► Le 8 février, 19h23, en compagnie d'Evey.
Vivre en communauté, avec des inconnus et sous les yeux de caméras curieuses, c'était éprouvant. Ça n'avait rien d'une surprise. Le château était bruyant, il n'y avait pas moyen d'être tranquille plus de deux minutes, pas d'intimité, rien. Encore, ce n'était pas tellement cela qui était le plus épuisant pour Síomha. Non, le pire était d'être soudainement entourée d'autant de personnes. Elle était très solitaire et c'était loin d'être un défaut, selon elle. Elle n'avait besoin de personne dans sa vie, elle se débrouillait très bien seule. Et tant que personne n'était là pour venir s'immiscer dans ses pensées ou venir l'en déranger, elle allait bien. Elle aimait penser. A vrai dire, elle se perdait souvent dans son propre esprit. Et c'était ça le plus agréable. En réalité, donc, elle préférait quand elle ne pensait pas. Lorsqu'elle était entre ces deux mondes, la réalité et l'imaginaire. Elle aimait être nulle part. Oui, voilà. Nulle part, c'était bien. Malheureusement, en étant dans ce château, elle était condamnée à errer dans les couloirs et à rencontrer des candidats qui, inévitablement, l'empêcherait d'être nulle part, de ne pas être réellement là. Ce moment-là, cette journée-là faisait partie de ces journées-là. De celles qu'on pointe du doigt sur le calendrier en pensant « putain, quelle journée de merde ». Síomha vagabondait dans les pièces, un affreux bourdonnement dans les oreilles à cause des autres candidats bruyants. Elle passa alors la première porte qu'elle croisa, dans l'espoir de trouver un peu de calme. C'était d'ailleurs amusant de voir le nombre de personnes qui cherchaient cette même chose. A croire qu'ils étaient tous asociales. Elle eut la surprise de se retrouver dans la salle de musique qu'elle n'avait que peu fréquentée jusque-là et tomba nez-à-nez avec une mélodie plutôt plaisante. Elle n'eut pas besoin de chercher longtemps pour savoir qui était à l'origine de cette musique. C'était la blonde-là. Son prénom lui échappait totalement. Comme les trois quarts des autres, soit. Síomha ne signala pas sa présence, se contentant d'aller s'allonger sur le canapé. Enfin, un peu de calme. Entre un air de guitare et les beuglements des autres candidats, son choix était fait. Elle allait crécher ici, l'espace de quelques instants. « Continue de jouer. » ordonna-t-elle à la blonde lorsqu'elle eut le malheur d'arrêter.

Quand je faisais des promesses, je m’y tenais, même si elle ne concernait que ma petite personne. Chaque jour, je m’entêtais à venir m’installer dans la salle de musique pour y jouer. Guitare bien en main, je chantais les couplets et les refrains qui me venaient en tête rien que pour le plaisir de la chose. Parfois, je me retrouvais avec un public sans le vouloir, d’autres fois, je n’avais comme compagnie que la solitude et ça m’allait tout aussi bien. Ce soir, ma chère amie S m’accompagnait, alors que je me contentais de jouer quelques morceaux de mon répertoire, assise sur l’un des tabourets que j’avais subtilisés du studio d’enregistrement et placée tout près du piano. Jambes croisées et guitare bien installée, je laissais entendre la musique que seuls les spectateurs pouvaient appréciés, vu l’absence d’autres présences humaines. Du moins, jusqu’à maintenant. Pénétrant dans la pièce telle un coup de vent, l’une des candidates – dont le nom m’échappait, vint s’effondrer sur le sofa. Je relevais la tête un instant, stoppant le grattement sur les cordes de ma guitare. « Continuer de jouer. » fit-elle à mon attention. Le timbre de voix qu’elle avait pris me fit rapidement comprendre que c’était loin d’être une simple demande : il s’agissait là d’un ordre. J’arquais légèrement les sourcils, puis finalement, haussait les épaules, l’air de rien, redonnant mon attention complète à l’instrument qui se trouvait entre mes mains. J’aurais tout aussi bien fait d’ignorer sa présence et continuer mon jeu sans m’arrêter, puisque de toute façon, le résultat était le même. J’allais retenir la leçon : ne pas accorder une onze d’attention à blonde lorsqu’elle se trouvait dans les parages. De toute façon, les rumeurs voulaient qu’elle soit farouche et je n’avais pas tellement envie de me piquer à son caractère de feu. Le mien suffisait amplement. Je grattais distraitement sur ma guitare un air qui ne ressemblait à rien de connu, improvisant et déviant d’une chanson à l’autre sans grande conviction. J’avais envie de chanter, de faire entendre ma voix. Seule la présence de Sìomha sur place me bloquait. Pourquoi? Aucune idée. En fait, je n’avais aucune raison de me gêner. Voilà pourquoi les premières notes de ma version personnelle de Little Lion Man résonnèrent bientôt dans la pièce. Que ça lui plaise ou pas, je chanterais. Elle n’avait qu’à partir si ça lui déplaisait. « Weep for yourself, my man, you’ll never be what is in your heart. Weep little lion man, you’re not as brave as you were at the start. Rate yourself and rake yourself, take all the courage you have left. Wasted on fixing all the problems that you made in your own head... »

La musique était toujours un son plus agréable que celui d'une conversation. Que ça soit un bon vieux rock, de la pop de nos jours ou un air de guitare acoustique comme c'était le cas ici, c'était terriblement plus plaisant. De plus, une mélodie jouée à la guitare lui rappelait inévitablement des souvenirs. Bon, pas que des bons, mais des souvenirs quand même. Elle était d'ailleurs partagée sur le sujet. Pourquoi ces souvenirs peu agréables ne semblaient pas si terribles que cela en étant ici? Mouais, c'était moins cool d'être là, voilà pourquoi. Heureusement qu'elle n'accordait pas grande importance à ces moments passés et que c'était sympathique, en général, d'avoir un bon air de musique dans les oreilles. Bien mieux, en tout cas que les conversations et autres sons insupportables provenant de la bouche des autres candidats. A croire qu'ils ne pouvaient jamais la fermer. Jamais. Ils pensaient peut-être que c'était comme ça qu'on leur accorderait plus d'attention? Ouais, sûrement. Toutefois, dans cette pièce-là, il n'était pas question de papoter, ce n'était que musique et instruments, que demander de mieux? Alors, forcément, elle avait ordonné à sa camarade de continuer de jouer. Parce qu'elle souhaitait éviter d'avoir à entretenir une discussion. Parce qu'elle avait envie d'écouter de la musique. Et parce que, ça lui brûlait la langue de le dire, elle ne jouait pas trop mal. Cela dit, Evey ne se contenta pas de jouer, puisqu'elle se mit à chanter. Oui, bon, elle n'en avait pas demandé autant. Mais soit. Elle la laissa faire malgré tout, se voyant mal hausser la voix pour lui dire de la fermer. Ça serait faire beaucoup d'effort pour peu de résultat au fond. Si bien qu'elle se contenta de fermer les yeux, appréciant le calme ambiant. Personne pour vous crier dans les oreilles, c'était assez exceptionnel, elle comptait bien en profiter le temps que ça durerait.