HOW MANY ROADS
MUST A GIRL WALK DOWN
@lino

Le bus « d’into the wild » n’est pas vraiment « into the wild » sans Scarlett pour le peupler, ou le dépeupler, au choix. Les deux à la fois. Khadija relie ce lieu à elle, en fait son nid, celui de la rousse sortie d’un livre illustré. Décollée des pages pour venir hanter les nuits du dessinateur conquis, fasciné, abusé. Elle n’est elle-même sûre de rien, pas même d’exister vraiment. Peut-être faudrait-il que quelqu’un lui assure qu’elle est bien vivante, bien là. Laissé à l’abandon, le bus a l’air mort. Déserté. Khadija s’assoit dans les couvertures, attrape un livre – les notes de Christopher McCandless pendant son épopée solitaire. Elle n’a pas pour habitude de se poser, mais elle sent bien, en ce moment, qu’elle en a besoin. Le manque de surf et le stress la rattrapent lentement, mais sûrement, créant chez elle des adhésions de nerfs le long de son dos, des douleurs aigues dans sa nuque. Elle lit, mais très vite, ses paupières se font lourdes. Elle sombre lentement, tente de rouvrir ses yeux sur lesquels semble posées deux plaques de béton armé. Elle redresse la tête, courageuse, mais la chaleur douce du lieu l’invite à une sieste réparatrice. Elle imagine, tout en le lisant, le visage barbu et sale de Christopher, sa solitude, parfois angoissante, parfois libératrice. Elle entend ses pas crisser dans la neige, et aussi les brindilles de fin d’automne craquer sous ses chaussures de marche. Elle voit un feu crépitant et deux mains glacées par l’hiver qui se frottent contre lui, le souffle du trappeur. L’odeur de la peau de bête à peine dépecée. Elle voit… Elle sent… La cendre épaisse et calcinée… Le… Elle est tombée sur le côté, sa tête en arrière, ses longs cheveux épars le long de ses épaules et dans son dos, une mèche enroulée contre sa joue. Elle a l’air d’une enfant, ses pommettes légèrement rosies par la chaleur et la quiétude, ses doigts enroulés autour du livre dont les pages se laissent porter par l’attraction, d’un bord à l’autre. Elle est si calme, Khadi, quand elle dort.

La vague à l'âme, il déambule dans les allées du jardin, se changeant les idées. Il a eu l'impression de tourner en rond, tel un lion en cage, rugissant. Lino - dont le flegme légendaire se détériore lorsque la mélancolie l'accable comme en ce premier jour d'hiver - cherche un refuge et guette du coin de l’œil le lieu adéquat, le visage tiré et les yeux gonflés à cause de la fatigue qu'il a accumulé ces derniers temps. La veille, il n'a pas pu fermer l'oeil. Il a été pris d'assaut par une grande fièvre qui l'a cloué au lit, l'empêchant d'assister au prime d'hier. Il s'en remet difficilement. Cela ne l'empêche pas de flâner dehors, dans le froid alors qu'il vient tout juste de récupérer ses forces. Tant pis, il est trop tard. Il n'en fait qu'à sa tête de toute manière. Pour l'instant, il s'en fiche bien, il étouffe c'est tout. Il passe les jardins pour cette fois, il préfère lambiner ailleurs. Il parvient à trouver un sentier le guidant vers le fameux bus. Les mains dans les poches, il marche autour du bus et remarque une silhouette à l'intérieur. Il monte dedans et reconnaît immédiatement la personne. « Khadija. », qu'il soupire à lui-même. Il rit légèrement. Son regard s'adoucit lorsqu'il s'approche de son corps endormi, reposant sur des draps bas de gamme. Il retire son manteau qu'il dépose sur la poitrine de la française pour qu'elle n'attrape pas froid. Il retire en douceur la mèche qui lui barre le visage, frôle de ses doigt le sommet de son front sur lequel il dépose ses lèvres pour un baiser innocent. Il embrasse le mausolée en hommage à Into the Wild un instant de ses prunelles languissantes, puis s'assoit sur une table en face du lit et se perd dans ses pensées tout en contemplant la belle endormie, un livre posé sur les genoux. Il sort machinalement de sa poche son étui à lunettes et les enfile. Sur le point de reprendre sa lecture - là où il s'est arrêté -, il aperçoit du coin de l’œil qu'elle se réveille. Ils se regardent longuement avant que l'italien ne brise le silence entre eux. Le genou posé sur la cuisse et la tête placé dans le creux de sa main, il lui lance, serein : « Bonjour, belle au bois dormant. » Un sourire s'élargit sur sa bouche. Tout souriant, il enchaîne en lui confiant : « T'as un peu de bave là. » C'est un mensonge, bien sûre. Il ne fait que plaisanter. A y regarder de plus près, aucune trace de bave ne réside sur son visage. Il frisonne lorsque le regard ardent de belle le transperce de part en part. Il s'esclaffe, envahi par l'embarras. « Je te taquine. », qu'il finit par sortir. Il se sent parfois gauche en la présence de la surfeuse. Il ne sait d'où provient cette maladresse soudaine. Il ne tente même plus de le cacher désormais. Petit à petit, il constate qu'il se met à nu devant elle. Et cela le trouble encore plus.

