HEART OF GLASS
W/ ENNIO, 21 MAI, APRÈS LE PRIME

Il se fait tard, vraiment tard, mais je n’ai pas sommeil. Pas encore. Mon estomac est toujours retournée du spectacle que Santiago nous a offert durant le prime, et mieux vaut pour mettre de tenter de l’apaiser avant d’aller me poser pour la nuit. À mes côtés, Ennio, qui a gentiment acceptée de me suivre. J’espère qu’il n’a pas senti de pression pour m’accompagner, rien que parce que je le lui ai demandé. Il aurait très bien pu refuser, mais moi, je serais aller me balader quand même, que ce soit avec lui, ou sans. Quoique, avec la nuit et sa noirceur qui couvre le parc, je préfère que ce soit en sa compagnie. Je me sentirai plus en sécurité – après l’épisode de la forêt, je suis devenu un peu craintive, vous savez. Qui sait ce que je pourrai croiser sur ma route. Ou plutôt, qui. À peine ai-je pris le temps de récupérer un manteau pour couvrir mes frêles épaules que nous prenions la porte vers l’extérieur. Je respire un grand coup, dès que l’air frais frappe mon visage, et je sens déjà bien mieux. C’est un réel soulagement d’être là, dehors. « Merci, d’être venu avec moi. » lâchais-je à mon voisin, en lui offrant un sincère sourire.

Le sort des éliminés de ce soir aurait dû me préoccuper d’avantages. J’aurais dû m’attrister du départ de Neela et Woody, mais j’en étais incapable. Et ce n’était pas faute d’avoir essayé… mais je ne connaissais ni l’un, ni l’autre. Comment plaindre des gens, d’ailleurs, qui se faisaient montrer la porte d’une téléréalité alors que dans le monde, des gens souffraient de famines? Que d’autres, eux, mourraient dans des guerres civiles tragiques. Ce n’était rien, en comparaison. Rien du tout. Qu’un grain de sable dans l’intensité du désert. Certes, je pouvais comprendre leur déception : avoir été dans le même cas, j’aurai moi aussi été dégoutée de devoir partir aussitôt, d’avoir sacrifiée tant pour si peu, au final. Et que dire de ma cousine, qui avait tant mit d’efforts pour que je me rende jusqu’ici. Par chance, tout ça ne s’était pas produit, et même si l’appât du gain ne m’intéressait pas vraiment, je comptais faire tout en mon pouvoir pour me rendre le plus loin possible dans ce jeu. Pour lui faire plaisir. Avant toute chose, je faisais ça pour elle, et non pas pour moi. Peut-être que d’ici quelques semaines, je réaliserais tout le bien – ou le mal – que cela me ferait et que je changerai d’avis. Qui sait? « Avec plaisir. En plus je commençais à en avoir marre de respirer le même air que ces crétins. En plus, ça puait le vomi. » Le rappel de ce disgracieux spectacle me leva légèrement le cœur, mais je me gardais bien de le lui dire. Rien que de respirer, une fois, puis deux fois, suffit à calmer mon estomac récalcitrant. « Va mieux ? » Je lève la tête vers lui, et lui sourit. « Oui, enfin, je crois. » Ce n’est pas encore tout à fait ça, mais je me sens bien mieux qu’il y a cinq minutes, alors que nous étions encore tous coincés sur le plateau. Une dizaine de minutes supplémentaires, et je risquais de retrouver mon aplomb. Vivement ce moment. « On marche ? Ça doit faire depuis le lycée que j’ai plus fait de sport. » Il sourit, et je le lui rends. C’est comme s’il avait lu dans mon esprit, car je comptais bien lui proposer la même chose. Cependant, il marmonne quelque chose, et mon front se plisse, alors que j’essaie de comprendre. Peine perdue. « Hmm? T’as dit quelque chose? » Je suis fouine, désolée, c’est plus fort que moi. Il ne me répond pas et préfère m’entraîner vers l’un des sentiers, m’attrapant par le bras pour me forcer – gentiment – à le suivre. Je coopère sans résistante et me force à accélérer le pas pour me poser à ses côtés. Pas question que je m’écarte : les balades en solitaire dans des coins sombres ou reculés, très peu pour moi. J’ai appris ma leçon, avec cette histoire, dans la forêt. « Alors… hm, tu as passé une bonne première semaine ? » que je lui demande, cherchant ainsi quelque chose à dire pour meubler le silence qui s’est installée. Je n'aime pas le silence. Ça me donne toujours une impression d'inconfort.

