ft Loup

Premier soir, première emmerde. Elle se sentait déjà à l'étroit, manquait de grands espaces ou d'action, de n'importe quoi pour éviter cette apathie digne des grands adolescents attardés. La soirée se tassait peu à peu, et les candidats squattaient déjà tous le jacuzzi – wo dément, des bulles! Assise à même le sol de bois de la terrasse, où elle s'était posée pour commencer sa cigarette, son regard bleu était posé sur la piscine. Immense, éclairée de l'intérieur en son milieu, uniquement prisée par deux candidats, mâle et femelle. L'odeur d'hormones en feu assaillait l'atmosphère et la rendait pesante, même sous un nuage de fumée. Joan sursauta. Un garçon qu'elle n'avait pas remarqué marchait vers l'intérieur, torse nu, brillant comme s'il venait de sortir de l'eau. Il essayait visiblement de se faire discret, mais après tout, elle était seule, il l'avait repérée, et elle pesait cinquante kilos: l'innocence même, non? Elle haussa un sourcil. « Chaude ou froide? », un brin d'ironie dans sa voix douce. Évidemment, il y avait très peu de risque de trouver des filles froides dans cette émission.

Je sortais de l'eau à la suite de mon entrevue avec Ambrosia, satisfait de la tournure de cette dernière. La température extérieure ne semblait pas bien différente de celle de l'océan, chose particulièrement déroutante puisque je n'eus pas vraiment besoin de m'encombrer de mes vêtements pour retourner jusqu'à la maison. Le dépaysement était total, même s'il faisait chaud sans pour autant que cela en soit étouffant. En somme, c'était une soirée des plus agréables et j'étais presque déçu de penser au lit qui m'attendait à l'étage. Je songeais à faire une nuit blanche, mais faute de compagnon pour la partager, je me disais que peut-être était-il plus sage de simplement profiter du repos qui m'était offert dans les chambres. Néanmoins, ce programme m'indisposait quelque peu. Comme il y avait encore quelques habitants dans le jardin et que je n'étais réellement habillé que de mon short sans couche superflue aucune, je me fis le plus discret possible afin d'échapper aux regards des plus curieux et de vite rejoindre la salle de bain. C'était sans compter sur la présence d'une habitante sur mon chemin. Jugeant qu'il pouvait être intéressant de faire une pause pour m'entretenir avec elle, je vins m’installer sur une chaise trainant à mes côtés, déposant le reste de mes affaires à même le sol. Sa remarque ne me fit pas sourire puisque j'en saisissais toute l'ironie. A vrai dire j'étais fatigué de faire l'heureux en continu depuis plus de cinq heures. Je répondis néanmoins avec douceur et amabilité. « Si tu parles de l'eau, je dirais très chaude, si tu parles de la candidate, je ne dirais rien de plus. » Je me penchais pour sortir mon paquet de mon tas de vêtements. Je me rendis alors compte, la clope au bec, que j'avais oublié mon briquet sur la plage. « Merde. Tu as du feu? »

Pensive, elle en était encore à se demander si c'était une question de préjugés et de premières impressions ou si son instinct avait vu juste à propos de l'ambiance générale de l'émission. Deux candidates s'étaient déjà crêpées le chignon – alors qu'elle avait toujours été convaincue que ce genre de « combat » était imposé aux candidats par une production avisée. Visiblement, même pas. Ce serait l'occasion de réaliser si oui ou non les candidats de la télé réalité sont débiles légers ou s'ils sont simplement prêts à tout pour gagner – les deux conclusions l'intéressaient également. Loup, parce qu'il s'appelait Loup, elle l'avait entendu et retenu, venait s'échouer près d'elle, exposant ses muscles au regard neutre des arbres et des fougères. Elle avait vu tellement de torses d'hommes musclés défiler sous ses yeux depuis des années qu'elle n'y prêta pas attention, l'habitude créant l'indifférence, malheureusement. Elle remarqua son visage s'affaisser, son sourire coquin et fougueux disparaître pour laisser place à un naturel moins tendu – ce changement d'attitude eut le don de la décontracter. Elle préférait un visage neutre à un grand sourire hypocrite, elle préférait même un visage carrément agressif à tout sourire en plastique. Elle ne répliqua pas à propos de la candidate – engager le sujet en profondeur n'avait jamais été dans ses intentions, en revanche, elle fit glisser son briquet jusqu'à lui, et le regarda avec un sourire. « Loup, non? » Lorsqu'il eut allumé sa clope, elle se présenta en tirant sur la sienne. « Je suis Joan. »

