w/tilda

Il est peut-être tard pour aller courir, il en a conscience. C’est même une certitude, puisqu’il est passé vingt-deux heures. Mais ce n’est pas une surprise de voir déambuler Alistair à cette heure-ci. Il n’a pas le même rythme de sommeil que les autres et, parfois, le même rythme de vie. Certains doivent probablement bailler à s’en décrocher la mâchoire vu l’heure et lui vagabonde gentiment sur le terrain extérieur. Bon, si les extérieurs n’étaient pas un minimum éclairés jusqu’à une certaine heure, il aurait probablement opté pour le gymnase ou le stade pour se défouler. Enfin, le gymnase, c’est un peu remis en question puisqu’il s’y rend pour frapper dans le sac de boxe et qu’il s’est malheureusement abimé les phalanges assez sévèrement il y a deux jours, autant dire que ce n’est pas l’idée du siècle d’aller rouvrir les plaies. Il a d’ailleurs toujours des pansements sur les mains, pansements qui sont obligatoires s’il ne veut pas gratter ses plaies, ça reste un gamin pour certaines choses. Quoi qu’il en soit, il écume l’extérieur en courant rapidement, n’ayant même pas peur de croiser le sanglier dont certains parlent sur sa route. Il ne l’a jamais croisé, ça ne va pas commencer maintenant. Et puis, il croit en ses chances de lui échapper, il a de l’endurance et court assez vite malgré sa carrure assez faible. Endurant, peut-être, mais pas au point de continuer à se déshydrater, puisqu’après trois bons quarts d’heure, il doit s’avouer vaincu et reprendre le chemin du nid pour y boire quelque chose, s’il ne veut pas s’effondre au milieu de la forêt. Il se décide enfin à prendre un pas de marche quand il arrive à l’entrée du nid, passant par la cuisine pour s’emparer d’une bouteille d’eau avant que ses pas le guident jusqu’aux escaliers pour qu’il puisse monter à l’étage et prendre une douche. Il a tiré un trait sur l’ascenseur depuis sa rencontre avec Paloma dans ces mêmes lieux, heureusement que les portes n’étaient pas bloquées et qu’il a pu s’échapper dès que la situation a commencé à lui déplaire. Et puis, question de logique, aussi, ce serait stupide de courir comme un forcené pour se détendre et opter pour l’ascenseur par la suite. Ceci dit, en chemin, il décide de s’arrêter sur l’une des marches de l’escalier plutôt que de continuer son chemin. Pourquoi ? Certainement pour savourer un moment de tranquillité, après avoir réalisé qu’il n’en a pas vraiment bénéficié cette semaine. Il s’intègre un peu aux autres, mais sa solitude reste sacrée. Il entame sa bouteille d’eau, tandis qu’il laisse ses prunelles se concentrer sur l’extérieur, à travers la fenêtre à son niveau. Il couve de nouveau une petite déprime, Alistair, entre la perte de sa cagnotte et sa sortie imminente. Et comme il l’a dit à certains, il n’a aucune envie que tout cela s’arrête pour retrouver la vie extérieure, cette vie pourrie, comme il l’a dit à Clémentine. Et voilà. Les pensées négatives s’immiscent à nouveau dans son esprit, courir n’aura eu effet qu’une poignée de minutes. Il s’apprête à se relever pour filer prendre une douche froide – histoire d’oublier de nouveau ses pensées durant quelques minutes – mais il est interrompu par le bruit de la porte s’ouvrant, puis la silhouette de Tilda déboulant. « Tilda. » Il l’interpelle, afin qu’elle ne continue pas sa route sans s’arrêter auprès de lui. Quoi que, elle est libre de le faire, mais si elle pouvait attendre quelques instants, ça l’arrangerait. « Je suis content que tu sois restée, lundi. » Information probablement hautement capitale pour la jeune femme, mais qu’importe. Ils arrivent au bout de l’aventure et il a réalisé qu’il n’a pas vraiment fait en sorte que les gens sachent qu’il les apprécie, alors il tente, maladroitement, de le leur faire comprendre. Il n’est pas particulièrement proche de Tilda, moins qu’il l’est d’autres personnes, mais il l’apprécie, c’est un fait. « Tu veux bien venir t’asseoir à côté de moi deux minutes ? » Il dit ensuite, esquissant un bref sourire. Ce n’est pas une vraie demande, simplement une référence à leur première rencontre, dans ces lieux. Sauf que les rôles étaient inversés, c’était elle qui était assise sur l’escalier et lui qui déboulait pour rejoindre l’étage. « Et sinon, j’espère que mon idée de prénom pour ton gosse l’emporte sur les autres. » Il termine, bien qu’il ne soit pas sérieux. Quoi que, gagner quelque chose une fois dans sa vie, même si c’est pas vraiment une compétition, ça ne lui déplairait pas.

