Hm, d'accord. Raphaël était un type tout à fait normal. Il avait un petit coté "Famille Adams", avait peur de tout et de tout de le monde et était présentement en train de converser avec une chèvre. Mais vraiment, vous auriez tort de le prendre pour un taré, parce qu'il sautait aux yeux que ce jeune homme était on ne peut plus sain d'esprit. Bon d'accord, il avait quelques peu tendance à se fringuer comme son grand père l'aurait fait, mais c'était assurément le seul détail un tant soit peu saugrenu que l'on pourrait relever en le voyant dans une telle situation, hm. Donc, pour en revenir à la chèvre, sachez qu'il venait tout juste de faire sa connaissance. Ils ne se connaissaient pas encore très bien, mais il sentait comme un bon feeling entre eux. En tout cas, il était bien plus à l'aise avec l'animal qu'avec n'importe quel candidat au sein de ce village, sa partenaire inclue. Le fait est qu'il avait toujours eu du mal avec les humains. Les animaux, par contre, lui plaisaient un peu plus. Voilà pourquoi il était plutôt détendu face à cette mignonne petite chèvre, qui devait assurément le trouver casse-bonbon, m'enfin. Car non content de la caresser depuis maintenant quelques longues minutes, Raphaël était sérieusement en train de lui raconter sa vie. Ou disons, de la saouler avec ses états d'âmes. La preuve. « Tu dois te sentir seule, ici. Je me sens seul, moi aussi. Et pas qu'ici, hélas. Mais c'est comme ça depuis tellement longtemps que j'ai presque fini par m'y habituer. Je suppose qu'il en va de même pour toi. Je ... je vais te tenir compagnie un petit moment. Je crois qu'on en a besoin tous les deux. » Oui, il était sérieux. Parce qu'autant il n'osait pas tellement parler à ses semblables, autant il pouvait véritablement faire la conversation à une chèvre. Oui, oui. Oh et sinon, quelqu'un venait de tousser. Donc quelqu'un se trouvait derrière lui, et venait probablement d'assister à cela. En fait, il était super mal là. On allait le prendre pour un dingue. Un dingue qu'il était assurément, hm. « Je ne parlais pas à la chèvre » qu'il fit alors brusquement, tout en se retournant vers la jeune femme qui venait d'approcher. Il pourrait toujours lui faire croire qu'il parlait à l'un de ses amis imaginaires, mais pas sûr que ce soit franchement mieux, hein.

Une semaine, bientôt, se serait écoulée depuis que l’on nous avait abandonnés dans ce village qui l’était tout autant. Une semaine, et encore ce matin, au détour d’un couloir ou d’un croisement de chemin, je rencontrais des gens à qui je n’avais pas encore adressé la parole. Le nombre diminuait de jour en jour, pour sûr, mais quand même. Avec la taille de l’endroit, et des candidats qui s’éparpillaient ici et là, jour et nuit, impossible d’atteindre le fatidique trente-et-un. Ça viendrait, rien ne pressait. J’avais fait un petit détour à l’épicerie pour aller me chercher une bouteille d’eau fraîche, puis, souhaitant faire ma bonne action de la journée, je me rendis à la ferme, dans le but de prendre un peu soin de ces pauvres bêtes laissées à l’abandon. Car soyons franc, il n’allait pas être nombreux ceux qui se fendrait en quatre pour offrir une qualité de vie descente à ses animaux. Sur place, un homme… et une chèvre. En... pleine discussion, si mon ouïe ne me trompait pas. Quelques bribes, seulement, parvinrent à mes oreilles, mais juste assez pour réellement constater que ce candidat était en train de se confier à ce bovidé. Rien n’indiquait que ma présence avait été repérée. Une petite toux contrôlée de ma part l’en informa, et vivement, il se détourna de sa compagne du moment pour me faire face. « Je ne parlais pas à la chèvre. » Une mine compatissante s’afficha sur mon visage. « Pas de panique… si tu savais le nombre de conversations que j’entretiens avec mes chats… » Vous savez, quand on se compare, on se console. « Je peux vous tenir compagnie? » À lui, et à la chèvre. Nous étions sur son territoire à elle, après tout. J’avisais quelques sacs de provisions non loin de là, et en attrapait une bonne poignée, suscitant soudain toute l’attention de la brave bête. Elle se désintéressa de l’homme et vint se cogner contre mes jambes, ce qui eut le don de me faire légèrement rire. « Tranquillement, cocotte. » la sermonnais-je avant de lui tendre la main, une offrande pour qu’elle accepte ma venue. Elle était affamée, la pauvre.

