Il me semble qu’il fallait prendre à gauche après le deuxième embranchement, mais finalement j’ai comme un doute. J’ai l’impression que je suis déjà passé par là. Mais puisque tout se ressemble, dans ces couloirs sombres, c’est même pas dit que je ne me trouve pas dans un recoin inexploré, voir inutilisé. J’ai pas l’impression qu’il y ait des caméras non plus... Heu... C’est maintenant que je panique ? Non, j’allonge le pas, et à un nouveau croisement, je prends à droite pour me retrouver dans... C’est une blague ?! Un couloir identique au précédent s’étale sous mes yeux. Je ne sais pas exactement depuis combien de temps je tourne comme ça, mais ça commence à sérieusement me courir cette affaire. J’ai eu l’excellente idée d’aller visiter la chapelle dont j’avais entendu parler au cours d’un repas. La trouver a été relativement simple, les sous-sols grouillant, en fin d’après-midi, de candidats prompts à me flécher le chemin. Mais là, y a plus âme qui vive à cet étage, et je commence à me demander si quelqu’un va parvenir à me retrouver avant demain matin. Je me demande même si on remarquera mon absence, en fait. Droite, je reprends à droite. Le crissement significatif d’une caméra tournant sur elle-même m’informe que je suis sur la bonne voie, et que la civilisation n’est pas loin. Je ne reconnais absolument rien, mais je ne suis plus à ça près. De part et d’autre de ce nouveau couloir, des portes, encore des portes, toujours des portes. Des portes closes, évidemment, sinon ce serait moins drôle. Sauf une, entrouverte, qui laisse échapper une voix féminine. Moi qui me croyais seul... Cette présence me rassure. Peu importe qui se planque dans cette pièce, il pourrait même s’agir de la candidate la plus insupportable de la saison, je lui trouverais quelque chose de charmant en cet instant, simplement parce qu’elle, peut être, connait le chemin qui m’évitera de tourner encore pendant trois plombes. J’entre, le sourire aux lèvres et le palpitant frétillant d’excitation, pour me retrouver face à une chose hurlante. J’ai rien le temps de comprendre, que je me mets à hurler à mon tour, en réponse à cette agression sonore. Ça hurle encore plus fort, j’ai l’impression qu’on est mille cinq cent, là-dedans. L’angoisse grimpe en moi, frénétiquement, sournoisement, ramenant avec elle toutes les angoisses passées, toutes les paniques assaillantes, et l’instinct de survie qui prend le dessus sur absolument tout. Ma paume se plaque contre les lèvres de l’inconnue, tandis que mon corps se rabat contre le sien avec la même force que je mets pour la coincer contre le mur, dans un bruit de chaînes absolument dégueulasse. Le silence se fait, mais mon esprit tarde à expulser les reliquats de frénésie, tandis que mon regard sonde la pièce totalement vide. Aucune menace à l’horizon. Je fronce les sourcils, sérieusement agacé par cette fausse alerte. « Tu veux bien m’expliquer pourquoi tu hurles de la sorte ? » Je gronde en oubliant d’ôter ma main de sa bouche, et accessoirement mon corps du sien, aussi. Démerde-toi pour répondre, ma belle.

