Je ne sais même pas pourquoi je m'obstinais, pourquoi je cherchais autant à savoir ce qui pouvait bien pousser le grand blond à vouloir déverser la somme remportée grâce à Fake Lover aux enfants autistes. Déjà, et c'était certain, ça ne me regardait pas. Ensuite, si Jackson n'avait pas envie d'en parler, je n'avais aucunement droit de le pousser à le faire car cela ne serait pas digne de notre ami... de notre relation, aussi compliquée soit-elle mais tout de même basée sur une certaine confiance mutuelle. « N'insiste pas, Ruben. Si j'avais voulu t'en parler, je l'aurais fait il y a deux minutes. Mais je ne le veux pas. Ça n'est pas quelque chose d'évident à évoquer, alors je préfère qu'on en reste là, si ça ne t'ennuie pas ... » Bon, de toute évidence y'avait pas moyen de faire parler Jackson, en tout cas pas là-dessus. Ça lui tenait à cœur, c'était en tout cas ce que j'en avais retenu. Parce que je ne voulais pas le mettre mal à l'aise et lui faire regretter d'être venu chez moi ce soir, je préférais baisser les bras. Oui, ça valait mieux je pense. « Bien, comme tu voudras. Je n'insiste plus, donc. Mais si il te vient l'envie de m'en parler, surtout n'hésite pas hein. » J'étais toujours disposé à l'écouter, c'était une chose que je savais bien faire parait-il. Mais il pourrait assurément prendre le temps qu'il voudrait pour ça, je n'allais plus l'embêter et chercher à tout prix à le faire passer aux aveux. On avait passé ce stade, quand même. Par ailleurs nous en étions venus à parler de sa relation avec Franckie, de sa maladie également. Jackson ne voulait pas faire souffrir Franckie... et se voyait déjà mourir dans les années à venir, en prime. Merde quoi, pourquoi perdre espoir aussi vite ? Il était jeune, et selon moi il allait pouvoir profiter de cette jeunesse encore un bout de temps avant de devoir casser sa pipe. Et puis, sait-on jamais, peut-être Jackson nous enterrerait tous au final... « C'est tout à fait ça » fit-il alors. Bon, déjà j'étais parvenu à cerner le problème. « Ce n'est pas de moi dont il est question, du moins pas directement, mais de lui ... » reprit-il, tout en semblant sincère, avant de poursuivre « Je ne sais pas si il a véritablement pris conscience du fait que tout ça ne sera de toute manière qu'éphémère ... Bien sûr que mon amour pour lui, comme celui qu'il me porte, m'aidera à aller mieux, d'une certaine manière. Mais ça ne changera rien au fait qu'un beau jour, et bien, je ne serai tout simplement plus là. Je ne sais pas si lui et moi serons toujours ensemble ... Je l'espère comme je le redoute. Parce que le laisser seul, l'abandonner, ce serait une chose terrible. Mais je n'y pourrai rien. » Je ne disais rien, l'écoutais avec attention. Pour le moment je constatais que Jackson ne croyait plus tellement au bonheur qu'il pourrait apporter à Franckie, même si il désirait vraiment le rendre heureux. « Alors je crois que je préfèrerais qu'il ne perde pas son temps avec moi. Je serais capable de le détester s'il restait avec moi jusqu'à la fin ... jusqu'à ma fin. Je sais que c'est agir avec égoïsme dans les deux cas. Soit je veux le garder avec moi, parce que je l'aime et que j'ai terriblement besoin de lui dans ma vie ... Soit je le pousse à s'éloigner et je lui fais du mal ... » Que comprendre des paroles de Jackson... qu'il voulait se séparer de Franckie avant d'être amené à lui faire du mal contre sa propre volonté ? Oui, ce devait être ça. Il baissa un instant la tête, le temps de continuer « Je veux être heureux avec lui. Mais je sais qu'il finira détruit de toute manière. Alors, à choisir, je crois que je préfère encore qu'il le soit le plus tôt possible pour qu'il puisse s'en remette plus facilement. » puis sa tête fut à nouveau relevée et son regard planté dans le mien. Croyez-moi ou non, ce regard-là me fit avoir des frissons. « Franckie est la personne la plus formidable qui m'est été donnée de rencontrer au cours de ma vie. Je considère qu'entre un père qui me déteste autant que je le déteste, et une sœur qui ne cherche même plus à me voir, il est la dernière "famille" qu'il me reste, le seul qui soit prêt à me donner un peu d'amour. Et moi, je l'aime au point de me foutre éperdument de ce qu'on peut dire à notre sujet, de ce qu'on peut penser de nous. Et je crois que c'est parce que je l'aime autant que je veux lui éviter de trop souffrir. Il souffrira de toute manière, c'est sûr, mais ce sera pire si j'attends le dernier moment ... » L'amour était bel et bien au rendez-vous entre eux deux, mais l'espoir avait foutu le camp visiblement. Jackson se prenait la tête pour rien, à mon humble avis. Enfin... pour rien, peut-être pas, mais à quoi bon voir le mal partout ? Ce que je pensais, moi dans tout ça, c'était que Jackson souhaitait éloigner Franckie de lui dès maintenant, et je ne pouvais pas le laisser faire une telle connerie. Est-ce qu'au moins Jackson aimait les poires ? Là était la question. « J'aime les poires, Ruben » Mais qu'est ce qu'en avait à battre de mon dessert, en fait ? Franchement, ce que venait de me confier Jackson importait bien plus qu'une charlotte aux poires. Alors il aimait les poires, très bonne nouvelle, seulement le dessert pourrait attendre. « Roh et puis merde ! On en a rien à foutre de ma charlotte aux poires ! » rétorquai-je d'une voix haute et bien audible, avant de me lever subitement du canapé et de tourner sur moi-même. « Tu... tu te rends compte de ce que tu dis là, Jackson ? Tu veux... quitter Franckie ? Tu penses que c'est vraiment la solution à tes problèmes, ça ?... » Je n'étais pas énervé, je réagissais seulement à ses paroles en tentant de lui faire ouvrir les yeux s'il en était encore capable. Car il était totalement aveuglé, et pas seulement par l'amour. « Le quitter ne t'empêchera pas de... de crever, désolé je suis cru mais c'est la vérité. Tu semble en être conscient, par ailleurs. Il est sans doute ce qu'il t'est arrivé de mieux dernièrement, je me trompe ? Alors garde-le avec toi, fais pas cette putain de connerie. » Je vins me rassoir brusquement à côté de lui, plongeant mon regard noir et intense dans le sien. « Je sais que si tu venais à quitter Franckie prochainement, ce serait pour le protéger, pour lui épargner pas mal de choses... Seulement les gens ne le verront pas comme ça ! Sur le coup, ils n'en auront rien à battre de ta maladie, et ils penseront qu'ils avaient raison de critiquer votre couple, de ne pas croire en votre amour. Tu veux pas donner raison à tous ces salopards ? Tu veux pas plutôt leur prouver qu'ils avaient tord ? Car ils avaient tord, hein, confirme-moi qu'ils avaient tord de se foutre de vous. » Nombreux avaient été celles et ceux qui n'avaient vu en Franckie et Jackson qu'un couple éphémère, un couple de pacotille. Ils étaient pourtant loin d'être comme tels. Non, leur amour était sincère et ça n'était pas en quittant Franckie maintenant qu'il leur ferait fermer leurs gueules, à tous ses vautours. « Je t'assure que c'est pas la meilleure solution. » Je le faisais peut-être vachement chier avec mes conseils, et je ne désirais pas lui dicter ses faits et gestes, seulement si je le laissais faire, on allait droit à la catastrophe. Alors qu'il le veuille ou non, j'étais maintenant concerné par son problème et bel et bien décidé à le faire renoncer à commettre ce qui était, à mes yeux, la plus grosse connerie de sa vie.

