Colin est une marmotte, il est capable de dormir seize heures par jour s’il le veut, mais aujourd’hui fait exception à la règle. Il s’est réveillé à une heure à peu près normale pour les occupants du nid, mais bien trop matinale à son goût. Et ce réveil ne s’est pas avéré très agréable, puisqu’il s’est fait dans la douleur, après un mouvement un peu trop brusque durant son sommeil. C’est quand même fou que près de deux ans après son accident, il continue d’en souffrir. Certes, il ne s’est pas loupé quand il a fait le con, en témoigne la durée de son séjour à l’hôpital, mais tout de même, il pensait que même si les marques ne disparaîtraient pas, il serait plus ou moins tranquille après quelques mois et qu’il n’aurait pas constamment l’impression d’avoir un poing de côté, mais c’est mal connaître les caprices de son corps. Alors sa crème cicatrisante faisant aussi office de crème apaisante reste sa meilleure amie même entre ces murs. Et c’est justement dans le but de l’appliquer qu’il se traîne, mâchoire grande ouverte, jusqu’à la salle de bain, ayant toutefois pris soin d’enfiler un t-shirt – afin de passer outre les curiosités –  même s’il n’en a pas fait de même pour le pantalon – laissant ainsi visible la marque au-dessus de son genou droit, bien plus effacée que les autres – se disant que son caleçon ne choquerait personne, ce n’est pas comme s’il avait un slip moulant au possible, hein. Mais à peine a-t-il franchi le pas de la porte qu’il en oublie la raison de sa venue ici en découvrant le manège qui se joue devant lui. Aucune possibilité d’admirer son reflet, en voilà quelque chose de problématique pour lui, ahah. Et au milieu de tous les miroirs soigneusement recouverts d’une serviette se trouve la frêle silhouette de Sara, visiblement pas dans son assiette, et si elle espérait être apaisée, elle est mal tombée. Il écoute ses excuses tandis qu’il la suit du regard s’affairer à tout enlever. Et c’est seulement quand elle a terminé et qu’elle s’excuse une nouvelle fois qu’il hausse les épaules et affiche un sourire en coin. « Bon, maintenant que t’as tout enlevé, j’crois que c’est le bon moment pour te dire que je m’en foutais royalement. » Il fait entendre, en sautant sur le meuble du lavabo pour s’asseoir et faire balancer ses jambes comme un gamin. Sara semblait bien trop pressée de remettre la pièce en état que même s’il lui avait fait savoir son opinion, elle ne l’aurait probablement pas écouté. Mais c’est vrai, il s’en fiche, la seule raison pour laquelle ce ne serait pas le cas serait pas pur esprit de provocation. « Honnêtement ? » Il répète après elle, mimant une intense réflexion pendant quelques secondes. « Que c’était complètement ridicule. Voilà, de rien. » Elle a dit d’être honnête, il applique sa consigne à la lettre. Enfin, il se dit que ce ne serait pas plus mal de développer son opinion, pour une fois qu’on la lui demande. « Soit t’as une peur panique de rencontrer un esprit ou une connerie dans l’genre dans le miroir, soit t’as des tocs, soit t’as un gros problème avec ton reflet. Pour ma part, j’penche plutôt pour la dernière solution. » Les esprits, c’est du domaine de Na’vi et Sara ne lui a pas semblé être bourrée de tocs. « Et j’sais pas, à moins d’avoir des pustules partout sur le corps, et ça pas vraiment l’air d’être l’cas, j’comprends pas bien le principe. Donc ouais, c’est ridicule. Après, t’fais ce que t’veux, je m’en fous pas mal. » Mais il a été sage et a répondu à sa question malgré tout, il faut qu’elle note l’effort. « Par contre, j’veux bien donner mon avis, mais j’fais pas dans le suivi psychologique. » C’est dit au moins. Elle peut bien lui expliquer les raisons d’un tel comportement, mais c’est pas la meilleure oreille qu’elle puisse trouver. « Tu peux les remettre si ça t’fait plaisir, du moment que tu m’laisses celui-ci de libre. » Il lance en désignant celui à côté de lui. Et encore, il n’en a pas besoin, il connait sa blessure par cœur désormais, mais il est bien trop conciliant à son goût, il faut bien qu’il se montre un peu chiant.