Dans ce demi sommeil, une chaleur toujours plus douce et envoûtante la recouvre. Elle est allongée sur sa planche. Le dos contre le froid dur, ses cheveux détachés dont les pointes flottent à la surface. La nuit recouvre l’océan, elle n’a pas pied, à ce endroit, loin de là. Elle sait qu’en-dessous d’elle, les profondeurs s’abiment. Poissons circulent, toujours plus loin, toujours plus bas, les algues, les rochers, et peut-être des épaves, des squelettes d’autres animaux marins, morts d’âge ou dévorés. Elle n’a pas peur du fond en-dessous d’elle. Elle flotte, son corps tout gonflé d’oxygène la porte au-dessus des fonds marins, ses yeux se perdent dans les étoiles qui parcourent le ciel noir. Sa mère doit se douter qu’elle est dans l’eau, si tard, et s’inquiéter, peu aidée par le silence de son père. Ils s’attendent à ne pas la voir revenir, ils ont la main prête à numéroter les urgences et guetter des yeux un hélicoptère venu la repêcher. Mais Khadija est au-dessus du fond. Il fait froid et bon à la fois, sa peau est habituée. Soudain, le ciel se penche sur elle pour déposer un baiser brûlant sur son front. Elle ferme les yeux de plaisir, profitant de cette douceur inattendue. Le ciel vous embrassant, ça n’arrive pas tous les jours… L’eau se met alors à tanguer et elle se laisse bercer par son doux sifflement, s’endormant dans son propre rêve. Elle ouvre les yeux et met un moment à réaliser où elle se trouve. Ce bus… Fake Lover. Pas d’océan. Pas de ciel noir. Un manteau sur elle, sans doute responsable de la douce chaleur qui l’a envahie pendant son sommeil… Elle se redresse, ses mèches aux reflets dorés tombant en rideau de côté, et ses yeux verts croisent ceux de Lino. Il la veille comme on surveille une malade, assis près d’elle, les jambes repliées ; il ressemble à un chat. Lentement, les doigts de Khadija viennent caresser son propre front. Le baiser du ciel… Etait-ce… Elle n’ose pas le lui demander, de crainte que délirer et de se sentir honteuse si Lino ne s’est pas approché d’elle. Il la salue d’un mot tendre, lui arrachant un sourire tandis qu’elle pose une main sur le manteau qui la recouvre. — Merci, elle murmure sans se départir de son sourire, observant avec curiosité l’air de Lino. Il porte des lunettes, lui donnant un air encore plus intelligent qu’à l’ordinaire. Ses mains retiennent un livre, dont elle ne parvient pas à lire le titre. Il a l’air d’une belle statue de Penseur, son nez droit de romain parfaitement sculpté sur ses traits à la fois durs, masculins, et doux comme le marbre peut l’être lorsqu’il est creusé par des mains d’artiste. Face à sa plaisanterie, Khadi, encore à moitié endormie, le regarde avec des yeux ronds, avant de le voir éclater de rire. Sa bouche s’entrouvre et, à son tour, elle rit, étonnée mais ravie. — T’imagines le malaise… Si elle s’était vraiment bavée dessus… Elle sourit et rentre les épaules, à son aise comme un petit hibou. — C’est chouette de te trouver… là, dit-elle en désignant le bus. Là, à son réveil, la veillant comme un père, comme un frère, comme… Elle ne saurait dire, mais elle se sent prise en main, prise en compte, lovée par le regard de l’Italien. Encore un petit moment qui n’appartiendra qu’à eux.

