Anael et Sorcha.
Le prime d’aujourd’hui avait une tout autre saveur – déjà, je n’avais pas vraiment à m’inquiéter de quoi que ce soit puisque ma place était sauve jusqu’à preuve du contraire. Mais ce qui importait, c’est qu’il y avait autre chose qui occupait mon esprit. À l’instar de ma petite personne mercredi, Anael célébrait son anniversaire, et comme j’avais voulu me faire pardonner mon attitude des derniers jours – et surtout, pour le remercier de toutes les bonnes attentions qu’il avait eues à mon égard, j’avais décidé d’en faire de même. Mais voilà, l’heure du prime approchant, j’avais été dans l’obligation de l’abandonner pendant un petit moment, question de me préparer pour ne pas répéter mes retards des semaines passées à la petite fête organisée par Cupidon, chaque semaine. Il était près de dix-neuf heures lorsque j’allais finalement rejoindre Anael dans la salle de musique, préparée pour le prime. Je m'étais mise sur mon 31 pour l'occasion. Fort occupé à gratter sa guitare - il le faisait d’ailleurs plutôt bien, il ne remarqua pas que j'étais là. Je ne fis rien pour lui faire savoir ma présence, l’observant en silence depuis la porte. Je ne voulais pas, pour rien au monde, le déconcentrer.

Le prime c'était ce soir, déjà, cette semaine était en fait passée incroyablement vite, elles passaient toutes de plus en plus vite comme si plus je restais dans l'aventure, plus je m'y plaisais. Ce soir-là j'avais alors été me préparé, comme à mon habitude, un peu plus tôt que les autres afin de pouvoir avoir la salle de bain pour moi tout seul. Vêtu d'un jean foncé, d'une chemise blanche et d'un blazer noir je tournai en rond dans la maison sans savoir que faire, finalement je décidai d'aller gratter un peu les cordes d'une des guitare de la salle de musique. En y entrant j'eus le plaisir intense de n'y voir personne et, tandis que je passais à coté du piano, mes doigts glissèrent sur les touches ce qui donna un dégradé de notes faisant se suivre la gamme de do majeur d'une octave à une autre. Finalement, j'arrivai face à une guitare acoustique que je saisit et m'installai sur un siège pour commencer à jouer wonderwall de oasis, la chanson de base. Finalement je dérivai vite sur une mélodie plus compliquée des beatles pour enfin arriver sur une chanson d'un des mes groupes favoris, On s'en fou de Suarez. Je finis alors la mélodie et me sentis comme une présence dans mon dos, je me retournai alors et vis Sorcha a qui je souris instinctivement "Bonsoir !" dis-je. Ça ne me gênait pas qu'elle m'entende jouer de la guitare, que n'importe qui entende. C'était le piano qui était plus intime pour moi car révélateur de ma plus grande faiblesse, la sensibilité.

La mélodie qui résonnait dans la pièce m’était inconnue, mais l’air, plaisant à entendre. Anael semblait visiblement avoir un talent pour manier la guitare, chose que moi, je n’avais pas. Je maîtrisais le piano, c’est tout, mais cela remontait à loin. Et puis, je n'étais pas aussi à l’aise que lui pour m’offrir en prestation sans pudeur. J’aurais aimé en être capable, mais cela m’intimidait, comme si on violait mon intimité, car tout ce que je jouais sur ce piano avait une touche personnelle. Certains avaient un journal intime, moi j’avais la musique. Chacun son truc.
Au bout d’un moment, la musique s’arrêta et un sixième sens du prévenir Anael de ma présence, car il se retourna vers moi. Aussitôt, un sourire étira ses lèvres, auxquelles répondirent rapidement les miennes, sans m'être forcée. « Bonsoir. » Je m’avançais finalement vers lui, allais me poster à ses côtés, prenant place sur le siège voisin du sien. « C’était joli, ce que tu jouais. Je ne connais pas, mais j’aime beaucoup. » lui mentionnais-je, lui avouant du coup que j’étais là depuis un petit moment, assez en tout cas pour avoir entendu sa performance d’un bout à l’autre. « J’aimerais avoir ton aisance, je bloque toujours quand quelqu’un m’écoute. Ça exaspérait ma mère, quand j’étais gamine. »

