Elle tranche pour Raïssa, une réponse qui coule de sens finalement. Je reste le regard fixé dans le sien mettant parallèlement tout ça en lien avec la brève conversation que nous avions eu dans l’ascenseur à ce sujet. J’ai cette désagréable sensation que tout ce qu’elle peut dire maintenant vient contredire ce que nous avions pensé mettre au clair précédemment. Psychologiquement c’est difficile de l’affubler d’un nouveau prénom et avec du recul, plus toute cette projection insensée dans un futur dont le décompte arrive à échéance d’ici quelques jours, la pilule est plus difficile à avaler. Elle est tellement compliquée pourtant j’arrive pas à la croire quand elle se décrit impossible à vivre. Comme tout mec normal de vingt-quatre ans des copines j’en ai eu quelques-unes pourtant pour la plupart d’entre elles je ne les prenais pas au sérieux, mes centres d’intérêt étant ailleurs. Ce qui est étrange c’est que jamais je ne pense m’être attaché au point de vouloir tenter un truc dingue comme, à tout hasard, le fait d’aller vivre dans un autre pays pour une militante politique. A vrai dire je n’ai à aucun moment voulu m’installer sérieusement sous le même toit que qui que ce soit. Pourquoi Maha au final… Raïssa, enfin bref. Il faut croire que j’aime m’embourber tout seul dans des trucs compliqués même si je crains parfois que ce ne soit qu’un travers du jeu, de se sentir pousser des ailes pendant un court instant. Le silence s’installe et il c’est carrément gênant et désagréable. Je tente de le briser mais étrangement j’ai plus grand-chose à dire là. J’observe sa main dans sa tentative de colonisation, je suis encore trop gavé par ce qui vient d’être dit pour faire un effort de plus. J’aurais bien besoin d’une clope là, ça serait le moment opportun. Un sourire en coin traverse mes lèvres brièvement accompagné d’un soupir amusé. Elle a raison j’ai été rude avec elle en y repensant. « Il n’y a pas de viande. C’est végétarien désolé. » C’est pas maintenant que ça va s’arranger puisque malgré moi je crois avoir été plutôt sec. « Je vais aller voir où ça en est. » Je m’éclipse rapidement pour vérifier que tout se passe bien dans le four et pour m’octroyer une petite pause par la même occasion. Je reviens un peu plus frai, du moins je l’espère, avec une bonne nouvelle à lui annoncer. On a un repas. « Comme rien n’a cramé je peux donc t’annoncer qu’on va manger une aumônière fromagère et son confit de légumes d’ici quelques minutes. » Ca fait pro, hein. Surtout dit avec le demi-sourire qui va avec. « Sois pas triste je t’ai réservé le tofu pour une prochaine fois. » Je ne l’achèverai donc pas ce soir, qu’elle se rassure. Saisissant mon verre, je le soulève à ma hauteur afin de porter un toast. Un peu de picole et tout ira beaucoup mieux j’en suis persuadé, à défaut d’une réconciliation sur l’oreiller. « A la tienne. A notre futur perroquet. » J’esquisse un sourire parce que même si je me suis découvert une passion je me vois pas emménager avec une nana et prendre un animal domestique en plus , j’suis pas mentalement prêt à me prendre cinq ans dans la gueule d’un coup.

