Confuse, Enola a passé sa journée de lundi un peu dans le brouillard oscillant entre l'anxiété et la peine. Depuis le début de l'aventure, elle avait été relativement épargnée par les rubriques, les activités et autres questions en tout genre si bien qu'elle abordait chaque prime avec un relatif détachement. Pourtant après trois semaines dans le nid d'amour, on ne pouvait plus l'épargner, certaines de ses relations intriguaient les animateurs qui ne manquaient jamais une occasion d'analyser les moindres faits et gestes des candidats. Sauf qu'elle ne comprenait pas, ce besoin pressant de forcer le destin, de prêter à l'autre des sentiments qui n'avaient pas encore vu le jour. Pourtant ils devraient le savoir, Enola n'avait rien d'une romantique, d'une fleur bleue qui se laisserait si facilement aller alors qu'elle avait confessé dans son casting l'instabilité de sa vie amoureuse. Elle s'était donc endormie aussi contrariée que la veille en espérant que la morosité ambiante s'estomperait avec ses songes nocturnes. En ce mardi matin, la jeune femme s'était levée aux aurores profitant de la fraîcheur matinale pour aller faire un footing qui aurait les vertus de l'aider à chasser les nuages qui assombrissaient son horizon. Alors elle s'extirpe discrètement de son lit dans le bruit confus des respirations de ses camarades. Se faufilant dans le dressing elle enfile une tenue adéquate ainsi que des baskets pour la course avant de sortir dans le froid hivernal laisser son inconscient guider ses pas dans un rythme effréné. Elle n'entend plus rien, ne sent plus rien si ce n'est la sensation que son coeur bat à tout rompre dans ses tempes. La salvadorienne accélère le pas, encore et toujours, ses foulées se font plus longues. Tous ses états d'âmes envolés, elle ne se concentre que sur sa course pour augmenter la cadence jusqu'à ce qu'elle explose en plein vol. Pour une fois, une toute petite fois elle souhaite perdre le contrôle, laisser son corps l'abandonner pour qu'elle ne soit plus maître de rien. C'est là dans les allées du jardin alors qu'elle s'apprêtait à rejoindre le nid après une course effrénée que son corps la lâche, qu'elle s'arrête nette à bout de souffle et qu'elle se laisse tomber dans l'herbe du jardin un sourire insouciant plaqué sur ses lèvres. Pendant quelques instants, elle n'était plus rien plus personne. Il n'y avait plus d'Enola, la salvadorienne veuve n'existait plus. L'insouciance la gagne avant de la quitter lorsqu'elle entend des pas s'approcher d'elle et qu'elle se redresse sur son séant pour mieux profiter du petit rayon de soleil enflammant l'horizon. Le souffle court, elle regard la silhouette longiligne de Khadija s'approcher de la salvadorienne de sa démarche aérienne. « Oh Khadi viens avec moi, c'est tellement rare ce soleil » . Elle l'interpelle de sa voix enjouée alors que son sourire est aussi radieux que l'astre solaire lui-même. Ils manquent tous de soleil ici, et on oublie bien vite à quel point celui-ci influence l'humeur des gens et la salvadorienne ne fait pas exception. « Qu'est-ce que tu fais debout aussi tôt ? » . Elle demande fermant les yeux pour laisser ce petit rayon de soleil illuminer son visage.

