léo

Comme lorsque j'étais encore candidat, mon quotidien se partage grosso modo entre Simone et Léo. Je les abandonne parfois, quand j'ai envie d'être seul ou de bouquiner, ils m'abandonnent parfois quand ils en ont marre de ma gueule. C'est ce que j'apprécie avec eux : on ne se force jamais. Et on ne se fait pas chier, non plus. Pour l'heure, c'est Léo que je rejoins devant la porte du laser quest. Il est tout seul, pas depuis trop longtemps je crois, parce qu'il n'a pas encore adopté le "regard qui tue tout ce qui bouge même si ce n'est pas Hugo" qu'il a parfois. Du coup, j'arrive tranquillement, les doigts dans les cheveux, enroulant une mèche autour de mon doigt. « Maha s'est défilée ? » je devine, en balayant les environs du regard sans capter la moindre trace de sa dulcinée. Je rêve, elle a flippé. On avait pourtant conclu d'une trêve spécialement pour cette partie de laser quest. Il va falloir que je l'intercepte pour lui rappeler les clauses de notre contrat. Je n'aime guère qu'elle se défile ainsi. « Quelle trouillarde. Tu lui as bien expliqué que ça ne fait pas mal et que ce n'est pas salissant ? » je hasarde rhétoriquement, plus pour plaisanter que pour l'accabler. Elle est vraiment précieuse. Pourtant, je l'imagine bien, dans un élan de rage, se jeter sauvagement sur quelqu'un pour lui en coller une. M'amusant de cette image, j'entraîne Léo du côté des armoires renfermant les équipements. « Ça m'empêchera pas de te foutre une raclée » je conclus, esquissant un sourire. Je fanfaronne, ouais, mais l'éducation de loup de Wall Street que j'ai reçue m'a inculqué ce besoin d'exceller dans tout et j'ai la manie d'être complètement dévoué à une tâche lorsque je m'y attelle. En l'occurrence, réduire les espoirs de victoire de Léo à néant.

J’suis vraiment content qu’Hugo soit revenu pour cette semaine. Quand il est parti j’y ai pas directement pensé mais j’aurais très bien pu ne jamais le revoir. Ce qui est con puisque pendant nos petites péripéties nord-américaines avec Maha on aurait largement eu l’occasion de passer lui rendre visite, lui qui habite la ville. J’ai soumis l’idée une fois pendant le petit dej’ et on s’est vite aperçus qu’on avait aucune coordonnée pour le joindre, ce qui a d’ailleurs bien arrangé la brune. Du coup je m’étais éventuellement motivé à m’en charger avant de prendre mon avion aller-simple pour Paris mais qu’il se soit pointé là arrange bien mes affaires je dois l’avouer. Ca m’évitera de me perdre dans son monde de bourge et peut-être même qu’il aurait pas voulu d’un mec en baskets comme moi sur ses sols en marbre. J’exagère un poil car Hugo ne fait pas dans le stéréotype, il est même le premier à proposer des parties de laser quest. Je le soupçonne d’être secrètement fan de ce jeu. A deux c’est pas marrant alors dans sa bonté d’esprit il a invité Maha à se joindre à nous. J’ai halluciné quand il lui a articulé l’invitation, j’ai même cru à une mauvaise blague de leur part. Enfin le plus surprenant reste quand même le moment où Maha a accepté parce que je l’imagine mal dans ce genre d’endroits où il faut courir partout comme un teubé à essayer de dégommer l’autre à coup de lasers. J’ai eu raison en fait puisqu’au dernier moment, ô miracle, Shay a eu besoin d’elle pour laver son linge ou je ne sais quoi. J’ai ni cherché à comprendre ni à retenir tellement je sais que c’est bidon. J’ai presque failli penser qu’Hugo aussi me mettrait un lapin, ce qui donnerait du sens à ce que j’ai cru être dans un premier temps une mauvaise blague, mais le voilà finalement qui se pointe tranquillement. « Ca t’étonne ? » Parce que moi pas du tout, ce qui me surprend c’est qu’il ait vraiment cru qu’elle viendrait. « Je t’ai laissé la partie des explications, ça vous fera un sujet de discussion sympa sur les règles du laser quest. » Hugo mettra à profit sa passion naissante pour la pratique du jeu et moi je les admirerai s’adresser la parole comme des êtres civilisés, tout le monde sera content. Sauf peut-être Maha mais ce n’est qu’un détail. Tout comme la défaite d’Hugo qui se flaire d’ores et déjà. « Tentative d’intimidation, je note. Désolé mais il en faut plus pour gagner… genre des vrais compétences sportives. » Je le nargue comme si j’avais la moindre compétence de ce côté-là, moi le mec au régime de vie malsain. J’empoigne un gilet au hasard que j’enfile. Ça pèse son poids ce bordel et j’sais pas qui y a joué en dernier mais c’est tellement déréglé qu’on pourrait croire que Ronan est passé par là. Pendant que je m’attèle à resserrer les lanières j’en profite pour papoter de ce qui traverser l’esprit juste avant. « On a un peu visité le pays y a deux semaines… j’voulais passer te rendre une petite visite pour profiter de tes masseuses et voir un peu quelles nanas t’as dans ton panel mais sans ton nom complet impossible de faire quoi que ce soit. » Je me souviens de notre discussion le soir de son départ pendant laquelle il m’avait vendu son train de vie de magnat, en attendant j’suis curieux de savoir à quoi le quotidien d’Hugo ressemble vraiment.