Je veux bien le prévenir avant histoire qu'on sache où on en est. C'est juste assez compliqué quoi. Bref. Je sens que la soirée risque d'être assez longue. Je décide mais je me souviens très bien ce qu'il m'avait dit pendant l'ascenseur, du genre qu'il préférait Maha. Je m'en doute mais faut qu'on arrête avec ça. Mes prunelles s'en vont prudemment l'observer en attendant que l'un de nous deux ne se bougent ce que je ne semble pas trop disposer à faire. En même temps depuis cinq minutes dès que j'ouvre la bouche, je ne fais que l'agacer et ça se voit quand même sur son visage. Ma main se fait aventurière un peu suicidaire vu la situation. Le bout de mes doigts frôlent son épiderme dans l'espoir de l'apaiser et d'essayer de détendre l'atmosphère parce que sinon on ne va pas s'en sortir. Je n'ai pas envie qu'on passe une heure à se regarder dans le blanc des yeux sans se parler, ça va être horrible et extrêmement gênant. Je note quand même l'apparition d'un bref très très bref sourire lorsque je tente de changer un peu de sujet pour que l'on se concentre plus sur le repas qu'autre chose. Je note quand même qu'il a toujours l'air un peu contrarié mais ça passe déjà mieux qu'il y a cinq minutes. J'incline légèrement ma tête alors que mes billes se fixent sur son visage. Pas de viande, vu le mode de vie de Léo, je m'y attendais, bien évidemment. « Je sais oui » je dis avant de m'adosser contre ma chaise. Je sais très bien que Léo est végétarien surtout depuis le jour où il a accusé Diego d'avoir mis de la viande sur ses légumes, je ne sais pas pourquoi mais j'ai bien retenu cet épisode. Je le laisse retourner en cuisine, sans rien dire, me contenter de vriller mes opales à sa silhouette qui s'éloigne rapidement. J'en profite pour étirer mes jambes un instant et tenter de me détendre. Il revient assez rapidement d'ailleurs. Je me redresse vaguement avant de croiser mes gambettes lorsqu'il m'annonce fièrement le menu. J'esquisse un léger sourire narquois. « Cela m'a l'air pas mal du tout » je réponds simplement. Je suis impressionnée dès que l'on ne me sert pas du surgelé il faut dire, pour la cuisine, je ne suis pas bien compliquée étant donné mon niveau qui frôle celui de la mer. Je crois qu'il est temps de consommer l'apéritif. Je l'imite en élevant mon verre à la hauteur du sien pour trinquer, apparemment. Il sait à quel point j'ai hâte d'avoir un perroquet chez moi. J'étais tellement amoureuse de Martin il faut dire que je m'en occupais tout le temps aussi. Heureusement que Léo a rapidement pris le relais pour entretenir la petite bestiole. « Oui, bien sûr » j'ironise alors en hochant la tête. « Aux dizaines de boucles d'oreilles et de colliers style boho que je vais pouvoir me faire avec alors » je ronronne en le regardant en plaisantant avant de rouler des billes. « La seule chose tolérable dans l'appartement étant: des poissons ou un papillon » je balance avec un rictus, mais je ne pense pas que ce soit possible un papillon domestique, qu'on se le dise. « Martin te manque non ? » je lui demande parce que je crois que leur relation était un peu devenue père/fils hein. J'avale une gorgée du cocktail. « C'est un peu chargé » je constate parce qu'on sent bien la tequila.

Cette conversation a tout de désagréable. Je crois que c’est la première fois que quelque chose me tape autant sur les nerfs ici. Pourtant c’est con car elle est nécessaire. C’est d’ailleurs plutôt compliqué de rebondir après ça et mon aller-retour à la cuisine tombe à pic. Rien à signaler, c’était bref. « J’ai peaufiné l’intitulé. » Parce que disons-le la cuisine c’est avant tout une histoire de confit, craquelé et assortiment. Sans ces trois mots on est plus dans la gastronomie mais dans la bonne franquette. Je fini par reprendre ma place sagement en attendant que le four fasse son travail. A notre toast je prends un air choqué comme si quelque chose venait d’enfin percuter mon esprit. « Me dis pas que t’as pensé ne serait-ce qu’une seule seconde à déplumer Martin.» Rien que de songer à ses petites plumes de couleurs vives alignées en collier sur son cou ça m’horrifie. Cela dit même si j’adore les animaux je suis pas pour autant prêt d’en adopter un. On verra ça plus tard. Heureusement en fait car quand je vois le choix qu’on me laisse… « T’es au courant qu’un papillon ça ne vit qu’un jour ? » Quelle question, bien sûr qu’elle le sait ça doit être la raison pour laquelle elle le tolère. En plus avant d’être un beau papillon c’est une chenille, ce qu’elle risque de trouver bien moche et répugnant la connaissant. … parce que ça l’est, tout simplement. « J’préfère un truc qui parle. Un