Je n’avais pas résisté à l’appel du beau temps à l’extérieur. Il faisait vraiment trop beau pour rester à l’intérieur, ce serait même un crime. Et puis, j’avais plus l’habitude, à Paris d’être dehors que dedans, et on a tous du mal à perdre ses bonnes – ou mauvaises – habitudes. Donc, presque comme un automatisme, j’étais allé dehors, pieds nus, ayant peut-être un peu trop confiance en la volonté de la production de faire en sorte que personne ne se blesse – mais très franchement, qui aurait eu l’idée de planquer des morceaux de verre dans la pelouse, hein ? Donc pieds nus, vêtu légèrement, je gambadais – c’est une image hein – parmi les fleurs du parc. Je me promenais plus que je ne profitais du soleil, gardant ma pause bronzage après mon quart d’heure de promenade. J’arrivais alors à côté du lac. C’était vraiment joli, surtout avec le soleil qui faisait briller comme de l’or la surface. Je me perdais en contemplation. C’était décidé : un jour, le jour où je serais riche – ou pas d’ailleurs – je ne boirais plus que du champagne et j’aurais un lac. Oui, vous avez très bien compris, un lac à moi tout seul, dans mon jardin – ou sur ma terrasse, mais ça semble moins réaliste tout de même. J’en étais là de mes souhaits lorsque j’entendis les pas de quelqu’un s’approchant. « Alors, Daphnis, content d'être resté ? » Je tournais la tête vers l’inconnue, surpris t’entendre mon prénom avant de reconnaître Laoise. Oui, après tout ce temps je commençais quand même à me rappeler quelques prénoms sans jamais avoir parlé à ces personnes. C’était bizarre comme question … Mais je ne me démontais pas, un petit sourire aux lèvres. « Plutôt, oui. » Je n’étais pas très bavard pour une fois. « Ça craint que tu sois encore nominé. » Je grimaçais et pour cause depuis le début de l’aventure je n’avais pas eu le droit à un seul prime sans être nerveux. Ca devenait fatiguant à la longue … « Tu es dans un état d'esprit positif, j'espère. » Je cessais de grimacer pour sourire. « Toujours voyons ! J’me dis que si au bout de toutes ces nominations je suis encore là, j’ai bien une chance de rester une fois de plus. » Et mon raisonnement se tenait très bien s’il n’était pas aussi hasardeux. « Après tout, y’a bien des gens qui ont du tomber amoureux de mon teint de pêche. » Je papillonnais des paupières, prompt au jeu. Je n’avais vraiment pas envie de m’apitoyer sur mon sort, mais plutôt de profiter de ces instants qui m’étaient offerts, ici. « Ou de mon p’tit nez … » Avais-je besoin de dire que je me prenais très rarement au sérieux ?

Je n’étais vraiment pas d’humeur à pleurer toutes les larmes de mon corps parce que j’allais sûrement quitter l’aventure en fin de semaine. Très peu pour moi tout ça. Et par parce que pleurer c’est pour les fillettes – tout le monde pleure, faut pas s’leurrer – mais parce qu’il fallait profiter, maintenant. En charmante compagnie. A rire, un peu, à prendre tout à la légère. Parce que, très franchement, être sérieux parfois ça craint. Je la laissais donc rentrer dans mon jeu, un p’tit sourire de plus en plus ravi sur les lèvres. Apparemment, j’avais trouvé quelqu’un avec qui plonger dans le délire. C’était une bonne chose. « Je suis sûr qu’ils ont tous enregistrés les moments où je suis tout nu sous la douche … » Mais là, tout à coup, je grimaçais. « Ou alors ce sont mes potes qui l’ont fait … J’suis pas sûr que ce soit une bonne chose, là par contre. » Je me grattais l’arrière de la tête, me demandant ce qui allait m’arriver une fois rentrer. « Bref on s’en fout ! Tant qu’il y a des gens pour rêver de moi la nuit … » Je laissais mes problèmes futurs derrière moi. J’aurais bien le temps de m’en inquiéter plus tard. « Par contre, à baver, c’est tout de suite moins glamour. » Je ris, amusé de l’image mentale. « Tu les imagines, tout gluant, les mains accrochées sur le poste de télé, style zombies, en train de répéter encore et encore ‘Daphnis … Daphnis …’ » Tout ça en imitant la scène en live, bien sûr. Oh, ce que j’avais l’air d’être beau. Soudain je m’arrêtais. « C’est glauque quand même. » Et je partis dans un rire franc. « ‘fin, je suis sûr que tu dois en avoir aussi, des gens totalement zombéifier par ton charme fou. » Je lui fis un clin d’œil, faussement charmeur.

