J’ai besoin d’une cigarette, je n’ai pourtant pas l’habitude d’en consommer. Il m’arrive juste de ressentir un besoin vital, subitement, tout à coup. On peut le dire, l’envie me prend comme une envie d’uriner et il n’y a rien que je puisse faire pour aller contre cette dernière, si ce n’est céder à la tentation. Ma journée est nettement moins pénible lorsque je me comporte de la sorte, las et prête à suivre mes envies plutôt que d’écouter ma conscience pour éviter de faire des bêtises. Heureusement que ma carrière ne repose pas intégralement sur ma voix, il m’arrive de chanter sur certains numéros, j’ai même été désignée pour plusieurs prestations en solo tout au long de ma carrière mais pas au point de devoir faire très attention de ne pas mettre en danger mes cordes vocales en les exposant à des saloperies qui peuvent te détruire la carrière d’un chanteur. La danse permet plus de liberté, il faut juste faire attention à ne pas trop faire le yoyo, à ne pas trop pencher dans les extrêmes pour mieux retourner dans le droit chemin. Il faut parvenir à trouver un juste milieu entre plaisir et retenue. Aujourd’hui je laisse libre court à mon plaisir et c’est pour cela que j’aborde Salomée avec qui je n’ai encore jamais vraiment discuté. « Tu aurais une cigarette ? » On ne sait jamais, elle pourrait très bien en avoir, on ne peut plus vraiment mettre les fumeurs dans une case stéréotypée. Il fait frais dehors mais pas de quoi se plaindre, je suis en manches courtes et je n’éprouve pas une désagréable sensation de froid.

A croire que les fumeurs se font de plus en plus rares ici, je me retrouve à fumer ma cigarette en tête à tête avec la solitude. Ou peut-être que c’est l’absence de Clotaire qui me fait remarquer ce détail. Quoi qu’il en soit ce n’est pas plus mal, ça fait du bien de se retrouver un peu seule. Le nid commence à se vider petit à petit et la circulation incessante des lieux devient de moins en moins oppressante. Les premières semaines, et tout particulièrement celle des abysses, avaient été étouffantes. On se serait crus dans une fourmilière sans intimité. Je dois m’être habituée puisque maintenant c’est le contraire qui me choque, la preuve j’écrase mon mégot que personne n’a encore sauté sur l’occasion pour venir me tailler une bavette. Oups j’ai parlé trop vite, Greta débarque. Putain les gens qui taxent je déteste ça mais là étonnement je m’en fou. On est tellement hors temps que j’en oublie même le prix d’une clope. « Oui j’ai ça. » Je me penche vers la table derrière moi pour attraper mon paquet de cigarettes et le lui tendre. « J’ai même le feu qui va avec si tu veux. » Je suis trop généreuse. Tellement que je lui tends le bien que j’avais enfourné dans ma poche. « Si tu étais arrivée avant on aurait enfin eu l’occasion d’avoir une conversation rien que toutes les deux. » Je lâche avec un sourire se dessinant sur mes lèvres. Mis à part au détour d’une conversation collective on ne s’est jamais réellement adressé la parole pour autre chose que des banalités. Dommage son timing est mauvais.