Syssoï ; 11H03

Maintenant, il s’est habitué à nouveau à ça, au fait de se réveiller tôt et de partager son petit déjeuner de lumière avec Syssoï. Hors ce matin, Syssoï n’était pas là, comme à son habitude… Mais cela n’allait pas l’empêcher de manger, loin de là. Il se prépara son petit déj lui-même et termina avec la conception d’un café auquel il ajouta deux morceaux de sucres. Il transporta sa tasse avec lui et fut surpris de tomber nez-à-nez avec le loup, en personne. Il lui lança un regard, un regard signifiant qu’il n’était pas très ponctuel aujourd’hui le monsieur, il avait manqué le rendez-vous Ô combien important… « Bonjour Syssoï…Rejoins-moi au salon… » Il but une gorgée de son breuvage sombre et se dirigea vers sa nouvelle chambre pour emporter avec lui ce qu’il était venu chercher la nuit dernière à la bibliothèque : un jeu d’échec. Le temps qu’il aille le chercher et tout mit en place, Syssoï aurait certainement terminé son repas, petit conseil, qu’il prenne du chocolat, ça l’aidera surement à mieux réfléchir. Dix minutes s’écoulèrent. Artie avait tout préparé au salon, mettant les pièces une par une dans leur endroit respectif, il avait une petite préference pour le fou là-bas qui était plutôt bien taillé. Il ne manquait plus que l’adversaire. Parlant de ce dernier, il se présenta finalement… Il était temps. « Je prends les noirs… » Dans le langage, cela signifiait qu’Artie lui donnait l’opportunité de commencer, il donne souvent cette chance aux autres, celle d'attaquer en premier... Et puis, comme on dit, les femmes d'abords, même s'il n'était pas fan de cette réplique …

J’ai dormi un peu tard, ce matin. Ça ne me ressemble pas vraiment, mais finalement, qu’est-ce qui me ressemble vraiment depuis que j’ai foutu un pied dans ce nid ? Rien. En tous cas, pas la masse rougeoyante qui a remplacé le drap contre mon torse. Visiblement, les oreillers moelleux fournis par la prod ne sont pas du goût de Gabrielle qui préfère, définitivement, squatter mon buste pour la nuit. Loin de moi, l’idée de m’en plaindre, c’est peut être, aussi, la raison pour laquelle mes nuits sont de plus en plus longues et mes réveils de plus en plus agréables. Habituellement je dors peu, ou pas, alors des réveils, il n’y en a pas. Là, non seulement je parviens à dormir convenablement, mais en plus il me faut une éternité pour m’extirper du lit. C’est l’image d’un Lord s’impatientant dans la cuisine, qui finit par me donner l’impulsion nécessaire. Je quitte les draps, mais note que je n’ai pas le temps pour une douche. Tant pis. Je saute dans un jean, ramasse un tee-shirt au sol, le renifle, et jugeant qu’il est encore presque portable, l’enfile aussi. Descendre les escaliers au radar, c’est nouveau pour moi aussi, d’habitude alerte en permanence, et entrer dans la cuisine en me déboitant l’épaule contre le chambranle de la porte, c’est une nouveauté aussi. Je suis encore entrain de frotter l’épaule tout en tentant de maintenir mes deux yeux ouverts, lorsque le Lord, frais comme la rosée du matin, m’ordonne de le retrouver dans dix minutes au salon. J’grogne. C’est ma façon à moi de lui donner mon aval, et pars m’exiler dans le frigo, où je passe une heure a beuguer devant un pot de yaourt. Je finis par le prendre, hein, parce que finalement, j’ai pas très faim. Je l’avale en vitesse, ratant plusieurs fois ma bouche, mais ni la table, ni le carrelage, avant de rejoindre le Lord dans le salon. J’imagine qu’il doit être partit depuis longtemps tellement j’ai été lent. Peut être même que l’émission est terminée, que Franckie a gagné, et que les lieux sont déserts depuis des mois, voir des années... Mais non. Artie est tranquillement installé devant un jeu d’échec qu’il achève de dresser. Ok, donc la cuisine est une sorte de faille spatio-temporelle, dans laquelle une heure représente une seconde dans les autres pièces. Cool. J’échoue dans un canapé, devant les blanches, me grattant l’aisselle, puis la joue avec une classe totalement innée. J’parle pas, j’ai trop peur de parler comme un suisse, au ralentit. Je lève un pouce, et déplace un pion en A4, avant de frapper sur un chrono imaginaire.

