Dimanche soir, à l'issue du prime, Naveen n'avait pas perdu de temps pour ranger ses affaires, lorsqu'il avait vu qu'un dressing impressionnant avait été laissé à la disposition des candidats, et parce qu'il n'aurait décemment pas pu remettre cette tâche à plus tard, quand on sait qu'il s'était déjà inquiété de laisser ses vêtements dans sa valise pendant toute une semaine. Il était attaché à ses affaires d'une façon symbolique, non pas parce qu'elles avaient pu lui coûter de l'argent – justement, la plupart du temps, il n'avait pas eu à en dépenser – mais parce que beaucoup des vêtements qu'il portait aujourd'hui avaient appartenu à ses deux grands frères, qui les lui avaient cédé avant de quitter la maison, peut être parce qu'ils avaient su voir quel attachement il avait développé pour ces choses si belles, si colorées, que lui n'aurait sûrement pas osé s'offrir. Il avait hérité des sherwanis de Vishal, des pantalons de Surinder, et de toutes ces choses qu'il savait ne pas porter avec la même classe que ses aînés. Alors oui, il avait sorti toutes ses affaires de sa valise quelques jours plus tôt, et s'était installé dans un coin du dressing, occupant quelques cintres, et à peine plus d'une étagère, parce qu'il n'était pas envahissant de nature. Et aujourd'hui, il avait profité du fait que l'endroit semble désert pour ranger quelques dernières petites choses, certaines parce qu'elles étaient restées au fond de sa valise, d'autres parce qu'elles l'avaient accompagné pendant ses trois premières nuits dans le nid, ce qui l'avait aidé à gérer l'idée qu'en se retrouvant ici, il prenait officiellement le risque de rester plusieurs semaines sans voir ses proches. Une première pour lui. Sur cette pensée, il rangea certains bijoux qu'il préférait ne pas laisser traîner, que ce soit dans la salle de bain ou ailleurs, tandis qu'une silhouette apparut bientôt à la porte du dressing, attirant son attention avant qu'un sourire ne gagne ses lèvres, lorsqu'il reconnut Lino. « Oh Lino, tu tombes bien. » Il lui adressa alors, parce que sa présence ici lui rappelait une chose à laquelle il avait pensé dimanche soir, en rangeant ses vêtements. Il sortit ainsi l'un de ses sherwanis, celui qu'il avait porté lors du prime, le temps de le montrer à son camarade. « Comme je sais qu'il t'a plu, je voulais que tu saches qu'il est rangé ici et que … enfin, je ne sais pas si tu en auras envie mais tu pourras l'essayer quand tu veux. » Il ne partait pas du principe qu'il avait forcément l'intention de le porter simplement parce qu'il avait approuvé son choix de tenue dimanche, mais il aimait autant qu'il sache que ça ne lui poserait aucun problème. « Je ne sais pas si ce qu'on raconte sur cet endroit est vrai, mais … je me dis qu'il y a sûrement plus de chances pour que le fantôme d'une femme âgée s'intéresse à l'une des robes de ta partenaire, plutôt qu'à l'un de mes sherwanis. » Il ajouta finalement, sur un ton plus amusé, repensant cette fois à ce qu'il avait entendu dire au sujet de ce dressing prétendument hanté. L'indien avait beau croire à beaucoup de choses et respecter formellement l'idée que la mort ne soit qu'un commencement, croire à l'existence de fantômes serait plutôt contraire à certaines de ses croyances.

Lino n'a rien d'un matérialiste. Et pour cause, il n'achète que si c'est nécessaire. Les vêtements, il les choisis fabriqués. en Italie. Pour la simple raison de ne pas subventionner les multinationale capitaliste. Il n'y contribuera jamais, sachant les conditions auxquelles sont soumis les ouvriers du tiers monde au quotidien. Ce n'est pas donné, vous me direz de s'offrir du « made in Italia ». C'est de l'achat éthique. Il en fait de même à Sheffield, en Angleterre où il réside actuellement. Il n'hésite pas à faire marcher les petites boutiques du coin, à côté de sa librairie, voyant d'un mauvais œil l'installation de magasins de luxe ou autres. Il est également un amateur de friperies. Les consommateurs n'ont pas conscience de ce qu'ils jettent à la poubelle. Les friperies les récupèrent pour leur donner une seconde vie. L'italien appartient à ce groupe d'individus exécrant la surconsommation font de la récupération, de la réparation pour rendre aux objets et vêtements une seconde vie. C'est le mouvement de l'« upcycling ». Une autre forme de recyclage. L’entièreté de sa garde n'est composée d'habits ayant appartenu à son père, notamment ses vestes et ses chaussures. Sinon, tout le reste il les a chinés pour la plupart. Sa mère lui fait des bonnets sur mesure par exemple. Depuis, il veille à ce que ses fringues soient en bon état et cela va de même avec toutes ses affaires. Il a toujours su prendre en soin. Dans sa valise, il n'a emmené que le strict nécessaire, prenant peu de place dans les placards. Il est rentré de promenade lorsqu'il débarque dans le dressing auquel il n'a toujours pas compris le concept. Ses yeux rencontrent ceux de Naveen qui l'a interpellé il y a quelques instants. Il lui rend son sourire, s'approche et arrive à sa hauteur. Il reconnut alors la tenue que l'indien lui montrait dans son placard, qu'il devine être un costume traditionnelle. Surpris, il se retourne vers son interlocuteur. « C'est trop d'honneur que tu me fais là. Je n'oserai pas le mettre. » Il est sincère en lui disant cela, en continuant à contempler les parures qui recouvrent l'ensemble d'or. Il passe la main sous la nuque, gêné. « Je ne sais même pas si on a la même taille. », qu'il dit en ricanant nerveusement. C'est vrai. Ils ont presque la même carrure. Et il ne tient pas abîmer ses affaires.  « C'est gentil. Mais je préfère l'admirer sur toi. », décline-t-il, sourire en coin. Il n'a pas l'élégance de l'indien. Il en est très loin. Il préfère se contenter de ses vestes en tweed, plus dans son style. Son camarade mentionne le fantôme qui hanterait les lieux. Une femme qui serait plus attirée par les robes que ses habits qu'il nommait sherwanis. Acquiesçant ses dires, il lui demande : « Tu crois aux esprits ? » Il sent un léger frisson parcourir l'échine. Ce n'est rien que le froid, il suppose. Lui-même, croit-il aux fantômes ? Il a tendance à croire à toutes les possibilités.