Ben ouais, ça m'étonne un peu, j'avais fini par croire que cette manie insupportable de jouer les princesses tout le temps et avec tout le monde cachait de vraies capacités, de vraies qualités - bref que c'était justifié, même un tout petit peu. Mais non. Elle se défile dès que l'occasion de montrer ce qu'elle vaut se présente, confirmant ma toute première impression à son sujet : elle se la pète. C'est que de la frime. Elle est trop précieuse, cette nana. Je hausse simplement les épaules, parce qu'au fond, qu'elle soit là ou pas, c'est le cadet de mes soucis. Des deux, c'est Léo qui m'intéresse. Le seul mec qui en vaut la peine, dans ce château. Et l'un des seuls (ex-)candidats qui en vaille la peine, tout simplement. J'étais plutôt content, en zieutant la chaîne pour tâter le terrain d'un potentiel retour, de constater qu'il avait ramené sa fraise bridée dans l'hôtel. Le cas échéant, je ne suis pas sûr que j'aurais supporté toute une semaine de plus que mon unique prime prévu initialement. Je grogne vaguement, fatigué d'avance rien que de penser à cette discussion, hm, sympa avec Maha. Je sens d'ici la grosse arnaque. Elle va clairement essayer d'inventer de fausses règles qui l'avantageront et s'évertuera à me faire reconnaître qu'elles existent bel et bien. Je me demande si je ne préfère pas, finalement, qu'on se contente d'une partie à deux. Ouais. Ouais en fait. Sa réplique me fait secouer doucement la tête, et je me retiens de tapoter gentiment sur sa tête comme on l'aurait fait avec un môme. « Que tu possèdes sans le moindre doute, Terminator » je confirme avec un sourire amusé. J'espère qu'il note l'effort que je fais pour varier un peu les comparaisons. J'aurais pu la jouer facile et dire Ip Man. Ou Jackie Chan, mais bon, je ne suis pas mesquin à ce point-là. Il vaut quand même plus qu'un Jackie Chan. C'est évident qu'il a la rapidité, la finesse de Bruce Lee, à peu près autant que moi, ayant la force brute et le côté je-ravage-tout-sur-mon-passage-d'une-pichenette de Hulk. Ça promet un match au sommet, de toute évidence. J'attrape un gilet à mon tour que j'enfile agilement. Ça ressemble pas mal aux gilets du stand de tir auquel j'allais avec mon père, il y a quelques années. Si le laser quest ressemble autant que le paint ball aux vraies simulations de tirs avec une arme à feu, alors j'ai toutes mes chances. Je redresse sensiblement les yeux lorsqu'il se lance dans un racontage de vie et aussitôt, je les imagine débarquer à la villa, face à ma mère, scandalisée par la boucle d'oreille de Léo. C'est vrai que théoriquement, s'ils étaient restés du côté de L.A, ou qu'ils s'étaient aventurés vers Boston, ils auraient pu me trouver. Théoriquement. « Je n'ai pas mis les pieds chez moi depuis plus de deux mois, de toute façon. » Depuis mon élimination du jeu, je ne suis retourné ni à la villa, ni sur le campus. J'avais, disons, plus urgent à faire que de revoir mes parents ou mes profs. Alors, même s'il avait eu mon nom complet, il n'aurait pu tomber que sur mes parents, voire sur Gracie, si elle traînait dans le coin pour préparer le mariage. Mais ça ne m'étonnerait pas qu'il s'éclate encore plus à la rencontrer elle qu'à me voir moi. « Tu n'aurais trouvé que les masseuses, esseulées et chagrinées, quelle déception » j'ajoute, secouant la tête, faussement désolé à cette idée. Que faire, donc, avec une ribambelle de masseuses au physique avantageux (c'est un critère, réellement), toutes désœuvrées et ayant furieusement besoin d'être consolées ? « Je te filerai mon numéro plutôt, je risque de pas mal bouger » je dis finalement, après quelques secondes d'hésitation. J'étais venu ici en partant du principe que peu importe les rencontres potentiellement intéressantes que je ferai ici, elles ne compteraient pas, ne survivraient pas, ne seraient que temporaires, jusqu'à mon retour à la réalité. Pour tout un tas de raisons qu'il m'est compliqué d'expliquer maintenant mais qui, en définitive, s'articulent toutes autour de la même : je ne suis là que pour moi, pour mes projets, pour me conforter dans mon égoïsme. Jusqu'à ce que je me rende compte que ces quelques personnes que j'ai appris à apprécier ne desservent pas mon ambition, que du contraire. « Mais au cas où c'est le spa qui t'intéresse, cherche la villa Diamantini » je fais, mine de rien, avec un sourire sarcastique. Je suis certain qu'un esprit comme le sien notera l'ironie qui nous a affublés d'un nom assez symbolique, au vue de notre fortune familiale. Moi, ça m'a toujours fait marrer. « Vous comptez faire quoi, après ? » je l'interroge, alors, curieux. Parce que j'imagine que c'est pas très difficile de se projeter dans l'avenir, quand on sait qu'une semaine plus tard à peine, on sera de retour dans le jeu. Mais une fois que tout sera vraiment terminé ? Je ne sais même pas s'ils viennent du même coin, tous les deux.