Syssoï prend enfin place devant ses pièces blanches. Il reste muet. Il faudrait quand même préciser que lui aussi n’était pas fan du bavardage, ni des parties d’échec où l’adversaire parlait sans relâche de ses futurs coups, ou de ce que l’autre devait faire, ou bien éviter de faire… Néanmoins, là, en cet instant, ils avaient un argument de taille pour ouvrir leurs bouches respectifs. Syssoï fait avancer un pion en A4. Ok, début de la partie. Le Sir regarde ses pièces un instant avant de porter son cavalier en C6. Il lève la tête pour fixer le russe... « Syssoï, des nouvelles de Sixtine ? » Il faut dire que cette petite lui manquait véritablement, et que Syssoï était la source numéro un concernant la jeune femme. Qu'est ce qu'elle devenait ? C'était le mauvais moment pour elle de faiblir, ou bien de se faire discrète car la finale était proche, toute proche, notamment la fin de ce jeu. Les premiers jeux sont faits, on pouvait enfin dire que le match commençait. Artie laisse la liberté à ses yeux de percevoir chaque pièce comme étant une entité existante et de remarquer à quel point les pions sont petits par rapport aux autres pièces. Des détails par-ci et par s’enregistrent dans son encéphale, attendant le futur coup de l'adversaire. Et puis, une seule phrase par coup suffisait, pas la peine de faire un long discours; ça rendait par cette même occasion le jeu plus vif, et plus attrayant !

Je ne sais pas s’il s’agit d’une bonne idée de disputer une partie alors que j’ai l’impression de sortir d’un coma profond. Je compte sur mes automatisme puisque mon esprit d’analyse s’est totalement fait la malle. Je pourrais être à moitié mort, une balle logée dans l’oesophage que je ne voudrait manquer cet instant, presque anodin, partagé avec le lord. J’ai déjà disputé une partie, la semaine dernière, avec Connor, mais ça n’a rien à voir, c’est absolument pas comparable en fait... Je me frotte les yeux en tentant de me réveiller, alors qu’Artie amorce son premier coup. J’observe le jeu. Il a sortit son cavalier direct, okay, ça donne le ton. J’aime pas les parties qui durent huit ans, avec un coup toutes les dix à quinze minutes, mais je prends quand même le temps de réfléchir un minimum à mon prochain coup. « Syssoï, des nouvelles de Sixtine ? » Ok, pas sûr que j’y parvienne, en fait... Sixtine, elle a le don de me déconcentrer, qu’elle soit là ou non. Je soulève un pion, le gardant en suspension un moment, le temps de réfléchir à où je vais le mettre -alors que techniquement, je n’ai pas trop le choix, il ne peut être déplacé que d’une case, de face- et de réfléchir à ce que je vais lui répondre. « Elle prend du recul. Elle veut sortir. » Ma voix semble normale, c’est assez étonnant, je m’attendais à parler au ralentit, voir même carrément en “retour arrière”, finalement elle est juste un peu rauque et éraillée. Je fume trop. Je pose mon pion en G3. C’est idiot de vouloir sortir à moins de deux semaines de la fin, mais techniquement, elle voulait déjà sortir à trois semaines. Elle est restée pour moi. Faut pas chercher à comprendre. J’aimerais lui demander comme ça va avec Oona, mais j’ai le sentiment que ça ne me regarde pas. Tout comme le milliard de questions au sujet des templiers qui me brûlent les lèvres. J’ai du mal à juger de ce qui est inconvenant et de ce qui ne l’est pas. J’suis un camping-car, quoi.

