Ranger les gens dans des boîtes, chose facile lorsqu'on juge d'un regard extérieur, s'avère beaucoup plus compliqué lorsqu'on est plongé au milieu de ceux qu'on doit juger. Ranja a cette, fâcheuse, habitude de juger les gens rapidement, de se fier à sa première impression et de s'y tenir dans quatre-vingt pour cent des cas. L'effort que représente l'engagement nécessaire pour la faire changer d'opinion est bien souvent trop grand pour être engagé par une seule personne et ce n'est pas plus mal. Elle va là où elle pense être le mieux, profite de ce qu'il y a à profiter et si la situation ne lui plaît pas, elle la change. Avec les gens c'est la même chose, soit elle les change, soit elle les confronte. Avec Gigi, c'était un peu différent. Elle représente tout ce que Ranja a toujours refusé de devenir. Au premier abord. Une jeune femme dont l'argent parental a atteint le cerveau et qui ne peut dépendre que de ce dernier mais qui pense que le monde lui est dû malgré tout. La blonde ne méprise pas ce genre de nanas, au contraire même elle admire leur détachement de la réalité et l'acceptation de leur totale déconnexion du monde normal. Mais à devoir vivre au quotidien avec une princesse Ranja devait s'assurer que ses délires de grandeurs n'allaient pas venir s'imposer, comme une extension capillaire dans la soupe, alors elle a décidé de l'approcher. Ça fait maintenant deux jours qu'ils sont enfermés et le temps commence à se faire long. En fait vingt-quatre heures dans la nature c'est bien plus long qu'on pourrait le croire, il n'y a pas de réelle distraction, pas de prélassement qui tienne. Les tâches quotidiennes ne sont pas usuelles pour Ranja, elle les délègue en général avec plaisir et pourtant, ramasser du bois, chercher de l'eau au puit... tout ça semble s'être installé dans sa vie dans les abysses sans qu'elle n'ait le choix. Oh elle n'y prend aucun plaisir, mais la communauté passe avant. Du moins pour l'instant, une fois qu'ils auront gagné leur confort elle ne pensera plus autant aux autres. Mais pour l'instant elle est contrainte par le devoir et Ranja se plie toujours à ses devoirs, c'est dans ses gènes. « Ils font quoi tes parents ? » qu'elle demande en s'asseyant en face de Gigi à la table en bois. La question paraîtrait probablement improbable pour la plupart des gens ici, mais pas pour elles. Elles sont semblables en bien des points et pour Gigi le métier de ses parents doit être une sorte de fierté, celle qui lui permet de vivre une vie oisive.

Une nouvelle riche, voilà qui explique bien des choses se dit Ranja au moment où Gigi lui répond. C'est pas grave, c'est même pas important, ça explique juste pourquoi elle a l'air d'être si expansive. Avec l'éducation dans le luxe vient une certaine décence, une sorte de pudeur au regard du faste. Elle doit encore être dans la période lune de miel avec l'argent, pas qu'on en sorte un jour mais Gigi semble être à son paroxysme. « Oh, d'accord. » se contente-t-elle de répondre. Mais la jeune femme à l'accent américain reprend sa litanie, qu'est-ce qu'elle parle. La perplexité doit transparaître sur le visage de marbre de Ranja, elle ne sait pas exactement ce que fait son mari ? Ça sent l'épouse trophée à plein nez. Tant mieux pour elle, les hommes riches ont besoin de femmes fortes à leur côté. Fortes et dépensières c'est encore mieux. Elle ne compte pas répondre, soulever tout de suite le côté marchand d'une relation n'est pas bienséant, et même si elle se moque généralement de la bienséance, Ranja ne veut pas se mettre à dos Gigi qui vient de poser sur sa tête une couronne de fleur. « Bobo-chic je dirais. C'est plutôt stylé, mais c'est le reste de la tenue qui colle pas... dieu ce que j'aimerais me changer. » répond-elle franchement. Les femmes de sa génération ne sont pas aussi susceptibles avec les réalités, elles préfèrent la sincérité à l'hypocrisie forcée et puis lorsqu'on lui demande son avis Ranja n'hésite généralement pas longtemps avant de le donner. « Ranja. » indique-t-elle avant de répondre à la deuxième partie de la question de Gigi. « La finance, l'immobilier, il n'y a que la politique qu'on ne touche pas dans la famille. La plus proche d'être une star de la télévision dans la famille c'est moi avec cette participation à Fake Lover, mes parents ne sont pas très fan des médias. » Parce que média rime avec embrouille, parce qu'ils préfèrent travailler dans le calme que sous le feu des projecteurs, parce qu'être actionnaire dans une entreprise pétrolière russe quand on est citoyen américain ça ne fait pas bon genre. Les raisons sont nombreuses. « Tu dors avec qui ? » s'enquit Ranja définitivement curieuse.