Lino guette le moindre tressaillement, le moindre désagrément qui viendrait troubler le sommeil de la belle endormie, recouverte du manteau qu'il a lui-même déposé sur son corps frêle. Le froid vient s'engouffrer sous ses habits, mais son attention se porte entièrement sur Khadija dont la quiétude des traits l'attendrit en un seul instant. Ses longs cils à la courbe gracile caressent ses joues rougies de plaisir. Les mèches d'or encadrant son visage hâlé effleurent ses lèvres repues, prise d'une volupté engageante. Les traits captivants de son minois se meuvent au contact des lèvres de l'italien sur son front à la chair parfumée et délicate. La naïade s'extase, exaltant un bien-être qui ferait plus d'un envieux. Une impression diffuse de sérénité s'échappe des pores de sa peau. Il ajuste ses lunettes, caressant la couverture du livre sur ses genoux distraitement, perdu dans sa contemplation. Le réveil de la française cesse l'enchantement dont il est épris. La magie cesse, la réalité reprend ses droits et Lino la taquine, lui montrant une partie de son être qu'elle ne soupçonnait pas jusqu'à aujourd'hui. Aucun filet de bave ne loge aux creux de sa bouche charnue. Cette bouche qui le fascine, qui le trouble. Leurs yeux se cherchent, aimantés les uns aux autres dans un accord parfait. Elle le remercie pour le manteau. Il se contente d'acquiescer en silence en observant les cheveux de la belle filtrés les rayons du soleil au coucher. Elle parle de malaise concernant la bave. Il acquiesce de nouveau. « Tellement. », qu'il soupire d'un air amusé. Il imagine très bien ce genre de situation. Non pas que cela lui est arrivé directement. Du moins, à son insu. Il la dévisage un instant, le regard mélancolique. Son corps est attiré par le sien. Cette attraction le pousse à la rejoindre à ses côtés. Il se lève, marche quelques pas vers elle puis s'assoit auprès d'elle. Il pose sa tête sur l'épaule de la surfeuse, ferme les yeux et murmure d'un ton apaisant dans un français évocateur : « Restons comme ça, un instant. S'il te plaît. » Il savoure cet instant de quiétude en sa compagnie. Il s’imprègne de son parfum, de la chaleur de son cou. Son corps s'engourdit peu à peu. Il lâche un soupir de satisfaction. Ils ne disent rien, se délectant du silence salvateur. Corps contre corps. Épaule contre épaule.

La façon qu’il a de la regarder, ses yeux sur sa bouche, son cou, la troublent. Ses mains, plus chaudes qu’à l’ordinaire, sont posées sur ses draps de fortune tandis qu’elle sourit, sur la même longueur d’ondes que lui. Il se lève, sans prévenir – quoi de plus normal chez un chat – et vient la rejoindre au moment où elle craignait de le voir disparaître. Sans la quitter du regard, il se penche et s’assoit près d’elle, sa tête se déposant sur son épaule. Elle est lourde, sa tête, parce que pleine, sans doute, ses cheveux plus doux qu’ils n’en ont l’air (peut-être sa barbe induit-elle en erreur). Ses petites mèches caressent la peau fine et bronzée de son épaule, mais aussi du bas de son cou. Lino voudrait rester ainsi, un moment. Elle ne dit rien, ce qui équivaut à un acquiescement. Ses mains attrapent la veste de l’Italien qu’elle remonte sur eux deux, plus pour les isoler ensemble que pour les réchauffer ; leurs deux corps se suffisent à eux-mêmes. Elle profite de cet instant inattendu. Il y a toujours eu, entre Lino et elle, une proximité, un désir d’être ensemble comme s’ils avaient été trop longtemps séparés dans une autre vie, un attrait de lui vers elle, d’elle vers lui. Lentement, elle penche à son tour sa tête et la dépose par-dessus la sienne. Indisciplinés, ses cheveux tombent en cascade sur le côté de sa joue, et les masquent tous les deux aux regards des caméras qui leur font face. Elle ne ressent plus l’envie de dormir. Elle se repose, mais quelque chose la maintient en alerte. Ce contact avec un homme qu’elle connaît à peine, et qui, lui, semble la reconnaître. Dès le premier jour, il le lui a dit. « Il me semble t’avoir déjà vue quelque part ». Elle en avait déduit qu’il l’avait croisée, par image, dans un magazine. Peut-être pas. Peut-être, adolescents, un été français, ont-ils échangé un regard sur la plage… Un éclat dans les iris entre deux plongées océaniques… Elle inspire, soupire, sa poitrine se soulevant au rythme de son souffle. Elle est nominée cette semaine, elle a presque pleuré face à un Naveen, incomprise, apeurée… Est-elle en train de se perdre elle-même ?... Elle repense aux yeux de Scarlett posés sur elle, au sourire inattendu de Jade… — Qu’est-ce que tu penses de moi ? C’est une demande à peine formulée, un murmure extrait de ses lèvres closes, presque une supplication venue du plus profond d’elle. Chaque semaine, le public vote. Séduisante. Qui la connaît vraiment ? Qui l’aimerait en sachant tout ce qu’elle est ? Lino semble se rappeler d’elle. Un souvenir brumeux. Contact éphémère entre un été et un automne. S’il te plait, rappelle-moi ce que je suis.