Jackson était quelqu'un de borné. Quand il décidait quelque chose, il revenait rarement dessus, à quelques exceptions près. Et donc, ici, il décidait de ne pas s'étendre sur le sujet suivant : son hypothétique futur don d'argent à une association pour enfants autistes. Il ne souhaitait pas en parler, comme il ne pouvait pas en parler. Mais c'était surtout par manque d'envie, disons. Par conséquent, Jackson n'avait pas l'intention de satisfaire la curiosité malvenue quoi que justifiée de Ruben. Ce dernier voulait savoir de quoi il retournait ? Dommage pour lui, Jackson ne semblait pas prêt de se livrer à ce sujet. Ainsi donc, le fait que Ruben choisisse finalement de ne pas insister d'avantage était une très bonne chose à ses yeux. « J'y penserai » déclara-t-il alors à son ancien camarade, lorsque ce dernier lui affirma qu'il serait là pour l'écouter s'il venait à changer d'avis. Comme c'était gentil de sa part, vraiment. Il allait de soi que Jackson n'était pas prêt de changer d'avis, mais soit, il n'était pas dit que ça n'arriverait pas un jour. Qui sait. En tout cas, si Jackson ne semblait pas vouloir évoquer ce sujet, il semblait bien plus disposé à parler de Franckie, ou disons, de sa relation avec ce dernier. Pourtant, au départ, il aurait grandement préféré éviter d'avoir à évoquer cela. Déjà parce que ça ne regardait que les principaux intéressés, et certainement pas Ruben, mais aussi parce que Jackson n'était habituellement pas des plus à l'aise quand il s'agissait de parler avec son cœur. Pour autant, ici, il lui semblait flagrant que c'était loin d'être catastrophique. Bien entendu, les paroles qui s'échappaient de sa bouche lui faisait l'effet de plusieurs coups de poignard en plein cœur, rien qu'au fait de s'écouter parler, mais c'était sans doute mieux que de se taire et garder tout cela pour lui. Ruben pouvait bien l'écouter après tout. Si ce dernier prétendait pouvoir jouer les oreilles attentives au sujet des enfants autistes, il pouvait bien endosser ce rôle ici, non ? Et puis, si tout ça le gavait, il pouvait toujours stopper Jackson et lui faire comprendre que ses histoires l'intéressaient autant que l'aire Maya. Mais Ruben ne chercha pas à l'arrêter, alors Jackson en conclut que tout cela l'intéressait un minimum. En même temps, rien de bien étonnant, puisque Ruben lui paraissait être un vilain petit curieux. Quoi qu'il en soit, Jackson se lança dans un pseudo monologue duquel il eut bien du mal à s'extirper sur la fin. Là, il allait grandement l'impression de trop parler, d'être trop sincère. Ça n'était tellement pas lui, tout ça. Était-il du genre à dire ouverturement qu'il aimait quelqu'un ? Non. (Quoi qu'on pourrait en douter si l'on se remémorait certains épisodes de son aventure passée) Était-il du genre à parler de sa maladie, du trépas qui le guettait ? Non plus. Était-il également du genre à livrer ses sentiments, tout ce qu'il pouvait avoir sur le cœur ? Pas d'avantage. Ainsi, Jackson avait l'impression d'agir différemment, et d'une manière pour le moins inappropriée. Mais il n'y pouvait rien. Tout cela devait sortir. A défaut de pouvoir dire ces choses directement à Franckie, pour le moment, il préférait encore les dire à Ruben. Oui, il était un peu barge comme type. Mais il le vivait bien, rassurez-vous. Alors que Jackson se tût, puis qu'il évoqua la charlotte aux poires préalablement proposée par Ruben, il ne tarda pas à voir réagir le jeune homme. Celui-ci haussa le ton et se leva même brusquement du canapé. Bon sang, quelle peur il venait de lui faire ! « Doucement Ruben ... je suis cardiaque ... tu te souviens ? » fit Jackson, qui s'attendait désormais au pire venant de Ruben. Là, il avait comme l'impression qu'il lui ferait sans tarder la morale. C'était bien son genre, après tout. « Je ne veux pas quitter Franckie » fit-il dans un soupire, tandis que son regard se posa sur le sol. Très joli parquet, d'ailleurs. « Je l'aime et je ne veux pas qu'il sorte de ma vie » reprit-il, les yeux toujours baissés. Attendez voir, n'était-ce pas la vingtième fois qu'il le répétait, depuis une dizaine de minutes ? Probablement, si. « Je sais tout ça » reprit-il, d'une voix basse, presque inaudible, comme s'il se parlait à lui même. Bien sûr qu'il savait que dans l'hypothèse où il voudrait chasser Franckie de sa vie, cela ne l'empêcherait aucunement d'être rattrapé parce qu'il savait être inévitable. Bien sûr que oui, bon sang. « Tu ne trompes pas, non. Il est bien ce qu'il m'est arrivé de mieux dernièrement. Disons qu'à lui seul, il est parvenu à atténuer vingt années de chagrin. » Vingt années, oui. Car tout cela avait en partie débuté avec le décès de sa mère, puis s'était aggravé par la faute de son père et de sa manière très "affectueuse" de s'occuper de ses enfants, de son cadet en particulier. Et puis il y eut toute la suite, des déceptions, des peines entassées les unes sur les autres, on en passe et des meilleures. On lui aura décidément tout fait, bien qu'il détestait se voir comme une victime. Il n'avait l'impression de n'être la victime de personne, pas même du destin ou de cette putain de malédiction. Non, il n'était la victime de personne, ou uniquement sa propre victime parfois. Ça dépendait. « Je me fout des gens » déclara subitement Jackson, tandis que son regard vint se poser sur Ruben, qui se trouvait présentement assis à ses cotés. Merde, comment était-il arrivé là ? Il ne s'en était même pas rendu compte, dites donc. « D'après toi, je devrais le condamner à passer ses prochains mois ou années - je l'espère - à mes cotés, simplement parce qu'il me fait du bien, qu'il me rend heureux et qu'il ne faudrait surtout pas que les gens en viennent à penser que tout ça n'était qu'une passade ? » demanda Jackson, tandis qu'un nouveau soupire, légèrement désespéré, vint franchir la barrière de ses lèvres. « Il mérite tellement mieux que tout ça, tellement mieux que moi. » C'était peut être triste à dire, mais c'était la vérité, à ses yeux du moins. Jackson observa silencieusement Ruben, quelques instants durant, avant que de nouvelles paroles ne s'échappent de ses lèvres. « J'aimerais tellement être comme toi, Ruben. Je veux dire ... être suffisamment mature pour savoir quoi faire, pour distinguer le bien du mal sans difficulté. Je ne suis pas comme ça, moi. J'aimerais l'être, pourtant. Ta façon d'être aussi. On en vient forcément à t'apprécier, sans que tu cherches nécessairement à ce que ce soit le cas. Tandis que moi ... je n'inspire que du mépris, et quand quelqu'un a le malheur - je dis bien le malheur - de s'intéresser à moi, je cherche à le faire fuir. Toi, tu mérites d'être heureux, d'accéder au bonheur. Vraiment, tu le mérites. Les gens comme moi ne le méritent pas, a contrario. Alors oui, j'aimerais être comme toi, pouvoir apprécier les autres et être apprécié en retour, pouvoir apprécier le Monde, la vie aussi ... » Bon, Jackson parlait décidément trop, beaucoup trop. Pour la peine, il resterait muet pendant toute une semaine, histoire de rétablir un certain équilibre. Oui, parfaitement.

Jackson ne souhaitait pas évoquer cette histoire d'enfants autistes à qui il ferait un don, mais c'était son droit après tout. Il avait toujours cherché à préserver une part de mystère, alors comment le lui reprocher ? Chacun était libre d'avoir ses petits secrets, j'en avais bien moi,... et certainement plus sombres que ceux du grand blond, d'ailleurs. Je lui avais cependant affirmé une fois encore, au cas où il l'aurait oublié, qu'il pouvait à tout moment se confier à moi et que j'étais disposé à l'écouter. « J'y penserai » rétorqua Jackson. Au moins comme ça, il savait à qui parler en cas de besoin. Je n'avais probablement rien du confident idéal, mais je me pensais tout à fait apte à écouter les problèmes des gens sans pour autant avoir à les juger par la suite. Par contre, juger les décisions qui me semblaient stupides (voir lâches) de certains individus, je ne me faisais pas prier pour le faire. Ou comment faire référence aux dernières paroles de Jackson qui n'avaient d'ailleurs pas manquées de me faire vivement réagir, en me levant subitement du canapé avant de clairement lui faire comprendre que le dessert pourrait attendre, et que des explications auraient lieu entre lui et moi. Mais oui, j't'en foutrais d'une charlotte aux poires ! La situation était particulièrement critique là, au cas où vous n'en auriez pas encore pris conscience. Jackson venait tout bonnement de me confier avoir l'intention d'épargner à Franckie une souffrance tardive en le faisant souffrir maintenant afin qu'il s'en remette plus facilement... en le quittant, donc. C'était en tout cas ce que j'avais compris. Il m'était donc tout bonnement impossible de laisser le blond agir de la sorte, car pour le coup il n'arrangerait aucun de ses problèmes, et ne ferait que faire souffrir quelqu'un qui l'aimait. Et qu'il aimait aussi. Bref, j'étais passé à l'attaque quitte à lui balancer les choses crument et de façon cash. Je n'avais pas franchement mâché mes mots, mais c'était avant tout pour lui faire saisir la réalité des faits : il était malade, certes. Mais à quoi bon faire sortir Franckie de sa vie sous prétexte que lui faire du mal maintenant était préférable au fait de le faire souffrir plus tard, lorsqu'il serait à l'agonie ? Non, je suis désolé, Franckie méritait mieux que ça. Il ne méritait pas de se faire jeter comme une veille chaussette, même si Jackson ne voulait pas se montrer injuste ni même méchant. Là, il voulait le protéger. Mais il s'y prenait comme un manche à balais, laissez-moi vous le dire. Bon apparemment je m'étais levé un peu trop rapidement du canapé, en témoigne le sursaut qu'avait eu le grand blond à ce moment-là. « Doucement Ruben ... je suis cardiaque ... tu te souviens ? » Ah oui, le bonhomme avait des problèmes au cœur, comme moi. Bah, cela faisait aussi partie de la mise en scène théâtrale que je lui avais préparée. On ne pouvait pas faire de grands discours sans tous les artifices qui allaient avec, sinon je n'aurais sous doute pas été bien crédible. « Je ne veux pas quitter Franckie » lâcha ensuite Jackson, tout en soupirant, avant de reprendre en posant les yeux au sol « Je l'aime et je ne veux pas qu'il sorte de ma vie » Mon monologue semblait avoir dépité le jeune homme, pour le coup. « Je sais tout ça » Hein ? De qui, de quoi ? Il parlait dans sa barbe et du coup je n'y comprenais rien. À nouveau, sa voix se fit plus claire. « Tu ne trompes pas, non. Il est bien ce qu'il m'est arrivé de mieux dernièrement. Disons qu'à lui seul, il est parvenu à atténuer vingt années de chagrin. » Ah oui quand même. Formidable boulot qu'avait accompli Franckie ! J'avais bien conscience du fait que la vie de Jackson n'avait été peuplée que de maladies, de morts, de désillusions. Pas franchement la vie dont on rêvait tous. La mienne, à côté, devait sembler paradisiaque même si j'avais souvent tendance à m'en plaindre. « Je me fout des gens » À mon humble avis, Jackson avait tout intérêt à prendre l'avis des gens un peu plus en considération à l'avenir. Il vivait dans son monde, les autres ne lui importaient en rien mis à part Franckie. Seulement, ces personnes dont il se foutait royalement avaient en main son image, qu'il le veuille ou non. Une image de candidat de télé-réalité qui lui collerait à la peau durant de nombreuses années. « D'après toi, je devrais le condamner à passer ses prochains mois ou années - je l'espère - à mes cotés, simplement parce qu'il me fait du bien, qu'il me rend heureux et qu'il ne faudrait surtout pas que les gens en viennent à penser que tout ça n'était qu'une passade ? » demanda alors le grand blond, en soupirant pour ne pas changer. « Oui. » C'était pour moi une évidence, il devait garder Franckie près de lui et non loin de lui. Ils auraient le temps d'être heureux un bon moment avant d'être amenés à vivre dans le malheur et la tragédie. À moins que les médecins ne lui aient donné que deux-trois mois à vivre, Jackson avait toutes les raisons du monde de préserver ce qui le rendait heureux, à savoir Franckie. « Il mérite tellement mieux que tout ça, tellement mieux que moi. » Et allez, j'avais maintenant droit au Jackson qui se rabaissait. Mais merde, c'était pas plutôt mon truc, ça ? « Vois pas les choses sous cet angle ! Ce qu'il ne mérite pas, ton Franckie, c'est d'être largué comme une merde, en douceur,... bref, d'être largué tout court. Et pourquoi, s'il-te-plait, serait-il mieux que toi ? Non ! Ne réponds pas ! Tu vas encore sortir connerie sur connerie, donc je