Daphnis est éliminé, et cette nouvelle m’attriste véritablement. Je n’ai pas partagé beaucoup de moments avec lui à part nos nuits quotidiennes, mais j’aimais bien le harceler pour qu’il me raconte une ou deux histoires avant de dormir. Et maintenant, qui va jouer les conteurs pour moi ? J’aurais aimé apprendre à le connaître davantage, et par la faute du public je me retrouve célibataire. Et je n’ai aucune envie de dormir dans un grand lit froid, aussi je me dirige naturellement vers le parc, une coupe de champagne entre les doigts. J’en fais tomber quelques gouttes par terre en essayant d’en boire le contenu, trottinant jusqu’au Rialto du pauvre. Je termine ma coupe, la posant sur la rambarde tandis que je libère ma chevelure platine qui retombe sur mes épaules nues. Je fixe le lac dans ciller, plissant les yeux, me penchant dangereusement vers l’avant. Cela dit je n’ai pas le temps de mettre mon idée à exécution, puisqu’un intrus m’interrompt tandis que je suis prête à frapper. J’accroche son regard en me reculant légèrement, reconnaissant Nora, la demoiselle qui semble-t-il intéresse notre jeune Loxias. Mais ça, je l’ai déjà quasiment oublié. A la place je souris bêtement en sautillant. « J’essaie d’attraper des poissons . . . mais il faut d’abord les repérer. » J’annonce fièrement et tout à fait sérieusement en brandissant une pince à cheveux qui trônait dans ma chevelure platine à présent libre. C’est mon harpon, au cas où elle n’aurait pas compris. Cependant je désire épier ma proie avant toute chose, et pour cela quoi de mieux que se percher sur le point de vue le plus haut ? Comme si je pouvais distinguer quoique ce soit dans l’obscurité. La demoiselle semble croire qu’elle me dérange, aussi je la retiens pas le bras pour l’empêcher de s’éloigner. « Ah non au contraire, je m’ennuie. Tu m’aides ? » Je lui demande avec les pupilles suppliantes, lui tendant ma barrette comme si je partageais mon dernier quignon de pain en pleine famine. Je descends du pont pour me mettre à plat ventre dans l’herbe, lui faisant signe de patienter. Au bout de quelques secondes je pointe une parcelle du lac de mon doigt en criant, euphorique. « Là, là, là, viteeeeee ! » Je m’agite comme une idiote, lui sommant de lancer ma pince pour embrocher l’animal que je crois percevoir dans l’eau et qui n’est sans doute qu’un reflet de la lune qui s’agite dans les rides.

« Où ca, où ca, où ca ? » Mais là bon sang, elle est aveugle ? Pourtant on ne voit que ça qui s’agite dans l’eau, je ne comprends pas. Je continue de me tortiller comme un ver de terre en pointant mon index à la surface, décidant de prendre les choses en main en lui sommant de m’envoyer la barrette pour que je procède à la tuerie. Sauf qu’elle lance avant autant de précision qu’un baromètre qui annonce la météo, ma belle pince brillante finissant au fond de l’eau. « Mais . . . » Je laisse échapper faiblement, particulièrement attristée par cette constatation. Bon je n’aurais sans doute pas fait mieux, mais tout de même ! Et en plus elle en rajoute en m’arrosant impunément, une pluie d’eau s’écrasant sur mon visage médusé. Je n'ai pas trop bu, quelle idée franchement. Quelques mèches platines retombent lourdement sur mes joues, se collant désagréablement à ma peau, cependant je me mets à rire devant sa mine réjouie et victorieuse. « Ouuuuh tu vas me le payer ! » Je menace en me relevant, prête à lui sauter dessus. Toutefois je me stoppe net dans mon élan avant même d’avoir entamé ma course, l’air visiblement paniqué. « Oh non pas encore . . . » Je lâche en fronçant mes sourcils dans une moue inquiète, m’agenouillant près du bord du lac en tâtonnant l’herbe sous mes pieds. « Ma lentille, j’ai perdu une lentille, ma lentille ! » Je répète mon problème à trois reprises, juste au cas où elle n’aura pas compris les deux premières, me tournant dans tous les sens même s’il est impossible de les retrouver dans l’obscurité. Cela fait déjà trois fois depuis le début de l’aventure que ces mots s’échappent de ma bouche, après le labyrinthe et la douche. Elle est certainement tombée dans l’eau, me laissant au bord des larmes, un regard suppliant se posant sur la silhouette de la demoiselle pour l’inviter à venir m’aider dans ma vaine quête. En plus c’est de sa faute, il faut le préciser ! Et avec une demoiselle bourrée, les humeurs varient avec autant de facilité que les montagnes russes. Excitation, joie, tristesse . . . imprévisibles.

Nora propose gracieusement d’aller chercher ma barrette au fond du lac dès demain, histoire de se faire pardonner. Vraiment ? Elle ferait ça pour moi ? Non mais ce n’est pas la peine, la pauvre risquerait d’y laisser un œil si elle ouvre ses paupières sous cette eau dégoutante ! Je ne voudrais pas qu’elle devienne borgne ou aveugle par ma faute, aussi j’efface cette tragique histoire d’un geste de la main pour lui faire comprendre que je suis au dessus de ça, secouant la tête poussant un petit bruit caractéristique signifiant clairement : t’en fais pas pour ça, on est cool ma sœur. Mais au lieu de me remercier de l’avoir ainsi graciée de sa terrible faute, la demoiselle m’envoie une gerbe d’eau en pleine figure. Non mais si ce n’est pas de l’ingratitude ça, mesdames et messieurs. Traîtresse. Et en plus elle ne croit pas une seule seconde en mes menaces, comme si elle me voyait très mal me jeter sur elle pour lui arracher la peau du cou avec les dents. Bon d’accord, je me serais sans doute plantée devant elle en ne sachant que faire, lui pinçant finalement l’oreille, mais une autre idée me vient, bien plus intéressante. Une idée que j’ai déjà mise à exécution avec Loxias sous une autre forme. Elle veut vraiment voir ça ? Très bien, alors pourquoi elle ferme les yeux ? Non vraiment, ce n’est pas logique . . . Cependant ce détail ne me perturbe pas très longtemps étant donné que je ne décolle jamais de mon endroit initial, m’agitant près du lac en hurlant que ma lentille s’est faite la malle. Je tends mes bras devant moi, comme un zombie, attendant que la demoiselle me rejoigne pour mettre mon plan en œuvre. Par chance elle a une âme charitable et ne tarde pas à me porter secours, imaginant presque que l’on pourrait la retrouver dans l’herbe, sans compter sur l’obscurité. Elle est mignonne la Nora, et elle n’a sûrement jamais eu de lentilles de sa vie ! J’en ai perdu une en voiture, et même devant ma glace. Alors rien n’est moins sûr que parvenir à la dénicher au milieu des herbes hautes. Mais le geste y est, enfin presque puisque finalement elle semble avoir quelques doutes. « Là, là, je crois. » Je lui montre un endroit juste au bord de l’eau en pointant mon doigt, genre j’ai une vision nocturne ultra développée. Puis je souris malicieusement, plongeant mon regard dans le sien. « Ah non pardon, en fait elle est toujours dans mon œil. » Je la pousse alors de mes deux mains, la projetant dans le lac en riant. « Alors, on dirait que j’ai été sous-estimée, non ? » Je la nargue en continuant de rire, me tenant le ventre devant cette scène. Mince, et si elle ne sait pas nager ? Aussi je ramasse un bout de bois qui traîne à mes pieds, presque paniquée à cette idée, le tendant vers elle.