Qui aurait pu croire qu’une simple question pouvait faire naître un aussi grand flot de paroles dans la bouche d’Ennio. Je me plaignais du silence, et bien, on avait entendu mes prières. J’en étais quitte pour un bon moment. « Ouais plutôt. Rencontrer de nouvelles personnes, les nouvelles expériences, tout ça, j’adore ! Tu sais, le nombre de personnalités différentes qu’il y a, le nombre de trucs à voir, découvrir, d’endroits magnifiques, de trucs à faire, j’aurai jamais assez de ma vie pour tout passer en revue ! » J’aime quand les gens parlent avec passion de la sorte, comme il le fait, lui. Sa vision est choses est similaire à la mienne. Il y tant de choses à voir que je doute que nous ayons assez d’une seule vie pour tout voir. C’est un fait. « Si je pouvais vivre comme Tyler Durden, ou mieux, Alexander Supertramp, je crois que je serais le mec le plus heureux sur la terre. » Sa remarque m’arrache un sourire, alors que nous continuions à marcher, mon regard droit devant moi. Je ne perds pas une seule miette de ce que raconte Ennio, car malgré tout ce qu’il peut croire, ça m’intéresse. Je m’intéresse aux gens, forcément, je leur suis donc attentive. « Oui et donc tu voulais savoir comment s’était passé ma semaine. » Et le voilà qui revient au fait, à la question initiale. J’acquiesce, amusée, à sa remarque, d’un simple signe de la tête. Et d’un léger sourire en coin. « Super, sérieux. Bon, y’a toujours son lot de cons, c’est sûr, mais voilà, à part ça, c’est cool. » Sans transition, il passe de l’anglais au français et je tourne la tête vers lui, en reconnaissant la langue, qui est aussi ma langue natale. Du moins, l’une des deux, puisqu’ayant grandi dans un environnement bilingue, forcément, j’ai appris à la fois le français, mais aussi l’anglais. Mais j’ai toujours préféré la langue de Molière à celle de Shakespeare, sans trop savoir pourquoi. Car elle se fait plus rare et qu’il faut la protéger, peut-être? Je m’évertue à aider les plus faibles, à venir en aide aux gens dans le besoin, c’est dans mes gênes, après tout. Ce serait tout à fait logique. « Et toi ? Ça s’passe comment ? » Naturellement, il me retourne la question. Je lui souris. Que dire de cette première semaine. Il y a tant à dire, mais je trouve mal difficiles les mots pour lui exprimer le fond de ma pensée. « En général? Plutôt bien. » Que je me contente de lui répondre, en premier lieu. Quelques incidents notables l’ont légèrement assombrit, mais rien de tragique. Il n’y a pas eu mort d’hommes, que je sache. « Peut-être vais-je me plaire ici, finalement. Qui sait. » J’ose croire que c’est possible, et j’ai intérêt, car après tout, tant et aussi longtemps que le jeu ne sera pas terminé, et que l’on ne me montrera pas la porte, je suis coincé ici. Certes, il s’agit d’une prison plutôt dorée, mais s’en ait quand même une. « Le français, c’est ta langue natale? » Je ne peux m’empêcher de lui poser cette question dans la langue de Molière, avec ce petit accent qui caractérise tant les québécois, et que j’ai réussi à camoufler dans un anglais presque parfait. Mais en français, et ce malgré les deux mois passés à Paris, impossible de me débarrasser de celui-ci. C’est souvent ce qui me trahit. Et ce qui fait mon charme aussi, m'a-t-on dit.