Il observe silencieusement le manège de Sara, certes curieux, mais sans ressentir pour autant le besoin de lui poser des questions sur ce qui lui prend, après tout c’est son problème. C’est surprenant, c’est vrai, mais s’il devait noter chaque comportement surprenant qu’il croise au quotidien, il ne s’en sortirait pas. Alors, il se contente d’observer, sans même y aller de sa petite remarque, certainement parce qu’il attend qu’elle ait libéré tous les miroirs pour enfin lui avouer qu’il s’en fichait qu’ils soient cachés. Il n’est pas pris de panique s’il n’aperçoit pas son reflet dans le miroir. Ce matin, il n’est pas trop contrariant – du moins, pas pour l’instant – un seul miroir lui suffit, de toute façon il ne compte pas s’éterniser ici, son estomac prime toujours sur la douche supposé le réveiller, il reviendra plus tard pour cette étape. Sara cesse enfin de gigoter, et il en profite pour lui annoncer que ce qu’elle vient de faire, ça n’a servi à rien et qu’elle pouvait très bien laisser la pièce comme elle était quand il a franchi le pas de la porte. Même s’il a l’impression que la demoiselle est plutôt timide dans son genre, il s’attendait à une réflexion de sa part, mais il a beau lui laisser l’occasion d’en placer une, rien ne sort de sa bouche. Enfin, si, elle finit par lui demander ce qu’il a pensé en entrant dans la pièce, et il doit bien admettre qu’il est un peu surpris, n’ayant pas vraiment l’habitude qu’on lui demande son opinion, encore moins de façon sérieuse. C’est peut-être la raison pour laquelle il prend à cœur le fait de lui répondre, même s’il compte suivre ses conditions et se montrer effectivement honnête. De son point de vue, son manège était complètement ridicule. Toutefois, il n’est pas franchement le mieux placé pour répondre à une telle question tant la réponse parait évidente de sa part, il n’a aucun problème avec la disposition de la salle de bain et les miroirs présents ici, alors forcément, il trouve ça ridicule de perdre du temps à cacher la plupart d’entre eux, surtout qu’il ne voit pas vraiment le but d’une telle démarche. « Hé, on est d’accord sur un truc, j’pensais pas ça possible ! » Il s’exclame joyeusement, tandis qu’il porte son regard sur autre chose que la candidate. Il la sent mal à l’aise, et si parfois il aime appuyer là où ça fait mal (surtout avec les vieux qui lui servent de parents), parfois il arrive à se contenir. C’est le cas cette fois-ci, même s’il ne peut s’empêcher d’y aller de ses petites hypothèses pour comprendre le comportement de sa camarade. La raison qui lui parait la plus évidente est qu’elle a un sérieux problème avec son reflet. Pourquoi cacher les miroirs sinon ? À moins qu’elle soit terriblement superstitieuse, mais il n’associe pas ce trait de caractère à Sara, de même pour les troubles obsessionnels compulsifs qui ne collent pas avec ce qu’il a pu voir de la jeune femme. De son point de vue, oui, c’est ridicule d’avoir un problème avec son reflet, mais là encore il n’est pas le plus objectif, sa mère ayant toujours mis un point d’honneur à faire en sorte qu’il s’accepte comme il est, et c’était pas un mauvais plan quand on voit la carrure de gringalet qu’il se traîne. « J’suis pas là pour t’enfoncer. » Il rétorque en soupirant. Du moins, pas elle en particulier, s’il s’était retrouvé face à quelqu’un d’autre, peut-être que la situation aurait été différente. Mais la Sara n’a pas franchement l’air de respirer la joie de vivre, et il n’a pas spécialement envie de vivre avec un suicide sur la conscience. Enfin, ce n’est pas parce qu’il essaie de modérer ses propos qu’il se montre pour autant docile. « J’vois pas l’intérêt de le répéter si tu l’as entendu tellement de fois, mais t’voulais mon avis, alors