une belle bosse pendant encore quelques jours, de quoi remettre en cause la légitimité de son titre de candidat le plus sexy de l'aventure. Je lui conseille de mettre de la glace pour éviter que cela ne s'aggrave mais il dit être assez défiguré comme ça. Il n'en voit pas l'intérêt. « Ta bosse va tripler de volume si ça se trouve et demain tu ressembleras à une licorne » . Une bosse aussi imposante que la corne de cette créature légendaire voilà qui promettait d'être amusant à regarder. Je ne voulais pas lui faire sur le coup, je veux juste qu'il mette de la glace sur sa bosse. Promis après je le laisse tranquille. Le serbe préfère ramasser les casseroles et force est de constater qu'il a réussit à fendre en deux la petite poêle en forme de coeur. Je doute qu'un candidat ait pu trouver un usage à cet ustensile mais peut être que Cupidon attachait de l'importance à cette poêle. Je vois clair dans le jeu du candidat, il veut me cuisiner des pâtes pour acheter mon silence mais ça ne me suffit pas. J'en veux plus. Quel est mon prix ? À vrai dire je ne le sais pas vraiment mais je ne vais pas gâcher une si belle occasion. « Ça va te coûter cher, j'ai entendu dire que cette poêle était la préférée de Cupidon » . J'ajoute de mon air malicieux tout en prenant place sur un des tabourets de bar qui entouraient le grand plan de travail. Je le regarde s'affairer en cuisine, commencer à mettre de l'eau dans la casserole alors j'en profite pour lui poser des questions sur son métier. Des questions clichées qui n'avaient pas manqué de faire rire le serbe, je pensais qu'il allait me contredire en me disant que je me trompais complètement. Je pensais qu'on ne voyait ça que dans les films et pourtant Andreja est bien obligé de porter des lunettes de soleil et un costume noir lorsqu'il travaille. Le serbe était donc bien un Men In Black même s'il pense être beaucoup moins classe que les deux protagonistes du film. « Et tu protèges des célébrités ou alors des gens importants et haut placés ? » . Comme des politiques, des grands diplomates ou même des parrains de la mafia, des personnes qui ont le pouvoir et qui n'hésitent pas à en abuser. Je devais bien avouer que son métier m'intéressait, ce n'était pas souvent qu'on avait l'opportunité de discuter avec un garde du corps, eux qui ont l'air si froids et inébranlables en apparence. « Tu dois maîtriser de nombreux sports de combats, je me trompe ? » . Je dois ressembler à une journaliste avec toutes mes questions mais je suis beaucoup trop curieuse pour m'en empêcher. Tant que je ne commence pas à demander des choses trop personnelles qui pourraient le blesser tout va bien. Lorsque je remet en doute ses capacités à pouvoir me préparer des pâtes, il s'offusque. C'est l'une des rares choses qu'il sait cuisiner dans ce bas monde. « Si c'est ta spécialité alors je te laisse faire » . Je réponds en m'inclinant, elles ont intérêt à être délicieuses ces pâtes, il devrait se rassurer je n'ai pas le palet aussi fin qu'un gourmet. Tout me convient tant que ça se mange et qu'il n'y a pas de viande. Andreja veut savoir si tous les tatoueurs arborent des tatouages comme moi. « Je crois bien, je n'ai jamais croisé un tatoueur sans aucun tatouages » . Ça ne veut pas dire qu'ils n'existent pas. Et puis je n'ai pas croisé beaucoup de mes collègues dans ma vie alors il demande à la mauvaise personne.En tout cas le nombre de tatoueurs avec une peau immaculée devait se compter sur les doigts de la main. Il en vient à me demander pourquoi j'étais encore éveillée à cette heure si tardive. Qu'il se rassure, je n'allais pas lui imposer le récit de mes cauchemars, cela faisait un petit moment que je n'en avais plus. « Non. Je ne trouvais pas le sommeil, alors je suis restée dans le salon un petit moment. Je ne dors jamais beaucoup. » . J'avais finis par l'accepter, les nuits dans le nid n'étaient jamais très longues et mon organisme avait dû s'adapter à ce nouveau rythme. « Tu en fais souvent toi, des cauchemards ? » . Je ne savais plus vraiment ce que ça faisait, je n'en avait plus fait depuis un bout de temps.