« C'est bien ça oui, Loup. » Répondis-je tout en allumant ma clope avec nonchalance, le regard fixé vers la piscine dont l'eau semblait vouloir déborder sur nos pieds nus. Je pris, avant de répondre quoi que ce soit à sa petite présentation, le temps de tirer une longue latte sur ma cigarette à peine consumée tout en observant la blonde qui se tenait face à moi. Elle n'était pas dégueulasse, et en plus elle s'appelait Joan. Elle ne semblait pas en attente d'une quelconque réaction de ma part face à cette "révélation", à vrai dire je ne savais trop quoi ajouter pour alimenter la conversation ou briser la glace entre nous. J'avais passé ma soirée à être enchanté de rencontrer chacun des candidats, qu'importe leur identité, et j'étais quelque peu fatigué de tout cela. Non pas que je n'étais pas ravi d'être ici parmi eux, loin de moi cette idée parfaitement injuste, mais certaines fortes personnalités me paraissaient bien dures à encadrer dans ce décor paradisiaque. Je ne prendrais même pas l'effort de citer de noms, n'en ayant pas retenu la moitié, me doutant aussi que cela ne leur serait pas nécessaire pour que ces derniers se reconnaissent. Préférant simplement me contenter d'observer avec attention, une petite idée vint poindre dans le coin de mon esprit, idée qui se transforma vite en question que je ne pus me résoudre de ne pas poser. « Qu'est-ce qui t'a poussé à venir te perdre ici, Joan? » Mes iris parfois désarmantes s'accrochèrent aux siennes à travers le voile de fumée dressé entre nous, de façon à creuser l'intensité de mon interrogation.

Loup. Elle avait toujours adoré ce prénom, mais lorsqu'il appartenait à une fille. Une gamine qu'on appelait Lou ne pouvait décemment pas devenir une pouffiasse toujours en train de geindre, si? « Lou » avait tout de la muse et de la malice, tenait du bestial également, et, si le prénom devait être donné à un homme, elle y aurait ajouté un « p », pour lui donner le croquant animal digne de lui. Mais, après tout, le prénom de ce garçon s'écrivait peut-être avec un « p » à la fin? Il faudrait le lui demander à l'occasion. Entourée de fumée, elle posa ses yeux sur les siens, leurs iris bleus et verts s'affrontant avec la barbarie moderne appelée aussi: intérêt poli. Il ressemblait à un mannequin comme on en voit dans les magazines féminins, il avait tout du « beau-gosse » des plateaux, et, pensa-t-elle, devait sûrement faire de la gonflette pour avoir un torse aussi musclé. Elle s'imagina qu'il avait été sûrement choisi par l'émission pour son physique avantageux, histoire d'augmenter le volume des hurlement féminins dans le public lorsque « Loup » apparaitrait sur le plateau. Tout en tirant une longue taffe, elle pris son temps pour lui répondre. « L'argent, l'envie d'en avoir toujours plus, parce qu'on n'est jamais satisfait de ce qu'on a (elle sourit), le dépaysement, aussi, le besoin de rencontres. » Ça faisait beaucoup. « Et toi, Loup, tu penses plaire au public irlandais ? » Elle lui sourit, attentive et imperturbable. Elle avait envie d'entendre des mensonges, bien plus que des banalités.

Nullement déstabilisé par le regard de la jolie blonde, je me surpris même à la détailler d'une intensité nouvelle dans notre échange. Mes iris, émeraudes, ne rivalisaient plus contre les deux lagons qui perlaient sous ses paupières. Je m'étais stoppé sur ses lèvres désormais, pleines sans que cela en soit excessif ou vulgaire, et me permis même de sourire en me demandant quel goût pouvaient-elles bien avoir. La beauté de Joanee était nettement plus douce et subtile que celle des autres candidates. Elle ne semblait pas plantureuse ni sensuelle. Une certaine candeur se dégageait de ses traits enfantins. Quiconque au premier regard pouvait aisément se laisser charmer par une telle créature. Finalement, après quelques secondes de silence, la candidate me répondit, la bouche fumante de sa précédente taffe. L'écoutant attentivement, elle me retourna ensuite la question sous une toute autre forme. Je pris un court instant pour réfléchir, tirant à mon tour sur ma cigarette. Il était évident selon moi que j'avais de l'avenir dans cette émission. Quitte à prétendre que je puisse plaire au public irlandais, je ne pouvais m'avancer pour le moment. J'étais simplement confiant, comme à mon habitude. « Oui je le pense, du moins je ferais ce qu'il faut pour. » Un sourire étira mes lèvres avant que soudainement, une musique ne retentisse par des hauts parleurs du jardin. Au delà du mauvais goût qu'elle représentait, elle était avant tout un signal. Je fis un mouvement pour finalement me retrouver à genoux face à la hollandaise, m'approchant d'elle jusqu'à l'encadrer de mes bras. « A commencer par cela. » Mes lèvres se déposèrent contre les siennes, délicatement.