préfère que tu t'abstiennes de répondre à cette question. Il te faut garder en mémoire que tu n'es pas moins bien, moins méritant, moins intéressant qu'un autre. T'es Jackson, un grand blond prétentieux et arrogant, vachement porté sur l'ironie, mais t'es unique. Y'en a pas deux comme toi. Alors, pitié, cesse de dire que Franckie est mieux que toi car ça n'est pas vrai. » Je sentis ensuite ses yeux se poser sur moi, comme pour m'observer. Mmmm, louche ce regard. « J'aimerais tellement être comme toi, Ruben. Je veux dire ... être suffisamment mature pour savoir quoi faire, pour distinguer le bien du mal sans difficulté. Je ne suis pas comme ça, moi. J'aimerais l'être, pourtant. Ta façon d'être aussi. On en vient forcément à t'apprécier, sans que tu cherches nécessairement à ce que ce soit le cas. Tandis que moi ... je n'inspire que du mépris, et quand quelqu'un a le malheur - je dis bien le malheur - de s'intéresser à moi, je cherche à le faire fuir. Toi, tu mérites d'être heureux, d'accéder au bonheur. Vraiment, tu le mérites. Les gens comme moi ne le méritent pas, a contrario. Alors oui, j'aimerais être comme toi, pouvoir apprécier les autres et être apprécié en retour, pouvoir apprécier le Monde, la vie aussi ... » Oula, alors déjà je ne m'attendais pas à tant de compliments de la part de Jackson. Car c'était des compliments, hein ? Une fois encore, je dus faire la triste constatation que Jackson avait une très faible estime de lui-même. Il en venait à m'idolâtrer, on avait vraiment touché le fond. « Que dire... que dire... si ce n'est que je n'ai jamais entendu tant de conneries. C'est bien gentil tout ça, mais tellement faux. Je veux dire, tout ce que tu viens de dire me concernant est faux Jackson... » Je me levai à nouveau du canapé, car je ressentis subitement le besoin de me dégourdir les jambes. Alors alors... pas où commencer... « Certes j'ai trente-quatre piges, et j'étais le doyen de l'aventure. Mais bordel, y'avait des gosses de vingt ans qui étaient trois fois plus matures que moi, hein. Tu veux que je te rappelle ce qui a fait que j'ai parfois manqué cruellement de maturité, dans l'émission, pour mon âge ? Et bien... piquer une crise parce qu'Oona a bu dans mon verre de menthe à l'eau, au début de l'aventure. Nominer d'office Syssoï parce que j'étais de mauvais poil et qu'il m'avait fallu un bouc-émissaire le temps d'une soirée. Demander à Moore d'aller faire un tour -ou comment l'envoyer doucement mais surement se faire voir- parce que je m'en prenais plein la gueule, et légitimement qui plus est. Pleurer comme un enfant en étant éconduit par cette dernière, à plusieurs reprises. Faire un strip-tease dans une chapelle. Monter un groupe de musique au nom pour le moins improbable. Te harceler pour obtenir des aveux tout en sachant pertinemment que c'était peine perdue... Hum... C'est bon ou je continue ? ALLO ?! Est-ce que, vraiment, je te semble mature là ? C'est pas franchement des choses qu'un mec de trente-quatre ans se doit de faire, même dans une télé-réalité. Mmm non, clairement pas, non. Et je suis catégorique. » Lui prouver que j'étais un éternel grand gamin, fait. À qui le tour ? « Tu dis qu'on en vient forcément à m'apprécier... j'en doute. Et pour cause j'ai un caractère de chien, je gueule sur tout et tout le monde à la moindre contrariété, j'peux aussi me montrer bête et méchant sans intérêt parfois. Non non, j'suis pas franchement quelqu'un de sympathique pour qui en se prendrait d'affection comme ça. Pas sans me connaitre en tout cas. » J'étais loin de ne m'être fait que des amis au cours de l'aventure. J'avais d'ailleurs traversé une longue période de solitude suite à mon comportement lors d'un prime... J'avais payé très cher l'une de mes décisions, taboue visiblement. J'entreprenais de vifs et amples gestes avec mes bras depuis quelques minutes. En gros, je donnais vie à mes paroles sans pour autant chercher à en faire trop. « Ah ! Le meilleur pour la fin... Je mérite le bonheur, vraiment ? Et au nom de quoi ? J'ai fait de la taule, Jackson. Et quant tu vas au trou, y'a forcément une raison. Tu veux connaitre la mienne ? J'sais plus si je te l'ai dit, hein, mais j'ai été mêlé à un trafic de drogue. Pas vraiment le genre de choses qui font de toi un homme bon. Je crois pas mériter le bonheur, car toutes les merdes que j'ai connues je les ai cherchées. On ne sème que ce que l'on récolte, comme on dit. » Si j'avais connu la misère et le désert affectif pendant une certaine période de ma vie, je ne pouvais m'en prendre qu'à moi-même. « Toi t'as pas cherché les merdes qui te sont arrivées. Alors si l'un de nous mérite le bonheur, c'est bien toi. Et puis, conseil d'ami, vas pas foutre ta vie en l'air comme je l'ai fait avec la mienne. Ça vaut pas le coup. Par ailleurs, je n'apprécie pas le Monde. La vie non plus. Je prends ce qu'on me donne et fais avec. Quelqu'un qui s'intéresse à toi ne commet aucune erreur. Parce que sinon, Franckie a commis une erreur en tombant amoureux de toi... c'est faux, tu le sais bien ! L'amour ne se contrôle pas, ça vient comme ça, ça nous tombe dessus. Et je parle en connaissance de cause. » Je m'approchai finalement de lui, tout en m'accroupissant légèrement avant de poser mes mains sur ses épaules. Mon regard se voulait maintenant plongé au plus profond du sien. « Le laisse pas t'échapper, tu t'en voudras toute ta vie. De toute manière si tu décides de le faire sortir de ta vie, tu renonces au bonheur. Après quoi le malheur, la solitude, le chagrin t'ouvriront à nouveau grand les bras alors que, très franchement, t'as trouvé un certain équilibre avec lui, t'es plus heureux que tu ne l'as jamais été, je me trompe ? »

Exit l'association pour enfants autistes, exit également la charlotte aux poires. Voilà que Ruben semblait déterminé à faire la morale à Jackson. Comme s'il en avait encore l'âge, hein. De toute manière, toutes les personnes qui avaient tenté de la lui faire s'y étaient cassé les dents. Jackson n'avait jamais été facile à vivre, et s'avérait être particulièrement borné. Ainsi, il semblait évident que les paroles de Ruben n'auraient pas le moindre effet sur lui, que ça lui passerait totalement au dessus de la tête, comme à chaque fois que l'on essayait de lui faire comprendre quelque chose. Pourtant, quelque chose d'assez étrange se produisit. Jackson semblait particulièrement à l'écoute à cet instant précis, comme s'il buvait la moindre parole de son ancien camarade, comme si les dites paroles parvenaient à le faire réfléchir, et même, petit à petit, changer d'avis. Quoi qu'il en soit, Jackson ne pouvait nier le fait qu'il avait besoin de Ruben, à cet instant précis. Pas de son affection - non mais oh, il ne faut quand même pas abuser, hein - mais bien de ses conseils. Car Ruben lui semblait disposé à en donner, figurez-vous. Ce dernier ne s'était jamais gêné pour lui dire tout haut ce qu'il pensait tout bas, au sujet de diverses choses, alors il osait espérer qu'il parviendrait à se montrer tout aussi honnête lors de cette conversation. Et ce fut le cas. Visiblement, Ruben avait interprété les précédentes paroles de Jackson de la sorte : celui-ci comptait apparemment quitter Franckie, histoire de lui éviter de trop souffrir. D'un coté, c'était un peu l'idée. Mais Jackson ne pouvait dire clairement qu'il envisageait de quitter Franckie, car c'était bien la dernière chose qu'il voulait et qu'il pourrait lui même supporter. Pour autant, n'était-ce pas véritablement la seule chose à faire dans ce cas précis ? La seule chose à faire pour s'assurer du fait que Franckie n'en viendrait pas à souffrir par la suite ? Probablement, si. Mais comment quitter quelqu'un comme Franckie ? Et surtout, comment vivre sans lui, maintenant qu'il n'envisageait plus de passer le moindre jour loin de lui ? Là tout de suite, Jackson détestait sa vie. En fait, il l'avait toujours détestée, cette vie de merde qui ne lui avait apporté que mille tracas et qu'il aurait du réussir à interrompre les maintes fois où il avait essayé de le faire. Quoi qu'il en soit, Ruben semblait penser qu'il ferait mieux de rester avec Franckie. D'un coté, c'était aussi l'opinion de Jackson. Mais d'un autre, il ne pouvait s'empêcher de penser qu'il ferait souffrir Franckie par sa simple présence. Et, non, Jackson n'était pas pessimiste. Ou à peine, disons. Il tenait simplement trop à Franckie pour prendre le risque de le voir souffrir par la suite. Cette simple idée le replongeait momentanément dans ses idées noires, c'est vous dire. Aux yeux de Jackson, Franckie méritait bien mieux que lui. Et sans doute n'était-il pas le seul à penser cela. Ne faites pas les innocents, hein. « Mais toi, tu n'es pas objectif. Tu m'adores alors, forcément, tu n'es pas prêt à reconnaitre que Franckie mérite définitivement mieux que le type détestable que je suis. » Oui, une tentative d'humour à la Jackson, parfaitement. Disons qu'à ce stade de la conversation, il n'était pas inutile de tenter de décontracter un minimum l'atmosphère. « Mais t'as raison, il n'y en a probablement pas deux comme moi. Et heureusement » reprit-il, cette fois-ci sur un ton un peu plus sérieux. Imaginez-vous avec toute une tribus de Jackson en puissance : l'horreur. Planquez vos femmes et vos maris, surtout. Par la suite, le grand blond insinua - très clairement, en fait - qu'il aimerait être comme Ruben. Pas physiquement - non merci, ça ira - mais psychologiquement, disons. Parce qu'à ses yeux, Ruben était doté d'une certaine maturité que lui ne possédait pas. Pourtant, ça ne semblait pas être l'avis du brun concerné. Alors comme ça, il se trouvait particulièrement immature, quant à lui ? Mais merde, on allait jamais s'en sortir. « Je ne pense pas que ce que tu as pu faire durant ton aventure soit le reflet de la personne que tu es véritablement » déclara alors Jackson, les yeux rivés vers ceux de Ruben. « Beaucoup de facteurs ont joué dans ta manière d'agir à l'intérieur de ce jeu. Moi, j'ai tout de suite compris que tu étais quelqu'un de bien. Je t'ai même détesté pour ça, à une époque. Tu étais tout mon contraire, et non content de te considérer déjà comme quelqu'un de totalement incompatible avec la personne que je suis, je t'ai aussi secrètement jalousé. » Des révélations, toujours plus de révélations ... On n'en finissait plus, décidément. Ruben reprit la parole, rappelant à Jackson qu'il avait fait de la taule pour trafic de drogue. « On a tous fait des conneries, plus ou moins critiques, mais on en a tous fait. Mon père te le confirmerait sans mal s'il acceptait encore d'évoquer la honte de la famille, le fils qui a ses yeux n'est qu'une déception vivante. » Autrement dit, si Ruben avait effectivement fait des conneries, c'était également le cas de bien des personnes. Ça, c'était évident. Jackson lui même n'avait pas été sage comme une image par le passé, et cela lui avait coûté beaucoup. Sans doute ne s'agissait-il pas du même genre de conneries, mais à ses yeux c'était tout comme. « J'ai jamais su si le bonheur me fuyait ou bien si c'était moi qui le fuyais. Une chose est sûre, lui et moi, on s'est bien rarement rencontrés » fit-il, dans un fin sourire. Ce genre de constats ne parvenaient quasiment pas à le peiner. L'habitude, sans doute. Jackson laissa ensuite échapper un rire. Pas un rire nerveux, pas un rire amusé. Non. Plutôt un rire spontané, limite sinistre. Un rire qui lui ressemblait, en somme. « Bien sûr qu'il a fait une erreur en tombant amoureux de moi. C'est probablement la pire chose qu'il pouvait lui arriver » déclara froidement Jackson. Là, Ruben vint s'accroupir face à lui, posant ses mains sur ses épaules. Un contact que Jackson accueillit avec une certaine grimace. Étrange, le Ruben. « Non, tu as raison. Il a amené un certain soleil dans mon existence ... Mais ... » Oui, il y avait bien un « mais. » C'était pour le moins prévisible, non ? « ... Mais j'ai tendance à faire souffrir ceux que j'aime, Ruben. Ça a été prouvé par le passé, d'ailleurs. Regarde comment j'ai agi vis à vis de Gabrielle. J'ai été incorrect, je lui ai fait du mal et je m'en veux encore aujourd'hui. Parce que je suis le genre de types à blesser d'une manière involontaire mais inévitable. Parce que je finis toujours par faire du mal autour de moi. S'il est vrai qu'on m'en a fait baver, je crois pouvoir dire que je n'ai pas été en reste de mon coté. Imagine que j'en vienne à faire du mal à Franckie. Je ne pourrai jamais me le pardonner. Jamais. » Oui, dit comme ça, ça avait un petit coté pathétique. Mais tout était si pathétique, à ses yeux.

