Loxias ~ Salle de Bain [Le 31/05 vers 17h]

Une montagne de muscles, un véritable colosse sculpté dans la roche des falaises du Ghana, le héros du peuple africain. Penché sur le lavabo, l’air perplexe, je fixe de mon regard un carnet qui paraît bien ridicule comparé à ma propre stature charismatique. Mes larges doigts musclés courent le long des pages du recueil avant de s’immobiliser enfin, dévoilant une page noircie par des sortes de gribouillis, correspondant en fait à des écritures. Les miennes. C’est mon carnet. C’est mon écriture. C’est mes gribouillis. C’est mon propre langage. J’ébauche un slam à ma propre hégémonie et j’achève la ballade d’un paraphe : L’étoile Ghanéenne. J’essaye de gesticuler sur place. De bouger. Mais je parais ridicule. Dès que j’ai postulé pour cette émission, je parais ridicule. Donc bon. Après, ça m’intéresse pas de paraître ridicule ou pas. J’essaye de communiquer avec le miroir. Rien. Je recule, pour me voir de loin. Je suis beau. Je suis musclé, mais je ne ressens rien, c’est mon plus grand défaut. Putain mais c’est quoi ce bordel. Se suivent ensuite quelques pas agités de fierté qui me mènent droit devant mon propre reflet. Face au miroir, je me racle la gorge et j’essaye d’arborer un large sourire, mais je n’y arrive pas. Le seul mouvement de mon corps, que je ne peux encore maitriser, c’est l’étirement de mes lèvres. C’est difficile. Mon visage reste froid. J’entame une ballade musicale ; m’adressant à mon alter-ego, comme toujours, avec la même froideur, sans rythme ni rien. Y’a quedal. Sécheresse musicale… Ouais c’est ça. Je répète sur quoi je me suis entrainé, depuis deux nuits déjà, dans les cachots. Je veux me reproduire, devant Anabel, La scientifique et la Tweedy je veux être au top, leur montrer que je gère... J’ouvre le carnet sur une partie, LA partie qui m’intéresse, celle que j’avais écrite avec mon écriture moche et illisible, pendant toute la nuit… Je commence à lire donc, se contentant parfois de voir mon reflet sur le miroir pour voir ce que ça donnait. « Qu’est-ce qu’y a toi ? C’est moi qu’tu fixe comme ça ? Mais tu sais quoi, tu me déçois. Ezéquiel le divin, pas besoin de levain, mes muscles c’est pas d’la pâte a pain et si tu veux une poignée d’main, t’attendras demain ! Ma peau noire est branchée, les dorures c’est stylé, en guise de toison ! Mais devine quoi, ouais toi là ! T’as zéro staïyle comparé à moi, avec mes muscles sophistiquées et mes pec’s trop précieux, j’vais te cramer les yeux. J’suis trop brillant, j’suis juste le plus Grand ! Regarde mes bottes ! Baisse les yeux, c’est ça mon pote ! Remonte un peu… mais matte mon torse ! À la mode …. *je block là*. Mes poings, non ça c’est pour frapper. *Je donne des coups dans le vide.* Je crache dans le lavabo. Il est vraiment ridicule mon texte. Bordel. Je ne me rends pas compte de ce que je viens de balancer, tout seul, dans cette salle de bain. Non mais vraiment pas. Est-ce vraiment moi ça ? Je suis vraiment capable de dire ça devant trois femmes en même temps, sans qu’elles se sauvent ou qu’elles se pendent ? Je viens de lâcher plus de mots que dans toutes mes semaines réunis. Après, si avec ça on dit que je ne parle pas beaucoup, je les massacre. Je prends mon carnet, et j’achève mon texte. Je marque Tweedy et Valentina, Anabel avec une petite tête de mort au milieu. J’au lu que ça faisait beau, donc je le fourre entre le nom de ces trois connes. Celui de la Tweedy j’lai raté, mais on s’en fiche. Maintenant, me faut quelque chose pour clôturer mon slam. Ce n’était pas vraiment top le truc. Faut que j’apprenne à sourire, à m’exprimer… mais ça je sais pas le faire. Donc je vais miser sur le texte, oui je vais miser tout sur le texte, et après si on trouve ma prestation froide, je m’en fou, ça me permettra de rester deux semaines de plus et continuer mon job, on me trouvera mimi, ou bien tout le contraire, c'est-à-dire cruelle. Je me tourne, et constate que y’avait un vermisseau, pas loin de là. Ok : Tu foutais quoi là toi ?

