Les discours s’enchaînent, le sien n’est pas fameux, mais il n’a jamais prétendu maitriser les mots. Et puis, vient le tour de Gaëtane, discours qu’il écoute attentivement. C’est sans surprise qu’elle pense aux autres avant elle-même. Elle n’avait pas besoin de s’inquiéter d’avance pour ce discours (c’est l’impression qu’elle lui avait laissée lors de leur rencontre dans le labyrinthe, il y a une semaine de cela), parce que c’était très bien. Elle n’est pas de cet avis, estimant que cela devait probablement être ennuyeux. « Pas du tout. » Non, ça ne l’était pas, peu importe ce qu’elle peut penser. Peut-être que certains n’aiment pas sa façon d’hésiter quand elle doit parler, tout comme d’autres n’apprécient pas les difficultés en anglais d’Andreja, mais lui, il s’adapte sans problème. Et puis, le fait est qu’elle a mis en avant une cause qui lui tient à cœur, contrairement aux autres, lui le premier. Mais il n’a pas honte de dire que si la somme promise au vainqueur lui revenait, il l’utiliserait pour lui et non pour les autres (excepté ses parents). Gaëtane finit par rebondir sur son discours. Il a pris la peine de citer des noms, parce qu’il lui semblait que c’était important même s’il s’avère qu’il est le seul à l’avoir fait et qu’il se sent un peu stupide, certes. « Ce n’est que la vérité. » Pas besoin de le remercier, donc, puisqu’il n’a pas dit cela pour faire plaisir à quiconque, mais simplement pour s’ouvrir un peu et certifier à certaines personnes qu’elles ont compté pour lui, même s’il ne l’a pas forcément montré. Contrairement aux autres primes, celui-ci est relativement écourté puisqu’il est déjà l’heure des résultats. Si, parfois, Alistair avait l’impression que ses dimanches soirs étaient interminables, il n’aurait pas dit non à une rallonge pour celui-ci. Il demande à Gaëtane si elle n’est pas trop stressée et la réponse de celle-ci ne l’étonne guère. Il n’a pas vraiment le temps d’ajouter quoi que ce soit qu’Alix fait son apparition, révélant les cagnottes finales de chacun, annonce qui tire un sourire à Alistair, qui voit sa cagnotte s’alourdir de 10’000€. Ça lui fait plaisir, évidemment. Il tourne légèrement la tête en direction de Gaëtane quand elle lui demande si c’est bien, pour lui. « Oui, ça l’est. » Il répond avec un bref sourire. Ça l’est, c’est certain. Il n’aurait pas dû non à une autre rallonge, sachant qu’il doit encore plus de 30’000€ à ses parents, mais ça l’avance déjà beaucoup plus que 2’200€, il ne va pas faire la fine bouche. Les résultats de la demi-finale tombent et c’est surpris qu’il découvre qu’il a terminé la semaine en tête. Ça l’étonne, et puis il découvre sa place en début de semaine, score beaucoup moins étonnant. Il prête ensuite une attention toute particulière à Alix et il espère que ce dernier ne va pas user du suspense. Il ne se fait pas d’espoirs pour lui-même, mais il espère que Gaëtane sera proclamée gagnante, parce qu’elle le mérite, tout simplement. Alix ne tarde pas à annoncer la quatrième place et la surprise doit probablement se lire sur le visage de l’anglais quand c’est le prénom de Gaëtane qui est annoncé. Il s’attendait au sien, il s’était fait une raison depuis la semaine dernière et voilà que ses pronostics sont déjoués. Et surtout pour voir celle qu’il voulait voir remporter cette aventure échouer au pied du podium. Il n’a pas le temps de glisser quoi que ce soit à l’oreille de Gaëtane qu’elle file reprendre sa place, mais il la suit du regard, déçu. Alix fait à nouveau durer le suspense quant à la troisième place. Et si Alistair se voyait quatrième, il s’imagine être troisième, par conséquent. Et c’est un peu sonné qu’il découvre qu’Andreja termine sur la troisième marche du podium, alors même qu’il le voyait aisément se disputer la victoire avec Paloma. Il ne reste plus qu’elle et lui. Et même si Alistair persiste à croire qu’il n’a aucune chance face à l’espagnole, il ne peut s’empêcher d’avoir une pointe d’espoir en vue de la situation. De base, il ne se voyait pas en demi-finale. Ensuite, il ne se voyait pas en finale. Et là, il s’imaginait terminer en quatrième position, avec un maigre résultat par rapport à ses camarades. Et voilà qu’il est en lice pour la victoire, qu’il peut toucher celle-ci du bout des doigts, ou plutôt le chèque qui l’accompagne. Alors pendant qu’Alix fait durer le suspense, il se retrouve confus, parce qu’il y croit, l’espace de quelques instants. Il s’en fiche bien du statut de vainqueur et d’entrer dans l’histoire de Fake Lover, ce qu’il