Aaaah... Ce grand blond était quand même bien drôle. A l'écouter, il fallait prendre exemple sur moi. Pire, il prétendait là que j'étais la personne la plus mature qu'il avait été amené à rencontrer ou presque. J'étais tout de même le mieux placé dans cette histoire pour affirmer que je n'étais pas cet homme que Jackson évoquait là, car j'avais vachement manqué de maturité au cours de notre aventure. Je n'avais d'ailleurs pas manqué de lui sortir un petit florilège des plus belles conneries que j'avais effectuées dans le nid. Le but n'était pas de me ridiculiser moi-même - je n'avais pas besoin d'un tel monologue pour ça -, mais bel et bien de lui faire comprendre que question maturité, j'étais loin, très loin d'être au dessus de lui. L'âge ne faisait pas tout. À part ça, j'avais tenu à signifier à Jackson que non, contrairement à ce qu'il pouvait croire ou affirmer, Franckie n'était pas trop bien pour lui. Même, Jackson avait quelque chose d'unique qui le rendait, à mes yeux et malgré tout, attachant. Qu'il le veuille ou non, nous n'étions pas systématiquement amenés à le mépriser même si, parfois, cela semblait être véritablement ce que le blond recherchait. « Mais toi, tu n'es pas objectif. Tu m'adores alors, forcément, tu n'es pas prêt à reconnaitre que Franckie mérite définitivement mieux que le type détestable que je suis. » Il n'avait vraisemblablement rien perdu de son mythique humour. « Mais t'as raison, il n'y en a probablement pas deux comme moi. Et heureusement » Il en devenait véritablement fatiguant à continuellement se rabaisser. Il n'avait pourtant aucune raison de le faire ! Là, il s'acharnait sur lui-même et c'était absolument inutile. Pourquoi chercher à tout prix à se prouver qu'il était moins bien qu'un autre, ou abjecte ? « Mais arrête bon sang ! T'es pas détestable, pas du tout. Et puis... je ne t'adore pas non plus. Tu rêves les yeux grands ouverts, toi, hein ? » Si on ne pouvait plus rigoler. Moi aussi je gardais une once d'humour. Je lui offris d'ailleurs un clin d'œil amical. Bien sur que je l'adorais, le grand blond, même s'il pouvait vraiment me faire chier parfois. J'en avais marre de constamment avoir à lui relever la tête de l'eau ; marre aussi d'être confronté à toutes ces conneries qu'il croyait bon de débiter. Avait-il quelque chose à me prouver ? à se prouver ? Bah, toujours était-il que je ne comprenais pas cet acharnement sur sa propre personne. Nous en revenions à cette maturité qu'il croyait trouver chez moi, maturité que je venais de contester par ailleurs. Mon aventure avait été truffée de moments que je regrettais aujourd'hui, alors à mes yeux question maturité je pouvais repasser. « Je ne pense pas que ce que tu as pu faire durant ton aventure soit le reflet de la personne que tu es véritablement » fit-il, le regard toujours braqué sur moi « Beaucoup de facteurs ont joué dans ta manière d'agir à l'intérieur de ce jeu. Moi, j'ai tout de suite compris que tu étais quelqu'un de bien. Je t'ai même détesté pour ça, à une époque. Tu étais tout mon contraire, et non content de te considérer déjà comme quelqu'un de totalement incompatible avec la personne que je suis, je t'ai aussi secrètement jalousé. » Est-ce qu'il se foutait de ma gueule, là, ou ?... Non parce que Jackson jalouser quelqu'un, cela me paraissait peu croyable, mais me jalouser moi... non, y'avait anguille sous roche, je ne voyais que ça. « Je m'y perds, moi, dans ton humour. Tu pourrais pas me faire un signe, genre un claquement de doigts, pour me dire que tu plaisantes ? Non parce que là, je t'assure que j'ai failli y croire. » Bon, combien même Jackson pouvait être sérieux, je le voyais tellement mal être jaloux de moi. Nous n'avions cessé de nous bouffer le nez durant l'aventure, alors c'était d'autant plus improbable que s'en était incroyable. Mis à part mes conneries lors du jeu, j'avais évoqué mes problèmes avec la drogue et, par conséquent, mes années de taule. « On a tous fait des conneries, plus ou moins critiques, mais on en a tous fait. Mon père te le confirmerait sans mal s'il acceptait encore d'évoquer la honte de la famille, le fils qui a ses yeux n'est qu'une déception vivante. » Et allez, c'était reparti pour un tour. À l'entendre tout le monde le méprisait. C'était tellement faux, tellement peu objectif. Ah il pouvait me le reprocher, mais lui aussi manquait cruellement d'objectivité pour le coup. Bref. « Hum. Si j'avais fait vingt ans de taule pour avoir commis un meurtre, tu me sortirais toujours que l'on fait tous des erreurs ? Parce que bon, même si ça n'est pas faux bien sur, y'a une sacrée différence entre dealer de la came et rater le mariage de sa sœur. D'ailleurs quelles sont les conneries que tu as pu faire et qui poussent aujourd'hui ton père à te considérer comme étant la honte de ta famille ? » Une déception vivante, voilà comment semblait être perçu Jackson aux yeux de son père. J'avais connu ça moi aussi, car lorsque j'étais tombé et avais été condamné, mes parents m'avaient brutalement tourné le dos. J'avais du faire bon nombre d'efforts pour à nouveau obtenir leur confiance. « J'ai jamais su si le bonheur me fuyait ou bien si c'était moi qui le fuyais. Une chose est sûre, lui et moi, on s'est bien rarement rencontrés » Mmmm, selon moi c'était Jackson qui fuyait le bonheur et non l'inverse. Je pensais même que le bonheur ne souhaitait que lui ouvrir les bras mais que le grand blond, sans doute apeuré par l'idée même d'être heureux, préférait prendre la fuite à tout bout de champ. Impossible, avec ça, de connaitre le bonheur. « À ce que j'ai pu voir et entendre, tu t'interdis carrément d'être heureux. Ça, c'est une belle connerie. » Jackson venait de laisser s'échapper un rire qui me fit un peu peur, je dois l'admettre, et qui ne manqua pas de me donner tous plein de frissons dans le dos. À présent, le sujet Franckie se voyait évoqué. « Bien sûr qu'il a fait une erreur en tombant amoureux de moi. C'est probablement la pire chose qu'il pouvait lui arriver » La pire chose, vraiment ? « Ah donc perdre un œil, finir tétraplégique, se retrouver ruiné... ça, à tes yeux, c'est rien à côté de tomber amoureux de toi ? Genre, en t'aimant toi, c'est comme si il foutait sa vie en l'air ? Et donc à tes yeux il ne pourra jamais connaitre pire ? » Fallait pas pousser non plus, hein. On fait tous des erreurs, certes, mais tomber amoureux de Jackson n'était bien sur pas le pire que Franckie aurait pu vivre. Loin de là. Cela l'avait rendu heureux, donc bon à partir de là je ne voyais pas trop où était le mal. Remarquez, il héritait là d'un Jackson fort têtu et fort obstiné. Alors oui, peut-être qu'en fin de compte il n'aurait pas pu tomber sur pire. Franckie rendait Jackson heureux, Jackson rendait Franckie heureux. Et malgré tout il trouvait à s'en plaindre. Un cercle vicieux, je vous dit. « Non, tu as raison. Il a amené un certain soleil dans mon existence ... Mais ... » Oui, il y avait bien un « mais. » Ah, parce qu'il y avait un "mais", bien sur. Le contraire m'aurait étonné et n'aurait pas été digne du Jackson que je connaissais. « ... Mais j'ai tendance à faire souffrir ceux que j'aime, Ruben. Ça a été prouvé par le passé, d'ailleurs. Regarde comment j'ai agi vis à vis de Gabrielle. J'ai été incorrect, je lui ai fait du mal et je m'en veux encore aujourd'hui. Parce que je suis le genre de types à blesser d'une manière involontaire mais inévitable. Parce que je finis toujours par faire du mal autour de moi. S'il est vrai qu'on m'en a fait baver, je crois pouvoir dire que je n'ai pas été en reste de mon coté. Imagine que j'en vienne à faire du mal à Franckie. Je ne pourrai jamais me le pardonner. Jamais. » Oh pitié, j'avais espéré qu'il n'en soit pas amené à parler de Gabrielle. Mais le sujet étant mis sur la table, j'allais devoir une fois encore faire ce que je savais probablement faire de mieux, à savoir lui ouvrir les yeux. Eh oui, Jackson semblait une fois de plus aveuglé par je-ne-sais-quoi. Pour preuve, ses idées et pensées étaient complètement faussées. Il était pris d'une amnésie soudaine, ou ?... « Alors, déjà replaçons les choses dans leur contexte si tu le veux bien. T'as l'air de te sentir coupable vis-à-vis de Gabrielle, et tu veux que je te dise... tu devrais pas. Parce que bon, okay