Elle prit un air faussement sérieux – tout du moins, ce fut que je devinais – pour déclarer qu’évidemment, tout le monde devait être tombé face à elle, totalement amoureux, totalement irrésistiblement attirés. Etait-ce loin de la réalité ? Peut-être pas, après tout, on ne savait pas trop d’ici ce qu’il se passait à l’extérieur et on ne pouvait qu’entrevoir les préférences lors des primes et des éliminations. Quasiment rien quoi. Certes, je n’aurais rien donné pour savoir, j’étais pas du genre curieux, mais tout de même, c’était stressant de se dire qu’on était tant coupé du monde. Stressant, étrange, et en même temps, peut-être un peu réconfortant. Ici, on était presque protégé en fait. Plus ou moins. Bon exposer aussi. Mais, ça ne faisait rien, j’assumais totalement de participer à cette émission. Je pouffais de rire en l’entendant parler, avant de moi-même prendre un air très savant. Un air d’arrogance. Je devais ressembler subitement à un p’tit gosse de riche. Ce que j’étais loin d’être. « Tout à fait, très chère, n’en doutez jamais. Vous êtes sûrement devenue une déesse pour le bas peuple des quartiers. Avec votre splendeur, votre élégance ! » Je m’emportais. Puis j’explosais de rire. « Cela dit, j’pense qu’il vaut mieux se dire qu’ils nous aiment tous, que s’imaginer qu’ils nous jetteront des tomates dans la rue quand on sortira … » C’était beaucoup moins drôle tout à coup. Mais plus réaliste aussi, soyons honnêtes.

La conversation était soudainement devenue bien plus sérieuse. Je ne savais pas si c’était mieux, ou pire. Peut-être que ces sujets là devaient être de toute façon abordés un jour ou l’autre, et on s’était déjà tous posé ces questions – ou alors on n’était pas très lucide. C’était bien loin de notre délire quelques minutes plus tôt. Mais on est vite rattrapé par la réalité des choses. Comme si la nature nous avait fait pour qu’un jour ou l’autre on retombe spontanément les deux pieds sur Terre. Si vous voulez mon avis, la nature c’est une chieuse, quoiqu’on en dise. Une teigne. Bref. J’entrapercevais les peurs de Laoise. Et elles étaient totalement justifiées. C’est juste que j’avais tendance à ne jamais m’en faire, à laisser pour demain les p’tits soucis du futur. A y penser puis à tout oublier juste après. On pourrait dire que j’étais je-m’enfoutiste à mort. Peut-être. Sûrement même. J’haussais les sourcils, et je fis un petit sourire rassurant. « T’sais, ils ont beau jugé, ça change rien à ce qu’on est. Et on est bien comme ça, nan ? J’veux dire, ils peuvent bien penser ce qu’ils veulent, quoi. Au fond, on en a rien à foutre, ‘fin, j’en ai rien à foutre. Bon, j’dois avouer que parfois, ça me stresse un peu, tous ces regards. Mais après, t’oublies, tu vis. » Je voyais les choses comme ça. C’était peut-être très simple comme vision des choses, mais ça m’avait permis de vivre sans trop me poser des questions, avec liberté presque. Je ris un peu. « Oui, c’est d’la folie. De la folie pure, en fait. Qui peut être assez fêlé pour s’exposer comme ça, hein ? Nous ? Ouais, on est malade d’être ici. Mais on y est parce qu’on l’a voulu. J’veux dire, personnellement, j’voulais juste participer. Voir ce que ça fait. Tenter l’expérience. J’ai pas trop … J’ai pas trop pensé à toutes les conséquences et à tout ce que ça impliquait. Mais toi, t’es ici pour quoi ? » Peut-être que la question était mal venue, mais elle me l’avait bien posée, elle.