Des femmes qui hurlent, c’est du déjà-vu, une situation tellement familière qu’elle en perd tout caractère d’exception et ne m’émeut quasiment plus. Mais d’ordinaire, lorsqu’une ou plusieurs femmes hurlent, une menace est présente et un tant soit peu identifiable. Là, j’ai beau chercher autour de moi, sonder la pièce du regard, survoler, de mes yeux, le plafond aux voûtes immobiles, rien ne m’inspire un sentiment de panique apte à laisser échapper un hurlement, ou même un simple cri de surprise. Ça m’agace. Les fausses alertes, ça m’agace toujours. L’angoisse qui cavale dans mes veines, délivrant l’adrénaline sur son passage, les membres qui se tendent, les muscles qui se crispent, l’appréhension qui prend le pas sur absolument tout le reste, et les images en pagaille qui m’assaillent de toute part, rebondissant contre mon crâne pour squatter ma tête... Et tout ça pour rien ? Oui, là, y a moyen qu’elle me tape légèrement sur le système la gueuse. A moins que ce ne soit ma propre réaction qui me mette dans cet état ? « J’ailittéralementfaillimourirdepeur » Hein ? Avec ma chance, j’suis tombé sur une malentendante. J’ai rien contre ces personnes, hein, mais... c’est quand même galère de les comprendre quand ils ouvrent la bouche. C’est comme une suite de sons gutturaux, à mi chemin entre le chuintement et le beuglement, entrecoupé de sifflements respiratoires suintants. « Hein ? » je répète à voix haute, avant d’aviser ma main toujours sur sa bouche, et mon corps toujours collé au sien. Merde ! Je me décale rapidement, tandis qu’elle s’accroche toujours à mon bras, et finalement, mon cerveau me file la traduction différé de son message étouffé. « Mais... Mourir de peur à quel propos ? » je m’insurge en écartant les bras pour désigner la pièce totalement déserte. « Y a personne ici, à part toi et... » Attendez une seconde... « ... Moi ? » C’est ça ? C’est moi ? Je suis la raison de sa peur panique, de son hurlement et de son état d’anxiété encore palpable ? « C’est de moi que tu as eu peur ? » Ma voix s’étrangle en un léger rire incontrôlable. « T’as eu peur de moi ?! C’est la meilleure celle-là ! » Au-delà du fait que je n’ai rien du tueur en série sévissant dans les bas-fonds d’un château à la Disney, il existe un détail de poids qu’elle semble avoir totalement occulté. D’un mouvement doux mais ferme, je tente de décrocher sa main de mon bras où ses doigts semblent s’être enracinés sous ma peau. « Regarde là-haut à droite. » je souffle, apaisant, en désignant une caméra du menton. « Et là. » Une autre, juste au-dessus d’elle. « Tu ne seras jamais seule, ici. Il y aura toujours un millions de paires d’yeux pour t’accompagner dans chacune de tes excursions. Tu ne risques rien. Ni de moi, ni des autres. » Je tente un sourire qui se veut rassurant, avant de lui tendre ma main, de manière trop solennelle sûrement. « Loxias, 25 ans, absolument sans danger. » Cette présentation n’a pour autre but que de lui arracher un sourire et, peut être, envisager de reprendre à zéro ce qui aurait du être. Chasser l’image du mec qui lui hurle dessus avant de la plaquer, sans ménagement, contre un mur, me semble être la meilleure idée de ces dix dernières minutes.

« Tu m’as surprise ! Alors j’ai hurlé » Oui, ce serait une excuse recevable si nous n’étions pas trente-six dans ce château, et qu’il était inhabituel, voir totalement exclu de tomber sur un péquenaud à chaque coin de pièce. Qu’attendait-elle de moi ? Que je frappe à la porte ouverte pour signifier ma présence ? Je veux bien comprendre sa surprise, voir même envisager un mouvement de recul, mais delà à hurler à s’en vider les poumons, y a tout de même plusieurs level de franchis. « Puis, tu t’y es mis aussi, j’ai pas compris pourquoi alors j’ai paniqué » Un point pour elle. Ma réponse à son hurlement n’avait rien ni de très rassurant, ni d’apaisant. C’était même suffisamment pathétique pour être relevé. Je ne sais pas ce qui est pire, avoir été surprit entrain d’hurler comme une fillette par une personne ? Ou que tout ceci ait été immortalisé par les caméras pour les générations futures ? Elle part d’un rire nerveux, et je la suis, simplement parce que le ridicule de la situation ne prête à aucune autre réaction. Je ne suis pas aussi hilare qu’elle, mais son rire à quelque chose de communicatif qui tirerait un sourire même au grand black mono-expressif qui hante les lieux comme tel spectre de guerrier maasaï. Elle souffle, hoquette quelques mots d’excuse que je balaye d’un geste de la main, avant que nous ne nous laissions nimber de silence afin de chasser les derniers résidus de ricanements qui résonnent encore. Je profite de cet instant de répit pour aviser les caméras, et les lui désigner du menton. Je cherche à la rassurer avant tout. Je ne supporte pas qu’on craigne ma présence. Elle doit le percevoir, ou le lire sur mes traits ou dans cette détermination exagérée que je déploie afin de la débarrasser de ses dernières craintes, car elle juge bon de préciser qu’elle n’a pas peur de moi. Son regard planté dans le mien, je m’immobilise un instant, prenant le temps de savourer à sa juste valeur, cet échange silencieux, suspendu dans l’obscurité ambiante. « D’accord. » Je souffle, presque religieusement, pour ne pas briser trop net, cet instant. Je laisse quelques secondes précieuses s’écouler doucement, avant de tendre ma main pour des présentations dignes de ce nom. Prénom, âge, signe distinctif, c’est toujours mieux que hurlement, plaquage, invectives. « Nora, 23 ans, flippée pour un rien dans les endroits d'ce genre, enchantée » se présente-t-elle, à son tour, en serrant ma main dans la sienne. « Bon... Si on vient t’interroger sur la raison de ses hurlements, la réponse officielle c’est : on testait l'acoustique dans l’éventualité de monter un groupe de polyphonie corse à... bah... deux. » C’est sûr qu’à deux, l’argument de la polyphonie tient moins bien la route, mais au milieu de cette basse-cour d’allumés, on est bien capable de faire illusion. « Et pour plus de réalisme, j’propose qu’on se trouve un nom de scène qui impose le respect, genre... Les cuillères vénères. » Ouai, j’sais, j’suis pas à mon max, là.

