elvis.

Qui aurait pu croire que l’arrivée imminente de la Saint-Valentin pouvait me déprimer autant. Bon, je n’étais pas à la veille de me passer la corde au cou ou de me jeter en bas de la falaise, mais cette fête de l’amour – qui soit dit en passant, devenant plus commercial d’année en année, perdant tout son sens – me rappelait à quel point le célibat, c’était plutôt moche, en fait. D’accord, je ne rechignais pas sur les folles et torrides nuits que je passais avec des gens qui m’étaient presque inconnus. Mais le souvenir de mes relations précédentes, des réveils animés au lit et des bons moments passés outre part me manquait. Certes, ces relations se terminaient toujours très mal, mais le temps qu’elle durait, j’en profitais pleinement. Je ne sais pas si c’était l’arrivée de ce jour fatidique qui jouait sur mon humeur, mais mon cerveau, lui, avait bien décidé de me faire chier en m’empêchant de dormir. J’avais donc abandonné mon lit – et Cooper, par la même occasion – et m’était faufilé jusque dans la cuisine, déserte. Toute fille qui se respecte sait comment guérir un cœur en peine. Ouvrant le frigo, j’agrippais sans remords le pot de crème glacé. Je m’installais à même le comptoir de la cuisine, et muni d’une seule cuillère comme arme, j’attaquais le pauvre contenant sans ménagement. Ah, je faisais peine à voir. Je n’étais pas descendu aussi bas depuis longtemps. Manquait plus que je me mette à chanter Someone Like You d’Adele.

Il commence à se faire tard pour une petite énergumène comme moi. Mes yeux me piquent, mais mon estomac provoque une sensation encore plus désagréable encore que de simples picotements dans les iris. J'ai faim. Non pas que le dernier candidat chargé de corvée de cuisine pour servir le dîner au château entier soit dénué de tout talent culinaire, mais moi j'aime pas manger ce qui est vert. Les légumes de saisons du style artichauts, choux-fleurs et tout ça, c'est pas vraiment ma tasse de thé, je suis plus du genre à me nourrir aux pizzas, ce qui consolide en quelque sorte la base même de mon alimentation première. D'un pas décidé, je me lève du canapé du salon où j'ai élu domicile pour la soirée et me dirige vers la cuisine de la grande demeure. J'entre à l'intérieur de celle-ci et suis aussitôt accueillit par un réel stéréotype de films à l'eau de rose, avec Evey dans le premier rôle de celui-ci. Un sourire effleure un bref instant mes lèvres, face à cette image. « Tu te la joues à la Ruben ? » je demande en faisant référence à l'une des rubriques du dernier prime de dimanche, où on avait eu le droit à une charmante photographie de l'habitant dans une situation similaire. Je cligne des yeux, l'observe pendant une demi-seconde, avant de décider qu'il vaut sûrement mieux que je me taise, plutôt que je lui pose des questions sur ses déboires amoureux. Non seulement parce que je ne sais déjà absolument pas quoi dire dans les conversations normales et qu'en plus elle pourrait tout aussi bien mal le prendre. D'ailleurs, depuis quand on ne peut plus dévorer de la crème glacée sans que cela ait pour significations des problèmes de couple ? Je me dirige vers un placard pour prendre possession d'une petite cuillère et je me retourne vers la jeune femme, avant de lui demander d'une petite voix: « Tu m'autorises à participer ? »

« Tu te la joues à la Ruben ? » Je risque presque d’en lâcher ma collation nocturne tant que je ne m’attends pas à trouver quelqu’un dans la cuisine à cette heure. Je relève la tête et croisse le regard amusée d’Elvis. Ça aurait dû m’offusquer, mais je sais que l’image que j’offre est d’un pathétisme effarant. Je suis ridicule, mais je l’assume. « Non, c’est lui qui m’a piqué mon idée, en fait. » Pas que mon idée : celle de toutes les femmes en quête d’un réconfort qu’elle ne trouve plus en la présence d’un homme. Drôle quand même de penser que l’on troque notre désespoir contre quelques kilos de nourriture. Dans le fond, c’est la faute de tout ces briseurs de cœur si l’on doit se pourrir la vie avec des régimes à la tonne. Si les hommes n’étaient pas autant des salauds, aussi. Elvis se rapproche de moi, et j’avise bien vite l’ustensile qu’il a en main. Oh! Qu’est-ce que tu t’en viens faire, mon joli? « Tu m’autorises à participer ? » Partager mon précieux pot de crème glacée? Uhm, je ne sais pas si je suis prête à faire ce genre de sacrifice. Nous avons développé une belle complicité, lui et moi. On en est presque devenu inséparable depuis le temps. Mais le petit air piteux qu’affiche Elvis sur son visage me rend presque coupable d’être égoïste et de garder le tout rien que pour moi. Je tente de rester de marbre face à lui, mais sens ma résistance fondre comme neige au soleil. Merde. J’ai la flemme de ma débattre avec moi-même. « Ne mange pas tout. » fis-je finalement en lui tendant le pot, sans avoir préalablement subtilisé une bonne cuillérée de glace que je fourre immédiatement dans ma bouche.