Lino n'a pas été honnête, il le reconnaît. Il a tardé à s'en rendre compte. En temps ordinaire, il aurait rectifié tout de suite le tir en réagissant en conséquence. Il ne sait plus où il en est. Il ne se sent pas lui-même depuis qu'il participe à cette émission. Un sentiment bien étrange l'anime, la sensation de ne plus être maître de lui même. Et pourtant, il n'a pas l'impression d'avoir commis aucun impair envers personne du nid. Son indécision et son manque de discernement ont fait que Rowan a décidé de le secouer un peu, le sortir de son confort personnel. Cette punition a remis en perspective certaines choses cette semaine le concernant. Il n'a pas été honnête, il le sait. Il se le répète inlassablement. Il est persuadé que ce n'est pas à cause de l'histoire à trois qu'il partagent apparemment avec Scarlett et Jade. A cause de cela, des malentendus sont survenus entre eux. Il ne veut absolument pas que des rumeurs gâchent leur entente. Il comprend mieux maintenant   ce que la belle française sous-entendait à propos du fait qu'il séduisait malgré lui. De toute façon, il ne peut se résoudre à ce que leur relation se dégrade et il souhaite rester en bons termes. Non, le problème ne provient pas de là. C'est autre chose. En regardant Khadija dormir cet après-midi, tout lui paraît plus clair désormais. L'italien ressent des sentiments naissants – peut-être évidents - à l'égard de la jeune femme, ne sachant pas si c'est juste une attirance voire du désir. Ce qu'il éprouve ne se nomme pas encore amour. Ce serait totalement prématuré de sa part et Lino est quelqu'un de pragmatique malgré son côté littéraire. Il n'est pas encore à ce stade. En se blottissant contre elle, il ressent encore une nouvelle fois ce trouble, ce trouble plaisant qui fait frisonner l'échine. En la présence de la naïade, tout disparaît et cette intimité secrète qu'ils partagent ne fait que de culminer, atteignant un paroxysme de douceur. Il la sent inquiète à cause de sa nomination - l'angoisse lancinante d'être éliminée en train de l'envahir, faute de votes de la part des spectateurs - sur le point de se confier jusqu'à ce qu'elle le décontenance avec sa question. Il se redresse, retire ses lunettes, plonge son regard dans le sien, prenant un air plus sérieux qu'à l'accoutumée. La langue française semble de mise pour que les paroles du libraire soient d'autant plus sincères. « Tu as tout pour plaire. Ne doute jamais de ça. », qu'il lui souffle, en prenant sa petite main entre les siennes. Il remet une mèche rebelle derrière son oreille pour contempler son visage une nouvelle fois. Il se met à énumérer toutes les qualités qui – selon lui – la définissent :« Ta franchise, ta sincérité, ton naturel, ton humour aussi. » Il est sincère. La première fois qu'il a vu son audition, il l'a trouvé drôle et intéressante. Son authenticité lui a sauté des yeux. Il est bien loin le seul l'avoir remarqué. Les spectateurs l'ont sauvé une première fois. La deuxième sera la même. Elle réitéra le même exploit, il en est persuadé. Il se retrouve dans l'incapacité de lui mentir, pas aussi ouvertement en tout cas. Il retire doucement ses mains de la sienne, en ne brisant pas le contact visuel. Son voix change, se module. Les mots lui échappent, s'emballent, hors de contrôle. L'énumération se poursuit. Il termine sur quelque chose de plus personnelle. Il lui susurre à l'oreille, sa bouche effleurant presque sa peau basanée : « Ton parfum, tes cheveux, ton visage, tes yeux, tes lèvres ... Tout chez toi me plaît. » Il reste un instant en suspens, ses lèvres se promenant le long de sa mâchoire. Son assurance lui provient d'une certitude qu'il a, c'est que son attraction n'est pas factice. Tout son corps le ressent. Il ne peut aller contre cela. Il est imprévisible, Lino. Il espère qu'elle ne prendrait son geste pour quelque chose de déplacé. « Tu me plais, Khadija. » Le prénom qu'il aime tant prononcer et ce, toujours avec volupté, les voyelles dansant sur sa langue. Ce murmure est un aveu sur lequel il ne reviendrait pas dessus car désormais, ces propos ne leur appartiennent plus. Il ne regrette pas ce que lui a dit, il ne regrette jamais. Les jours qui viennent, cela sera encore le cas. Il n'en rougirait pas. Il est fini le temps des premiers émois adolescents. Il n'attend rien d'elle, il a soulagé sa conscience, ne restant pas sur des indécisions. Ses intentions se veulent être claires et comprises par la principale intéressée. Uniquement par elle. Il ne chercherait pas à se justifier.