poisson… » J’hisse mes mains au niveau de mes joues que je gonfle au fur et à mesure que mes mains se redressent. Mon imitation est sublime. Du grand art. Après cinq longues secondes je finis quand même par abandonner pour reprendre une expression plus normale et civilisée. « …tu vois c’est con. » Démonstration à l’appui. A part tourner dans un bocal en ouvrant la bouche ça fait pas grand-chose. Un perroquet que je puisse éduquer à ma manière ça c’est vraiment cool mais bon pour diverses raisons c’est pas possible. La première : l’argent. Enfin si ça ne tenait qu’à moi j’irais rechercher Martin directement malheureusement c’est pas possible. Une moue traverse mon visage, témoignage de l’impossibilité de la situation. « Ouais mais il est bien mieux là où il est maintenant. La domestication c’est pas une vie pour un perroquet de son envergure même si un peu d’éducation ça lui aura pas fait de mal. » J’hausse les épaules puisque de toute évidence je lui ai apporté tout ce que l’humain avait d’intéressant à lui donner. D’ailleurs ça me fait marrer de l’imaginer en train d’insulter ses compères ou de sortir des phrases sans queue ni tête à tout bout de champ. « Tu remets en cause mes talents de barmaid ? » J’hausse un sourcil tout à fait sérieux le temps d’une fraction de seconde avant de me redresser du dossier de mon siège. [/color]« Fais voir. »[/color] J’étends mon bras pour aller saisir son verre que je porte à mes lèvres. Une petite gorgée et je constate qu’elle a raison. La rapidité avec laquelle je l’ai préparé n’a pas réussi à mon cocktail. « J’ai peut-être un peu déconné dans les doses. Prends mon verre si tu veux… ou le bois pas. Le but c’est quand même que t’arrives à reconnaître les aliments au moment venu. » J’esquisse un sourire parce que Maha complètement fracassée devant son assiette ça pourrait être plutôt drôle.

Je dois défendre mes idées. Ça va, je n'ai jamais touché à Martin, qu'on se le dise, pourtant ce n'était pas l'envie qui manquait franchement. « Jamais voyons ! » je balance sur un ton qui laisse justement penser le contraire, j'avoue lui avoir sorti cette menace la première semaine pour calmer la bestiole mais on sait tous que cela n'a pas été très efficace au final, qu'on se le dise. Je veux bien lui offrir une alternative car je ne veux pas passer pour la fille totalement fermée et butée donc je lui fais part de ses choix. La remarque de Léo me fait sourire. « Je pensais que ça vivait trois jours » je balance en esquissant un sourire amusé, comme quoi, je suis plutôt large. « Mais ce qui est éphémère peut-être beau et sympa » je balance comme s'il s'agissait de mon argument ultime. Je tolère les papillons parce que ce n'est pas sale surtout, et c'est beau. Il préfère une bestiole qui puisse causer. « Pour quoi faire ?» je lui demande en arquant un sourcil. Il se lance dans sa plus belle imitation du poisson, ça le met du coup très en valeur, il faut bien le dire. Tout cela pour me démontrer qu'il ne veut ni d'un papillon ni d'un poisson, il lui reste l'option: rien alors. « Une éducation ?» je répète en fronçant les sourcils parce que je me souviens que pas mal de candidats se plaignaient de Martin, on repassera donc. Je finis par enfin goûter ce qu'il m'avait préparer et je trouve que c'est un peu fort ou alors je suis aussi devenue une fragile au niveau de l'alcool ce qui n'est pas impossible. Je lève simplement mes mains en signe de défense. « Je crois juste que tu as perdu un peu la main» je souligne simplement, mine innocente sur mon minois de poupée pour ne pas l'offenser, bien évidemment. Léo demande à constater par lui même. Docile comme jamais, j'obéis à monsieur en lui faisant glisser mon verre sur la table. J'affiche une mine plus que satisfaite lorsqu'il en vient au même résultat que moi. « On échange » je ronronne alors en me penchant pour attraper son verre car bien que je fasse souvent la belle, je trouve que je suis quand même sensible à l'alcool au final. Enfin, il y a quand même une légère différence. D'ailleurs je pense qu'un peu d'alcool ne fera pas de mal à Léo, ça le détendra davantage. « Tu veux que je prenne le relais ?» je l'interroge en levant mes opales sur son visage, le scrutant pendant quelques secondes. « Faut en profiter parce qu'en sortant d'ici, régime» je plaisante mais pas tellement, parce que ça coûte un peu de bien manger. Je dis cela simplement dans ce sens parce que Léo et moi ne sommes pas tellement épais donc de ce côté ça va. Je croise mes jambes avant d'avaler une gorgée de son verre -pas alcoolisé je crois- avant de me mettre à le fixer, sans trop de gène bien évidemment.