ouais, à vue de nez, ça a l’air d’être dans ta tête. » Il passe malgré tout rapidement la pièce en revue, s’assurant qu’il n’y ait pas de ciseaux qui traînent. « T’es bien foutue, t’es plutôt même canon, alors j’comprends pas, non, y’a des filles qui tueraient pour te ressembler. » Genre, tous les gros tas qui regardent cette émission en rêvant d’être aussi mince que la candidate, mais qui continuent quand même de s’empiffrer de coca et de hamburgers. « J’suppose que c’est un truc que toi seule voit, alors bon, c’est un peu tendre le bâton de demander aux autres leur avis si tu sais très bien qu’il y a un truc qui cloche et que tu seras pas d’accord avec ce qu’on te dit. » Il se permet de l’observer de longues secondes des pieds à la tête. Elle porte des vêtements, mais pour ce qu’il voit de peau, elle n’a pas à se torturer comme ça. Alors à moins qu’elle aime se la jouer victime pour appâter les compliments – ce qui n’a pas l’air d’être le cas – c’est quelque chose qu’il n’est pas en mesure d’observer. Maintenant qu’il lui a donné son avis, il l’informe qu’il ne fait pas dans le suivi psychologique, car c’est aussi évident que le nez au milieu de la figure que la jeune femme est perturbée. Pas folle, mais clairement dérangée par un truc. Et si elle veut en parler, autant qu’elle se choisisse quelqu’un d’autre. « De rien, ça f’ra une semaine de petit déj’ amenés au lit. » Hé, il a jamais dit que c’était gratuit. Enfin, il doute qu’elle accepte, et quoi qu’il en soit la demande n’est pas sérieuse. Ça lui ferait plaisir d’être servi comme un roi durant une semaine, mais comme il a tendance à se lever aux premières heures de l’après-midi, le petit-déjeuner est un repas qu’il a tendance à sauter, quel dommage pour Sara. Colin finit toutefois par informer Sara que si elle veut remettre ses serviettes sur les miroirs, elle est libre de le faire, du moment qu’elle lui en laisse un de libre. Si ça peut emmerder quelqu’un d’autres de devoir tout enlever quand il occupera les lieux, ça le branche, bien qu’il doute que Sara soit du genre à ne pas nettoyer derrière elle. « Joue pas à la nana vexée, t’as voulu mon avis, j’te l’ai donné. » Il rétorque en fronçant les sourcils, quand elle se permet une remarque qu’il prend assez mal, même s’il n’y a probablement pas de mal dans les propos de la candidate. Mais s’il s’en fichait de tout comme elle a l’air de le penser, il n’aurait pas pris la peine de lui répondre et aurait tourné les talons et lever les yeux au ciel à la minute même où elle lui a posé sa drôle de question. « C’est pas ma salle de bain, et vu l’heure j’pense que j’serais jamais tranquille. » Il soupire, tandis qu’il se remet sur ses deux jambes pour faire ce qu’il est venu faire ici en premier lieu, sortant un peu de crème du tube avant de commencer à l’appliquer sur son abdomen, tout en faisant attention à laisser son t-shirt. « Donc tu peux rester, ça m’dérange pas. » Il s’en fiche, comme elle le dit si bien. « T’es venue faire quoi ici ? » Il demande finalement après quelques minutes de silence, tout en continuant son affaire et sans relever le regard vers la candidate. « Et par ici, j’entends pas cette salle de bain, s'il est nécessaire de le préciser. » Il préfère le faire, car peut-être que, par pur esprit de vengeance, elle ne se gênerait pas pour lui donner une réponse hors-sujet, dans le simple but de se montrer aussi chiante que lui. Et il se souvient aussi de son sérieux lors de leur rencontre dans les abysses, où elle ne semblait pas vraiment posséder de second degré. Maintenant, il ne juge pas utile de préciser explicitement qu’il parle de cette émission, si elle ne le comprend pas il la classera dans les cas désespérés, alors qu’elle y a échappé jusqu’ici.