SAYID & @SHAY
mardi 26 mai - 17:24

Il rasait un peu les murs, depuis la veille. Il n'avait pas spécialement envie de se confronter aux regards et aux réactions potentiellement négatives que pourraient susciter, parce qu'il n'y avait pas forcément besoin de faire partie des personnes dont Sayid s'était rapproché durant ces dix semaines pour avoir cette impression qu'il avait berné son monde. Alors que ce n'était pas aussi simple, ce n'était jamais aussi simple, mais allez expliquer ça à des inconnus qui n'avaient aucun intérêt à vous croire sur parole ... Sayid n'en avait pas le courage, et pas spécialement l'envie non plus. La réaction des autres lui importait quand il s'agissait de personnes dont il était vraiment proches, et il doutait de pouvoir qualifier qui que ce soit de cette manière ici, on ne devenait pas proche des gens en les ayant côtoyés durant à peine trois mois. Alors au fond qu'il ait l'air fourbe, ou faux, cela ne comptait plus vraiment, que risquait-il si ce n'était perdre des votes, tout au plus ? Et ce n'était pas comme s'il avait la prétention de faire le poids face à ses concurrents, le simple fait d'être finaliste lui donnait déjà l'impression d'être un imposteur. Se contentant donc principalement de la solitude comme compagne depuis la veille, il avait rejoint le salon de thé avec le besoin stupide de jouer à l'anglais dans son plus grand cliché, à cinq heures pile, parce que sa vie était aussi faite de ça, d'habitudes qui l'aidaient à se créer des repères et à se faciliter la vie. Le tea time c'était désuet mais c'était une habitude rassurante pour lui, aussi. Il avait cependant gagné un peu en malaise lorsqu'une silhouette était apparue dans sa vision périphérique, et que tournant la tête il avait reconnue Shay, avançant dans sa direction. « Thé ? » Dans certaines cultures proposer un thé était un gage de paix et de politesse, et c'était à vrai dire bien l’une des rares choses que Sayid approuvait encore de la culture que lui avaient inculqué ses parents et qu’il avait ensuite mis tant d’efforts à bafouer. Avec ses parents ce n’était jamais compliqué, Sayid savait sur quels boutons appuyer pour que son père sorte de ses gongs, et en bonne petite épouse soumise sa mère se rangeait systématiquement à son avis de patriarche à la toute puissance auto-proclamée. « Tu aurais été à ta place en finale. Je suis désolé. » Qu’il fasse cette remarque n’était pas entièrement anodin, comme souvent. Il le faisait remarquer parce qu’il savait que c’était aussi l’avis de la jeune femme et qu’il était habitué à brosser les gens dans le sens du poil, mais cela ne l'empêchait pas de le penser aussi un peu ... quant à son désolé il était on ne peut plus sincère, fait assez rare pour être souligné. Il était désolé parce qu’elle était plus sympathique que lui, c’était indéniable, et qu’il était bien le seul à faire tâche au milieu des autres finalistes.

M’étant quelques peu assoupie au soleil, je constate avec effroi en lisant ma montre que j’ai raté l’heure du goûter. Ça m’arrive assez souvent à vrai dire car ce n’est pas quelque chose que je prends au quotidien mais là en l’occurrence j’ai faim. Alors je rectifie le tir en me dirigeant en cuisine pour m’emparer d’un fruit et d’une petite barre chocolatée. Puis je me dis que c’est bête de rester enfermée à l’intérieur alors je ressors aussitôt dans le jardin. Pour ne pas que le chocolat fonde au soleil, je trouve un petit coin d’ombre dans le salon de thé où Sayid siège déjà. Il me propose un thé et je ne peux retenir un léger sourire qui répond presque à ma place. « Oui. C’est du vrai ? » Je m’installe alors en essayant de me renseigner de moi-même en jetant un coup d'œil indiscret vers le matériel du candidat. « Il paraît qu’il y a du bon thé en Afrique. » Etant donné que ma géographie se limite à la Russie, les Etats-Unis et l’autre partie du monde, je parle du continent africain comme si c'était un pays. Je sais même pas si je serai capable d’en citer un d’ailleurs. Ah si ! L’Afrique du Sud ! Mais c’est parce qu’il y a le mot Afrique dedans donc ça compte pas. « C’est pas l’avis des téléspectateurs. Ou des téléspectatrices plutôt. » Si on faisait des statistiques sur le public, je suis sûr qu’on pourra constater 80% de filles et 20% d’hommes. Et sur ces 80%, on pourrait aussi compter 80% de jeunes filles. Pour moi, c’est pas tellement un hasard que quasi tous les garçons en demi-finales aient atteint la finale. Je dirai pas que c’est pas mérité mais ça laissait moins de chances à la gente féminine du coup. Seule Mackenzi s’en est tirée je-ne-sais-trop comment. Peut-être par une communauté de vieux fans de Fake Lover ? Allez savoir ! En tous les cas, je ne cache pas ma déception. « Tu es déçu aussi si je suis déçue ? » Je sais pas trop comment ça marche cette histoire de mimétisme mais ça m’intrigue et m’amuse plus qu’autre chose. Ça me fait un peu penser au jeu du perroquet auquel tu t’amuses pour fier chier quelqu'un quand t’es gosse. D’ailleurs, j’en viens à me rappeler de Coin-Coin rebaptisé Martin par certains. « T’es comme Coin-Coin un peu en fait. » Il est devenu quoi lui, tiens ? J’en entends plus parler. Se serait-il fait la malle ?