Sorcha me sourit en retour et s'approcha de moi, elle s'assit alors sur un siège non loin du mien et me complimenta sur la mélodie que je venais de jouer. Je souris. « Les paroles sont encore mieux, mais c'est en français. » dis-je, je savais qu'elle était irlandaise et me demandait donc si elle comprenait ou même parlait le français. Elle m'annonça par la suite qu'elle n'osait pas jouer devant les gens comme je le faisais, je souris à son anecdote et, alors que les doigts passaient négligé ment sur les cordes en produisant une petite suite de notes sans queue ni tête et répétitive, je répondis « A la base je ne jouais pas pour être entendu. » dis-je avec un sourire amusé. « Mais je te rassure, je ne fais ça qu'avec la guitare et la basse, je suis incapable de jouer du piano lorsque j'ai un public. » Puis, réalisant en fait que la jeune femme avait parlé de jouer elle aussi (avec plus ou moins d'aisance), je souris à nouveau ajoutai « Tu joues de quoi ? J'adore la musique, et les musiciens en particuliers. » j'avais logiquement plus d'affinités avec des gens qui aimaient la musique et encore plus avec ceux qui la pratiquaient, ces gens-là connaissaient le travail que pouvait représente une simple partition à l'allure pourtant simpliste. Il n'y a nul besoin d'une feuille noire de notes pour rendre un morceau compliqué, la suite de notes, de temps, de doigté peut être vraiment difficile, l’interprétation aussi, il faut faire attention à ne pas faire crisser une corde en guitare, donner sans cesse l'impression qu'on joue sur une corde nouvelle, comme si le nombre de cordes à la guitare était infini et ce alors qu'on joue deux, voire trois notes sur une corde. C'est pour ça que j'appréciais être entendu par un musicien.

« Les paroles sont encore mieux, mais c’est en français. » me mentionna-t-il quand je lui fis un commentaire sur son choix de répertoire. Je ne maîtrisais pas totalement la langue de Molière, mais j’avais assez de connaissance pour être capable de comprendre l’essentiel – mon métier d’hôtesse de l’air m’ayant obligée à être plus ou moins apte à communiquer dans les trois langues les plus communes, soit le français, l’espagnol, et bien évidemment l’anglais. « J’adore cette langue. Je devrais pouvoir comprendre si tu m’en chantes un bout... » lui dis-je, ne sachant pas si le chant était dans ces cordes. Et puis, il avait tout à fait le droit de refuser, mais j’avais aussi le plaisir de lui demander cette faveur.
Alors que nous discutions, ses doigts se baladaient toujours sur les cordes de sa guitare, produisant des sons plus ou moins harmonieux – il ne jouait pas vraiment. Plus maintenant. Son attention était toute dirigée vers moi, sa spectactrice improvisée. « À la base je ne jouais pas pour être entendu. » me fit-il remarquer. « Mais je te rassure, je ne fais ça qu’avec la guitare et la basse, je suis incapable de jouer du piano lorsque j’ai un public. » Il n’avait sûrement pas consciente du fait que je comprenais parfaitement ce qu’il venait de dire, pour avoir moi-même ce handicap. Il allait bientôt le savoir, car puisque j’en avais fait la remarque un peu plus tôt, il me questionna sur mes habiletés de musicienne. « Tu joue de quoi? J’adore la musique, et les musiciens en particuliers. » Je rougis à cette dernière remarque, involontairement, sans même savoir si cette remarque était dirigée vers moi ou simplement lancée à la légère, tout simplement. Il me fallut même un léger moment avant de lui répondre, quelques secondes tout au plus. « Le piano. Et visiblement, j’ai le même problème que toi. » lui dis-je, un léger sourire aux lèvres, en faisant référence à cette incapacité de jouer devant public. Je poussais même la chose jusqu’à lui faire une confidence. « En fait, la seule personne m’ayant jamais vu jouer, c’était mon père. Nous avions cette passion commune et nous pouvions passer nos soirées enfermé à jouer du piano ensemble. Je l’ai déçu lorsque j’ai abandonné les cours… même si, tout compte fait, je n'ai jamais vraiment arrêté de jouer. » Je m’étais bien rendu compte de ce petit détail, car la facilité avec laquelle j’avais repris aisément la pratique de cet instrument depuis mon arrivée dans la ville démontrait bien que toutes ces heures à lire des partitions n’avaient pas été inutiles. Sans oublier toutes les fois où j’avais profité d’une visite chez mes parents pour aller caresser du bout des doigts les touches blanches et noires de notre vieux Steinway. C’était comme si… je trouvais un vieil ami.