Etonnant paradoxe incompréhensible, la salle qui accueille les plus grands rassemblements aux heures de pointe, s’avère être le seul sursit d’isolement solitaire dès qu’on se trouve en dehors des horaires. La salle de bain, grouillante, vivante, trépidante et suffocante de neuf heures à midi, résonne de vide dès la fin de l’après-midi. J’ai déjà remarqué ça, et j’en ai déjà usé et abusé. Sur les coups de seize heures, armés de mon carnet à dessins, il n’est pas rare de m’y trouver replié, dans quelques coins invisibles. Je ne me planque pas, je tente juste de me faire le plus discret possible, histoire qu’une âme égarée, me voyant là, n’est pas dans l’idée d’engager une quelconque conversation. Je ne suis ni solitaire, ni asocial, loin de là, mais parfois, dans la journée, j’ai besoin de ce moment à moi, rien qu’à moi, lorsqu’au gré de mes esquisse, je m’évade, je m’envole bien loin de cette cage dorée pour voguer vers d’autres territoires, mieux connus, plus hostiles aussi. Mais couchés sur papier, ces paysages redeviennent incroyablement inoffensifs, calmes et accueillant. Et je transforme, d’un coup de crayon, un rêve en réalité. Une réalité à l’état de fantasme, mais ça, je ne l’avoue pas à mon esprit fantasque. C’est d’ailleurs ce que je suis entrain de faire, en cet instant, installé dans la baignoire vide de toute eau, entièrement habillé, le bas de mes jambes pendant dans le vide. Ma mine frétille, s’agite, se cambre, et les courbes se font plus nettes, plus belles, plus franches, et le paysage se découpe dans un mélange efficace de clairs-obscurs. Je ne sais pas vraiment depuis combien de temps je suis là, peut-être quelques minutes, surement quelques heures, mais lorsque la porte ondule sur ses gonds, et qu’une impressionnante masse pénètre en ses lieux, je me tasse, ramenant mon crâne sous le robinet, et mes bras à l’intérieur de la céramique. C’est le grand black et ses muscles saillants. Il s’avance, s’impose, mais ne me repère pas. Etonnant, puisque, techniquement, j’apparais pile dans le reflet du miroir devant lequel il maintient le siège. Mais j’imagine qu’il n’a d’yeux que pour lui, un peu comme Andreas mais dans un tout autre style. Je ne bouge pas, ne respire plus, retiens même les battements de mon coeur, et alors... alors j’assiste à quelque chose de surréaliste. Il se sourit, se grimace, bande les muscles, maintient la position, recommence, s’arrête et reprend, il se couve du regard, avant de se détester. Je ne sais pas ce qu’il cherche à trouver dans son homologue de reflet, mais cette danse a quelque chose de fascinant. Et lorsqu’il s’arrête, c’est pour... What ?! Il entame un slam. Là, sous mes yeux, ce grand type au prénom d’ange céleste entame un slam. Et je dois bien avouer que je n’ai jamais rien entendu de plus effroyable. C’est stérile, vide de sens, d’un narcissisme assumé qui n’a aucun intérêt... Aucune poésie. Et sans poésie, pas de vie. Je ne sais pas s’il constate de lui-même l’étendue du désastre, mais son cou ploie, et ses doigts s’agitent, animant la mine sur le papier, rectifiant le tir, peut-être, d’un texte raté ? Je n’en sais rien. Mais ce que je sais, c’est que lorsqu’il se retourne et me remarque pour la première fois, son regard se fait assassin. Là, tout de suite, l’instinct de survie me hurle de m’éjecter de la baignoire, et de courir loin de cette pièce qui renferme cet animal. Mais cet instinct, je ne l’ai pas, je ne l’ai jamais eu, on m’a élevé comme ça. Aussi, seules mes lèvres se mettent à bouger, lui offrant ce dont il est incapable, parce que la force bestiale s'accommode mal de la faible poésie. « Peau d’ébène et traces de haine. / Collage d’os, stature de colosse, son cou ploie sous son poids. / Timbre animal, soif bestiale, y virevolte une absolue foi en soi. / Silence volontaire et téméraire, / Tu n’obtiendras de lui qu’une distance douce-amère. / Ses ancêtres, spectres intrépides, / Répandent autour de lui leurs sinistres rires vides. / Et pourtant... Aussi risible que futile, / Ezequiel n’a pas d’âme, pas plus que son slam. » Oui, alors là, évidemment, je passe pour le suicidaire de base, inconscient de l’épée de Damoclès de trois tonnes qui pèse au-dessus de ma tête. Pas du tout, j’ai totalement conscience de risquer un direct du droit en plein museau. Mais je m’en fous. Je m’en fous complètement. J’ai cessé d’avoir peur pour moi, il y a bien longtemps. Alors colosse ou pas colosse, aucune crainte ne m’anime. « Donc là, bien sûr, je te jette ça comme ça, sans réflexion au préalable. Y a très certainement des retouches à faire. » j’insiste en plus, soutenant son regard un moment, avant de reporter mon attention sur mon esquisse, reprenant mon travail là où il avait été interrompu.