Khadija s'attend à tout. A ce que Lino l'apaise et la rassure comme à ce qu'il lui envoie un gros chassé qui l'invite à se remettre sérieusement en question. Peut-être qu'elle parle trop... Qu'elle doute trop... Qu'elle plait trop... Elle l'écoute, sans le regarder parce que les yeux de Lino la troublent. Elle fixe leurs deux mains, l'une près de l'autre, l'oreille tendue, inquiète et impatiente d'entendre quelque chose, peu importe quoi. Lino se rapproche de cette oreille tendue dans laquelle il murmure un compliment. Ses joues s'embrasent tandis qu'elle intègre la réponse. Elle aurait tout pour plaire. Mais parfois, on a beau tout avoir, cela ne fonctionne pas, ou plus. Ses craintes de cesser soudainement de plaire à un public qui la soutient depuis le début lui paraissent fondées. La chance tourne, les gens se lassent vite. Une première impression est différente d'une seconde. Contre toute attente, Lino lui cite des qualités qu'il relie à elle – elle a du mal à y croire mais un sourire étire ses lèvres et illumine son visage inquiet. Ces qualités sont si belles, si précieuses... Elle croise son regard, peinant à y croire. Elle cherche la plaisanterie dans les yeux de Lino, sans l'y trouver pour autant. Passant d'une pupille à l'autre, elle savoure sa main dans la sienne, sans réaliser que celle de Lino est brûlante. Il se rapproche alors d'elle, tandis qu'elle se sent prendre feu, sussure dans son oreille de nouvelles qualités, plus personnelles, intimes, et... incroyablement subjectives. A mesure que les paroles de Lino l'atteignent et qu'elle sent sa tête lui tourner, le monde entier se renverser, sa bouche s'entrouvre de choc et de surprise. Elle lui plait autant ? C'est donc ça, ces regards, ces sourires, ces troubles ? Elle lui plait vraiment ? Réaliser qu'on plait à quelqu'un d'aussi beau, d'aussi profond... procure un sentiment étrange. Elle se sent plongée dans un bain chaud jusqu'à la nuque frissonnante, elle se sent peu méritante d'une telle attention. Elle voudrait presque s'excuser, lui demander pardon. Elle enroule une de ses mèches dorées autour de son index. Elle lui plait. Elle en est maintenant certaine, parce qu'il vient de le dire, en prononçant son prénom avec l'accent qu'elle adore l'entendre faire : l'italien. Elle ronronne et brûle intérieurement, avant de sursauter et de se tourner vers lui, choquée. — Lino, et Jade dans tout ça ? Sa tête lui tourne, mais plus d'étourdissement sensuel, cette fois. Elle est perdue. Elle se demande de nouveau si Lino n'est pas en train de se moquer d'elle... Lors du dernier prime, ils l'ont dit. Jade ressent quelque chose pour Lino. Lino est forcément au courant, a forcément suscité ces sentiments, parce que Jade est discrète et ne se laisse pas facilement atteindre. S'agit-il d'un terrible malentendu ? Ou bien Lino tente-t-il de séduire trop de femmes à la fois ? Khadija a peur, peur de s'être trompée sur toute la ligne, peur d'avoir laissé entrer dans son monde le mauvais garçon.