Elle me demandait presque de chanter la chanson pour elle mais une fine grimace fit son apparition sur mon visage. J'aimais beaucoup chanter et à vrai dire il m'arrivait de le faire sans même vraiment m'en rendre compte mais dès lors que j'avais un auditeur je n'aimais plus ça du tout, ayant toujours cette impression désagréable que l'on me jugeait. Et puis de toute façon j'avais encore du mal a jouer et chanter en même temps « Désolé, je ne sais pas chanter en jouant et puis.. La piano et le chant même combat : j'évite lorsque j'ai un public. » dis-je en souriant, j'étais bien désolé de lui refuser ça mais après tout c'était ma journée aujourd'hui, non ? Lorsque je lui avais demandé de quoi elle jouait elle me répondit du piano, j'en étais à peu près certain, Sorcha n'était pas le genre de personne que j'imaginais derrière une basse ou une batterie, mais plutôt avec un piano ou encore un violon. Une guitare peut être aussi, c'est tellement polyvalent comme instrument. Elle se mit alors à me raconter qu'elle jouait avec son père, avant, mais que désormais elle jouait seule depuis qu'elle avait abandonné les cours de piano. Je souris et me levai, déposai la guitare sur son stand que je refermai au manche et pris sa main dans la mienne pour l'obliger à se lever. « Viens, on va jouer un peu. » dis-je alors que je m'asseyais sur le siège du piano qui – dieu merci – était assez grand pour nous deux. Je n'attendis même pas qu'elle soit là que mes doigts frôlèrent délicatement quelques touches commençant ainsi un morceau extrêmement connu et plutôt joyeux, et que je pouvais donc interpréter devant quelqu'un sans problème, la danse de la fée dragée. Je finis par m'arrêter en même temps que l'accord parfait, la fin du morceaux donc. « Montre moi ton talent, je suis sur que tu joues bien. » demandais-je avec un sourire.

Je remarquais immédiatement le malaise que j’avais créé chez Anael quand je vis apparaître la grimace sur son visage, alors que je lui demandais de me chanter un bout de la chanson qu’il venait d’interpréter. « Désolé, je ne sais pas chanter en jouant et puis… Le piano et le chant même combat : j’évite lorsque j’ai un public. » me répondit-il, tout sourire. Une moue déçue s’afficha sur mon visage, mais comme je blaguais, elle ne dura pas. Je comprenais tout à fait ses raisons et je n’avais certes pas l’intention de le forcer à agir pour mon simple plaisir. Ça avait été seulement une demande légitime, et la réponse l’était tout autant. « Ce n’est pas grave, une autre fois peut-être… » laissais-je entendre, un petit sourire amusé au bout des lèvres.
Puis, je me mis à parler du piano et de ce que ça avait représenté dans ma vie à une certaine époque. Anael m’écouta, comme toujours, attentif à mes confessions. Comme il en jouait lui aussi, il devait comprendre plus que d’autres ce que signifiaient ces moments privilégiés entre un pianiste et son instrument. Quand il se leva et déposa sa guitare là où elle allait, et qu’il me prit la main, j’aurais dû me douter de ce qu’il allait me demander. Mais non. « Viens, on va jouer un peu. » Une mine mi-incertaine, mi-effrayée apparut sur mon visage, mais je le suivis tout de même jusqu’au banc, où, sans même attendre que je me sois assis, Anael s’était déjà installé, ses doigts s’agitant déjà sur les touches. Une mélodie que je reconnus aisément, cette fois, se fit entendre. Je l’écoutais et attendit qu’il eut joué les dernières notes du morceau avant de m’asseoir à ses côtés. Il en profita pour me demander une petite faveur. « Montre-moi ton talent, je suis sûr que tu joues bien. » J’aurais pu refuser, mais je me sentais redevable envers lui. Et puis, c’était sa fête… je pouvais bien lui faire ce petit cadeau, non? J’avais seulement une seule condition. « Hum… D’accord, mais ferme les yeux, s’il te plait. » Ça paraissait idiot, mais j’étais certaine de me sentir plus à l’aise si je n’avais pas son regard vrillé sur moi. Il obtempéra bien malgré lui, et j’attendis qu’il se soit exécuté avant de poser mes propres mains sur le clavier.
J’avais décidé de jouer le tout pour le tout, sachant qu’un simple Fur Elise n’allait pas le satisfaire – trop simple, trop commun. Je choisis donc une pièce plus difficile, que j’avais interprétée suffisamment pour la maîtriser pratiquement en son entier, et ce, sans aucune partition. Les premières notes de Requiem For A Dream se firent alors entendre, et contre toute attente, je me laissais porter par la musique, ne remarquant pas que mon interlocuteur me scrutait à la loupe, incapable de résister à l’envie de me voir jouer.