Super, je viens de négliger la présence d’un guignol planqué dans une baignoire. Il est parti ou mon sixième sens ultradéveloppé ? Mon radar marche pas dans la salle de bain ça c’est sûr, mais qu’est-il arrivé à mes supers pouvoirs ? Ce mec vient de me démontrer que ma vigilance pouvait être facilement déstabilisée. Je le regarde pleinement, avec l’un de ses regards qui en dise un peu trop sur mes intentions. Une idée de meurtre – cette fois si très simple- traverse mon esprit hermétique instable : Pourquoi ne pas le noyer dans sa propre baignoire à la con ? Ça fait de moi un tueur ? Je le suis déjà, alors pourquoi s'atarder et ne pas s'executer ? La réponse est simple : Là-bas, au fond, y'a une caméra qui se fout de ma gueule et me jette, à chaque fois que je la regarde : 'Je suis entrains de te filmer pauvre connard !'... Ce mec, je ne l’avais jamais rencontré auparavant, je ne savais même pas qu’il existait. Pire que ça, je n’avais jamais suspecté qu’un mec puisse être capable de balancer ce que ce merdier vient d’éjecter hors babines… J’attrape mon carnet. Mon stylo à encre à du mal à se placer entre la jointure de mes deux doigts, résultant ainsi une maitrise maladroite de cet engin simpliste. Je suis habitué à manier pire, mais face à ce coton-tige, je bloque, littéralement. Ça ne m’empêche pas de noter et de gribouiller avec mes formes hiéroglyphiques. Mes pseudos-symboles ne sont visible que pour moi, ne sont lisible que pour moi et ne sont compréhensible que pour moi. C’est un langage bizarroïde que moi seul, détient la clé de son décryptage. D’ailleurs, le secret est simple, il faut essayer de ne rien comprendre pour oser comprendre… Tout ça pour dire que personne n’arrivera à comprendre. Bref, je passe de ligne en ligne, essayant d’achever un paragraphe. Je redresse la tête, pour voir ce que ça donne de loin, c'est comme l'option 'Prévisualisation', mais en plus simple. J'essaye de m’inspirer de ce que cet énergumène vient de lâcher par… Improvisation. Je gobe pas. Tout simplement par ce que je n’ai pas envie de le croire. Je dirige mon attention vers les lignes du carnet qui commencent cette fois-ci à se remplir progressivement d’une liste de note incompréhensible. Du charabia que seul moi peux interpréter. Je ferme le carnet. Ce con vient de me rafraîchir les idées. Et sans vous dire que je compte plagier chaque couplet qu’il vient de vomir pour les utiliser et en récolter des choses que seul moi y voit un quelconque intérêt. Qui s’intéresse à savoir communiquer ? Qui s’intéresse à apprendre comment aborder les filles sans les violer ou sans les pousser à fuir ? Tout simplement personne vu que ce même ‘personne’ ne trouve pas d’intérêt à aborder ou à communiquer vu que ça fait intégralement partie de sa constitution morale. Chose innée chez eux, pour moi, ça reste une chose acquise que je n’ai pas encore acquise. Mais un brave instinct me dicte que ce mec là, planqué dans sa baignoire… Limite à voir son positionnement stratégique, je ne vois pas de différence face à mon état de ‘merde zéro émotive’ au siens, c'est-à-dire de ‘poète parashooté des narines’. « Tu sais faire des blagues ? » Ce mec, je crois qu’avec ce qu’il vient de me balancer deux minutes auparavant possède la formule idéale pour faire de bonnes blagues, des blagues qui une nouvelle fois font partie de mon plan et qui m’aideront plus tard dans les situations futurs que je spécule. Qu’il ne se pose pas de question : Je veux apprendre à faire des blagues. Point. Pas pour en rire, non ça me laisse indifférent ça, mais bien pour aborder quelqu’un. J’ai lu que l’humour faisait renaitre des sentiments ? Qui sait ? Je rouvre mon carnet, prêt à retracer chacune de ses paroles, n’importe lesquelles, allant du mot hyper composé et hyper complexe au simple Hum Hum… Je note tout, je veux parler comme lui, lui ressembler dans sa manière à projeter ses phrases… Maintenant, va-il me convaincre avec ce que Laoise n’a pas put faire, une semaine auparavant ? Si elle, à échouer à me créer des blagues, je pense que lui, pourra aisément le faire… Faut voir après ce que ce vermisseau a dans le ventre…

Visiblement, il n’apprécie que moyennement mes vers. Au vu du regard qu’il porte sur moi, j’estime son degré d’agacement à cinquante-cinq sur une échelle de un à deux. Je pense qu’il y a moyen qu’il m’enfonce son stylo dans l’oeil. Aussi, lorsque je le surprends entrain de s’en emparer, j’imagine le pire un court instant, avant de reprendre mon travail personnel. Comme si un grand black -tout aussi colossal soit-il- armé d’un Bic, pouvait me coller les chocottes. Je ne suis pas totalement inconscient, je sais bien qu’en deux ou trois mouvements, il peut m’écraser le crâne entre ses deux mains comme on étoufferait un vulgaire petit chiot. Sauf qu’en fait, je sais qu’il ne le fera pas. Et s’il le fait, et bien... Tant pis. C’est pas comme si j’avais vécu dans la sécurité toute ma vie et que la mort pouvait encore avoir quelque chose d’effroyable à mes yeux. La mort, elle est partout, tout le temps, là où on l’attend, et aussi là où on ne l’attend pas. Alors, fatalement, on fini par s’y faire, se faire une raison, et on apprend à vivre comme si la faucheuse nous attendait derrière chaque battant de porte. Cela dit, j’ai quand même moins de chance de mourir du fait de son stylo bille dans l’oeil, que de me casser la gueule dans les escaliers et finir vidé de mon sang par les narines. Du coup, je m’en fous. De lui, de son stylo, et de son air à la con, constipé des sentiments, handicapé des émotions. C’est surfait. Ezequiel n’a pas d’ailes. Tiens, j’aurais du l’ajouter à mon slam, celle-là. J’imagine que, frustré devant mon silence ou mon absence d’appréhension, il va tourner les talons et aller terrifier quelqu’un de plus impressionnable que moi -ceci dit, je lui conseille d’enfiler quelque chose par-dessus son boxer, pour ce faire, parce que tout colosse qu’il est, tout le monde a l’air con dans ce genre de truc-. Aussi, lorsque je l’entends reprendre la parole, je suis presque surpris de le trouver encore là, et je manque de laisser échapper un commentaire de surprise. Non, Loxias, ferme ta mouille. C’est un fait de ne pas avoir peur, c’en est un autre de chercher la merde. Toutefois, je ne peux m’empêcher d’hausser un sourcils de surprise devant sa demande. Si