« Tu ne m'écoutes pas. » Si, contrairement à ce qu’elle s’imagine, ce n’est pas parce que je refuse de l’entendre que je ne l’écoute pas. Je n’écoute qu’elle, puisqu’il n’y a qu’elle à écouter, et parce que curiosité, politesse, et une certaine dose de masochisme, me pousse à le faire. C’est pour ça que je la supplie, presque, de changer de sujet d’elle-même, parce que si elle ne le fait pas, moi-même j’en serais incapable. Le ton risque de monter parce que je suis con, et les révélations que je n’ai pas envie de faire pleuveront sur elle comme autant de reproches qui n’ont pas lieu d’être. Je l’ai déjà heurté en quelques mots, je n’ai pas envie de m’enfoncer un peu plus, de creuser encore et encore le fossé qui nous sépare déjà, de part notre naissance. J’aimerais parvenir à mettre en application un peu de cette tolérance que je prône depuis des années. Mais justement, plus d’années encore d’endoctrinement ont laissé leurs traces sur ma peau, dans chaque fibre de mon corps, irradiant mon cerveaux d’images que j’aimerais oublier, définitivement. Aussi, lorsqu’elle reprend la parole, annonçant la conclusion de ce qui fut, c’est un réel soupir de soulagement que je peine à réfréner. « La politique et la littérature font de bien mauvais sujets de conversation pour une émission de télé-réalité... » La politique, c’est certain, mais la littérature ? Il doit bien exister quelques lettrés planqués derrière leur écran de télé... Sinon, il nous reste quoi ? Débat scatologique et autres dissertations autour de la nécessité de se reproduire avec ou sans capotes ? « Tu as même droit à de la pornographie gratuite avec cette salle... » Ha bah, visiblement, je n’ai pas à poser la question, qu’elle a déjà tranché pour moi. Je reporte mon attention sur l’écran qu’elle me désigne m’attendant à surprendre un cul poilu s’activant sur une forme humaine, mais tout ce que je découvre c’est la danse du paon. « De la pornographie pour nouveaux-nés, alors. » je lâche en me penchant un peu plus en avant afin de reconnaître les deux protagonistes. « Ils ne font absolument rien, là. C’est pas avec ça que tu vas conclure, mon grand. » Oui, je parle à l’écran, prodiguant mes conseils comme si le type, de l’autre côté, pouvait m’entendre. « C’est qui ? » je demande à Anouck en plissant un peu plus les paupières. On ne distingue aucun visage, que des formes. Ils sont trop loin de l’angle de la caméra, ça m’énerve. Je me ré-enfonce dans mon siège, mon dos venant taper le dossier, tandis que ma main retourne chiper des céréales. « Si tu devais t’assimiler à une héroïne classique de la littérature, ce serait qui ? » je lui demande, optant pour un sujet à mi-chemin entre divertissement et littérature. « Et moi ? Je suis qui pour toi ? Georges Duroy ? Don quichotte ? Casanova ? » Et j’insiste, faisant danser mes sourcils dans une attitude censée la convaincre de mon potentiel séduction. Je sais, on n’y croit pas une seule seconde. C’est triste à en pleurer.

« De la pornographie pour nouveaux-nés, alors. Ils ne font absolument rien, là. C’est pas avec ça que tu vas conclure, mon grand. » Pour le moment peut-être, mais en revenant dans plusieurs longues semaines d'abstinence sexuelle, je ne suis pas sûre qu'ils s'en tiendront aux caresses sur le bras. Il y a tout de même de sacrés cas dans le château. Comme les deux frères incestueux, très franchement, c'est quoi leur problème ? « Tu ne trouves pas que c'est un peu spécial de baiser sous l'oeil de milliers de télespectateurs ? » je le questionne en fronçant le nez. « Je sais pas, il y a toujours les toilettes, mais non, certains préfèrent se faire lécher les couilles juste en dessous d'une caméra sur la plage... » je m'indigne à voix haute. Je suis peut-être trop pieuse pour faire une candidate de télé-réalité idéale, mais en attendant, j'ai tout sauf envie de me retrouver nez à nez avec des fesses poilues à chaque fois que j'ai envie d'aller tremper mes pieds dans le lac. « C’est qui ? » Je me penche à mon tour, plissant les yeux pour essayer de mettre un nom sur les corps qui s'affichent sur l'écran, mais ça s'annonce peine perdue. J'ai une bonne mémoire, mais pour être franche même au bout d'une semaine certains patronymes m'échappent encore. Je finis par me redresser, en me contentant d'hausser les épaules en guise de réponse. « Si tu devais t’assimiler à une héroïne classique de la littérature, ce serait qui ? » Je me mords la lèvre en réfléchissant. Il y a bien des personnages auxquels je rêverais de ressembler, mais avec mon caractère de merde c'est loin d'être le cas. Les jeunes femmes sont en général à la limite de la perfection dans les livres, à quelques exceptions près. « Natacha Rostov ? » dis-je, en demandant confirmation. Insouciante, désinvolte, irréfléchie... J'aurais préféré répondre quelque chose comme la fragile Chloé de L'écume des jours, ou une autre héroïne dans ce goût là, mais j'imagine être loin de coller à cette image. « Et moi ? Je suis qui pour toi ? Georges Duroy ? Don quichotte ? Casanova ? » Je souris légèrement, tout en secouant la tête de gauche à droite. « Non, non... Qu'est-ce que tu dis du séduisant Hernani ? » J'hausse les épaules. Je le vois davantage, avec son côté artiste et enfiévré, en digne réprésentant des héros romantiques.