J'avais fini par trouvé le sommeil après une longue discussion avec Elliot et l'effeuillage d'un livre intéressant mais véritable somnifère. J'avais retrouvé Tris, allongée au milieu du lit les bras en croix et, doucement, je m'étais fait une place près d'elle, laissant le sommeil m'envahir jusqu'à ce qu'elle se lève. Je n'ai jamais eu le sommeil lourd. Le moindre petit craquement me réveille généralement et pire, le moindre petit rayon de soleil met fin à mon sommeil. Si bien que, ce matin, lorsque le soleil pointa le bout de son putain de nez, j'étais réveillé, des cernes gigantesques sous les yeux. Moi, il me faut au moins dix heures de sommeil pour être en forme et de bonne humeur. Là, j'en avais eu cinq. De quoi me mettre en rogne. Et qu'importe que je sois chez moi ou ici, ça ne changera pas. Que personne ne me parle tant que je n'ai pas bu un café. Jogging et tee-shirt XXL, je continue ma balade commencée ce matin trop tôt pour me souvenir de chaque coin de rue et mes pieds me mènent au lavoir, l'endroit sur lequel je m'étais tapé une bonne bar dimanche soir. Pas question que je lave mes habits là dedans. Pas question que je bousille mes mains sur ces espèces de planches dont je ne connais même pas le nom. Néanmoins, je m'approche, inspecte et touche, teste et.. non, décidément ce n'est vraiment pas pour moi. Et pour cause.. « Putain de bordel de merde ! » Je hurle, je grimace. La fatigue prend le dessus sur toutes mes émotions et ainsi, une pauvre petite égratignure devient un trou béant dans mon doigts. Je perds mon sang. Je maudis cette planche et ce lavoir et mets mon doigt dans ma bouche, juste à temps pour que Malik me surprenne. Je lui donne l'occasion de se foutre de ma gueule comme j'ai pu le faire le soir du prime. Qu'importe. « Tiens, je me suis demandé où tu étais passé. » je tente d'articuler, mon doigt tient toute la place dans ma bouche. « T'as l'air complètement crevé, ta partenaire t'as fatigué ou elle a prit toute la place dans le pieu ? » je continue, mon doigt toujours enfilé dans ma bouche comme si cette égratignure pissait le sang.

« Je n'étais pas bien loin. » Ok, j'ai pas l'habitude de me sentir mal mais son visage me fait penser à mon frère et me prend au tripes. En fait, je crois que dès le début, je l'ai identifié à mon petit frère et me suis comporté comme s'il l'était. En le vannant, comme à mon habitude. Dans cette optique, je n'avais pas voulu être désagréable. Loin de moi l'envie de faire mauvaise impression. Et là, j'ai la nette impression que chaque phrase que je prononce le touche - je n'en suis pas sûre, j'ai l'impression seulement - et que ses réponses sont sèches. « Oh non, à vrai dire j'ai un peu de mal à trouver le sommeil depuis mon arrivée ici. » Je souris, tant bien que mal et enlève ma saleté de doigt de ma bouche. « Bienvenue au club. » Ma voix est un quasi murmure. Je suis vraiment trop dans l'extrême. J'ai eu l'impression de le vexer, le blesser, alors je murmure. C'est absurde. Je m'assieds sur le rebord du lavoir que je tapote pour qu'il me rejoigne. « Et toi tu as l'air... à cran. » Vraiment ? Il me manque plusieurs heures de sommeil et je suis en manque de nicotine. « J'ai le droit d'en allumer une tu crois ? » je m'enquière histoire de ne pas faire une connerie et me faire réprimander. Je laisse passer un moment et je continue, sur cette même vois sereine, un sourire en coin. « Je manque de sommeil et j'ai pas fumé depuis.. au moins six heures, je crois. » je termine avant de