Syssoï joue à nouveau son coup, un vulgaire pion déplacé, ok. Pour l’instant, ce n’est que le début, mais Sir Artie éait toujours un joueur impatient, il n’était pas très fan des parties qui s’éternisaient et celle là n’échappait point à la règle, du coup, il allait faire en sorte de le "tuer rapidement" sans trop le faire souffrir… C’est l’opposé même du Camping-car qui lui opte pour la technique douceur… On verra après qui des deux écoles remportera la victoire. A présent, ce n’est que le début, pas la peine de s’emballer, la partie est encore longue, il reste des coups à jouer, même beaucoup. Il reçoit donc sa réponse, ça semble perturber le français mi-russe mi-français -pour ne pas dire français tout court - Pas la peine de comprendre, Sixtine le perturbait… Elle a donc de l’effet sur lui. Logique, ils sont apparemment liés par un truc vraiment brouillon qu’il ne comprendrait jamais. Elle veut sortir… Mais pourquoi ? À ce stade de l’aventure ? Ça peut paraître idiot mais le Sir s’efforça de croire qu’elle avait l'air d'avoir ses propres excuses, même si elle avait toutes les chances de gagner. Il prend cette fois l’autre cavalier et le place en F6. Symétrie parfaite. Il était toujours fan de symétrie ; il était même allé engager un peintre de renom pour lui fournir un chef d’œuvre ambigramatique, portant son nom bien sûr et son rang de chevalier. « Tu comptais faire quoi…Après l’émission ? » C’était toujours intéressant à savoir, utile pour garder contact, même si le Sir n’était pas si souvent disponible : son cercle était restreint, même très restreint… Chose qui sera de même appliqué sur le jeune homme qui risquerait d'être très occupé s'il venait à gagner...

Gagner n’est pas mon leit-motiv, ça ne l’a jamais été. Passer un bon moment tout en lâchant la bride de mon activité cérébrale, ça, oui, c’est dans mon intention et ça l’a toujours été. Je ne tente pas de signifier que je ne me concentre pas et prend cette partie par-dessus la jambe, bien au contraire, j’y suis très attentif, mais gagner ou perdre, peu importe, seul le contexte dans lequel on joue a un intérêt à mes yeux. Et heureusement, puisqu’avec la question posée par le Lord, la concentration n’est plus trop là, et je me retrouve à jouer la sécurité, tandis que Lordie, lui, il y va a fond, sortant toute la cavalerie pour… soit me massacrer en quelques coups, soit foncé droit dans le mur. Y a pas de demi-mesure avec ce genre de technique de jeu. J’observe la table de jeu en silence, tandis qu’il lance une nouvelle question. Le pauvre, je suis tellement peu bavard, ce matin, qu’il en est rendu à devoir, lui-même, amorcer la conversation. Il me parle de l’après, cette grande équation à plusieurs inconnues. Celle qui fait flipper tout le monde, et en excite plus d’un. « Je ne sais pas, je n’y avais pas vraiment réfléchis avant cette semaine… Je pensais… rentrer chez moi… » J’attrape mon fou, et le fais glisser jusqu’en H3. « … ne rien changer, retourner à ma vie en y opérant quelques améliorations significatives. » Je n’ai pas besoin de préciser desquelles il s’agit, il aura compris que par ‘améliorations’ j’entends eux, l’illustre team Deluxe. « J’aimerais faire visiter l’Opéra à Oona… Tu en penses quoi ? » Ils sont plus ou moins appareiller maintenant, je me dois de lui poser la question, et si en plus, ça le déstabilise dans son jeu, c’est tout bénef.