Quand Tilda débarque dans les escaliers, il prononce son prénom pour l’arrêter. Elle pourrait tout aussi continuer sa route et ne pas lui prêter la moindre attention, mais heureusement pour lui, elle s’arrête. Il n’a pas quelque chose de particulièrement important à  lui dire, peut-être qu’elle ne jugera pas nécessaire de s’être arrêtée pour si peu, mais il veut simplement lui signifier qu’il est content qu’elle soit revenue à l’issue du prime de lundi. Il l’apprécie, plus que d’autres nominés lors de la semaine précédente, plus que Sacha notamment, alors il est vrai qu’il a apprécié cette échange de dernière minute. Autant le lui dire, donc. C’est gentil, mais c’était juste un sursis d’une semaine, qu’elle lui répond. Il est vrai qu’elle est à nouveau sur le banc des nominés. Et il n’a pas envie de la voir partir, au même titre que Pia et Andreja. Ghika, c’est une autre histoire. Il mérite sa place en demi-finale au même titre que les autres, mais il est celui dont il est le moins proche, l’équation est vite résolue. « Quoi qu’il advienne, je pense qu’on arrive à un stade où on ne peut être que fiers de nos parcours. » Il tente, question de la réconforter. Il ne veut pas lui garantir qu’elle va rester, car ces nominations sont particulièrement cruelles : un sauvé sur quatre nominés. Alors c’est beaucoup trop difficile de tenir ce genre de propos, quand les statistiques sont aussi capricieuses. Ce qu’elle ajoute par la suite lui provoque un bref rictus. « Je vais essayer, mais je ne te promets rien. » Il a prouvé par le passé qu’il avait de la peine à maitriser ses émotions. Ou pas. Plus sérieusement, si la jeune femme vient à partir, c’est certain qu’il n’en sera pas ravi. Peut-être pas au point de pleurer, mais en tout cas de la regretter. Alistair lui demande ensuite de venir s’asseoir à côté de lui, léger remake de leur première rencontre ici. Ceci dit, s’ils veulent réellement rejouer la scène, elle doit dire non et il doit la supplier. Très bien. « S’il te plait. » Il se contente de dire, nouvelle référence à leur précédente rencontre ici. C’est bien ce qu’elle avait fini par dire, presque comme une ultime supplication ? Finalement, il s’était exécuté, bien que cela fût difficile, il est vrai. Tilda, elle, est beaucoup moins difficile que lui – ou peut-être est-ce la fatigue liée à son état ? – puisqu’il n’a pas besoin de supplier pendant de longues minutes pour qu’elle prenne place à ses côtés. Heureusement qu’elle est moins sauvage que lui, elle lui dit. « C’est vraiment l’impression que je donnais ? » Il parle au passé, car il a quand même la prétention de croire qu’il n’est plus exactement ce type qu’elle a rencontré sur le même escalier, il y a quelques semaines. Il n’a peut-être pas beaucoup changé, mais il a fait des efforts. Peut-être qu’il se trompe aussi, et qu’elle le considère toujours autant sauvage à l’heure actuelle. Quoi qu’il en soit, il esquisse tout de même un bref sourire à sa remarque. Il évoque ensuite le prénom de son futur bébé, et lui demande si son idée surpasse les autres. Les candidats sont plus créatifs qu’elle à l’en croire. « Tu y avais déjà réfléchi ou pas du tout ? » Avant toutes leurs propositions lors du prime. Enfin toutes. Il n’a pas prêté attention à la moitié des bilans, si ça se trouve ils ne sont qu’un ou deux à avoir fait l’effort de proposer quelque chose. Elle lui annonce ensuite qu’elle aime bien son idée, mais que ce sera une petite fille. « Ah ? » Il souffle, comme pour lui demander plus de précisions. Elle est enceinte de combien de mois au juste ? Elle a déjà pu connaître le sexe de son bébé, la production avait de quoi passer ce genre d’examens ? Elle s’adresse à un type qui n’a aucune fibre paternel et pour qui tout ce qui touche aux gosses s’apparente à du chinois, il est un peu paumé. « C’est dommage, je n’y connais vraiment rien en prénoms de petites filles. » Il pourrait bien lui proposer le prénom de certaines de ses anciennes copines, mais il n’est pas sûr que ce soit très bien vu – bien qu’elle n’ait pas à le savoir. Et puis, il reste convaincu qu’Enzo est un bien joli prénom en plus d’être une bonne idée, et comme il a une bonne idée tous les six mois, il faudra qu’elle repasse si elle souhaite avoir sa proposition quant à un prénom féminin. Elle lui demande ensuite s’il va bien, et il essaie de faire abstraction de ses yeux qui glissent sur lui comme si elle le passait au rayon x. « C’est la grande forme, comme d’habitude. » C’est bien connu, le premier à sourire jusqu’à s’en décrocher la mâchoire pour exprimer sa joie de vivre, c’est bien lui. « Et toi ? » Il est préférable de lui retourner la question, après tout c’est elle la femme enceinte qui subit les effets secondaires liés aux premiers mois de grossesse, hein. Comment ça se passe au niveau des nausées, du mal de dos, de la fatigue ? Pas que ça l’intéresse plus que ça vu qu’il y connait pas grand-chose dans le domaine de la gestation, mais la question lui semble bien plus appropriée qu’à lui. La réflexion qu’elle a par la suite manque de l’étouffer. Il tourne la tête pour observer son visage, afin de déceler si elle est sérieuse ou non. Malheureusement pour lui, elle semble l’être. « Je ne crois pas que tu t’adresses à la bonne personne. » Il répond dans un premier temps. C’est vrai, il doute d’être le mieux placé pour la conseiller à propos d’un mec. Parce qu’il voit bien où elle veut en venir, elle ne va pas lui demander conseil pour acheter un cadeau ou faire une surprise, non, ça relève certainement du domaine plus intime, domaine qu’il ne maîtrise pas vraiment. « Mais dis toujours, on ne sait jamais. » Il concède finalement, haussant vaguement les épaules. Il peut rien lui promettre, mais sait-on jamais, si un éclair de génie passe par là et s’arrête sur lui, pour qu’il parvienne à donner un bon conseil à Tilda. Bien qu’il se considère tout, sauf de bons conseils.