veut, c’est ce chèque et tant pis si ça le fait passer pour un intéressé. Mais ce chèque serait synonyme de nouveau départ, de nouvelle vie. Ça n’effacera pas la solitude qui sera la sienne à l’extérieur, ni ses tourments, mais il pourra au moins de se débarrasser de la dette qui le lie à ses parents et surtout, se poser à un endroit, un véritable appartement, même pour l’espace de quelques mois, plutôt que de vagabonder d’un hôtel à un canapé, en passant par sa vieille voiture. Oui, cet argent sera important, il lui permettrait de réaliser ce que sa cagnotte ne lui permet pas. Mais Alix dévoile les résultats, mettant un terme à tous ses espoirs. Paloma est proclamée gagnante. Ça ne l’étonne pas, il s’en doutait depuis le début de la semaine, tant c’est une évidence. Paloma est sur toutes les lèvres, elle a récolté le plus gros pourcentage lors de son unique nomination, beaucoup d’anciens candidats sont revenus pour elle, ce n’est qu’une représentation de l’avis du public. « Félicitations. » Il glisse à son oreille, sincère, avant de s’éclipser, la laissant savourer sa victoire avec ses soutiens. Et puis, pour afficher sa déception loin d’elle, pour ne pas lui gâcher son moment. Parce qu’il est déçu, c’est certain, des quatre finalistes c’est peut-être lui qui tenait le plus à cet argent. Quitte à être éliminé, il aurait préféré terminer en quatrième place, comme il l’avait prédit, plutôt que d’être si près du but, si près de cette chance de débuter une nouvelle vie. Il ne veut pas s’imposer, il veut profiter de l’effervescence pour s’éclipser et disparaître. Mais avant cela, il veut faire des adieux dignes de ce nom à ceux qui ont été là pour lui tout au long de cette aventure. Habituellement, il part comme un voleur, mais il sait qu’il le regrettera. Il se dirige dans un premier temps vers Jessica, avant qu’elle ne fête la victoire de sa nouvelle amie. « Encore merci pour le discours. » Cela lui a fait plaisir, c’est bien la première fois qu’on parle de lui dans des termes plutôt agréables, alors ça l’a marqué, dans un sens. « Et bon courage. Je suis content de savoir que tu pourras compter sur Eryk. » C’est ce qu’il a cru comprendre, il espère ne pas se tromper. Il rejoint ensuite Andreja et il sort la clé que celui-ci lui a donnée il y a deux semaines. « Je t’en serais toujours reconnaissant. Merci. » C’est un peu le mot de la soirée. Il lui en sera toujours reconnaissant, aussi stupide que cela puisse paraître. Il n’empêche qu’Andreja est l’une des rares personnes à avoir fait un pas en sa direction. Certes, il n’aura pas pour autant un logement à lui, il restera un étranger dans l’appartement du serbe, ce n’est que temporaire et il s’interdit de prendre ses marques, mais il aura quelques repères, le temps de quelques semaines, que la notoriété de cette émission se tasse et qu’on évite de lui hurler meurtrier à chaque fois qu’il ose montrer le bout de son nez à l’extérieur. Parce que clairement, ce n’est pas dans ses plans de côtoyer l’extérieur, justement. « À bientôt, j’espère. » Il espère, oui. Cela peut être dans quelques semaines si la pression extérieur n’est pas trop forte, ou dans quelques mois, voire des années, Alistair n’en sait rien. Mais il ne pourra pas faire le fantôme auprès d’Andreja, pas après son geste. Et comme pour appuyer ses dires, il place sa main sur l’épaule d’Andreja, resserrant légèrement sa prise l’espace d’une fraction de secondes. Il parait que ça se fait, il n’est pas trop doué au niveau des gestes, c’est maladroit, mais c’est à son image. Et puis, il garde le meilleur pour la fin. En l’occurrence, la meilleure, puisqu’il s’agit de Gaëtane. Il n’aime pas ce moment, il ne sait pas comment lui dire au revoir, il ne sait pas comment se comporter, comment réagir, que dire. Alors il reste devant elle comme un idiot pendant quelques secondes, avant qu’une idée lui vienne en tête, idée qui va sûrement déplaire à la jeune femme, raison pour laquelle il s’excuse d’avance. « Je suis désolé. » Et elle va très vite comprendre pourquoi il lui dit cela, puisqu’à peine les mots ayant franchi ses lèvres qu’il prend la jeune femme dans ses bras. C’est irréfléchi, ce n’était pas prévu, mais il en a envie, aussi égoïste que cela puisse paraître. Cependant, il prend en compte le fait que Gaëtane est comme lui sur ce point, pas vraiment adepte des contacts physiques, alors ça ne dure qu’un instant avant qu’il se détache. « Et à bientôt. » Et cette fois, pas de j’espère, parce qu’il compte bien s’y tenir. Il ne sait