Le Syssoï n’était vraiment pas dans son assiette. Ou peut être faisait il semblant de l’être, ce qui n’avait rien de glorieux après tout. S’il le faisait exprès, ou bien si c’était par ce que ce genre de jeu inspirait la pure réflexion et prohibait le fait de se prononcer –par respect pour l’adversaire- , il avait le feu vert d’arrêter sa théâtralisation plutôt bien réussie de Robocop. Le contexte étai très différent ici, l’enjeu n’était pas si grand que cela donc elle restait une partie d’échec comme les autres, mais avec un niveau de difficulté un peu plus élevé que d’habitude. « Je ne sais pas, je n’y avais pas vraiment réfléchis avant cette semaine… Je pensais… rentrer chez moi… ». Rien de bien fascinant. Il bouge enfin une pièce maitresse. Un fou. Fallait dire que c’était sa pièce favorite en vue de son appellation cocasse et ses déplacements en diagonal qui avaient tendance à le charmer durant ses parties. La reine était une pièce qui venait en second plan malgré ses déplacements hétéroclites et son statut de super puissance (ce rôle attribué à une pièce d’origine féminine était plutôt mal envisagé par les concepteurs du jeu) mais bon. « … ne rien changer, retourner à ma vie en y opérant quelques améliorations significatives. » Le lord regarde profondément la table et ses doigts optent pour un pion qu’il déplace d’un geste mécanique en E5. Il était un peu trop préoccupé à scanner chaque déplacement de chaque pièce ennemie, ce n'était donc qu'après que sa tête repassa en vitesse moyenne sa réplique précedente. Des améliorations, ça se comprend. Il reprend tout d’un coup son café ou il en retire lentement une gorgée avant de le placer sur la table, une nouvelle fois. « J’aimerais faire visiter l’Opéra à Oona… Tu en penses quoi ? » Tiens, Oona rimait avec Opéra ! Mais pourquoi lui posait-il cette question le campy ? S’il voulait le lui faire visiter, il n’avait pas besoin de sa permission, Oona était libre dans ses choix et il ne voyait pas comment il refuserait une chose pareille tant que cette dernière restait bénéfique, et elle l'était grandement. Ça serait en plus l’occasion de palier un manque, car lui, à proprement parler n’avait rien à lui montrer, peut être son manoir, Londres, son club, des musées, des terrains, des parcs, mais rien d’aussi intriguant que ce soi-disant Opéra qu’il ne connaissait qu’à travers le nom et qu’Oona préférait sensiblement et mille-fois à ses lieux ; son monde à lui était carrément inaccessible pour les autres et son mode culturel était un peu trop élevé pour le commun des mortels, alors que Syssoï avait la même passion qu’elle, à dire la danse… « Je te la confierais alors… Je vous souhaite d'ores et déjà de passer un agréable moment ! » Syssoï était quelqu’un de confiance et jusqu'à maintenant il ne prouva point le contraire. Toute cette discussion alimenta son désir pour le jeu, fallait vraiment pas évoquer Oona monsieur car là Artie se voyait poussé des ailes… Sinon il voudrait bien voir à quoi ressemblait cet Opéra aussi, mais faute de temps, il allait se contenter d'un témoignage… Note : Il aimait une personne dont la passion principale était la danse et il n’avait aucune idée sur cet art, la honte… Preuve qu’on ne pouvait pas tout savoir ou exceller dans n’importe quel domaine. « à quoi ressemble cet Opéra de France… » Dit-il dans un français très british. Il connaissait moyennement la langue pour ne pas dire ‘couramment’, il avait des notions, assez pour lui permettre de formuler des phrases avec anglais qui empiétait ses phrases. Son anglais classique restait quant à lui inébranlable et invaincue jusqu'à maintenant. « Je ne connais pas la France… » Poursuivit-il, sur le même ton de frenchie carrément exotique. Car oui, la France il ne connaissait pas… à part les généralités…