Sur le principe il n'était pas excessivement emballé à l'idée de ne plus pouvoir profiter de son tea time tranquillement, mais pour autant il n'avait pas l'intention de demander à Shay d'aller s'installer ailleurs et de le laisser tranquille ; Parce qu'il n'était pas mal luné à ce point-là, du moins pas aujourd'hui, et également parce que ce n'était pas le genre de chose que ferait la jeune femme à sa place. Sayid n'appliquait généralement l'impolitesse qu'à ceux qui l'avaient été avec lui. Au lieu de cela il lui avait donc proposé du thé, par automatisme et parce que cela lui faisait quelque chose à dire. « Oui. C’est du vrai ? Il paraît qu’il y a du bon thé en Afrique. » Il ne savait pas vraiment ce qu'elle entendait par du vrai thé, mais en tout cas il n'était pas mauvais si c'était ce qui l'inquiétait. Pas non plus de quoi s'en relever la nuit, mais il n'était pas mauvais, et Sayid était de toute façon bien trop accro à cette boisson pour se permettre de faire le difficile ici, il avait toujours pris ce qui était à sa disposition sans se plaindre. « Le kenyan n'est pas mauvais, oui. Mais je préfère le thé turc. » Sauf qu'ils n'en avaient pas ici, et pas plus à Kinshasa, aussi Sayid n'en consommait que de temps à autres, piochant dans sa réserve personnelle dans un placard de son coin cuisine. Il se ravitaillait à chaque fois qu'il retournait à Londres. Servant en tout cas une tasse à Shay et allongeant comme elle ses jambes sous la table de jardin, il s'était calé contre le dossier de sa chaise et avait soupiré légèrement, sa tasse de thé entre ses doigts. Gardant le silence quelques instants il avait fini par commenter l'échec de la jeune femme, ayant terminé à la place probablement la plus ingrate. Une place pas forcément méritée, selon Sayid, mais au fond il ne savait même pas ce qu'il faisait lui-même en finale, alors autant dire qu'il n'était pas d'une grande fiabilité quant à qui devait y être ou non. « C’est pas l’avis des téléspectateurs. Ou des téléspectatrices plutôt. » Il ne comprenait pas trop pourquoi ce besoin de faire expressément la différence entre téléspectateurs et téléspectatrices. Parce qu'il ne voyait parfois pas plus loin que le bout de son nez Sayid, et que la seule chose qu'il en avait conclu c'était « Tu penses que les téléspectatrices ont préféré Mackenzi à toi, parce que ... ? » Parce que quoi, il n'en savait foutrement rien, lui. Peut-être que Shay s'imaginait que le public féminin préférait les brunes, ou les femmes mariées, ou les trentenaires ... Il n'était pas dans l'esprit de Shay, lui, même s'il ne niait pas que cela lui simplifierait beaucoup la tâche. Elle faisait partie de ces candidats avec lesquels il avait eu un peu de mal, parce qu'il n'arrivait jamais totalement à la cerner, et que d'une conversation à l'autre il avait tour à tour l'impression de lui être sympathique ou bien l'impression de la mettre mal à l'aise. Et sa technique, bien qu'un peu rodée par les années, avait aussi ses limites. « Tu es déçu aussi si je suis déçue ? » Il était resté un court instant silencieux, cherchant sur le visage de Shay un quelconque indice qui l'aiderait à savoir si cette question n'était que le fruit d'une simple curiosité ou bien si un reproche quelconque se cachait derrière son questionnement. Ce n'était toujours pas pour lui, les doubles-sens et le second degré. « J'aurais l'air déçu pour toi, oui. » Et non pas déçu pour lui-même, cela n'aurait pas le moindre sens. Marquant une légère pause il avait repris d'un ton bien plus hésitant « Mais cette fois-ci je le suis réellement. Je crois. » Il n'était jamais sûr de rien, puisqu'incapable d'identifier les émotions qui lui parvenaient parfois, au milieu du néant dans lequel il naviguait la plupart du temps. Cela restait dans concepts basiques à base de bon ou mauvais, et l'impression que lui faisait le fait d'être en finale à la place de Shay se classait plutôt dans la catégorie du mauvais, alors la déception peut-être se cachait-elle au milieu de tout ça. Est-ce que ton véritable ressenti avait une quelconque importance au milieu du paraitre ? Pas vraiment, d'après lui. « T’es comme Coin-Coin un peu en fait. » La comparaison était assez peu ordinaire pour que Sayid ne sache pas vraiment s'il était censé prendre cela comme une simple observation ou comme un reproche « Martin. » s'était-il en tout cas senti obligé de rectifier, parce que depuis que Léo avait rectifié avec lui il se sentait presque le devoir d'en faire autant. Et puis, autant que ce volatile ait un véritable nom, une bonne fois pour toutes. « Tu aurais préféré ta théorie ? » La théorie selon laquelle il aurait été contraint de tuer un braconnier, ou n'importe qui d'autre. Il se disait que peut-être elle n'avait plus de regrets maintenant qu'elle savait que ses deux buzz étaient bien loin de la vérité.

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