moi, je sais faire des blagues ? Ok, il n’a donc aucune idée de qui je suis, sinon il connaîtrait absolument tout de mon absence d’humour. Enfin mon absence d’humour appréciable. Pour la plus grande majorité, je ne suis absolument pas drôle avec mon comique de situation, absurde et sarcastique, avec mes discours imagés, et mon esprit fantasque. Non, je ne suis pas drôle, enfin pas pour le commun des mortels... Mais, lui, encore moi. « Pour faire une blague, faut la comprendre, acte dont tu es totalement incapable. Tu penses vraiment pouvoir faire rire quelqu’un en lisant tes notes d’un ton monocorde. Faut avoir un minimum de potentiel oratoire... Et, désolé de te l’avouer ainsi, sans un minimum de préparation et un gros câlinou, mais... T’es totalement dénué de ça aussi. » Là, par exemple, je viens de faire de l’humour, et clairement, il va le prendre soit comme une provocation au deuxième degré, soit comme un aveu au premier. Bon, il a pas l’air convaincu, tant pis... Je vais lui démontrer de manière concrète que 1/ mon humour est merdique, et 2/ lui n’en a pas du tout. « Alors, c’est un mec qui entre dans un bar et qui crie “c’est moiiiiiiiiiiiiiii !!!”... » je commence avec sérieux, les yeux rivés sur mon élève d’un jour, et la tronche de celui qui fait ça parce qu’il n’a pas le choix. « Mais en fait, c’était pas lui. » J’achève, tout aussi sérieux, avant de me délecter du silence qui s’ensuit. Putain, on entendrait presque les grillons tellement l’ambiance est mortelle. « Laisse tomber, t’as pas besoin de prendre des cours d’humour, tu possèdes le tien propre, sans même en avoir conscience. Le contraste de ton comportement et de tes réparties lâchées comme des chiures de mouches sur un costume Armani, ont quelque chose de délectable pour les amateurs d’absurde. » Je lui confesse en me réinstallant plus confortablement dans ma baignoire, réajustant le bloc sur mes cuisses, avant de jeter un dernier regard au géant vert. « Et arrête de prendre des notes, est-ce que j’ai une tronche de professeur ? » Je secoue la tête en soupirant. Je suis presque étonné d’être toujours de ce monde.

Dès que ce mec ouvre la bouche, je sais déjà que ce qu’il va me sortir c’est du lourd y’a plus de topo à faire là-dessus. Franchement, ce mec il se ballade et moi ça me gave. Quand je vois qu’il possède une telle faculté, je me dis : Comment il a fait pour pouvoir faire sortir ce genre de phrases ultra-complexes avec des mots très recherchés et un style soutenu, avec une telle aisance… Faut pas se leurrer mais jusqu'à maintenant, ce mec il parle mieux que la Tweedy et dépasse tout ce que la scientifique conne à put apprendre dans ses labo merdiques. En me comparant à lui – ce que je ne préfère nullement faire- on remarque que mes phrases passent pour de la chiote tellement l’écart entre ce que ma bouche lâche et ce que la tienne balance est faramineux. Je trouve pas les mots pour décrire sa capacité énorme à ficher dans une phrase plus de huits mots à la fois, avec des liens logiques et contextuels, donnant à ce qu’il projette un effet clairement attrayant. Moi y’a une seule chose que je projette de cette manière : C’est le sperme, mais là encore, ça prend du temps à jaillir, pas comme lui qui lâche toutes les deux secondes comme une pipelette tout ce qui passe par sa tête. Bordel il a quoi dans le cerveau ce gars ? C’est sûr c’est pas de la merde. Et dès qu’il l’ouvre, dès qu’il s’apprête à parler, moi, avec mon organisme corporel en retard sur l'humanité, nous nous mettons à décortiquer chacune de ses phrases. Mon cerveau, à cause de sa faiblesse et l’absence d’outils linguistiques, ne fait que mémoriser bêtement ses phrases pour laisser à ma main droite la tâche de tout rédiger sur la feuille de ce carnet qui se fait pleine. Il m’explique, comme la conne de la chapelle que les blagues, j’y arriverais jamais vu que j’ai pas d’humour. Ouais ok je comprends, mais je veux quand même savoir. Et là il commence à m’annoncer que c’est mission quasi-impossible pour moi, que le fait de lire des blagues et des notes d’une telle manière n’arrivera jamais à faire rire les autres… Il se tape de ma tronche là pas vraie ? Limite je lui ai demander s’il savait faire des blagues, si gentiment que moi-même je me suis étonné dans ma manière à lui faire passer le message, mais là monsieur me fait ses pirouettes linguistiques largement rapides pour moi qui, en l’espace de trois secondes submergent mon cerveau incapable de gérer neufs phrases en même temps. De un, tout doux mon gars, je suis pas un robot. De deux, baisse un peu le niveau car tes phrases j’ai du mal à les comprendre. Après, le fait qu’il me dise que je n’y arriverais pas à cause de mon absence d’émotivité n’a aucun impact sur moi, il m’apprend rien le mec. Je sais que je n’y arriverais pas, mais on t’as pas appris dans ta putain de culture à la noix que le plus important c’était d’essayer ? Aucune idée, je sais même pas d’où il vient le blondinet et j’ai limite, pas envie de le savoir. Pour moi, c’est une machine à me fournir des blagues, et ça s’arrête là. Les minutes sociabilités c’est pas mon genre. Après, il arrête de faire le mariolle et me lâche enfin une blague. S’en est une cette fois, j’en suis sûr. Maintenant, pour lui montrer que je viens de rire –comme le groupe des gens normaux auquel je n'appartiens pas encore- j’atrape ma main droite, plus précisément mes doigts et j’étire en élargissant sur les côtés afin de créer un sourire déformé. Ça, ça veut dire : hahaha chez moi, même si à l’intérieur, y’a quedal. Je lâche ma main et je poursuis la rédaction de mes notes, prenant soin de rédiger cette pseudo-blague dans une nouvelle page vierge, loin de mes notes habituelles. J’ignore donc ces conseils et son avis personnel qu’il peut garder pour lui même et je lui adresse, en lâchant inconsciemment la froideur qui siège au fond de ma gorge ceci « Je viens de créer une blague. Tu me donnes ton avis ? » Pour moi, ce mec c’est un pro, et puis il vient de rectifier sans l’once d’un effort mon slam raté, alors si je dois demander à quelqu’un, c’est pas à cette conne de Laoise, mais bien à lui… Le truc du professeur, je l’ignore, limite ça sert à rien encore. Faudra-il lui préciser qu'avec moi, on dit l’essentiel, et pas ce genre de détails ? Je crois qu'il va pigé le pigeon... Fin' j'espère...