« Non, c’est lui qui m’a piqué mon idée, en fait. » je l'entends dire derrière moi, alors que je farfouille dans le placard où sont rangés les couverts. Je ne comprends pas vraiment ce besoin de dévorer de la crème glacée au moindre déboire amoureux. Personnellement, les cornets de glace me font davantage frissonner que me sentir bien, mais j'imagine qu'on est tous différent. Mon regard coule vers une horloge accroché sur l'un des murs de la cuisine, ce qui me fait remarquer qu'on est dorénavant passé à demain... enfin aujourd'hui. Bref, on est Mardi. « Ne mange pas tout. » finit-elle par répondre à ma requête, docile. Un bref sourire de vainqueur s'affiche pendant un court instant sur mes lèvres, alors que j'attrape du bout des doigts le pot. Je me permet de prendre place sur la chaise voisine à celle d'Evey. Je plonge ma petite cuillère dans la crème glacée, qui s'enfonce sans la moindre entrave dans cette dernière, avant d'en ressortir avec un morceau non négligeable logé dans le creux oblique du métal. Je la fourre dans ma bouche, mes yeux se levant au ciel de délice pour le parfum de ma charmante dégustation. Un léger soupire de contentement s'échappe de ma gorge, alors que je pousse le pot dans sa direction. « Tu t'adonnes à une tradition personnelle de la Saint-Valentin ? » je demande, en haussant un sourcil, un brin railleur. La fête des amoureux est une chose outrageusement inutile à mes yeux. Comme si on avait besoin d'une telle journée pour prouver son amour à sa moitié...

Elvis s’installe à mes côtés après avoir récupérer le pot d’entre mes mains. Dégustant ma propre cuillérée, je le regarde savourée la sienne avec un plaisir non dissimulée. On dirait un gamin devant une montagne de bonbons. S’en ait presque mignon. Presque, j’ai dit. Quand il tend le contenant vers moi, j’en reprends possession afin de me servir une autre quantité – non-négligeable – de crème glacée. « Tu t’adonnes à une tradition personnelle de la Saint-Valentin ? » Ma cuillère en suspend, je tourne la tête vers lui et j’hausse les sourcils, l’air de dire ‘Tu te moques de moi, là?’. Car la réponse est pourtant si simple, à mes yeux. « Non. » M’enfermer dans une cuisine et manger de le crème glacée jusqu’à en être malade, vous croyiez vraiment que c’est moi? Ce soir, peut-être, mais c’est loin d’être habituelle. « D’ordinaire, je préfère m’occuper à perdre quelques calories, ce soir-là, plutôt que d’être en train d’en prendre… » Je faisais dans le sous-entendu, mais j’espérais qu’il capterait le message. Je n’étais pas de cette fille qui déprimait car elle se retrouvait seule le soir de la Saint-Valentin. En fait, j’en profitais pleinement, d’ordinaire. Et je n’ai pas besoin de vous faire un dessin, je crois… Suffisait un trouver une belle pièce d’homme célibataire, et voilà. Mais aujourd’hui, c’était différent : j’étais coincé ici. Et le pâturage que m’offrait les candidats n’avaient rien d’alléchant. Rien pour me satisfaire, en tout cas.

Un sourire espiègle se dessine sur mes lèvres quand elle répond par la négative à ma question. Je suis des yeux la cuillère remplit jusqu'à raz bord et même bien plus encore de crème glacée, qui atterrit tout doucement sur la langue de la jeune femme. Je m'amuse à arquer l'un de mes sourcils, railleur, l'air de lui demander à l'aide de mes yeux: "tu vas réellement manger tout ça ?". Un vrai goujat, mais je ne fais que me glisser dans la peau d'un personnage étranger à ce que je suis habituellement. Je suis tout sauf le genre de garçon à porter de tels jugements sur les autres en temps normal, je ne fais que jouer la comédie et j'espère très sincèrement que pour une fois que je suis d'humeur à plaisanter, elle comprendra le principe de ma blague. En résumé, pas comme moi qui prend absolument tout au pied de la lettre en règle générale. « D’ordinaire, je préfère m’occuper à perdre quelques calories, ce soir-là, plutôt que d’être en train d’en prendre… » Ma nature reprend le dessus et je cligne des yeux, trouvant cette coutume des plus étranges. Faire du sport le jour de la Saint-Valentin ? Quelle idée... Je l'observe pendant quelques instants fixement, en silence, réfléchissant dans mon fort intérieur. Mon esprit est trop pur pour saisir immédiatement le sous-entendu d'Evey, mais au bout d'un moment mon cerveau finit par relier les différents éléments entre-eux et la solution m'apparait aussi mécaniquement que s'il avait s'agit d'une recherche sur un serveur d'ordinateur. « Tu parles de sexe ? » je lui demande concrètement, sans le moindre malaise et en la regardant droit dans les yeux d'un ton des plus sérieux, juste pour être sûr.