Ses yeux s'ouvrent dans le noir complet, sa respiration quitte la profonde lenteur habituelle des endormis pour devenir celle des éveillés : rapide, plus silencieuse. Lloyd dort encore, grognant comme une espèce de petit loup, la tête sous la couette, tandis que Khadija observe le plafond sans couleur. Soudain, quelqu'un d'autre bouge dans la chambre. Suivie par le regard discret de Khadi, Enola se lève de son lit et quitte la pièce. A son tour, Khadija se lève en se faxant depuis le lit jusqu'à terre, et suit les pas de la salvadorienne. Au passage, elle attrape son manteau dans lequel elle s'enveloppe, histoire de pouvoir suivre sa camarade si celle-ci va dehors, y compris en short et en débardeur. C'est en effet ce que fait Enola. Khadija referme jusqu'en haut le zip de son manteau et s'arrête sur la terrasse pour fumer une clope. Enola part en courant et, si tôt le matin, Khadi n'a pas vraiment la foi de faire de même. Son sport ne commence jamais à jeun. Elle allume sa cigarette et tire une taffe bienfaitrice, observant la brune courir loin devant, s'enfonçant dans l'horizon. Elle la suit du regard en fumant lentement, profitant de cette sensation délicate de la fumée brûlante coulissant dans sa gorge, quand... Enola disparaît. Mais genre : disparaît d'un seul coup de son champ de vision alors que le sol est entièrement plat. Deux options : elle est tombée dans un trou (??) ou elle a perdu connaissance. Khadi balance sa clope de côté, l'écrase d'un revers de sa tennis à la va vite et fonce. Son sprint est digne d'une session des jeux olympiques. Elle court sans respirer, les deux mains de chaque côté du corps pour mieux fendre l'air de chaque côté de son corps. Enfin, elle arrive jusqu'à une Enola absolument pas en danger de mort, mais allongée tout sourire sous le soleil naissant du matin. Elle l'accueille dans la bonne humeur et la douceur. Khadija se plie en deux et reprend sa respiration, encore sous le choc de la frayeur qu'elle a eue. Elle est tellement contente de voir Enola en bonne santé qu'elle en oublie de lui signaler que le sol est plein de rosée fraiche et donc trempé. Et alors ?... A son tour, elle s'allonge dans l'herbe, son manteau se relevant et découvrant ses jambes nues à l'air froid. Elle frissonne et se laisse réchauffer par le soleil. — Rare et bizarre... C'est normal que le soleil ne chauffe pas, ici ? Dans le sud, un soleil, quand tu es dessous, il te donne chaud. Ici, il brille, mais ne chauffe pas... C'est quand même un délire, le nord de l'Europe. Et ils sont contents quand il apparaît... Super. Elle bâille allègrement. — Je te suivais, en fait. J'ai un peu flippé en te voyant t'écrouler, alors j'ai couru aussi. Elle lui jette un regard en biais, avant de sourire d'un air moqueur devant la situation absurde qui vient d'avoir lieu.

Sans un bruit, elle quitte sa chambre pour aller courir le long des allées du jardin. Pourtant ce n'est pas d'activité physique dont elle a besoin mais d'adrénaline, d'une bouffé d'air frais, d'un moyen d'évacuer la pression. Sa rythme de course s'accélère petit à petit alors qu'elle commence à faire l'aller-retour entre le bout du jardin et le nid d'amour, elle teste ses limites encore et toujours, accélérant le pas dès qu'elle sent que son organisme est prêt à augmenter la cadence. Son souffle se fait de plus en plus saccadés, son rythme cardiaque augmente en fonction de l'allure de ses pas et très vite elle sent qu'une douce sensation vient lui chatouiller la poitrine. Quelque chose de puissant grandit en elle. Touchant du doigt son objectif, la jeune femme continue encore et toujours plus vite, ses pieds martelant le sol de ses violentes foulées qui se veulent de plus en plus agressives. À trop jouer avec le feu, la jeune femme finit par s'embraser laissant ses membres paralysés par les flammes qui brûlent son être. Sa course se stoppe violemment au moment où son corps lui indique qu'elle n'ira pas plus loin l'obligeant à capituler face à la bataille qui faisait rage en elle. Dramatiquement, elle se laisse tomber dans l'herbe encore fraîche, les deux bras étendus de part et d'autres. Elle ferme les yeux et sourit de toute son insouciance. C'est la première fois depuis des mois qu'elle oublie ne serait-ce qu'une seconde l'enchaînement d'événement dramatiques qu'était se vie. Pendant un ridicule laps de temps il n'y a plus d'Adam, plus de mariage, plus d'enterrement, plus de solitude et de désarroi. Il n'y a que son âme mise totalement à nue et la rosée du matin pour apaiser l'incendie qui se