tu l'as sans doute fait souffrir, mais cette souffrance a été vachement éphémère, non ? C'est pas elle qui s'est jetée à corps perdu dans les bras de son partenaire ? Tu t'es déjà demandé si elle t'avait réellement aimé ? J'suis cru là, méchant presque, mais je veux te faire réagir. Gabrielle t'a vite remplacé, c'est un fait. Y'a un petit peu de foutage de gueule dans les deux sens, si tu veux mon avis. Alors de deux choses d'une, soit ma théorie selon laquelle l'amour ne se contrôle s'est avérée et cet amour, tu étais destiné à le trouver auprès de Franckie et non auprès d'elle... soit la miss se fout aussi de la gueule de celui avec qui elle est partie. Et là, dans ce cas, j'vais m'abstenir d'en dire d'avantage histoire de ne pas devenir vulgaire, car ça me démange. » On a beau avoir reproché à Jackson d'avoir soi-disant "fauté" avec Franckie et d'avoir trahi la rouquine, celle-ci s'était tout de même bien vite consolée. D'ailleurs, je n'ai jamais cru en leur histoire, au grand blond et à la grande rousse. Ils n'étaient juste pas du tout faits pour être ensemble. Alors oui, d'accord j'ai moi aussi ramé pour trouver l'amour mais je l'ai trouvé. Je me suis battu, moi. Je n'ai pas baissé les bras et, surtout, je ne me suis pas jeté dans les bras de quelqu'un d'autre. Et pourtant j'aurais pu, oh oui j'aurais pu. « Pourquoi est-ce que tu serais amené à faire souffrir Franckie ? Malgré toi ? Mmm, peut-être, oui. Seulement faudrait pas que tu te dises que tu vas forcément finir par lui faire du mal, car c'est tout ce qu'il risque de se passer. La volonté, Jackson, la volonté toujours. Parfois il suffit de se dire qu'on ne souhaite pas faire de mal à quelqu'un pour que cela n'arrive pas. Après, cela repose aussi sur une certaine persuasion. T'es pas plus con qu'un autre, alors à priori tu sauras t'en convaincre. » Je retirai finalement mes mains de ses épaules, déjà parce que je voyais bien que la présence de celles-ci ne le rendaient pas plus à l'aise, au contraire, mais aussi parce que je ne désirais pas lui postillonner dessus. « Tu peux te sentir coupable si ça te soulage de te dire que t'as merdé, que tu fais autant de mal qu'on te fait du mal et que cette souffrance qui est la tienne est quelque part méritée. De mon point de vue cette culpabilité n'a pas lieu d'être, néanmoins. » À trop vouloir se convaincre qu'il n'était qu'un salopard, Jackson finirait par en devenir un. Il était pour le moment tellement loin d'être ce genre de type. Un salopard fait le mal par volonté de faire le mal. Jackson, lui, faisait souffrir sans le vouloir et éprouvait des regrets ; là était la différence. Il n'y avait rien de mauvais en lui, quand serait-il enfin amené à le comprendre ?

L'attitude de Jackson était pour le moins paradoxale à cet instant précis. Lui qui ne semblait doté d'aucun humour, ou du moins d'aucun humour compréhensible par les êtres limités qui peuplaient cette planète, usait pourtant ici d'une pointe de plaisanterie. Okay, très légère, mais tout de même. Visiblement, Ruben comprit qu'il n'était pas sérieux, du moins quand il disait que son ancien camarade l'adorait. Pour le reste, par contre, il l'était bel et bien. Car, oui, Jackson s'entêtait à penser que Franckie valait définitivement mieux que lui, qu'il méritait mieux également et que, de son coté, le grand blond était profondément détestable. A la réponse de Ruben, il préféra s'abstenir de répondre. Visiblement, Ruben ne comprenait pas qu'il puisse à ce point se rabaisser. Mais ce qu'il ne comprenait également pas, c'est qu'il ne se rabaissait pas, justement. Eh non. Mais alors que Jackson fit savoir à Ruben qu'il avait été amené à le jalouser au sein de son aventure - ce qu'il avouait aujourd'hui mais qu'il n'aurait jamais osé avouer précédemment - le grand brun crut visiblement à une nouvelle tentative d'humour. Pour le coup, ça n'en était pas une. « Crois ce que tu veux croire, Ruben. J'essaye juste d'être honnête, c'est tout » fit-il alors, dans un vague soupire. Pour une fois qu'il se montrait sincère, et qu'en plus, il se montrait plutôt sympathique, Ruben ne le croyait même pas. A quoi bon faire des efforts, franchement ? Quoi qu'il en soit, aux yeux de Jackson, on était tous un jour amenés à faire des conneries. Bien sûr, il en existait de toutes sortes, des plus ou moins graves, mais les faits étaient là : Ruben n'était certainement pas le seul à avoir fait quelques bêtises par le passé. « De toute manière, tu en as payé le prix, tu as purgé ta peine et tu es aujourd'hui réglo, je me trompe ? » répondit directement Jackson, dans un haussement d'épaules. Mais voilà qu'en évoquant son indigne de père, Jackson avait éveillé la curiosité de son ancien camarade. Eh merde, voilà qui n'était absolument pas prévu. « Il dit qu'il ne supporte pas la personne que je suis devenu. Or, il semble oublier que c'est en partie par sa faute que j'ai été amené à changer. Je crois qu'il joue les amnésiques au sujet de pas mal de choses qu'il préférerait sans doute oublier » fit alors Jackson. Oui, il restait volontairement vague et imprécis. Ruben n'avait pas non plus besoin de connaitre toute sa vie en détail. De plus, ce serait donner beaucoup trop d'importance à son père que de développer d'avantage. Il ne le méritait pas. Non, vraiment pas. Du coup, une question se posait désormais : entre le bonheur et Jackson, qui est-ce qui fuyait l'autre ? Okay, la réponse semblait plutôt évidente lorsqu'on connaissait bien Jackson. « Les conneries, c'est mon domaine, tu sais bien » fit-il machinalement, tandis que son visage restait pour le moins inexpressif. Ruben était bien libre de penser ce qu'il voulait à son sujet, Jackson avait tendance à s'en foutre éperdument. Comme de tout, en fait. Et, effectivement, aux yeux de Jackson, c'était une bien belle erreur de la part de Franckie d'être tombé amoureux de lui. Il n'était pas un peu dingue ce type, au fond ? « Tu sais que tu viens indirectement de faire écho à ma famille, là ? Enfin bref, je suis sérieux en disant que c'est probablement la pire chose qu'il pouvait lui arriver, oui. Que je sois tombé amoureux de lui, c'est bien normal. Tu sais comment il est, je veux dire, c'est un ange. Mais moi ... non, vraiment, c'est une grave erreur. » Non, il n'en rajoutait absolument pas. Jackson était même extrêmement sérieux, comme pouvait en témoigner l'expression - ou plutôt, la non-expression - qui trônait sur son minois. Mais au fait, pourquoi diable Jackson s'était-il permis d'évoquer Gabrielle ? Sans doute pour appuyer ses propos. Hélas, il devait maintenant faire face à un problème : visiblement, Ruben en profita pour revenir sur toutes les histoires qu'ils connurent au sein du jeu. Vraiment, Jackson n'avait pas besoin de ça maintenant. « Tu es injuste, Ruben. Tu ne connais pas toute l'histoire. Ne juge pas ce que tu ne connais pas, s'il te plait » fit alors Jackson, d'une voix extrêmement calme, presque en un murmure. Déjà, il préférait éviter de revenir sur tout ça, parce que c'était désormais derrière lui et qu'il lui semblait purement inutile de remuer le passé. Et puis, il n'en voulait à personne, lui, et certainement pas à Gabrielle. « Je ne veux pas le faire souffrir, alors je vais suivre ton conseil - oui, je suis sérieux - et me persuader que ça n'arrivera pas. Mais je veux que tu me promettes d'être là dans la minute pour me défenestrer si une telle chose arrivait. J'ai ta parole ? » Jackson était, une fois encore, tout à fait sérieux. De toute manière, glauque comme il savait l'être, de tels mots n'étaient pas tellement étonnants venant de lui. Bon, peut-être serait-il désormais temps de changer de sujet de conversation ? Si toutefois c'était possible ... « Maintenant qu'on a évoqué ma vie, j'aimerais qu'on s'attarde sur la tienne, si tu n'y vois aucun inconvénient. De toute manière, ça n'est pas comme si tu avais tellement le choix. Donc ... Comment vois-tu ta vie maintenant que tu es à l'extérieur ? Quels sont tes projets ? As-tu déjà prévu de revoir certains candidats, mise à part ta Moore et ton blond préféré ? Crois-tu avoir changé suite à cette aventure ? Si c'était à refaire, le referais-tu ? ... Le tout, pleinement rédigé en deux copies doubles minimum. Merci. » Bien entendu, Jackson plaisantait. Quoi que ...