Il lui arrive quoi, là, au juste ? Spasme musculaire des zygomatiques ? Paralysie faciale ? Pourquoi ce benêt s’insère les deux index dans la bouche et tire ? Sérieusement, c’est tellement flippant qu’il me tire ma première réaction visible : une grimace. Je crois qu’il essaye de communiquer, mais même en langage des signes ça veut rien dire son truc. Je suis bien tenté de lui répondre en brandissant mon majeur, mais il comprendrait même pas tout le sarcasme latent dissimulé derrière ce geste. Ça sert à rien. Du coup, je me contente de lui répondre par un signe de tête répété qui signifie “c’est bien, mon grand, continue comme ça...”, avant de retourner à mon occupation première et autrement plus intéressante que la poutre de Bamako découvrant sa bouche. Je me concentre sur mon carnet, sans oser relever le nez. J’ai trop peur de le surprendre s’essayer à la découverte de son anus. J’en ai vu d’autres, mais tout de même, faut pas pousser. Alors je laisse les minutes s'égrener, avec la ferme intention de faire le mort. Parce que si je reste indifférent, il finira bien par se casser, non ? Non. Je l’entends gratouiller ses pages, et ça m’agace. D’ordinaire je peux me concentrer au milieu d’enfants jouant à la marelle dans un champ de mines, mais là, la simple bille grattant sur le papier a le don de faire grésiller mes tympans, juste avant mes neurones. C’est sa présence générale qui me dérange, parce que je ne sais pas à quoi m’attendre. Il peut tout aussi bien sortir un katana de son tout petit sloggy pour me foutre la lame en travers du front et me fendre en deux, ou se jeter à mon cou pour m’offrir une étreinte à m’en priver d’oxygène. J’ai bien du mal à comprendre les raisons qui ont pu amener un type comme lui, ici, et les raisons qui ont poussé la Production a l’accepter. Ils avaient plus de tarés du cul inoffensif en stock, qu’ils ont décidé de nous enfermé avec mec qui prend un plaisir sadique chaque fois que son couteau s’enfonce dans la chaire saignante de sa bectance ? Sans déconner, j’suis pas certain que les autres soient en réelle sécurité avec ce grand black dans les parages. « Je viens de créer une blague. Tu me donnes ton avis ? » Je relève le nez, à contre-coeur, de mon carnet, pour jeter un regard vide de toute envie, sur lui. Mais pourquoi moi, bon sang ? Vous n’allez pas me faire croire que sur 32 candidats, il n’a trouvé que moi à faire chier ? « Depuis quand tu demandes l’autorisation, toi ? » Je demande, réellement interloqué. Il n’a rien du type qui se soucie de ce que les autres souhaitent, pensent, ou conçoivent. Il m’a plutôt l’air du mec qui prend sur lui ne serait-ce que pour tolérer ma présence. J’ai du mal a envisager l’idée qu’il puisse me trouver quelque chose de différent des autres, si bien que je peine à comprendre cet homme. Essentiellement, aussi, parce que je me fous complètement de le comprendre ou non. Ce qui n’aide pas. Mais il paraît que je suis un faible, à en croire mon très cher paternel, et que c’est ma tolérance à l’insupportable capacité parasitaire d’autrui qui me pousse à le décevoir un peu plus à chaque seconde qui s’écoule. Je me dis que, aujourd’hui, selon sa propre échelle de déception, j’dois être en-dessous du niveau de la mer. Peut être même que j’ai entamé la croûte terrestre, et que je progresse très rapidement vers le noyau dur. Et comme pour donner raison à papa, je m’entends répondre un « Vas-y... » accompagné d’un geste de la main l’invitant à s’exprimer, à mon nouveau meilleur-ami-pour-la-vie-et-l’après-vie, l’Ezequiel lobotomisé.