« Je te la confierais alors… Je vous souhaite d'ores et déjà de passer un agréable moment ! » Je suis entrain d’observer son pion lorsque la sentence tombe. Je relève les yeux vers lui. Comment ça ? Il ne compte pas venir lui aussi ? Bon, ok, ma question n’était pas très claire, mais sa réponse laisse entendre qu’il ne viendra pas du tout. Ça me semble étrange. J’ignore ce qui se passe exactement entre ces deux-là, ce n’est pas mes affaires, mais je sais qu’ils sont très attachés l’un à l’autre, autant qu’on puisse l’être, et, en proposant une visite de l’opéra à Oona, j’imaginais que le Lord profiterait de l’occasion pour un séjour, de la durée de son choix, dans cette ville de l’amour. Ok, c’est cliché et quelque peu surfait, mais Paris restera Paris. Je ne dis rien, et je reporte mon attention sur le jeu. Je suis sur le point de bouger un cavalier, lorsque du français chante à mon oreille. Il n’y a qu’avec Gaby et Esther que j’ai eu l’occasion de pratiquer ma langue maternelle, aussi, il est plaisant de noter l’effort fournis par le Lord. Evidemment il s’agit d’un français très littéraire, mais seul l’effort compte à mes yeux, comme un présent de sa part. Si mes lèvres sont incapables de sourire à cette heure, mes yeux compensent le manque, souriant à leur place. Lordie poursuit sur sa lancée, m’informant qu’il n’a jamais été en France, du moins pas suffisamment pour connaître. J’imagine que ses obligations l’ont maintenu à demeure pendant toute une partie de sa vie, et je me surprends à le plaindre. Sans les voyages, je ne sais pas si je trouverais un quelconque intérêt à ma vie. « Alors, viens ! » Je lui réponds en français, avant de repasser automatiquement en anglais. « Rien que l’Opéra te plairait, son plafond signé Chagall, et puis son débordement ornementale où chaque chérubin est une allégorie savamment dissimulée... » Tout en parlant avec une sorte de passion dont je ne pensais plus pouvoir être capable, je déplace mon cavalier en C3. « Et puis, j’aimerais t’emmener chez Nicolas Flamel. Il s’agit de la plus vieille maison de Paris. Un restaurant maintenant, mais on y mange comme à l’époque. Sans oublier Notre Dame... » Finalement, c’est Oona qui risque de s’emmerder avec nous, et cette simple pensée me fait sourire. Je ne sais pas avec lequel des deux je partage le plus d’intérêts communs.

C’est vrai que durant son enfance –si s’en était vraiment une- il n’avait pas vraiment voyagé. Il se contentait de visiter les différentes contrées à travers des livres qu’il dévorait pleinement chaque jour. Et l’idée de visiter le monde en 3D (en réelle, à dire se déplacer par avion et découvrir) n’avait jamais été dans ses priorités. Maintenant que Syssoï insistait, il y’avait bien des chances pour qu’il finisse par inclure un voyage universel dans les ‘choses importantes à faire avant de mourir’ et de céder en fin de compte à son rêve d’enfant. « Alors, viens ! » En français, et pas n’importe quel français. On n’aurait jamais dit qu’il était russe d’origine si cette information n'avait pas été divulgué avant… Là il l’invitait apparemment à les rejoindre. Il ne voulait pas se taper l’incruste vu qu’il n’avait rien à faire dans un opéra (Oona et Syssoï avait plus de crédibilité à y être que lui) et c’était un endroit qui dépassait son entendement et ses prouesses culturelles, ça serait une sorte d’intrus logé dans une brochette de deux danseurs expérimentés qui parleront surement un langage que lui ne connaitra surement pas, ou ne comprendras pas, car oui il devait y’avoir un bagage lexical propre à eux qui les aidaient à communiqué secrètement entre eux, il ne s’imaginait pas rester cloué, devant eux entrain de traduire leur volonté par des pirouettes ou des sauts spectaculaires… Ah non, il retire ce qu'il vient de dire. Il aurait bien aimé voir Oona danser, il l’avait vu une fois, dans la salle de musique avant leur premier baiser et aussi durant un prime ou elle devait accompagner son collègue, mais l’idée de la voir, ancrée dans un contexte plus professionnelle ranima une nouvelle fois ses sens qui ne l’empêchèrent nullement d’accepter son offre « Si tu insistes… » Il laissa tomber son regard sur le jeu… ça promettait ce voyage, d’après ce que ce dernier lui narra. Il racontait d’ailleurs avec une précision presque déroutante et rapportait chaque élément avec une adresse oratoire incroyable qu’on pouvait même s’imaginer ce même lieu mythique devant nos yeux, tellement ses mots avaient l’air de toucher ses rêves d’enfants, ou d’explorateur, ou plutôt d’enfant explorateur. Il avait cet art oratoire que peu de gens possédaient qui aidait l’interlocuteur à s’imaginer encore mieux les scènes, ou à être facilement convaincu par la beauté d’une chose ou pas… Le camping-car fait