Vous voyiez, vous, un type dans le genre de Jackson, sur de lui, prétentieux et souvent hautain, n'ayant peur de rien et se gardant bien de témoigner le moindre sentiment de façon générale, jalouser un mec comme moi, dont les défauts étaient sans doute plus nombreux que les années s'affichant au compteur ? Cela m'avait semblé très peu crédible, voilà pourquoi j'avais d'abord cru à une tentative d'humour de la part du grand blond car, après tout, il ne cessait de se montrer ironique à la moindre occasion. J'étais à plusieurs reprises tombé dans le panneau lorsqu'il s'agissait de sa légendaire ironie, et maintenant qu'il se montrait sincère je ne le croyais tout bonnement pas. Paradoxal, je vous l'accorde. « Crois ce que tu veux croire, Ruben. J'essaye juste d'être honnête, c'est tout » Il se mit à soupirer, tandis que je me sentis assez mal pour lui. Il tentait de se montrer amical, et au lieu de me sentir flatté du fait qu'il puisse m'avoir un temps jalousé, je me foutais presque de lui. Mouais, j'avais pas trop assuré là. « Okay, okay ! Je te croie. Ça vaut ce que ça vaut, mais moi ce sont tes abdos que je jalouse. Eh oui, si je te taquine dessus c'est parce qu'au fond j'aimerais avoir les mêmes. Et moi aussi je suis sincère en disant cela. » J'agrémentai mes paroles d'un clin d'œil. Niveau muscles, nous ne jouions pas vraiment dans la même catégorie. Il fallait voir ses bras pour s'en rendre véritablement compte : le double des miens, je plaisante pas quoi. Jackson venait d'affirmer le fait suivant : tout le monde était amené, tôt ou tard, à faire des erreurs. Il avait là cherché à justifier mes années noires, celles dont je n'étais vraiment pas fier. Seulement je ne voulais pas qu'on me cherche des excuses : je préférais accepter mes faits et gestes passés, ceux qui m'avaient valus un séjour en taule. Car après tout, j'avais cherché la moindre merde que j'avais connue. « De toute manière, tu en as payé le prix, tu as purgé ta peine et tu es aujourd'hui réglo, je me trompe ? » Oui, en quelque sorte j'avais payé ma dette avec l'état et, aujourd'hui, j'avais retrouvé ma liberté. « Oui c'est sûr. Et puis, on refait pas le passé, hein. » Malheureusement, il était impossible de revenir en arrière. Il demeurait plusieurs choses que j'aurais aimé effacer mais ça n'était pas envisageable. Mes erreurs faisaient aussi partie de l'homme que j'étais aujourd'hui ; et si je n'étais pas tombé, aurais-je au moins eu le courage de me rendre ? Non, certainement pas. Jackson semblait par ailleurs en froid avec son père, mourant selon ses précédents dires. Celui-ci avait, de toute évidence, quelque chose à reprocher à son grand blond de fils. « Il dit qu'il ne supporte pas la personne que je suis devenu. Or, il semble oublier que c'est en partie par sa faute que j'ai été amené à changer. Je crois qu'il joue les amnésiques au sujet de pas mal de choses qu'il préférerait sans doute oublier » Une fois n'étant pas coutume, c'était à un Jackson bien évasif que j'étais maintenant confronté. Tout ce que je pouvais véritablement retenir de ses présentes confidences, c'était le fait que son père le lui en voulait, mais que ce dernier n'était pas non plus tout blanc dans cette affaire. Jackson semblait véritablement fuir le bonheur, tandis que je considérais qu'il avait droit à celui-ci au même titre que n'importe qui. « Les conneries, c'est mon domaine, tu sais bien » Je ne pouvais que le confirmer, après tout on parlait de Jackson là. « Toi et moi on est au moins semblables sur ce point : on fait des conneries et ça n'est qu'après, lorsque celles-ci ont eu leurs petites conséquences, qu'on se rend compte du fait que s'en étaient véritablement. » Des conneries, hein. Aussi con l'un que l'autre, si je puis dire. Bon, il ne semblait pas vouloir démordre du fait que Franckie avait commis la plus grosse erreur de sa vie en tombant amoureux d'un gars comme lui. J'avais tenté de lui ouvrir les yeux, en vain visiblement. « Tu sais que tu viens indirectement de faire écho à ma famille, là ? Enfin bref, je suis sérieux en disant que c'est probablement la pire chose qu'il pouvait lui arriver, oui. Que je sois tombé amoureux de lui, c'est bien normal. Tu sais comment il est, je veux dire, c'est un ange. Mais moi ... non, vraiment, c'est une grave erreur. » J'étais d'accord pour dire que Franckie était un ange et que Jackson n'était pas un cadeau. Seulement, rien ne les empêchait d'être heureux ensemble et de construire quelque chose de fort. Ils s'aimaient, et ce malgré leurs différences. Après tout, j'étais moi-même tombé amoureux d'une personne pas mal différente de moi et je m'en accommodais très bien. Pour preuve, je parvenais à être heureux aujourd'hui, plus que je ne l'avais jamais été. Pourquoi Jackson devait-il constamment finir par se prendre la tête ? « Mais non... c'est toi qui commet une erreur en pensant ça. Okay tout semble vous opposer, vous n'avez pas grand chose en commun également. Mais les opposés s'attirent, c'est pas vrai ? Rien, pas même ta foutue maladie, ne vous empêche d'être heureux lui et toi. » Qu'il cesse enfin de fuir ce bonheur qui l'attendait au bout du couloir. Quel couloir ? Non, c'était une image, mais vous l'aviez saisie il me semble. Bref. Jackson avait ensuite évoqué son histoire avec Gabrielle, une histoire qui n'était pas sans m'évoquer certaines petites choses. À mes yeux la jeune femme n'avait pas mieux agit que lui. Au final, ils étaient quittes. Alala... dire que je les avais poussés, fût un temps, à tomber dans les bras l'un de l'autre. Je regrettais d'avoir perdu mon temps, ça je peux vous le dire. Surtout qu'au final, chacun était reparti de son côté. Tout ça pour... ça. « Tu es injuste, Ruben. Tu ne connais pas toute l'histoire. Ne juge pas ce que tu ne connais pas, s'il te plait » Alors oui, peut-être jugeais-je trop durement le comportement de la rouquine. Après tout, je n'avais pas tout suivi de leur histoire qui se voulait éperdument compliquée. Du moins j'en avais retenu le dénouement, et cela m'avait amplement suffi pour émettre le jugement qui était actuellement le mien. Que ce soit bien clair, dans cette histoire je n'en venais à blâmer qu'une seule et unique personne. « Mouais. J'connais pas tout, c'est vrai. Et puis, c'est de l'histoire ancienne tout ça. Le plus important, c'est que toi, tu aies trouvé quelqu'un avec qui tu te sentes bien. C'est vraiment le plus important. » Je me fichais pas mal du bonheur de ceux qui ne me portaient pas dans leur cœur, comme c'était le cas avec Gabrielle. C'est bon, hein, je l'avais séquestrée mais m'étais excusé. Enfin. Je venais par ailleurs d'affirmer à Jackson que s'il se persuadait du fait qu'il ne serait jamais amené à faire du mal à Franckie, cela n'adviendrait pas. Il sembla d'abord un peu perplexe, avant de finalement accepter d'exercer cette persuasion sur lui-même. C'était vraiment ce qu'il avait de mieux à faire pour se convaincre qu'au final, il n'était pas voué à constamment faire souffrir ceux qu'il aimait. « Je ne veux pas le faire souffrir, alors je vais suivre ton conseil - oui, je suis sérieux - et me persuader que ça n'arrivera pas. Mais je veux que tu me promettes d'être là dans la minute pour me défenestrer si une telle chose arrivait. J'ai ta parole ? » Je me mis soudainement à rire, bien que la situation n'y prêtait pas franchement. Je me voyais quand même mal défenestrer Jackson, mais si c'était parce qu'il aurait fait du mal à Franckie, alors oui je pouvais bien lui rendre ce "service" là. À quoi servent les amis sinon, je vous le demande. « T'as ma parole, Jacko. Si j'apprends que t'as merdé, cette baie vitrée qui est derrière toi ne fera pas long feu... et toi non plus, pour le coup. Et encore, t'aurais de la chance dans ton malheur, car je n'habite jamais qu'au troisième étage. » La chute ne lui serait peut-être pas mortelle, en fin de compte, mais il finirait sacrément amoché. Encore valait-il mieux ne pas briser le petit cœur fragile du sensible Franckie, histoire de ne pas écourter cette vie déjà fortement réduite en longévité qu'était celle du grand blond. Jackson décida ensuite de changer complètement de sujet. Ah, nous allions vraisemblablement parler de moi. Et moi qui pensais pouvoir éviter ça pour ce soir... loupé. « Maintenant qu'on a évoqué ma vie, j'aimerais qu'on s'attarde sur la tienne, si tu n'y vois aucun inconvénient. De toute manière, ça n'est pas comme si tu avais tellement le choix. Donc ... Comment vois-tu ta vie maintenant que tu es à l'extérieur ? Quels sont tes projets ? As-tu déjà prévu de revoir certains candidats, mise à part ta Moore et ton blond préféré ? Crois-tu avoir changé suite à cette aventure ? Si c'était à refaire, le referais-tu ? ... Le tout, pleinement rédigé en deux copies doubles minimum. Merci. » Les questions s'enchainaient, tandis que j'essayais de les garder successivement en mémoire. C'est qu'il parlait vite, aussi, le Jackson. Je fis mine de me lever, un instant, comme prêt à aller chercher cette copie double qu'il venait d'évoquer. Gamin un jour, gamin toujours. « Oui monsieur. Cadre rouge tracé à la règle, les noms propres commençant par des majuscules, en sautant des lignes... ça marche. » Je retrouvai très vite mon sérieux, conscient que j'allais devoir parler un peu de moi et de ma vie après l'émission. Pas que ça m'enchantait, car je n'étais pas de ceux qui se plaisaient à parler d'eux, mais puisque c'était demandé tout à fait gentiment. « Hum. Ma vie, depuis ma sortie, est on ne peut plus posée. L'enfermement m'a vraiment pesé et j'ai eu besoin de retrouver mon quotidien, mes petites habitudes... mon chat, ici présent. » Je fis un signe de la main pour désigner Garfield, mon chat tigré pas roux pour un sou, avant de poursuivre. « J'ai pas encore eu l'occasion de revoir grand monde, étant donné que j'habite dans un trou paumé, mais ça ne saurait tarder. Tu sais, tôt ou tard, certains finiront par me manquer. » C'était déjà le cas pour certains, par ailleurs. Néanmoins j'avais prévu le coup, et avais gardé le contact avec quelques candidats par téléphone. « J'ai donc retrouvé mon boulot, et ai pu constater que ça n'avait pas chômé en mon absence. On fait toujours de super chiffres d'affaires, donc bon tout va bien de ce côté-ci. » J'étais un homme tout à fait épanoui, en somme, et malgré l'émission ma vie était restée la même. Moi, en revanche, j'avais bien changé. « Ah mais carrément, j'ai changé du tout au tout. Finies les aventures d'un soir, les beuveries entre potes, les nanas s'entassant dans mon lit. J'suis un autre homme, Jackson, un autre homme. Et je compte bien mener certains projets à bien, prochainement. » Car oui, j'avais des projets, et pas des moindres. « Mis à part le fait de me construire une vie de famille rangée avec femme et enfants, un projet me tient particulièrement à cœur... retrouver quelqu'un que je n'ai pas vu depuis de nombreuses années et dont je suis sans nouvelles aujourd'hui. » Ma sœur, en clair. Mais Jackson ignorait tout de mon histoire, et avais-je seulement envie de le lui en parler ce soir ? Je n'en savais trop rien. « Si c'était à refaire... je le referais, en essayant toutefois de me montrer moins con. Et toi ? Tu regrettes ton aventure et ce que tu as vécu durant celle-ci ? Des projets pour l'avenir ? Des anciens camarades revus ou à revoir, peut-être ? » La vie de Jackson, à l'heure actuelle, m'intéressait. Il venait de prêter un certain intérêt à la mienne, je faisais donc de même et lui retournais plusieurs de ses questions. Après, libre à lui d'y répondre. Je n'avais brandi aucun couteau sous sa gorge, et à priori il lui était encore permis de garder le silence. Toutefois, j'espérais que comme moi un instant plus tôt il se confierait. On commençait à franchement bien se connaitre, lui et moi. Il pouvait, évidemment, tout me dire.