Hugo tente de faire son gros dur mais ça ne prend pas, j’ai la faculté du ninja japonais moi. Doublé à un athlète de niveau reconnu, bref grosso modo il est cuit voir même archi-cuit mais s’il veut je lui laisse un petit espoir. Terminator je trouve même ça plutôt modeste, c‘est pour dire. « Voilà c’est ça. » Je concède puisqu’il a totalement saisi ce à quoi je voulais en venir. En m’équipant pour lui coller la pâté qu’il mérite je m’octroie une confession plus humaine et teintée de douceur. Je suis affligé de voir qu’Hugo n’aurait même pas été là si jamais j’avais pris l’initiative de vraiment lui rendre visite. Il a même pas anticipé quoi ! « Quel homme surbooké. » Je lui balance un peu de bromance les yeux pleins d’étoiles le temps de quelques instants, assez pour le faire rêver. C’est plutôt ironique de constater que les deux personnes auxquelles je me suis vraiment attaché ici sont deux personnalités issues d’un monde auquel je ne suis absolument pas prédestiné à mettre les pieds un jour. Hugo aussi est habitué aux voyages incessants et à une vie rythmée car même si j’ai pas bien compris en quoi consistait sa couverture d’étudiant je crois avoir saisi qu’il était tout le temps parti à droite à gauche pour les affaires. Maha et Hugo ont plus en commun que ce qu’ils se butent à penser. Cela dit il ne me semble pas que Maha ait un jour mentionné ses masseuses, détail que possède Hugo. Bon perso me faire accueillir par un harem de divines créatures je dis pas non. « Oh ça, s’il s’agit de réconforter des âmes en peine ça va encore je veux bien donner de ma charité. » Je sais être généreux quand il le faut. « Encore mieux que tout ton harem réuni. » Le simple numéro d’Hugo a beaucoup plus de valeur à mes yeux voyons, c’est bien plus sentimental. Et sinon j’obtiens aussi les coordonnées de sa villa. Diamantini. Ok. Un sourire se dessine sur mes lèvres. « C’est noté, je risque pas d’oublier. » C’est pas le genre de chose qui s’oublie. Je scratche enfin la dernière sécurité et c’est là que l’heure fatidique intervient : celle de choisir mon arme. Je les observe attentivement comme si ça allait vraiment changer quelque chose. Je relève le nez vers Hugo lorsqu’il me questionne sur Maha, étant plutôt étonné que le sujet l’intéresse. La plupart des autres candidats ne prennent pas cette histoire au sérieux mais j’aurais été con de l’inclure dans cette généralité. « J’sais pas. Je peux même pas te dire qu’on va rentrer puisque j’en suis même pas sûr. Maha doit trouver une nouvelle ville où vivre et j’ai ma vie à Grenoble.» On est trop différents pour que les choses soient simples. Si Maha était restée à Paris encore on aurait sûrement pu envisager quelque chose mais là c’est beaucoup plus compliqué que ça. « On verra bien. » Je conclus en haussant les épaules, lassé d’essayer de trouver une solution et refusant aussi de me confronter à la réalité qui nous attend dans moins d’une semaine. « Je prends celui-là, j’pense qu’il a un potentiel gagnant élevé. » Je le saisi, super sérieux comme si j’avais fait moult calculs dans ma tête.