pas quand, il ne sait pas comment, il s’en fiche bien d’avoir le droit ou non, mais il se rendra à Quiberon tôt ou tard. Et sur ce, il se contente d’un signe de la tête, d’une esquisse de sourire à qui veut recevoir un adieu, avant de disparaître du plateau. Il ne veut pas rester plus longtemps car, dans un sens, c’est douloureux pour lui. D’ici quelques heures, tout ceci ne sera que des souvenirs. Dans quelques heures, il sera dans un avion, en direction de l’Angleterre, là où Peter l’attendra, ayant sûrement pris les dispositions pour que son retour à la vie réelle se fasse dans le plus grand calme malgré l’euphorie autour des anciens candidats. Il lui aura sûrement trouvé une nouvelle chambre chez l’habitant, dans un village paumé, là où on ne viendra pas le harceler de questions sur son passé, où on ne lui mettra pas les images et autres témoignages sous le nez, pour l’accabler encore plus qu’il ne s’accable déjà. Peut-être même qu’il lui a déjà trouvé un travail, qui ne sera que temporaire, comme tous les autres. Mais une chose est certaine, il ne parviendra pas à effacer la solitude. Car c’est qu’Alistair va retrouver, à l’extérieur. Une solitude qui était vitale, auparavant, mais qui deviendra pesante, maintenant qu’il a vécu une telle aventure. Et ces pensées sont peu réjouissantes, tant il est réticent à revivre la vie qui était la sienne avant d’entrer ici. Mais au moins, il pourra désormais se raccrocher à une chose : ses souvenirs d’ici.

Il ne pensait pas que cela passerait si vite, ce prime, il ne savait pas si c'était la réalité ou bien si c'était simplement lui qui avait faussement l'impression que la soirée avait filé à toute allure, mais ce qui était certain c'était qu'il ne l'avait pas vu venir, lorsqu'Alix avait annoncé pour une ultime fois qu'il était l'heure des éliminations. Comme les trois autres finalistes il avait quitté sa place, laissant Tilda et Pia le temps que les résultats soient annoncés, et si l'issue de ce prime ne l'avait pas stressé outre mesure depuis le début de la soirée, sans doute parce qu'il stressait déjà assez pour ce qui l'attendait dehors, une fois sorti du plateau, il commençait à penser un peu aux résultats. Il était temps, alors qu'Alix tenait la réponse à leur question entre ses mains. Il stressait parce qu'il était comme tout compétiteur qui se respectait, une part de lui était forcément attirée par la victoire, mais il stressait aussi parce qu'il savait que d'eux quatre Alistair était celui qui avait le plus besoin de cette victoire. Il n'avait pas envie de gagner, il avait besoin de gagner, pas pour la postérité mais pour les cent mille euros. Abasourdi pourtant, lorsque le prénom de Gaëtane était sorti en premier, parce que ses espoirs subjectifs ne l'avait jamais empêché de considérer les deux filles de leur quatuor comme les plus susceptibles de se hisser en haut de tableau. Puis son prénom, il aurait sa place sur la troisième marche du podium, fin de l'histoire ... C'est en réalisant seulement maintenant que malgré un léger sentiment de déception son stress lui n'avait pas disparu, et n'avait par conséquent jamais été dirigé vers ses propres espoirs de victoire. S'écartant à son tour pour laisser leur place aux deux candidats encore en lice il avait adressé un léger sourire à Alistair, sans même savoir s'il le remarquerait ou s'il était encore trop obnubilé par Alix et par ce qui sortirait de sa bouche ensuite. Et puis en l'espace d'une seconde tout avait été terminé, Paloma basculait du statut de candidate à celui de gagnante, tandis qu'Alistair lui héritait de la place malheureuse de celui qui se tenait au pied de la victoire sans pouvoir la toucher. Et cela lui faisait mal au cœur, au serbe, parce que même si aux vues de son parcours et de son score lors de cette finale Paloma n'avait clairement pas volé sa victoire, il ne pouvait s'empêcher de penser à Alistair et d'à quel point il comptait sur cette victoire quand l'espagnole répétait ne pas vraiment s'en soucier ; C'était ironique au fond, ou bien avoir envie de gagner était-il peut-être mal vu. Peut-être qu'on ne votait pas pour un criminel, qu'en savait-il ... Ce serait tellement con pourtant de s'arrêter à cela, plutôt qu'à ce qu'avait montré Alistair durant ces trois derniers mois. Il ne savait pas trop quoi lui dire d'ailleurs, lorsque félicitant rapidement Paloma à la suite d'Alistair il s'était tourné vers ce dernier ... Et finalement c'était le britannique qui avait pris la parole le premier, pour le remercier. La