Oui, comme il le disait si bien, Jackson avait été amené à jalouser Ruben au sein de l'aventure, pour la simple et bonne raison qu'il lui était apparu, en plus de son parfait contraire, comme un type bien, quelqu'un d'appréciable et qu'il avait donc préféré déprécier de son coté. Une logique à la Jackson, disons. Après lui avoir plus ou moins ri au nez, ayant sans doute cru à une plaisanterie, Ruben accepta de le croire. Ah ben quand même. Et puis il y eut cette étonnante confession de la part du grand brun, qui prétendait avoir quant à lui jalousé les muscles - et plus précisément les abdos - de Jackson. A l'écoute de telles paroles, ce dernier ne put s'empêcher de lâcher un petit rire, bien qu'il reconnaissait aisément que son ancien camarade avait l'air tout à fait sérieux. « Je l'ai toujours su, de toute manière ... » fit-il alors, sur un ton quelques peu suffisant, mais n'étant évidemment pas sérieux. Oui, il le faisait marcher là tout de suite, et il l'assumait pleinement. Par la suite, les deux jeunes hommes évoquèrent les erreurs de leur passé, celles qui étaient à ce jour derrière eux. Comme le disait si bien Ruben, on ne refaisait pas le passé. Ce qui appartenait au passé, appartenait au passé. Tout simplement. Puis, le grand brun se compara à Jackson, insinuant qu'ils étaient semblables sur un point qu'il ne se priva pas d'énumérer. Jackson se contenta alors de soupirer légèrement, tout en hochant la tête pour approuver les dires du jeune homme. En tout cas, Jackson n'en démordait pas, car à ses yeux, c'était bel et bien une erreur de la part de Franckie que d'être tombé amoureux de lui. Non mais sérieusement, ne pouvait-il pas espérer trouver mieux ? Bien sûr que si, c'était évident. Non pas que Jackson irait se plaindre de l'amour que pouvait lui porter son compagnon, mais disons qu'il ne trouvait pas ça très sein pour ce dernier, voilà tout. « Tu as peut être raison » finit-il par admettre, suite aux paroles de Ruben. Okay, peut être qu'il parlait trop, et surtout, qu'il se montait la tête pour pas grand chose, en se persuadant du fait que Franckie s'était trompé, qu'il avait misé sur le mauvais cheval. Peut être. Comme il était possible qu'effectivement, les opposés s'attirent. Admettons. Jackson adressa alors un timide sourire à Ruben. A priori, c'était un sourire comme un autre, sans réelle signification. Et pourtant, il fallait voir plus loin que les apparences. Ce sourire, aussi léger soit-il, semblait représenter un « merci » dissimulé. Car Jackson était reconnaissant à Ruben de l'avoir écouté mais également conseillé. Tout le monde n'aurait pas eu cette patience, Jackson le premier. Quant à l'évocation de Gabrielle que se permit de faire Ruben, disons qu'elle déplut légèrement à Jackson. Qu'il se permette de donner son avis, passe encore, mais qu'il aille jusqu'à évoquer une histoire dont il n'avait pas pleinement connaissance, c'était un peu trop. Ainsi, calmement, Jackson lui fit comprendre qu'il n'avait pas à parler de ça, ce que Ruben reconnut finalement. Parfait. « Nous sommes d'accord » approuva alors Jackson. Ce dernier tenterait d'ailleurs de se persuader qu'il ne ferait pas le moindre mal à Franckie, une chose qu'il voulait effectivement à tout prix éviter. Franckie ne méritait pas ça, et il serait bien capable de se maudire lui même en cas de merde de sa part. De toute manière, Ruben se disait prêt à le jeter par la fenêtre si cela arrivait. Alors il pouvait se rassurer, non ? « Je compte sur toi » s'exclama Jackson, dans un sourire quelques peu amusé. Techniquement, il n'était pas censé en rire. Techniquement, oui. Bon, l'heure était maintenant arrivée de changer un peu de sujet. Car Jackson en avait un peu ras le bol de ne parler que de lui, de sa vie, de ses soucis. A un moment, il fallait dévier sur quelque chose d'autre, comme la vie de Ruben, par exemple. Visiblement, ce dernier marcha à sa blague, ce qui le fit doucement sourire. Puis, finalement, il prit le temps de répondre à toutes ses questions. Et une à une, s'il vous plait. « Grr, je déteste les chats » lança sèchement Jackson, tandis qu'il lança une sorte de regard noir au chat de son ancien camarade. En fait, il n'avait rien de spécial contre les chats, disons simplement que cela lui provoquait quelques allergies. « Hm, je confirme, un vrai trou paumé » reprit Jackson, ayant bien du mal à se retenir de rire ce coup-ci. Parce qu'il fallait savoir qu'il avait bien galéré pour trouver la bourgade perdue au milieu de nulle part où vivait Ruben. Vive son sens de l'orientation, tout de même. « Attends, tu fais quoi comme métier, déjà ? » Peut être le lui avait-il déjà dit, auquel cas il l'avait bien vite oublié, ou peut être ne lui en avait-il tout simplement jamais parlé, ce qui pourrait expliquer que Jackson n'en ai pas le moindre souvenir. Ruben disait alors avoir changé, du tout au tour apparemment. Tant mieux pour lui. Il disait même être un autre homme. Wow carrément. « Retrouver quelqu'un ? » le questionna-t-il subitement, preuve qu'il voulait en savoir plus à ce sujet. Après tout, lui qui lui avait parlé de sa vie, il pouvait bien faire de même, non ? Mais voilà que Ruben posait des questions à son tour. Et dire que Jackson avait espéré pouvoir être tranquille à compter de maintenant ... « Je ne regrette rien, Ruben » fit-il directement, sans trop réfléchir. Puis il réfléchit un instant, se rendant compte du fait qu'il avait parlé un peu vite. « Bon d'accord, disons que je regrette mon comportement vis à vis de certaines personnes ... et le fait que vous m'ayez tous affublé de surnoms plus pourris les uns que les autres ... » Oh la la, les fameux surnoms. Il avait commencé une liste, et elle était déjà bien longue. « Je vis au jour le jour, les projets c'est pas tellement mon truc » déclara-t-il ensuite, sur un ton tout à fait sérieux. « Concernant les énergumènes que j'ai fréquenté durant ces mois d'horreur, je ne sais pas encore ... On verra. » Comment dire s'il lui viendrait l'envie de revoir certains de ses camarades ? A ce jour, il n'en savait trop rien, bien que ce soit assez probable, pour certains du moins. Et puis, comme beaucoup le disait si bien, le monde est petit ...

Il valait mieux être honnête avec soi-même et voir la réalité en face plutôt que de tenter de détourner celle-ci : Jackson arborait une musculature à en faire pâlir les catcheurs et autres bodybuilders de renom, du genre... allez, personne ne connait de catcheurs ou de bodybuilders célèbres, alors on repassera pour les références. Bref. Jackson m'avait avoué jalouser quelque peu ma maturité, ma façon d'être ce qui, au passage, n'avait pas manqué de me surprendre. Mais il me fallait à mon tour être sincère : en tant que gringalet et mec tout à fait chétif détestant le sport et faisant le moins d'efforts physiques possible, je n'aurais bien évidemment pas craché sur quelques muscles en plus... ou sur un corps d'apollon comme celui-ci du grand blond. « Je l'ai toujours su, de toute manière ... » fit-il après avoir ri un instant. Il ne semblait pas franchement y croire ; à vrai dire, je devais passer pour aussi crédible que lui en m'avouant être jaloux de moi parfois. Mouais, de quoi faire rire en effet. Peut-être avait-il eu à l'esprit une image de moi avec des muscles, et peut-être était-ce ça qui l'avait véritablement poussé au rire. Bah, je m'en foutais pas mal à dire vrai. Je n'avais par ailleurs pas manqué de lui affirmer que les opposés s'attirent, et que donc Franckie et lui étaient faits pour être ensemble, bien au delà du fait qu'il redoutait de faire de lui faire du mal et qu'il considérait Franckie comme étant un ange tandis qu'il se voyait plus comme une personne... maléfique, en quelque sorte. « Tu as peut être raison » Enfin Jackson semblait reconnaitre la véracité de mes paroles, bien que sa réponse manquait quand même un peu de conviction mais bon, je n'allais pas non plus m'en plaindre... ou peut-être que si, finalement. « Comment ça "peut-être" ? J'ai TOUJOURS raison, va falloir t'y faire bonhomme. » J'effectuais ensuite un mouvement de tête qui se voulait hautain mais qui devait plus sembler ridicule qu'autre chose. De toute manière en prétextant ça je me foutais un peu de moi-même, car jamais au grand jamais je n'avais réellement prétendu avoir foi en toutes mes paroles. Il m'arrivait, comme à tout le monde, d'avoir tord. L'ironie de mes paroles allait probablement être saisie par le maître en ce domaine Jackson himself. J'avais donné mon avis sur son histoire avec une certaine rousse, mais cela n'avait pas franchement semblé plaire à Jackson. Même, celui-ci m'avait réprimandé, m'affirmant que je n'avais pas à émettre de jugement sur quelque chose que je ne connaissais sans doute qu'à moitié au final. Forcé de reconnaitre cela, j'avais préféré capituler. « Nous sommes d'accord » J'arborai alors un sourire crispé, témoignant du fait que si je ne m'exprimais plus oralement sur le sujet, mes pensées en étaient intactes. Il pouvait m'empêcher de parler à propos de cette histoire sur laquelle je n'étais sans doute pas assez informé, mais j'avais gardé ma liberté de penser malgré tout. C'est alors que j'en vins à évoquer ma vie depuis la fin de l'émission, montrant au passage d'un signe de la main mon gros chat, Garfield, mon fidèle compagnon et colocataire officiel. Je me le coltinais depuis pas mal de temps maintenant, et étais bien content de le retrouver après des semaines et des semaines passées loin de lui. Ma mère s'en était bien occupé, peut-être même mieux que moi. « Grr, je déteste les chats » lança alors Jackson, tandis que je levai les yeux au ciel. « Pitié, c'est quoi cette manie de détester les animaux ? Et puis un chat, c'est tout mignon, c'est tout doux. Mises à part les crottes sur le tapis, ça cause pas trop de problèmes franchement... » J'eus également droit à une petite remarque