Oui, non, mais ... attendez, Raphaël pouvait tout expliquer. S'il venait de s'adresser à cette jolie petite chèvre, comme il aurait pu le faire à l'égard d'un être humain s'il avait été suffisamment sociable pour lui confier ses états d'âmes, c'est bien parce qu'il se sentait seul. Ce n'était tout de même pas quelque chose qu'il faisait très couramment, rassurez-vous. Cette chèvre tombait simplement bien, disons. Et puis, il n'avait pu s'empêcher de supposer que l'animal devait se sentir tout aussi seul que lui, dans la mesure où la chèvre ne devait pas avoir droit à beaucoup de compagnie dans le coin. Ainsi donc, il supposait qu'elle était en mesure de le comprendre. Oui bon, il est vrai que cela était un peu brin curieux, voire carrément bizarre. Mais il était bizarre, et ça n'était pas franchement nouveau. De toute manière, cette scène serait restée inconnue au reste de ses camarades si l'une d'entre eux ne s'était pas pointée au moment même où il discutait tranquillement avec l'animal. Du coup, il eut l'air assurément embarrassé lorsqu'il se retourna pour faire face à la jeune femme qui venait de tousser, probablement pour lui annoncer sa présence. Et du coup, dans la précipitation du moment, il ne trouva rien de mieux à prétendre que le fait qu'il n'était pas en train de discuter avec la chèvre. Alors que bon, on ne va pas se mentir, il aurait bien du mal à le prétendre plus longtemps, étant donné qu'elle avait probablement été témoin de cette scène d'anthologie. En tout cas, Raphaël fut pour le moins rassuré de constater qu'il avait à faire à quelqu'un de compréhensif, et non à un protagoniste qui aurait pu lui rire au nez. La jeune femme lui assurait alors tenir elle même quelques conversations avec ses chats, ce qui mine de rien le fit sourire légèrement. Il ne répondit cependant pas, préférant éviter d'empirer son cas en ayant l'air définitivement ridicule, hm. Mais voilà que la jeune femme souhaita se joindre à eux. Hm, pourquoi pas hein. « Je t'en prie » répondit-il alors, d'une petite voix. Parce que bon, il restait particulièrement embarrassé par l'idée que sa camarade ait assisté à cette drôle de conversation, même s'il se doutait qu'elle n'avait pas du en entendre grand chose. Mais voilà que la chèvre ne tarda pas à s'intéresser particulièrement à l'arrivante, lorsque celle-ci manipula de la nourriture. Et la voyant nourrir l'animal, Raphaël ne put que soupirer légèrement. « Quel nul. Je n'ai même pas pensé à la nourrir. Elle devait avoir faim, et moi je l'embêtais avec mes sordides histoires. » Vraiment, il se trouvait particulièrement imbécile. Il s'approcha alors et tandis que la chèvre s'alimentait, il la caressa légèrement. « Quel nul » répéta-t-il, avant de remonter son regard jusqu'à sa camarade qui, il n'en doutait pas, devait partager son avis.