poser mon regard sur mon doigt. Pas une trace de sang, absolument rien. « Ton doigt, qu'est-ce qu'il a ? » « J'ai essayer la planche au cas où j'en ai besoin et.. voilà. » je réponds, un peu honteux. Non, je n'ai jamais fait mal lessive de ma vie. Comme je n'ai jamais fait à mangé et je n'ai encore jamais travaillé. Je suis un gros looser de ce côté-ci de la vie et je n'en dors pas plus mal la nuit. Moi, ma came, c'est les voyage - à l'aide du fric de mes parents qui, moins il me voient, mieux ils se portent - et la littérature française. Et quand j'aurai écris mon livre dont les idées sont couchées sur papier, je serai riche et j'aurai pas besoin de travailler. C'est cette douce utopie qui me berce depuis plus d'une dizaine d'années. « Au fait, - » je brise le silence, son regard se pose sur moi et je souris. Il a les même traits que lui, c'est affolant. « J'm'excuse pour.. toutes ces vacheries que je t'ai balancé c'est juste que tu ressembles vraiment beaucoup à mon frère et.. j'ai fait un peu comme si. »

« Je pense que tu peux, oui. Car même si c'est interdit, tu auras certainement terminé de fumer quand les vigiles accourront avec leurs matraques. » Je ris mais déjà, ma clope est au bord de mes lèvres. Le manque de nicotine fait trembler un peu mes doigts. Je sors un briquet et j'allume mon précieux dans lequel je tire une longue latte qui se propage dans mes poumons et me fait un bien fou. Comme il n'a pas l'air de fumer, je crache le tout en tournant la tête de manière à ce qu'il se sente rien. Je respecte les gens qui ne fume pas et je conçois qu'ils ne veuillent également pas être des fumeurs passifs. C'est encore pire, il me semble. « Raison de plus pour te faire plaisir ! » Son engouement, sa joie de vivres me font rire. Je souris de toutes mes dents. « Putain ça fait du bien. » je souffle tandis que la nicotine se propage en moi et me calme. Je suis sur les nerfs quand je ne fume pas. Et c'est dans ces moments-là que je me rends compte que je suis complètement accro. Le fait d'arrêter m’effleure l'esprit et puis, quand je fume de nouveau, cette idée disparaît dans un nuage de fumée. C'est un cercle vicieux. Et au final, mourir de cette merde ou d'autre chose revient au même, selon moi. Et puis, je me calme, je m'adoucit et je m'excuse. C'est assez improbable pour moi et pour cette fierté qui me caractérise. « Je... merci, mais t'avais pas à t'excuser. » Voilà. Je ne comprendrai jamais la psychologie des gens. On me dit que ce n'est pas la peine de m'excuser quand j'en fait l'effort et lorsque je ne le fais pas.. Bref. Je souris, néanmoins, ma clope à la bouche, la tête baissée. Toutes ces choses me mettent foutrement mal à l'aise. J'aime pas m'excuser, j'aime pas dévoiler ce que je ressens. « Si, j'ai bien vu que mes conneries t'avaient touchées. » je tente quand même. J'ai toujours envie d'avoir raison, d'avoir le dernier mot. Et là, j'ai vraiment envie de m'excuser, qu'il comprenne que ce n'était pas contre lui mais qu'il a les traits de mon petit frère, que j'ai pris mes aises. « J'ai moi aussi un frère. Un frère jumeau en fait. Il s'appelle Abdel. » « Le mien est plus jeune, de deux ans. Et on s'entend vraiment bien. » Vraiment très bien. On est fusionnel, un peu comme des jumeaux. « Pardonne mon indiscrétion mais, tu as quel âge ? » « J'ai vingt-quatre ans, et toi ? » excuses acceptées, oubliées, nous pouvons enfin discuter comme deux adultes normaux. Il me donne envie de le connaître, d'en apprendre un peu plus sur lui.