désobligeante sur le lieu où je vivais, à savoir ce petit village nommé Celbridge, situé entre Dublin et une contrée lointaine dont, très franchement je n'avais jamais mémorisé le nom. « Hm, je confirme, un vrai trou paumé » C'était plus fort que lui, il ne pouvait s'empêcher de tout critiquer. À quoi bon affirmer cela, puisque je l'avais moi-même reconnu un instant plus tôt. Je soupirai, il continua. « Retrouver quelqu'un ? » Ah mais pourquoi avais-je lâché le morceau ?! Quel con. Ça n'était pas franchement une chose dont il fallait parler avec le grand blond, lui qui n'avait plus tellement le sens de la famille ni de la fraternité. Malgré lui néanmoins. « Heu... ouais... une fille que j'aime beaucoup du nom de Taralynn. Elle va avoir la trentaine sous peu, je l'ai perdue de vue il y a de ça plusieurs années... Bah, j'aimerais bien renouer le contact quoi. » Je préférais ne pas lui dire qu'il s'agissait de ma sœur, car j'avais cru comprendre qu'il avait été amené à perdre son frère... Imaginez le genre de discours auquel je pourrais avoir droit : "T'as la chance d'avoir encore ta sœur et tu restes sans nouvelles pendant dix ans... t'es un vrai salopard Ruben". J'avais pas eu droit à tellement mieux avec Moore l'autre jour, remarquez, HUM. Personne ne pouvait me comprendre de toute manière, à moins de n'avoir vécu ce que moi j'avais vécu. Mouais. Personne donc. Et Jackson, regrettait-il son aventure et les choix effectués au cours de celle-ci ? « Je ne regrette rien, Ruben » répondit-il spontanément, avant que je ne ressente chez lui comme le désir de revenir sur ses paroles. « Bon d'accord, disons que je regrette mon comportement vis à vis de certaines personnes ... et le fait que vous m'ayez tous affublé de surnoms plus pourris les uns que les autres ... » Je pouffai alors de rire, préférant toutefois ne pas l'interrompre et le laisser continuer. « Concernant les énergumènes que j'ai fréquenté durant ces mois d'horreur, je ne sais pas encore ... On verra. » Il m'avait au moins revu moi, c'était déjà pas mal. Et puis, il recontacterait sans doute quelques personnes prochainement... il s'était fait TELLEMENT d'amis au cours du jeu, le contraire serait absolument dommage non ? « Oh ouiiiii... tes nombreux surnoms. De tête, hum, "le blond", "l'albinos", "Mr Malabar", "Ken"... tiens, on aurait pas oublié de te nommer "Rainier Wolfcastle", t'sais le mec balèze des Simpson ? Franchement t'en as la carrure, ouais ça l'aurait fait. Hum. Il est accro aux stéroïdes... mais c'est un fils de nazi il me semble, alors heu, non laisse tomber. J'ai rien dit.» Aaaah, tout ceci ravivait de bien bons souvenirs. Toutefois, j'en avais moi aussi pris pour mon grade, principalement au début de l'aventure. « Mais tu remarqueras qu'en matière de surnoms, j'ai bien failli battre des records moi aussi. » Quand on tombe avec des gamins d'une vingtaine d'années qui n'ont pour seul divertissement que la critique sur le physique de leurs ainés, ça donne des surnoms aussi ridicules qu'affligeants. J'avais fini par m'en accommoder, de toute manière je n'avais au d'autre choix que d'accepter les petits noms charmants dont on m'avait affublé. À entendre Jackson, Fake Lover avait été un véritable supplice pour lui. « Rooh tout de suite, "mois d'horreur". Tu vas quand même pas cracher sur une émission qui t'as permis d'acquérir une certaine notoriété, de devenir le blond le plus célèbre d'Irlande... sans oublier bien sur le fait que tu aies trouvé l'amour. Si ça c'est l'horreur, bah... » ... bah il était vraiment bizarre, alors. Et puis il dira ce qu'il veut le grand blond, seulement il n'aura pas eu à supporter tout ce que moi - on prend mon exemple mais d'autres candidats sont dans le même cas - j'ai dû vivre et supporter... Les insultes, l'acharnement ou la méchanceté, entre autres. De toute façon il m'a bien fait comprendre que tout ça, ça lui passait au dessus de la tête, vu qu'il ne prêtait aucune attention au qu'en-dira-t-on ni à l'avis et l'opinion des gens. Remarquez, c'est ce que j'avais moi-même prétendu avant de me rendre compte qu'au final tout ceci m'intéressait beaucoup, et me touchait aussi. Bordel ce que j'avais pu changé durant ces "mois d'horreurs", dixit Jackson. Pour le coup j'en viendrais presque à dire que je suis un autre homme. Rectification : je suis un autre homme. Et Jackson aussi, si vous voulez mon avis. Ce qui nous a fait changer à ce point, lui et moi ? L'amour, mes enfants, l'amour avec un grand A. Bref cette aventure, aussi difficile avait-elle été, m'avait beaucoup apporté. Alors je ne risquais pas de cracher dessus, moi, ah non certainement pas.

Mais oui, bien sûr, Ruben avait toujours raison. Toujours, oui. C'était même scientifiquement avéré, si vous voulez savoir. C'est d'ailleurs bien pour cette raison que Jackson lui offrit un magnifique sourire des plus hypocrites, dans un hochement de tête qui l'était au moins tout autant. Il s'abstint en tout cas de faire le moindre commentaire, ce qui, à ses yeux, aurait été purement inutile. Non, vraiment, ça n'en valait pas tellement la peine d'après lui. Alors autant poursuivre. Ruben avait visiblement compris qu'il valait mieux pour lui qu'il évite d'évoquer une histoire dont il ignorait un nombre important de détails. En gros, il savait ce que la plupart des gens savaient, ce qui avait été montré aux candidats comme au public. Mais c'était si peu, aux yeux de Jackson, qui ne comptait personnellement pas s'étendre sur un tel sujet. Cela ne regardait pas Ruben, dans un premier temps, et puis, à quoi bon ressasser tout cela ? Ainsi donc, plus aucun commentaire ne fut non plus fait à ce propos, et c'était sans doute mieux comme ça. Désormais, Jackson faisait savoir à son camarade qu'il détestait les chats. Il savait bien que bon nombre de personnes adoraient ces petites bestioles, mais ça n'était pas franchement son cas. Okay, il est vrai que ça n'avait rien de bien étonnant venant de lui. En plus, il avait tendance à exagérer légèrement. En effet, ça n'était pas tant qu'il détestait les chats, comme il le disait si bien, mais plutôt que ces derniers provoquaient chez lui certaines allergies. Pauvre petite chose, hein. « Et bien tu n'as qu'à monter un élevage de minous » commenta spontanément Jackson, dans un bref haussement d'épaules. Il n'allait quand même pas insister sur le fait que les chats n'étaient définitivement pas sa tasse de thé à lui, car c'était une chose qui semblait importer bien peu. Par la suite, Jackson s'était permis d'insinuer, ou plutôt de confirmer, que le lieu dans lequel vivait Ruben avait tendance à être paumé, voire très paumé. Que voulez-vous, doté de la franchise qui était la sienne, il eut été bien impossible à Jackson de mentir à ce sujet. Et puis, très franchement, ça n'avait rien de bien dramatique. Mais voilà que Ruben avait titillée sa curiosité en évoquant une personne qu'il avait visiblement envie de retrouver. De qui s'agissait-il ? Une chose était en tout cas certaine, maintenant qu'il avait fait l'erreur de lui en parler, il se devait d'être le plus précis possible. Et donc, la chose se précisa. Il s'agissait d'une femme. Elle se nommait Taralynn. Une future trentenaire, visiblement. Oh, et apparemment, Ruben avait perdu le contact quelques temps auparavant, genre plusieurs années plus tôt quoi. Intéressant. « Hm, je vois, c'est d'une ex-copine dont il s'agit, non ? » demanda-t-il subitement. Dites vous bien que c'était la chose qui lui semblait la plus probable à cet instant précis. Après tout, il n'était pas exclu que Ruben souhaite revoir une ex. Lui, il évitait généralement de les revoir, parce qu'il estimait que le passé était le passé, un point c'est tout. Mais qui sait comment pouvait raisonner Ruben, hm ? Bon, Jackson avait préféré revenir sur ses précédents propos. Oui, il regrettait bel et bien certains détails de son aventure. Disons qu'il regrettait son comportement avec certains de ses anciens camarades - pas tous, soyons très clairs - mais également les immondes surnoms auxquels il avait eu droit. Mémorable, n'est-ce pas ? Visiblement, cela ne manqua pas d'amuser Ruben, qui se mit à rire comme un bossu, au point que Jackson en sursauta légèrement. Putain, il était grave ce type. Et voilà qu'il s'embêtait maintenant à remémorer les fameux surnoms, partant au passage dans un surprenant délire. Bon sang. « Oui Ruben, bien sûr » fit-il alors, d'un ton faussement compatissant, venant taper sur l'épaule de son ancien camarade. Non pas qu'il le prenait pour un cinglé, mais presque. En tout cas, Ruben avait raison, lui même avait écopé de quelques surnoms bien trouvés au sein du jeu. « Je suis loin d'avoir aussi bonne mémoire que toi, mais je crois qu'il a été question d'un gorille, d'un chewbacca et peut être même d'un big foot ... Des surnoms qui t'allaient à merveille, je dois bien l'avouer. » Bien sûr, Jackson se priva bien de préciser qu'il lui en avait personnellement trouvé bien d'autres. A quoi bon, franchement ? Déjà que ceux-là n'étaient pas très fameux ... Jackson vint ensuite ajouter que Fake Lover lui avait apporté quelques mois d'horreurs. Est-ce qu'il exagérait ? Bien sûr que oui. C'était bien l'un de ses nombreux talents. « Je ne crache pas dessus, je dis juste que j'étais loin d'être tout sourire en permanence » se justifia-t-il automatiquement, dans un soupire. Parce que Ruben croyait tout comprendre, tout savoir, alors bon. « Au passage, j'en ai un peu rien à secouer de cette pseudo notoriété, hein. Je ne sais pas si c'est ce que tu étais venu chercher au départ, mais ça n'est clairement pas mon cas ... » Genre, Jackson avait pour ambition secrète de devenir une star. Quelle blague. Non, il l'avait dit et redit, c'était pour l'aventure qu'il avait participé à cette émission. Ni pour gagner de l'argent, ni pour être connu, ni pour trouver quelqu'un. Ah non, certainement pas.