J'étais content qu'elle ne prenne pas mal le fait que je ne voulais pas chanter les paroles de la chanson, qu'elle n'insiste pas non plus me fit du bien même si elle avait mentionné une probable prochaine fois. Probable ou pas en fait, nous verrons bien, pas quand les caméras me filmerais en tout cas, mon objectif n'était pas de devenir un chanteur, loin de là, mais de vivre correctement avec l'aide de ma cagnotte. Je m'étais ensuite levé pour rejoindre le piano et, rendu sur le siège, j'avais interprété la danse de la fée dragée, une pièce très connue et aux airs plutôt joyeux. Et ensuite, bien sur, je lui avais demandé a elle de jouer quelque chose. Je me demandais ce qu'elle allait choisir comme morceaux, il y en avait tellement... Elle me demanda d'abord de fermer les yeux j’acquiesçai silencieusement en les refermant. Ce n'est que lorsque j'entendis les premières notes caractéristique à requiem for a dream que j'ouvris doucement un œil, puis l'autre et me mis à observer ses doigts qui dansaient sur les touches d'une manière concentrée et extrêmement précise pour un morceau de cette difficulté. Perplexe, je plissai les yeux, croyant voir des rongeurs sur ses articulations, je me demandais d'où ça venait mais attendis que le morceau se termine avant de lui poser la moindre question. Le morceau prit enfin fin et, sans vraiment lui laisser le temps de régir, j'attrapai sa main gauche qui était la plus proche de moi et l'observai quelques secondes. Je relevai alors la tête vers elle et lui demandai « Qu'est-ce que tu as eu ? » ce n'était pas grave, mais j'étais curieux et j'avais envie de savoir comment elle avait fait son compte. Ensuite j'ajoutai « Tu jours très bien tu sais ! J'ai adoré. »

À peine eut-je terminée de jouer qu’il attrapa l’une de mes mains et se mit à l’observer. Des rougeurs étaient toujours présente, en souvenir de cette après-midi dans la salle de sport. « Qu’est-ce que tu as eu? » me questionna-t-il. Sa voix ne sonnait pas comme s’il était inquiet, c’était une simple curiosité de sa part. « Rien, vraiment. » fis-je en prenant un ton détaché. Je n’avais pas envie de lui expliquer ce qui s’était passé ce jour-là, c’était trop… personnel. Par chance, il ne s’y attarda pas, préférant commenter ma performance. « Tu joues très bien tu sais ! J’ai adoré. » Je lui jetais un regard courroucé – pas très convaincant – en signe de protestation. Je savais qu’il avait ouvert les yeux alors que j’étais concentré sur la musique, je l’avais bien vu à la toute fin alors que sa tête suivait le mouvement de mes mains – ça m’avait d’ailleurs légèrement déconcentré et j’avais raté quelques notes à cet instant. « Tu as triché, ce n’est pas juste. C’est la dernière fois que je joue devant toi! » Je prenais cette air faussement outrée, m’amusant un peu à ses dépends, mais en fait, tout pour éviter que l’on reparle de mes mains. J'aurais même souhaitée récupérée celle qu'il tenait toujours, mais il y aurait surement trouver étrange que j'agisse de la sorte.

Rien, hm, pas suffisant était exactement les mots qui me venait en tête mais soit, elle répondis alors sur ce que je lui avais dit à propos de ses talents de musicienne, affirmant que j'avais triché, je pris un air faussement outré et dis « Quoi, moi ? Jamais ! » puis, avec un léger rire, j'ajoutai « Non ne le prends pas mal, tu jouais si bien que je n'ai pas pu résister à la tentation. » accompagné d'un sourire angélique. Tenant toujours la main gauche de la jeune femme, je reportai mon attention sur celle-ci les sourcils légèrement froncé « Rien comme ?» insistais-je, j'étais du genre à insisté mais aussi j'avais comme l'impression qu'elle ne disait pas tout et comme non seulement j'étais du genre à insister mais j'étais également curieux, je ne pouvais m’empêcher de lui demander. Surtout que pour se faire mal comme ça il faut sûrement une bonne raison et j'avais envie de savoir laquelle.