« Ne soyons pas si prétentieux, contentons nous d’un concerto. » Un sourire s’élargie au coin de mes lèvres. Elle a passé le test. Elle aurait pu me laisser seul dans mon bourbier humoristique et ne me répondre que par ce regard, vous savez, lorsque la personne en face de vous lève le menton, vous jette un regard en biais, avant de rouler des yeux en lâchant un petit soupir dédaigneux. Le genre de regard qui dit “mon pauvre garçon”. Et dans ce lieu regroupant un nombre considérable d’adorateur de nombril, y avait quand même plus de chances qu’elle me réponde de la sorte que par la surenchère. « Ouais, j’ai entendu dire que ça existait à deux voix » Je hoche la tête, mon sourire toujours accroché aux lèvres. Ça existe, en effet, c’est pas vraiment ma came, mais ça existe. « …sauf, si tu comptais recruter des membres » Je fourre mes mains dans les poches avant de lui répondre le plus naturellement du monde : « Non, ça je ne le pratique qu’avec toi, tu as l’entière exclusivité de mes hurlements. » Enfin, au moins ceux de fillettes effarouchées, parce qu’il n’est pas dit que, d’ici mon départ, je ne sois pas amené à hurler sur quelqu’un d’autre, mais dans un style différent. Elle approuve notre nom de scène, et je ne peux m’empêcher de lâcher un léger rire face à son enthousiasme. Elle me fait toujours face, adossée au mur, même si je l’ai débarrassé depuis un moment du poids de mon corps. Elle semble, finalement, prendre conscience de son immobilisme, et se met en mouvement, tentant de faire un pas dans ma direction. La chaîne, sur laquelle elle marche, émet un grincement forçant à la grimace. Si je trouve ce son glauque, ma voisine de cellule semble en frissonner d’avantage, et me le fait savoir. « Tu crois qu’elles ont servi ? » me demande-t-elle d’une toute petite voix plaintive. Alors, dans ce cas, il existe deux solutions : 1/ dire la vérité, ou 2/ mentir comme un arracheur de dents pour ne pas engendrer panique et terreurs nocturnes chez la donzelle en détresse. Sauf que je n’ai jamais su mentir, et que ma maladresse à réconforter les trouillardes à quelque chose de légendaire. « Oui, je crois. » A son regard, je comprends immédiatement que ma réponse n’est absolument pas la bonne. « J’aimerais te dire qu’il s’agit juste d’un décor savamment imaginé par la production, mais... regarde comme le sol est creusé au niveau de la porte. » De mon index, je désigne la courbe tracée dans le sol en pierre par l’ouverture et fermeture répétée de la lourde porte. « Je ne pense pas qu’ils auraient poussé le soucis du détail jusque là. Mais vu la rouille sur les fers, j'imagine que ça n’a pas servi depuis très longtemps... » Je me balade dans la pièce, parcourant du regard les murs, les voûtes, les cellules, avant de reporter mon attention sur la jeune femme, pas vraiment rassurée, qui me tient compagnie. « Cela dit, vu le reste du château, j’aurais tendance à penser que ces geôles appartenaient à une femme qui se plaisait à y enfermer époux volages et amants éconduits. Il te suffit d’imaginer un type emperruqué en culotte bouffante au bout de cette chaîne, entrain de déclamer du Shakespeare de sa voix geignarde, et je t’assure que ça devient bien moins glauque. » Je ne sais pas mentir, c’est vrai, mais raconter ma vérité imaginaire, ça, je sais faire. Mon esprit fantasque a longtemps été considéré comme une tare génétique, une faiblesse qu’il fallait éradiquer par la force. Il m’a fallut des années pour me défaire du conditionnement que j’ai reçu, et laisser, à nouveau, s’exprimer à voix haute, un monde que je transforme au gré du regard que j’y pose. « C’est mieux comme ça ? » Je demande à ma concertiste d’un jour, en reportant mon attention pleine et entière sur elle. Suis-je parvenu à la rassurer ?