bouger un cavalier, ce n’était pas trop tôt. Artie rapplique avec un pion en D5. Provocation. Le schéma commençait à apparaitre devant lui et il voyait plus clair maintenant. Sa pièce déplacée, il lève la tête vers lui pour mieux le sonder avant de lui parler une nouvelle fois. « Oona peut elle réussir dans la danse ? » Il était vraiment sérieux au point qu’il se souciait de son avenir, elle avait perdu ce pourquoi elle était venu ici et c'était vraiment fâcheux. Et sincèrement parlant, il voyait bien Syssoï supérieur à elle, il avait plus cette étiquette de Monsieur professionnalisme, alors que elle, elle ressortait tout simplement cet air faussement amateur qui diminuait de son grade et qui avait tendance à tromper plus d’un, lui par exemple…

Mon invitation est sincère et mon envie de lui faire découvrir ma ville est réelle. J’ai comme l’impression que les voyages n’ont jamais fait réellement partie de son éducation, et à l’idée de faire découvrir quelque chose à un Artie aux yeux d’enfant, je ne contrôle pas mon sourire. Je lui propose de se joindre à nous, j’y vais même de ma petite description afin de lui mettre l’eau à la bouche et faire penser la balance dans mon sens. Il semble réfléchir un instant, comme si, rien dans sa vie, ne pouvait être occasionné par une impulsion, une envie brutale, un coup de tête. J’imagine qu’après des années d’éducation, le formatage est bien incrusté, et que tout, chez lui, en lui, passe pas le cérébral. Tout doit être pensé, analysé, sous-pesé, pour finalement prendre la bonne décision. Je comprends, je suis pareil, à un degré moindre, cela dit. J’ai du mal à me laisser aller tant on m’a appris que chaque acte avait ses conséquences, et qu’on s’est arrangé pour susciter la peur en moi, la peur de ces conséquences justement. « Si tu insistes… » à la bonne heure. Mon sourire revient à la charge, et mon cerveau pullule déjà d’idées de lieux à lui faire visiter. L’Eglise Saint-Pierre de Montmartre, par exemple, l’une des plus vieille de Paris, dans laquelle aucun touriste ne se rend jamais, lui préférant le mastodonte Sacré Cœur. Artie me ramène à la réalité en jouant son coup. Je fronce le nez et pince les lèvres. Mais une fois encore, Lordie me tire de mes réflexions, m’interrogeant au sujet d’Oona, d’Oona et de la danse. Là je me sens dans mon élément. Mon avis sur des danseuses et des danseurs, mais plus souvent des danseuses, on me le demande depuis que je suis en âge de danser. Peut être parce que j’ai toujours été très doué, et peut être parce que j’ai toujours été très franc aussi. Mais là, il s’agit d’Oona, et ça prend une dimension différente que la stricte sphère professionnelle. « Oona est une excellente danseuse. » Je lui réponds en sachant très bien que ce n’est pas vers cette réponse que conduisait sa question. Je soulève un pion, observe le jeu. « Maintenant, si tu veux savoir si elle pourrait intégrer un corps de ballet prestigieux du style Opéra de Paris, la réponse est non, malheureusement. » Mon pion lévite au-dessus de la table, puis fini par se poser en D4. « Pour entrer dans ces corps de ballet, il faut passer un concours à l’âge de 11 ou 12 ans, comme moi. C’est triste à dire, mais quelque part, Oona est trop vieille, déjà. » Je pose un coude sur la table, ma joue venant s’insérer dans ma paume ouverte et offerte. J’ai toujours l’air d’un David, même lorsque je ne suis pas totalement réveillé, pas coiffé et pas lavé. Fléau physique. « Cela dit, elle n’a pas besoin de ça pour réussir. Elle est actuellement dans une compagnie de danse qui semble lui plaire. Elle n’a pas besoin d’avoir son nom au sommet de l’affiche pour être heureuse… Maintenant, un bout de l’Europe l’a vu danser avec moi, je suppose que c’est même déjà sur Youtube à l’heure où on parle… Ils ont vu son talent, les propositions professionnelles ne tarderont pas à tomber. Des bonnes et beaucoup de mauvaises. Je l’aiderais à faire les bons choix, si tu veux. » Et je lui présenterais des gens aussi, des chorégraphes qui n’hésiteront pas une seule seconde à nous faire danser ensemble sur les scènes parisiennes. J’ai pas de contrat d’exclusivité avec l’Opéra, je peux bien faire ce que je veux à côté, comme former un duo avec Oona, un duo à l’image de Sylvie Guillem et Nicolas Leriche.