Bien qu'ayant été complimenté sur sa tenue par Lino dimanche soir, l'indien ne l'aurait pas poursuivi à travers le nid pour lui proposer d'essayer le sherwani qui semblait avoir été à son goût. Mais ici, le candidat était entré alors qu'il se trouvait dans le dressing, un heureux hasard compte tenu du fait que le sherwani en question se trouvait justement à portée de main, ce qui l'incita naturellement à remettre le sujet sur la table, simplement parce qu'il voulait que Lino sache qu'il pourrait lui emprunter sa tenue dès qu'il en aurait envie. Ce dernier se disait alors honoré, ce qui le fit sourire. « Oh non, tu sais, c'est le genre de choses qu'on peut trouver sur n’importe quel marché, chez moi … Il ne faut pas se fier aux dorures, ma famille n'a jamais eu les moyens de s'habiller en Amir Adnan. » Il lâcha un léger rire, se sentant obligé de lui préciser que bien que son sherwani soit très esthétique, il n'avait assurément pas coûté très cher à Vishal, qui l'avait porté avant lui. Quant au fait qu'ils ne fassent peut être pas la même taille, il se pinça la lèvre. « Eh bien, tu sembles être un peu plus grand que moi, mais mon frère l'est aussi, alors ça ne devrait pas poser de problème. » Il y avait fort à parier pour qu'une fois sur Lino, le vêtement lui aille aussi bien qu'il avait pu aller à Vishal, et certainement mieux qu'il avait tendance à aller à Naveen, à qui il manquait peut être quelques centimètres. Mais il semblerait que Lino préfère finalement décliner sa proposition, ce que l'indien accueillit avec un léger sourire, pas vexé mais peut être un petit peu déçu de ne pas avoir l'occasion de le voir dans ce genre de tenues, ce qui l'aurait sûrement amusé. « Bon, très bien. Si tu changes d'avis, au moins tu sauras qu'il est rangé là. » Il pourrait très bien se réveiller un matin avec l'envie de l'essayer, alors il préférait le laisser à sa disposition, d'autant plus qu'il n'était de toute façon pas du genre à interdire à qui que ce soit d'essayer ses vêtements. Il en avait donné l'autorisation officielle à Lino, mais chacun était libre de se servir à partir du moment où ses affaires n'étaient pas abîmées. Il supposait en tout cas que le fantôme qui errait soit-disant dans le dressing – à en croire la production – serait plus intéressé par les affaires d'une jeune femme comme Scarlett, qui avait bon goût, que par des vêtements aussi originaux que les siens. Cette remarque amena d'ailleurs Lino à lui demander s'il croyait ou non aux esprits. « Non » qu'il répondit alors, simplement parce qu'il n'y avait aucun doute possible le concernant. « Je crois à la réincarnation, en revanche, ce qui est une idée opposée. » Forcément, s'il croyait à l'idée que les morts puissent se réincarner et débuter une nouvelle existence, il ne pouvait pas croire qu'ils puissent hanter les vivants. C'était deux idées contraires, du moins à ses yeux, toutefois il se sentit obligé de reprendre. « Mais si tu y crois, je le respecte entièrement. J'ai l'impression que tu es un petit peu mal à l'aise ... » Il lui sourit, loin d'avoir envie de se moquer de lui. Il y avait des gens qui peut être n'étaient pas très à l'aise avec la mort, et à vrai dire lui aussi aurait tendance à être un peu angoissé s'il croyait au fait qu'un esprit puisse hanter un lieu. « Au fait, tant que j'y pense … J'ai cru comprendre que tu t'étais montré très élogieux à mon égard, dans le compte-rendu que tu as du faire de la semaine passée. Je … je voulais t'en remercier, sincèrement. » Il lui adressa un nouveau sourire, parce qu'il aimait l'idée de lui avoir fait bonne impression, mais surtout d'avoir été complimenté par un homme comme Lino, qui l'impressionnait quelques peu.