« Tu as le sens de l’observation, j’admire. » C’est un fait. J’en ai même fait mon gagne pain. Mais c’est toujours plaisant à entendre, si bien que je la gratifie d’un sourire timide associé à un grattage de l’arrière du crâne qui démontre bien que je suis toujours mal à l’aise face aux compliments, même les plus anodins. A son tour, elle passe en phase observation, focalisant son attention sur les chaînes qui semblent l’intriguer plus que tout le reste. Le fait que j’affirme penser que cette pièce ne soit en rien un décor, lui provoque un hoquet, mais elle ne semble pas surprise pour autant. Je viens, seulement, de confirmer ses pires craintes. J’entame alors ma théorie selon laquelle ce château, niais à souhait avec ses couleurs layettes et sa décoration à la Disney, ne pouvant appartenir qu’à une femme, les résidents de cette pièce se devaient d’être des courtisants ridicules à la technique de drague pour le moins inefficace. « J’suppose que la voix geignarde était une raison plus que valable pour les priver de leur liberté » J’hoche la tête. Elle n’a pas tort. Mais lorsqu’on est enfermé dans un lieu tel que celui-ci, je suppose que même le plus viril des mecs à tendance à geindre. J’en suis la preuve vivante, n’ai-je pas hurlé comme une fillette en foutant les pieds ici ? Cela dit, ma diversion semble avoir fonctionné puisque, loin de demeurer dans cette distance craintive qu’elle affichait, au préalable, vis-à-vis de cette pièce, elle la contemple d’un oeil nouveau. C’est mieux comme ça ? Il semblerait que oui. « Parfait même » affirme-t-elle en ponctuant son affirmation d’un sourire avant de retourner à son inspection du mur. « Ceci dit, ce devait être une geôlière particulièrement cruelle » De quoi donc ? Je me retourne tandis qu’elle me demande de regarder, et rive mes prunelle sur ce qu’elle me désigne de l’index. Là, sur le mur quelques traces répugnantes. Oui, je sais à quoi elle pense, on dirait vraisemblablement du sang séché. Mais dois-je, encore une fois, lui donner raison et renforcer son sentiment d’insécurité. J’hausse les épaules avec l’air de celui qui en a vu d’autres. « La bouffe devait être dégueulasse, le courtisant l’aura envoyé valdinguer contre le mur. » Quoi ? C’est une hypothèse comme une autre, parfaitement recevable de surcroît. Je recule, réintégrant mes mains dans les poches arrières de mon jean, avant de me diriger vers une cellule individuel. Passé la lourde porte ouverte, l’espace est assez restreint, mais suffisant pour deux personnes. Sur le sol, des restes de pailles, et sur le mur... « Hey ! Nora ! Viens voir ! » Je l’interpelle depuis ma pièce isolée. « Y en a un qui a compté les jours, ici. » Je l’informe en entendant ses pas claquer sur le sol en pierre, en se rapprochant de moi. De l’index, je compte les bâtons verticaux et horizontaux qui s’alignent. Mes lèvres bougent dans un décompte muet, puis, j’annonce : « Quarante-trois jours de cachots. » Un chiffre important, qui me fait hausser les sourcils de surprise et lâcher un petit sifflement admiratif. « A ton avis, il avait fait quoi pour mériter autant ? » C’est à son tour de faire preuve d’imagination et de m’offrir un bref aperçu du monde qui se cache, encore, dans son esprit.