Avec ce mec, je crois que mon carnet va devenir plein. Je lève ma tête vers lui, avant de gribouiller finalement trois phrases, de ma propre conception cette fois. Je viens d’’écrire ma blague. Mais c’est juste des phrases, des phrases détachées les unes des autres et j’attends que ce branquignole, devant moi, me fasse son coup de baguette magique pour me rendre ma blague abordable pour les autres. Car au stade ou elle est, franchement, on me prendrait pour un Cro-Magnon attardé de trois siècles. Ou au pire, la production décide que j'ai dépassé les limites, et là on me vire. Maintenant que j’ai ma blague préconstruite, je lui demande s’il peut me donner son avis. Mais je n’attends pas seulement son avis, j’attends une totale refonte de toute la blague pour qu’elle soit meilleure de ce qu'elle est actuellement, car franchement, avec mes phrases découpés en enzymes, je sais pas si je vais savoir aborder la personne que j’ai envie d’aborder ou pas. Je perds pas espoir néanmoins. Mais voilà que ce mec cloué dans sa baignoire entrain de chier des croquis cacahuètes me demande depuis 'quand' je demande l’autorisation. Ok. Maintenant, y’a la brosse à dent qui me supplie de ne pas être enfoncé dans l’orifice n°1 et préférais plutôt finir dans l’orifice n°2... D’habitude, j'dirais qu'elle est toujours enfoncé dans l’orifice n°2 cette conne, alors un dépaysement ne lui ferrait que du bien … « Depuis quand tu prétends me connaître ? » Depuis que monsieur s’est mit a écouter cette populace de limaces baveuses avec ses préjugés à la noix ? Surement, car moi, je cache derrière ce corps olympique un cœur tendre et unique, un cœur fourrée au chocolat fondant qui entre en contact avec les émotions et fait exploser des chocapics d’amour, de passion et de partage et là je vais arrêter de raconter des conneries. Ce mec a limite raison, mais je ne vois pas en quoi j’ai demandé l’autorisation car moi, je n’attendais qu’un seul type de réponse, et c’était l’approbation. Le point d’interrogation à la fin –imaginaire dans sa tête, mais pas dans la mienne- n’est que décoratif, donc qu’il s’emballe pas trop vite le puceau. . « Un noir. Il mâchait un Chewing-gum. Il est entrain de baiser une fille. Il a eu besoin d’une capote. Il a pris son Chewing-gum. Il l’a pénétré. Lui il la baise. Elle, elle mâche le chewing-gum. » Voilà, selon la théorie de Laoise, les blagues, ça vient de nous même, c’est personnel et ça nous définie généralement. Cette blague, c’est limite moi, sauf que je n’utilise jamais de capote, ni même de chewing-gum. Voilà pour monsieur, maintenant, au boulot. Je viens de lui donner les éléments essentiels, à lui de me donner une blague bien construite avec des phrases qui défoncent. Ma blague est nulle ? J’comprendrais, c’est la première qui m’est tombé d’un coup et c’est la seule qui me convenais. Si Laoise se trompe dans sa théorie, je la tue cette conne car elle m’aurait fait passer pour un con devant ce con. Maintenant qu’il a les composants essentiels, il attend quoi pour commencer son alchimie de merde ? Bon j’ai pas trop le temps aussi à perdre avec lui, il me passe ma blague, je me barre, et on se revoit plus ; il aura tout de même participé d’une quelconque manière au plan, oui, un tout petit peu…

« Depuis quand tu prétends me connaître ? » J’arrive pas très bien à comprendre ce qu’il attend de moi, mais je ne suis pas encore suffisamment lobotomisé pour ne pas constater qu’il agit sensiblement différemment avec moi. Surement parce qu’il a besoin de moi en cet instant. « Depuis que j’ai posé les yeux sur toi pour constater que le reste de l’humanité t’indiffère en-dehors de ceux qui te sont utiles d’une quelque manière que ce soit. » je lui réponds sans relever le nez de mon calepin. J’ai pas besoin de le voir pour connaître ses réactions, puisque des réactions, il n’en a pas. Dépourvu d’émotion, ce type n’a même pas une seule ride d’expression. « Traduction : t’en as rien à foutre des autres. Tu prends ce que tu veux, tu demandes pas. » je simplifie, j’estime que c’est mieux, pour lui, vu le niveau de son slam. Cela dit, j’dois être dans un bon jour -bien que ce dernier fusse entrain de se ternir singulièrement de minute en minute- puisque je l’autorise à me faire entendre sa blague. Je ne lève pas plus les yeux, ce n’est pas nécessaire. Je n’ai pas besoin de le voir pour l’entendre, et j’ai pas envie de le voir pour constater le vide intersidéral qui se répand dans son corps, et probablement dans sa tête aussi. Mais mon absence de regard est de courte durée puisque, à peine a-t-il entamé sa “blague” que déjà, mes yeux se braquent sur lui, frisant de consternation, tandis que mes lèvres s’entrouvrent. J’ai l’air de pas y croire ? Normal, je n’y crois pas. Je suis censé faire quoi, là ? Donner mon avis ? Mais j’ai même pas d’avis, là-dessus. J’ai absolument rien à dire, j’trouve pas les mots. Je garde le silence un long moment, incapable de laisser ne serait-ce qu’un mot franchir le seuil de mes lèvres. Et puis, peu à peu, je retrouve l’usage de mon cerveau, de mes mains, de mes jambes, et finalement de ma bouche. « C’est... » C’est quoi ? Consternant ? Nul à chier ? Vulgaire ? Dégueulasse ? Sans intérêt ? Absolument pas drôle ? Dénué de sens et d’humour ? Ouai, c’est tout ça à la fois. Sauf que j’arrive pas à le lui dire. Formuler tout ça à voix haute donnerait une existence concrète et réelle à tout ça, et mon esprit s’y refuse. « Tu sais quoi ? » je finis par lâcher, décider à oublier le contenu de son calepin. « Oublie l’humour, c’est vraiment pas ton truc. Si t’as besoin d’un passe-temps, trouve autre chose, je sais pas, va tuer des oiseaux, torturer des petits lapins, mais surtout... Surtout... Ne retente plus jamais de faire des blagues. » Je secoue la tête, ferme les yeux, frissonne légèrement, tente par tout les moyens d’occulter cette série de phrases jetées, crachées sur moi, avec une vulgarité salissante. « A la rigueur, reprends le slam, là, au moins, y avait un début de quelque chose. » Quelque chose de naze, mais au moins ce ne suscitait pas l’envie de se tirer une balle dans la bouche à l’auditeur. Sur ce, je tente d’oublier les mots d’Ezéquiel, et Ezéquiel lui-même, en disparaissant au fond de ma baignoire, me replongeant dans mon paysage mémorable, tout le reste n’existe plus. Hors des bords de cette baignoire, il n’y a plus rien.