propageait en elle. Sauf que la rechute est aussi brutale, elle entend le bruit des pas s'approchant de la silhouette étendue de la jeune femme. Alors elle se relève, pose ses yeux sur la silhouette de Khadi avant de lui demander de venir profiter d'un bref rayon de soleil à ses côtés. Ici le moindre petit rayon de soleil suffisait à l'enchanter n'ayant pas l'habitude de vivre dans la grisaille permanente. Pourtant le soleil d'Irlande n'était pas le même que chez elle, Khadija faisait bien de le souligner. Parfois elle sentait sa morsure brulante lorsqu'il dardait sa peau mais ici il n'en faisait rien, c'est à peine s'il parvenait à les réchauffer. « Ici rien n'a de sens, ni même d'éclat. Il ne fallait pas s'attendre à ce que le soleil soit différent du reste » . Elle remarque pensive s'allongeant à nouveau aux côtés de la française en dodelinant de la tête. Elle arque un sourcil à sa prochaine remarque, Khadija la suivait et avait pris peur lorsqu'elle l'avait vu s'écrouler sur le sol. Elle rit nerveusement. « Tu me suivais ? Tu avais quelque chose à me dire ? » . Elle demande en tournant la tête pour faire face à son regard émeraude. L'idée d'avoir été suivi n'éveille aucune crainte, elle a l'habitude maintenant que les candidats se cherchent, se suivent, se trouvent, se perdent. La notion même d'intimité était devenue abstraite dans une telle maison, et ce même si l'effectif tendait à se réduire de semaine en semaine. La salvadorienne a pris le plis et c'est bien contente qu'elle retrouve Khadi à ses côtés allongées comme deux idiotes dans la rosée du matin. « J'avais besoin de perdre le contrôle, de lâcher prise. C'est devenu tellement bizarre par ici ces derniers temps » . Elle confesse à sa camarade les yeux dans les yeux, certaine qu'elle comprendrait à quoi elle faisait référence. Elle remarque bien la mine éteinte de certains candidats, de ces sentiments contradictoires qui explosent aux quatre coins du nid si bien qu'elle a du mal à suivre. Tout est devenu si pesant pour elle qu'elle n'a trouvé qu'un moyen pour évacuer toute cette pression.

Elle ressent un étrange bienêtre, allongée là, ses cuisses mouillées par une rose gelée et le reste de son corps protégé dans son manteau, ses cheveux sans doute plongés dans l'eau, eux aussi, à en croire la sensation de froid qui engourdit d'arrière de son crâne. C'est apaisant, c'est comme... hors du monde. Ressentir la terre, s'enfoncer en elle, c'est une chose qu'on fait trop rarement et qui, pourtant, nous ramène à la réalité sans nous effrayer. Enola a compris cela avant elle, et elle a bien fait de la suivre. Sa remarque lui fait froncer les sourcils. Question de point de vue, évidemment. On trouve beaucoup de sens dans ce microcosme humain, certaines connaissances changent notre perception du monde, nous le rendent autre, plus clair, plus décevant, ou encore plus beau, songe-t-elle en observant Enola. — En t'inscrivant pour participer, tu voyais un sens à vivre cette aventure, souffle-t-elle. — Tu l'as perdu en route ? Le sens de tout cela. La beauté que ça pouvait avoir. Lors du prime dernier, elle a vu une Enola sûre d'elle, souriante, battante. Il semblerait que cette nouvelle semaine lui aie foutu un coup au moral. Elle sourit à la question de la latine. — Je t'ai suivie par réflexe parce qu'on s'est réveillées en même temps, explique-t-elle. — L'idée de départ était plutôt de prendre un petit dej' avec toi, mais... On connait la suite. Elle l'a vue disparaître de l'horizon et s'est précipitée pour lui porter secours. Elle écoute la suite, attentive à ce qu'Enola explique de son ressenti. Son regard brun posé sur le sien laisse penser qu'elle est sincère. Bizarre. Elle sourit de nouveau en songeant à Naveen, notamment. A Lino. Une partie de surf aurait en effet été bénéfique en ces temps troublés. — L'aventure avance, on nous perce de plus en plus à jour... On réalise seulement maintenant que tout ce qu'on dit est retenu, contre ou pour nous, s'essaye-t-elle à expliquer. Ça fait un choc, c'est sûr, mais c'était prévisible. Pour certains, c'est bénéfique, d'être ainsi dévoilés, pour d'autres, c'est l'équivalent d'une violation. Elle hésite un moment, son regard vert plongé dans celui d'Enola, avant de se risquer à demander, dans une totale neutralité : — Il y a des choses qui te troublent ? Et si c'est le cas, alors elle peut être certaine de pouvoir le dire à celle qui, la première, a essayé de lui proposer un moment à deux hors du champ des caméras. Malheureusement, les micros, eux, ne disparaissent jamais.