Ranja éclate de rire quand Gigi, sa nouvelle comparse, lui dit rêver de porter de la soie. Elle rit non pas parce qu'elle trouve ça ridicule, mais parce qu'elle ne peut que compatir à ce genre d'envolée stylistique du sommeil paradoxal. « Dingue ? Naaan. Totalement compréhensible, j'ai rêvé que j'étais dans mon dressing cette nuit donc t'es pas en train de devenir folle. Ou alors on l'est toutes les deux ? » la rassure-t-elle avec un sourire bienveillant. Elle repense à la lingerie hors de prix qu'elle a mis dans sa valise... si elle avait su elle aurait demandé à ce qu'on la défasse pendant qu'elle restait coincée dans ce trou de verdure. « C'est danois en fait. J'ai pas d'ancêtres indiens à ma connaissance. » Et sa connaissance est correcte, l'arbre généalogique de sa famille remonte assez loin, par pure narcissisme familial, un peu comme si c'était une part de l'héritage qu'on transmet à la prochaine génération, la preuve que le sang est nordique depuis des lustres. « Tu m'as démasquée, je suis la fille du Parrain. Damn ! Je pensais pouvoir le cacher plus longtemps. » s'esclaffe Ranja en levant les mains comme si on la pointait avec un revolver en signe de reddition. Elle une fille de mafieux ? Pourquoi pas ? C'était assez loin de la réalité mais ça aurait pu être drôle. Quant au partage des tentes. « Ouais je vois qui c'est. J'espère qu'elle est prête à nous cuisiner des bons petits plats dans le nid, parce qu'après une semaine de labeur, hors de question que je me mette aux fourneaux. Moi, je suis avec Shay, une blonde, elle est plutôt sympa, mais on n'a pas encore eu trop le temps de discuter, on tombe comme des masses dès qu'on se couche. » À vrai dire Ranja n'a pas vraiment essayé de se lier avec sa colocataire, pas qu'elle ne l'aime pas ou que l'autre soit une vraie sauvage, c'est juste que la nuit tombée, Ranja n'est pas trop d'humeur à faire la conversation pendant des heures sous la tente. Elle peut comprendre pourquoi les gamines font ça, c'est un pied de nez à l'autorité, mais ici, il n'y a pas d'autorité qui tienne. « Oh. Merci ! » elle caresse la fleur du bout des doigts, avec une délicatesse et une prudence toutes naturelles. Les fleurs c'est un des rares enfants de Mère Nature que Ranja aime vraiment, il y en a toujours chez elle, elle en exige dans chacune des chambres d'hôtel qu'elle visite. « T'es mariée depuis combien de temps ? » elle demande sans prendre de gants. Elle a loupé sa relation avec Søren, ils ont eu un fils ensemble et c'est tout le bien qu'elle a su en tirer. Lauridtz lui manque, bizarrement beaucoup plus que lorsqu'elle voyage pour les affaires. Ça doit être la possibilité de ne pas le voir pendant plusieurs semaines qui lui pèse, ou peut-être de ne pas entendre sa voix quand elle lui souhaite bonne nuit. Elle s'en voudrait presque de rater une partie de son enfance, mais elle est égoïste, elle voulait participer à Fake Lover et même les progrès de son fils qu'elle manquera ne sont pas une raison suffisante pour la retenir de s'accomplir en tant que femme.

