— S’habituer… Elle murmure tandis que le bout de ses doigts caresse la pierre grise et morne des murs qui entourent l’extérieur de la prison. Jamais l’extérieur ne lui semble plus beau et attirant que lorsqu’elle est enfermée. Enfant, Khadi faisait des crises à ses parents pour dormir sur la plage, incapable de rester sagement dans son lit comme un poisson emballé dans du papier alu. Elle voulait sortir. Se mesurer aux éléments, se voir bouger au sein de l’univers : effrayant et passionnant en même temps. Il n’y a pas à dire : elle s’ennuie. Elle s’était imaginée débarquer dans un grand château avec piscine géante, des tas de nouveaux copains, une salle de sport luxueuse, bref, une ville entière artificiellement créée pour le bon plaisir d’un public télévisé. Il faut croire que la production a ses raisons : ils savent mieux qu’elle ce que demande l’audimat, et l’idée de la prison était sans doute parfaitement calculée. Elle s’arrête soudainement, comme un renard découvrant qu’il n’est pas seul, et observe fixement la cabane qui représente la serre de la prison. Elle se souvient d’y être entrée à la recherche d’un tunnel de sortie, d’un paquet de clopes illégalement caché là, d’y avoir fouillé comme une petite souris sans rien trouver, et être repartie déçue. Aujourd’hui, un garçon est là, elle se souvient de son visage car il a été nommé chef de groupe. Lino, italien à n’en faire aucun doute. Lino est moins bête qu’elle, il a trouvé une meilleure façon de passer le temps : jardiner dans le potager improvisé devant la serre. Dans sa parka orange, il semble plongé dans sa lecture, et Khadi n’ose pas le déranger. Elle l’observe de loin, la tête penchée sur le côté, admirant ce qu’elle devine de cet homme : il est capable de cultiver la terre, puisqu’une bêche repose à ses côtés, de se cultiver lui-même, comme le montre son livre ouvert, et il est beau. C’est agréable, d’en rester là, sans s’approcher, de ne pas prendre le risque d’être détrompée et d’en rester à son imaginaire. Mais un vent glacial lance une bourrasque dans l’atmosphère et la parka orange de Khadi se met à bruisser. Lino relève la tête et l’aperçoit, fronce légèrement ses sourcils. Inutile de rester plantée là, Khadi s’avance avec un sourire un peu timide, et écoute sa remarque avec attention. — Ne t’inquiète pas, dit-elle dans un nouveau sourire. — Je suis mannequin, alors… tu as peut-être croisé ma photo dans un magazine, quelque chose comme ça, elle explique en détaillant du regard le potager de Lino. — C’est toi qui l’a rendu si beau ? Elle demande dans un souffle, émerveillée par la terre fraichement retournée, encore humide d’eau fraiche.