Alors là, je sais vraiment pas quoi dire. C’est soit ce mec à un pouvoir, soit j’ai une putain d’étiquette collée sur mon front qui me trahie à chaque fois que j’ouvre cette gueule de garagiste. Je dirais… Mmm… Les deux. Ce mec, c’est pas un mouton, il a vraiment réussi à me résumer d’une manière ou d’une autre avec ses super-phrases 5 étoiles, et avec une facilité déconcertante même… Comme si ce gars lisait, au sens propre du terme, aisément entre mes lignes.Sauf qu'il n’a vraiment pas à s’en réjouir, je ne suis qu’un vulgaire bouquin avec un contenu vide et un niveau proche de celui d’un gosse de cinq ans. Petite précision quand même, si j'étais un livre, je serais un grand livre, avec une grosse couverture noire… Très belle et très… Bon j’arrête. Mais avec zéro contenu, rien, niet, nada, pages vierges, quedal. Et alors ? Je dirais que son super pouvoir d’observation ou je sais pas quoi, ne sert limite à rien. Il ne sert vraiment à rien, surtout avec moi. Il vient de me lire en deux secondes… Et alors ? Conséquence ? Pwaf. S’il le voulait, j’aurais pu lui épargner de m’observer cinq minutes et je lui aurais balancé direct sur un plateau d’argent les infos qu’il a intercepté sans véritables efforts à ce qu’il parait, car si ça l’enchante de frimer d’avoir pu me démasquer ou découvrir mes points faibles, je m’aurais moi-même proposé pour les lui montrer, lui faire tout savoir, lui faire tout connaitre, que ça soit mon numéro fétiche ou mon fusil à pompe préféré. J'ai pas de numéro fétiche. Moi, ça me dérange pas qu’on me connaisse, je trouve ça vraiment absurde et une perte de temps lamentable, car à quoi ça sert de découvrir l’autre ? A quoi sert cette merde, vraiment ? Je sais d’ores et déjà que son truc coagulé dans sa tête de blondie ne succite aucune crainte pour ma personne; car moi, dès que le sang me monte à la tête, j’commence à virer au rouge. Direct. Sa première déduction j’arrive pas à la capter tellement c’est trop lourd pour moi, j’abandonne car à quoi bon de savoir s’il a vu juste ou pas… ça revient au même cas : aucun effet. Après, il me présente une… Traduction. Plutôt une simplification de sa longue tirade de merde. Là, j’intercepte le message subliminal : Ce con a comprit, en plus de ce qu’il m’annonce, le plus flegmatique que possible, que j’arrivais pas à comprendre les phrases trop complexes… Ce gars est vraiment fort, y’a plus aucun doute là-dessus. Mais son intelligence à lui, je m’en branle, car j’en ai pas besoin. J’ai quelque chose de plus puissant, de la contre-intelligence si vous le voulez, et il l’énonce lui-même , sans s’en rendre compte : L’insouciance et l’indifférence totale. Par exemple, moi, avec zéro intelligence, je peux, d’une simple prise, détruire et faire évaporer tout ce que la scientifique du nid du X à appris en quatorze années d’études à la noix, d’une simple prise, d’un simple geste, je peux lui ôter la vie, sans rien sentir, sans rien regretter. Lui, avec son cerveau de mirliflore qui crépite à la fréquence 4G, je peux le lui couper en deux en lui enfonçant une hache dans le crâne, sans aucun remord et sans douter de ma capacité d’agir une nouvelle fois et la lui remettre entre le coccyx et le sacrum. Le côté humain n’existe plus. Le côté peur n’existe plus aussi. Et qui dit peur dit limite, et moi, les limites, je les connais pas. C’est pour ça que je suis dangereux, et que ce mec avec son cerveau d’Einstein ne représente rien pour moi, rien de dangereux, rien, car son intelligence, je l’annihile au point mort en deux minutes, pas plus. Ce mec, encore une fois, n’a pas vraiment tort dans tout ce qu’il vient de balancer et c’est là ou je note vraiment ses capacités méga-cheaté, car d’habitude, je donne aux gens deux minutes. Durant ce laps de temps, j’opère, si ça m’intéresse, j’exploite. Sinon, je me barre. Facile. Après, j’impose un périmètre de sécurité entre les gens, minimum cinq mètres de diamètre pour pas être obligé à faire de conneries, puis les réglages changent au fur et a mesure, donc si la personne m’intéresse plus, j’élargis le cercle de sécurité et je la vire de mon espace, et ce mec là, au moment ou il a refusé d’apporter du peps à ma blague préhistorique, m’intéresse plus. « Tuer les lapins ça fait pas rire les gens. » Bon, je survole un peu mon gars car même si dans le côté ‘blague&humour’, il n’est pas très compètent, je peux essayer de lui soutirer d’autres faveurs car ce mec c’est une vraie mine d’or, et il cache bien plus de dons que ce don oratoire dont il fait preuve dès le début… « Je veux dessiner. » Et là, je remarque son bloc-notes ou il gribouille depuis presque… une heure ? Aucune idée, j’ai pas envie de savoir. Ce que j’ai envie de savoir, c’est savoir dessiner, en plus ça peut remplacer les blagues, c’est même un substitut convenable vu ma défaillance humoristique. Alors, comment on dessine loupiot ? Pas besoin de te répéter que si t’acceptes pas, on passe au niveau deux…