Ranja éclate de son rire adulescent quand Gigi avoue qu'elle va attraper sa fièvre matérielle paradoxale. Ranja pourrait s'en vouloir d'avoir mis quelqu'un d'autre dans la même condition qu'elle, d'avoir condamné une autre âme à subir l'enfer de ces rêves étranges dans lesquels on parcourt un dressing infini sans trouver la bonne tenue. Oui, elle pourrait s'en vouloir pour ça, mais Gigi a l'air de prendre la perspective de ces divagations spirituelles plutôt bien alors Ranja ne voit pas de raison de s'excuser. « Sorry not sorry. J'avais besoin de partager ! » plaide-t-elle coupable du crime de n'avoir personne d'autre à qui parler, personne d'autre qui comprendrait à quel point ce pantalon commence à lui sortir par les yeux malgré tout l'amour qu'elle lui portait avant de passer deux jours dedans. Le regard légèrement vitreux de Gigi quand Ranja lui apporte un éclaircissement sur ses origines est assez drôle à voir. Il n'y a pas de mal à ne pas connaître le Danemark, quoique Ranja aurait tendance à être offensée quand les gens ignorent tout de son pays d'origine, surtout que Gigi n'a pas l'air d'être la fille qui en a quelque chose à foutre de la géographie, à moins que ce soit la géographie de la mode et le calendrier des fashion-weeks. « Il sous-estime grandement tes capacités de déduction à l'évidence. » confesse-t-elle à sa nouvelle camarade lorsque celle-ci avoue que « Melvin » ne l'aurait pas cru capable de trouver un secret. Pour Ranja la chasse au secret n'est qu'une composante de l'aventure, importante oui mais pas dominante. Elle va s'y consacrer comme tout candidat mais si elle ne trouve pas un secret elle n'en fera pas une maladie. Si on trouve son secret par contre elle risque de mal le prendre, pas qu'elle soit susceptible ou quelque chose du genre, elle le prendrait juste comme un échec personnel si quelqu'un trouvait son secret. Elle n'a rien à dire à propos de Shay, elle s'en veut un peu d'ailleurs, elle aurait pu faire plus d'effort avec sa roommate, mais elle n'a tout simplement pas eu la force, se disant que de toute façon elle allait la côtoyer toute la semaine durant vu qu'elles dorment à quarante ou cinquante centimètres l'une de l'autre.« Shay c'est une fille cool, j'en sais pas plus. » Elle dit ça comme si c'était suffisant, pour elle ça l'est, elle n'a rien à raconter et si ça passe pour du mépris ou de l'impertinence, elle s'en moque, Gigi comprendra. La révélation de la durée du mariage de Gigi lui coupe presque le souffle. Elle doit avoir son âge, ou à peu près et elle est déjà marié depuis une demie-décennie ! Impressionnant et un peu flippant aussi. « Wow, cinq ans... Noces de bois en approche, félicitations ! » Parce que oui, cinq ans de mariage correspondaient aux noces de bois, pour avoir arrangé un repas dans un restaurant tout en bois, dont les assiettes, verres et couverts étaient en bois. Bref, un enfer. Ranja est indépendante, c'est parfois compliqué à comprendre, encore plus lorsqu'on est heureuse en mariage comme Gigi, mais elle n'a pas besoin d'un homme —autre que Lauridtz— pour être pleinement épanouie. Ça viendra sûrement, mais en attendant elle est satisfaite de sa situation de mère-célibataire. « Non, j'ai eu un petit-ami sérieux Søren, mais on s'est séparé il y a un an, on a eu un enfant ensemble. Depuis quelques flirts, mais rien de bien sérieux, j'ai pas eu le temps de me concentrer sur ma vie sentimentale. » Jack, Owen et Ilya avaient bien tenté de lui passer la bague au doigt —parce que dans leur monde après deux ou trois moins on pense avoir trouvé l'âme soeur— mais Ranja a toujours fui. Pour son fils, pour sa famille mais avant tout pour elle. « Bon, tu as déjà repéré des gens avec qui tu es sûre de ne pas t'entendre ? » Gossip, gossip, gossip. Elle a besoin d'une dose de girl-talk et de voir si elle a des noms communs avec Gigi sur sa liste.