Je tire encore et encore sur ma clope, afin de soulager mon corps en manque. L'idée d'être accro me répugne. Alors, je préfère dire que les cigarettes sont mes petits plaisir. Et puis, je n'en fume pas non plus une tripotée. N'exagérons pas. Quoiqu'il en soit, elle se termine très vite, tant j'étais en manque. Je tire dessus comme un forcené et j'arrive très vite au filtre. Fait chier. J'ai l'impression de ne pas être rassasier, de manquer encore de quelque chose. « Oublions ça. » Mon visage se fend en un demi sourire. J'ai vraiment l'impression d'être aux côtés de mon petit frère. Quand on s'engueule, qu'on se lance des vacheries dites sans réellement les penser, on s'excuse et tout redevient comme avant. Et souvent, c'est Arthur qui vient présenter ses excuses. Moi, je ne suis qu'un pauvre mec, trop fier. Je me mure dans mon silence et je réponds par un simple grognement avant que l'on se chamaille de nouveau, pour rire. « Dingue ! Toi et moi avons le même âge ! Enfin, toi, Abdel et moi plutôt. » mon sourire s'agrandit. Ce mec est dingue. Il me donne une joie de vivre super-intense en prononçant quelques mots seulement. Sa joie de vivre, à lui, se transmet et ça fait véritablement du bien. « Vraiment ? Je te pensais plus jeune.. » je me hasarde quand même dans un espèce de murmure. Je ne suis même pas sûr qu'il m'est entendu. Alors, je monte un peu le volume de ma voix rauque, bousillée par le tabac. « J'pourrai même pas te considérer comme mon petit frère, c'est nul. » Il a vraiment toutes les caractéristiques. Alors j'ai pensé, ne serait-ce qu'un court instant, que ce serait envisageable. Je suis un peu pathétique. Passons. Je m'éclaire la gorge, et brise de nouveau le silence. « Et tu viens d'où alors ? » je lui demande, m'intéressant enfin réellement à lui. A ses origines. J'ai envie d'en savoir un peu plus sur ce petit mec - pas si petit que ça.

Le fait que je l'identifie à Arthur m'a certainement induit en erreur. Ses traits sont enfantins - pour moi - et j'avais plutôt l'impression qu'il avait vingt-et-un ans, ou vingt-deux. Comme Arthur. Il faut que j'arrête de l'identifier à mon frère. Je me fais du mal tout seul. Il y ressemble dans ses manières d'être constamment joyeux, de s'émerveiller de tout mais il n'est pas lui pour autant. « Bah, ça vaut c'que ça vaut mais moi, je te pensais plus vieux. » Je ris. Ce n'est pas la première fois que j'entends ça. Et généralement, je réponds que les voyages m'épuisent et me font des cheveux blancs. Mais, je me contente de sourire et de me taire juste après l'avoir interrogé. « Shubra El-Kheima, en Égypte. » J'ai beau ne pas être trop mauvais en géographie, heureusement qu'il précise le pays. Parce que je n'aurais pas su deviné. Je fronce les sourcils, ma manière à moi de montrer que je suis concentré et tout ouï. « Ma mère, mon frère et moi avons quitté l’Égypte et nous sommes installés à Londres il y a quelques mois. On aurait pu croire que ce changement de pays m'aurait fortement déboussolé mais ça n'a pas été le cas, car j'ai appris l'anglais à l'adolescence grâce à... » Il se stoppe, et je lève la tête. Je l'interroge du regard et il baisse la tête. Il s'est apparemment un peu emporté en me racontant sa vie et a butté à un moment donné. Je baisse moi aussi la tête, je ne dis rien. Ces situations gênantes ont le don de me foutre le bourdon. J'ai envie d'en savoir plus et, en même temps, je ne peux pas me permettre de le harceler. S'il s'est arrêté, il a certainement une raison. Alors, je répond simplement : « Tu m'en diras plus une prochaine fois. » doucement, en un murmure, comme si nous étions écoutés. « Je te retourne la question, d'où viens-tu ? » Afin de briser ce silence de plomb qui nous met tous les deux dans l'embarras, je m'éclaircis la gorge et, d'une voix rauque, je raconte ma vie. « De Paris, je suis français. Mes parents sont archéologues, passionnés par leur boulot. Alors moi, je navigue. Je visite tous les pays qui me donnent envie et j'en apprends la langue. » je laisse passer un moment et je continue, un long et large sourire affiché sur le visage. « Et tu viens de me donner l'envie de visiter l'Egypte ! » Je réfléchis un moment. Quelle langue on parle en Egypte ? Je tente quand même ma chance, pas assuré. J'ai peur de dire une connerie. « Et d'apprendre l'Arabe part la même occasion. Tu sais le parler ? » je dis, enjoué, espérant que ce soit effectivement cette langue-la que l'on parle, en Egypte.