Elle enregistra sa réponse d'un air songeur, si peu gênée par le regard de Loup glissant de ses pupilles à ses lèvres roses. Un candidat prêt à tout? Elle sourit en coin. Il avait, en effet, toutes ses chances. Il lui faudrait peut-être un peu de cran, en plus de son physique à en faire hurler une adolescente. Elle replia ses longues jambes contre elle, et entrouvrit la bouche pour lui demander jusqu'où il serait prêt à aller d'un air coquin, mais les metteurs en scène avaient dépassé sa pensée, et la musique synonyme de baiser fatal ou pas venait résonner à leurs oreilles. Elle sourit alors que Loup, ne lui laissant pas le temps de réagir la première, se glissait face à elle, la surprenant, et déposait ses lèvres sur les siennes avec une douceur qui lui fit fermer les yeux. Transformer la vulgarité de cette demande expresse musicale n'avait rien d'aisé, et, pourtant, c'était fait. Alors qu'il se reculait légèrement, elle ne rouvrit ses yeux que quelques secondes plus tard, pour réaliser que le visage de Loup était resté à quelques centimètres du sien, un sourire au fond de son regard bleu. Elle haussa un sourcil blond et fin, ses lèvres formant un sourire et découvrant ses dents blanches. « C'est un grand sacrifice? » S'il avait fallu avouer qu'elle aurait goûté à ses lèvres avec plaisir sans même que Cupidon le lui demande, elle l'aurait avoué sans gêne. Elle songea à Dimitri, qui devait regarder la télé par tous les moyens pour l'apercevoir parmi les autres candidats, et l'image de son visage lui apparut lorsqu'il verrait ces images – s'il les voyait. Un rire intérieur fusa dans son esprit. Fidèle à son rôle de petite fille sage, elle battit légèrement des cils, jouant l'incompréhension polie et le ressentiment léger. En vérité, elle n'avait qu'une envie: se défouler. Son physique n'était pas fait pour l'immobilité prolongée.

Ce baiser, sans réelle passion ni désir commun, ne dura pas plus d'une seconde puisque je me reculais déjà, ce avant même que la chanson n'ait fini de cracher ses dernières notes. J'étais néanmoins satisfait de constater que la blonde avait visiblement apprécié l'échange, à en juger par ses paupières encore closes. Un léger rictus s'étira alors sur mes lèvres entre-ouvertes, et je ne fis rien pour cacher mon ravissement face à la jeune femme qui sembla sourire pour la première fois de la soirée. Du moins, c'était la première fois que je le remarquais réellement, nos visages encore très proches l'un de l'autre. Joanee dégageait une certaine fraicheur tout aussi désarmante que séduisante, elle me paraissait pourtant plus dure à cerner que je ne le pensais. L'imitant, j'arquai un sourcil à mon tour avant de baisser les yeux, feignant un certain gêne qui ne tarda pas à disparaitre sous mes œillades mutines. « Disons que c'était un doux sacrifice, j'ai connu bien pire. » Effleurant sa lèvre inférieure du dos de mon index, je me relevai finalement pour m'installer de nouveau sur ma chaise, étendant mes jambes face à moi avant de simplement les croiser l'une sur l'autre. La toisant un bref instant, un nouveau sourire mi-figue mi-raisin vint illuminer mon visage. Je me permis ainsi une nouvelle remarque, d'un ton plus velouté mais aussi nettement plus sérieux que le précédent, tout en reprenant possession de ma cigarette abandonnée sur l'accoudoir. « Tu te sens au dessus de tout cela, n'est-ce pas? » Nouvelle taffe. Je faisais bien entendu référence à l'émission. Et à ses candidats, surtout.

Joan avait constaté, et par là accepté, depuis bien longtemps déjà son attirance pour tout ce qui touchait aux relations charnelles, aux corps, aux contacts physiques. Lorsqu'une femme avouait ça, elle passait généralement pour une salope, aussi avait-elle décidé de se maitriser durant le jeu, et, comme le veut la parole divine des bien pensants civilisés et éminents coincés du cul, de ne pas faire l'amour dès la première semaine, et ce avec personne. Une bonne résolution en soi, étant donné qu'elle devait à tout prix se cantonner à son air fragile et prude – air qu'elle appréciait plus que quiconque, on s'en doute. Elle tira une dernière taffe pendant que Loup retournait à sa place, et écrasa doucement sa cigarette à ses côtés en la frottant contre le sol aller et retour, pas gênée le moins du monde par ce qu'il venait de se passer; elle n'avait plus vraiment l'âge de sentir des papillons voleter dans son ventre lorsqu'elle échangeait un baiser rapide avec un inconnu. Loup n'était visiblement pas aussi stupide que son physique avantageux l'annonçait, voire même plus calculateur et décalé qu'au premier abord. Cela dit, elle ne pouvait décemment pas croire qu'un homme puisse être très beau et très intéressant en même temps, aussi écouta-t-elle sa question sans vraiment prendre la peine de l'analyser – sans compter qu'elle était bien décidée à ne rien lui révéler – et elle savait se montrer excellente stratège. « Je ne suis au dessus de personne... » lui répondit-elle d'un air distrait et naturel, avant de pencher son visage vers lui, ses iris brillants accrochant les siens pour la seconde fois. « Au dessus de toi peut-être, si vraiment tu insistes », ajouta-t-elle avec une moue faussement passive, un fin sourire malin venant effacer la touche ennuyée de son ton.