Ranja est une vraie féministe, pas une extrémiste genre Femen ou Pussy Riots, non, vraiment pas, elle aime juste l'idée que les femmes aient une estime d'elles qui ne soit pas entachée par la pression que les hommes ou la société ne mettent sur leurs épaules. Alors que Gigi donne raison à son mari, qu'elle lui accorde le fait qu'elle n'était pas capable de trouver un secret. C'était tout simplement insupportable de voir qu'elle se dépréciait, ou peut-etre que Ranja la surestime et qu'elle n'est vraiment pas capable de découvrir un secret. Elle n'en sait rien, elle préfère juste croire en l'intelligence des gens au premier abord, surtout quand ce sont des femmes. « Ah merde ! Faut espérer que tu comprendras les indices et que ça suffira à te mettre sur la voix, histoire de pas donner raison à ton homme sur toute la ligne ! » tente-t-elle enthousiaste à l'idée que Gigi démente les croyances un peu abrutissantes de son mari. L'enthousiasme que manifeste la brune à l'évocation d'une fête pour son cinquième anniversaire de mariage est communicative, pour peu qu'elle ait été mariée Ranja aurait commencé à planifier une fête du genre elle aussi. On peut dire beaucoup de choses de Gigi, qu'elle a l'air un peu stupide ou matérialiste, qu'elle est enfantine ou qu'elle se comporte comme une princesse, mais Ranja commence vraiment à apprécier le caractère assez facile à vivre de la jeune femme. « Je vois le tableau d'ici ! J'espère arriver un jour à fêter un tel anniversaire, ça serait un sacré progrès. » Parce que sa plus longue relation jusqu'à présent est celle qu'elle a entretenu avec Søren et qu'elle n'a duré que trois ans et demi. Le mariage ce n'est pas vraiment pour elle, pas qu'elle ne veuille pas trouver l'homme de sa vie, mais elle ne sait pas si elle aura le courage de passer sa vie avec une seule et même personne. Parler de son fils lui fout le bourdon et du baume au cœur en même temps. « Oui, il a deux ans et demi ! Mais faut pas prendre exemple sur moi, dans ma famille on a des enfants très jeunes et on s'arrête très jeune d'en avoir. » Sa grand-mère avait seulement soixante-huit ans. Elle ne l'aurait pas cru si on lui avait dit ce que représenterait la maternité à ses yeux. Mais le jour où Lauridtz était né avait marqué la fin de sa vie d'adulescente et le début de ce qu'elle considérait être sa vraie vie. Elle n'est pas la mère parfaite, pas celle qui ne vit que pour son fils mais le changement entre la Ranja pré-maternité et post-accouchement a été radical. La jeune femme toujours à faire la fête a fini par se ranger un peu, à préférer passer les rares soirées à New-York chez elle avec son bébé que dans un bar avec des copines. Lorsqu'elle est à l'étranger, ou que Lauridtz est chez son père, c'est une autre question. Concernant les membres du casting, elle n'a pas grand chose à dire. Elle apprécie globalement tout le monde, elle n'a pas vraiment eu le temps de parler à chacun d'entre eux. « Ronan me paraît un peu trop franc du collier pour moi, j'ai pas l'habitude des gens qui sont si... nature disons. Puis il y a le gars qui a organisé la répartition de vos tentes à la place d'István qui me fait une drôle d'impression. En dehors d'eux, je n'ai pas encore eu d'autre a priori. Sauf une, la petite asiatique, j'ai pas encore eu l'occasion de passer un moment avec elle, mais elle m'a fait rire sur le plateau dimanche elle était trop contente d'être là. C'est rafraîchissant quelqu'un d'aussi spontané. » finit-il par dire, Ronan la brute épaisse, le gars qui s'est pris pour le chef, voilà ceux qui pour l'instant ne lui ont pas fait la meilleure des premières impressions. Sailor à l'inverse l'a détendue juste par sa présence lors de la première soirée et pour ça, Ranja lui est reconnaissante même si elle ne l'a pas verbalisé.