J’sais pas ce qu’il me veut, je ne comprends pas pourquoi moi. Mais finalement, est-il utile de se poser la question ? J’étais juste au mauvais endroit au mauvais moment, il m’a vu, ça l’a occupé un instant. Ok. Mais pourquoi il reste ? Il veut apprendre à faire des blagues ? C’est mort. Je suis un terrible professeur, il est un très mauvais élève. Peut être que dans son esprit primitif et unilatéral il s’imagine un pouvoir magique émanant de moi, une aura qu’il pourrait pomper du fait de sa proximité… J’en sais rien. Ce type est vide de sens. Tout le monde l’est plus ou moins dans ma conception des choses, mais lui c’est assez caractéristique de sa personnalité. Zéro émotion, zéro réaction, je suis même étonné que ce mec puisse avoir des envies autres que manger-baiser-tuer-dormir. La fréquence de base, les instincts primaire, le retour au cerveau reptilien. Sauf que malgré ses demandes et au risque de me prendre une balle entre les deux yeux, je fini par l’envoyer chier. Il est incapable de faire une blague, même avec la meilleure volonté du monde, il ne pourra jamais parvenir a faire rire quiconque sur demande. Lui, son humour réside dans la surprise, l’absurde et le décalé. Son humour réside dans le fait qu’il ne cherche pas à en faire. Ce qui sort spontanément est bien plus savoureux et authentique que tout ce qu’il pourra gratter sur papier. Si bien que lorsqu’il annonce avec sévérité que tuer des lapins ne fait pas rire les gens, mon nez se redresse afin de trouver la touche d’amusement retenu dans ses traits, et à défaut, je laisse échapper un rire. Les seuls moments où il ne cherche pas à être drôle, sont ceux où, justement, il l’est. J’aimerais lui faire comprendre mon amusement en cet instant même, mais je sais qu’il s’agit d’une peine perdue d’avance, il ne parviendrait pas à comprendre. Et puis, il semble avoir changé d’avis. Etirant son cou pour parvenir à voir ce que je fabrique, il est pris d’une brusque envie d’apprendre le dessin. Là encore, j’ai envie de rire, mais me retiens de peur qu’il finisse par croire que je me fous de sa gueule. Ce grand type qui a conscience de ses lacunes considérables, semble totalement étranger au concept d’inné, et s’imagine tout pouvoir apprendre sur le tard et en vitesse. Toutefois, qui sait, Norman Rockwell hiberne peut-être dans sa tête, et je m’en voudrais de ne pas l’aider à l’y en faire sortir. « Dis-moi, l’ange déchu, tu connais la notion de ‘don’ ? » Je lui demande en arrachant une page vierge de mon block-note. « C’est une capacité un peu spéciale avec laquelle tu es né, une capacité ou un talent que tu n’as pas eu besoin d’apprendre. Toi ça doit être la tuerie et les massacres. » Je m’arrête dans ce que je faisais pour lever un index et le nez, comme pour signifier que je fais une pause dans mon récit, une courte pause. « Là, par exemple, c’était de l’humour sarcastique. Prendre un fait qui n’a rien de moral ou normal, et l’annoncer avec légèreté comme si on n’en avait rien à carrer. » Et je reprends mon ouvrage, fronçant les sourcils par moment afin de mieux me concentrer sur ce que je dessine sur la nouvelle page vierge. « Donc… un don. Toi, tu n’as clairement aucun don pour la communication, ni l’humour, ni le slam… Voyons voir si tu caches quelques talents pour le dessin. » J’appose ma touche finale, et lui tend la feuille de papier. En haut, un vase, le plus simple possible, avec, tout de même, un travail d’ombre et de lumière pour faire ressortir les courbes. Et en bas, rien. Une partie vierge destinée à accueillir la reproduction qu’en fera le grand black. « Essaye de reproduire ce que tu vois, simplement reproduire. » je lui demande en lui offrant un des mes crayons de papier… Il est observateur, il devrait ne pas trop mal s’en sortir.