reconnaissance allait pourtant dans les deux sens, parce qu'il n'y avait que face à Alistair qu'il avait eu l'impression d'être égal à égal, parce qu'entre eux particulièrement il n'y avait ni jugement ni curiosité inutile « Tu faire attention à toi, d'accord ? » lui avait-il finalement répondu, plutôt que de se contenter d'acquiescer. Il ne savait pas vers quoi se lançait Alistair dehors au juste, ce qui l'attendait, ce qu'il ferait ... Il n'avait même pas de certitude qu'il se rende à son appartement, il pouvait encore changer d'avis. Il ne lui souhaitait que d'aller bien en définitive, et avait avait furtivement posé sa main contre celle qu'Alistair venait de déposer sur son épaule, en lui adressant un léger sourire qui valait pourtant mieux que n'importe quel autre mot. Levant les yeux vers Gaëtane il lui avait adressé un signe de tête également, tel l'adieu silencieux qu'on réservait à ces personnes qui, dans d'autres circonstances, auraient pu impacter votre vie en bien ou en mauvais ... En mauvaise sans doute, quand on comparait leurs passifs, mais ce qui n'avait pas eu lieu n'avait pas d'importance en définitive. Il s'était éloigné de la cohue finalement, alpaguant tout de même Tilda tandis qu'elle terminait à son tour de féliciter Paloma ; Ils ne s'étaient pas beaucoup parlés ce soir, mais ce n'était sans doute pas important s'ils prévoyaient d'avoir tout le temps de se parler, plus tard. Glissant une main autour de sa taille il l'avait attirée vers lui et lui avait volé un baiser, sans se presser, parce que l'un et l'autre n'y goûteraient plus avant un petit moment « Juste pour si tu hésiter à me rejoindre. » s'était-il d'ailleurs justifié à voix basse, avant de déposer un autre baiser furtif sur son front. « Je crois je rentrer à Chicago ce soir. » Elle était terminée, la récréation, et disant cela son regard s'était posé sur la silhouette qui attendait dans l'ombre, derrière tous ces cadreurs, régisseurs, preneurs de son et autres personnes auxquelles ils ne faisaient jusqu'à présent pas attention parce qu'ils faisaient presque partie du décor. Mais il ne faisait pas partie du décor, Emil, et il était bien là à le fixer de son regard doux mais sans la moindre équivoque. Emil ce n'était pas seulement son ami, ce n'était pas son chauffeur comme on pouvait le penser à la façon dont il avait attendu Andreja près de la voiture pendant les castings ... C'était un ami, oui, mais c'était surtout son chaperon et sa conscience. Celui qui ne le quittait d'ordinaire pas d'une semelle, celui qui veillait à la fois à la sécurité d'Andreja parce que sa sortie de prison n'avait pas fait que des heureux, mais qui veillait aussi à ce que le slave ne décide pas de se faire la malle. Et il était là ce soir Emil, fidèle au poste, prêt à ne plus le quitter des yeux maintenant que les caméras du nid ne lui faciliterait plus la tache, prêt à lui annoncer sans doute que l'avion privé les attendait déjà sur le tarmac d'un aéroport et que le consul espérait son retour le plus tôt possible. « Tu être magnifique, ce soir. » lui avait-il finalement glissé à l'oreille avant de la lâcher pour de bon. Peut-être que c'était la robe noire, peut-être que c'était le ventre légèrement arrondi qu'il semblait avoir décidé de ne plus camoufler, c'était peut-être l'air serein sur sur visage ... Mais elle était belle Tilda, ce soir encore plus que d'habitude. Posant au loin son regard sur un Emil qui démontrait déjà des signes d'impatience Andreja avait fait quelques pas de plus, et rejoint Pia qu'il avait attrapé par la main pour l'entrainer avec lui par un « Viens. » énigmatique. A quoi bon attendre après une occasion de lui offrir des vacances à Chicago quand il avait déjà un avion à disposition ? « Tu déjà faire du patin sur glace ? » Question hautement importante on en conviendra, mais c'est que les températures risquaient d'être un peu fraiches dans l'Illinois. Face à l'air pincé qui se dessinait au loin sur le visage de son collègue à l'idée de voir qu'Andreja commençait déjà à n'en faire qu'à sa tête, ce dernier avait éclaté d'un rire franc tandis que toute la pression de ce prime, et sans doute de cette aventure toute entière redescendait peu à peu. Et Pia à sa suite il avait quitté le plateau en sachant que dans quelques secondes il retrouverait une réalité qu'il avait passé beaucoup de temps à fuir, mais qui, il l'espérait, changerait pour un mieux après les trois mois qu'il venait de vivre.

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