Je comprenais son désarroi, sa détresse même. Celle qui le poussa à me mentir alors qu’il était d’une évidence même que ses propos étaient adressés à la chèvre, et personne d’autre. Car, de toute façon, il n’y avait point âme qui vive dans les environs. Sauf moi, lui, et notre amie sur quatre pattes. Ma confidence sur mes conversations avec mes félins sembla le détendre un peu. Mais il n’ajouta rien. Le questionnant quant à savoir si ma compagnie le gênait, il accepta que je me joigne à lui. « Je t'en prie. » Était-ce la situation, ou ma simple présence qui le gênait? Je ne le saurai surement jamais. Et alors que je m’occupais de nourrir la maîtresse des lieux, j’eus droit à vive réaction de sa part. Ce à quoi je ne m’étais nullement attendu. « Quel nul. Je n'ai même pas pensé à la nourrir. Elle devait avoir faim, et moi je l'embêtais avec mes sordides histoires. » Un long soupir filtra d’entre ses lèvres, et après s’être approchée de notre duo, il se mit à caresser la tête de l’animal. « Quel nul. » J’hochais négativement la tête, un petit air peiné au visage. « Oh hey, ce n’est pas si grave que ça. T’en fais pas pour ça. » lui dis-je, tentant de lui faire comprendre que ce n’était pas un cas de panique général. Cette petite chèvre trouvait bien de quoi se mettre sous la dent lorsque nous n’étions pas là, cette nourriture que je lui tendais n’était qu’une gâterie pour elle, en quelque sorte. « Et si tu veux te faire pardonner, tu n’as qu’à t’en prendre une poignée toi aussi. Je ne crois pas qu’elle soit du genre rancunière, notre biquette. » Deux mains tendues vers elle, c’était carrément le paradis, qu’on se le dise. Mais qu’est-ce que je ne ferais pas pour à la fois gâter cette magnifique petite bête et pour rassurer le candidat de qui je m’étais improvisé compagne. La chèvre risquait vite de passer au travers de ma maigre réserve, et je comptais sur lui pour me venir en aide et combler l’appétit de la bête.

Certes, parler à une chèvre n'était pas quelque chose de franchement normal. Mais vous pensez bien que Raphaël en avait pleinement conscience. Il avait peut être un certain nombre de défauts, mais il était tout de même capable de se rendre compte que quelque chose clochait à cet instant précis. En tout cas, sa camarade ne semblait pas le juger, c'était déjà ça. Parce qu'il aurait assurément pu voir débarquer un candidat désireux de profiter de cette sordide situation pour rire de son cas, pour se moquer de sa personne et, pourquoi pas, pour rependre à travers tout le village que Raphaël était un parfait demeuré que l'on pourrait maintenir nommer "l'homme qui murmurait à l'oreille des chèvres". Disons qu'il se passerait volontiers de cette publicité, dans la mesure où il pensait déjà avoir du mal à s'intégrer, malgré les quelques efforts qu'il était prêt à fournir afin d'aller mieux. Par contre, à cet instant, Raphaël ne pouvait s'empêcher de se trouver éperdument nul. Car sa camarade était arrivée depuis à peine quelques minutes, et voilà qu'elle se mettait déjà à nourrir l'animal auquel il s'était adressé quelques instants plus tôt. Autant dire que cela ne lui avait même pas effleuré l'esprit. Du coup, il se sentait coupable. Un peu plus et il s'en excuserait d'ailleurs après de l'animal, hm. Il entendit alors sa camarade soupirer, mais cela ne l'empêcha nullement d'insister sur le fait qu'il avait tout faux. Tris lui assura alors que ça n'avait rien de grave et qu'il n'était assurément pas nécessaire d'en faire tout un plat pour si peu. Sans doute avait-elle raison, au fond. Mais Raphaël avait toujours eu ce petit coté extrême, cette tendance à dramatiser les situations les plus bénignes pour en faire quelque chose de franchement terrible. Il lui lança alors un regard navré, parce qu'il s'en voulait non seulement de ne pas agir correctement, mais également de trouver le moyen de se ridiculiser royalement. Vraiment, il avait l'air bête, mais vraiment bête. Raphaël s'abstint en tout cas de lui répondre, histoire d'éviter d'aggraver son cas, tandis que sa camarade suggérait de l'aider à nourrir l'animal qui, ainsi, pourrait ne pas se montrer bien rancunier. Raphaël hocha très lentement la tête, alternant un instant son regard entre la nourriture et l'animal, avant de se saisir de quoi nourrir ce dernier. Il revint alors vers la chèvre, très hésitant, très peureux surtout, et tendit la main qu'il venait de remplir de nourriture. Mais l'animal n'émit aucune réaction. Soit il était rassasié, soit il ne voulait rien de la part de Raphaël. Bêtement, et toujours dans un élan de paranoïa, le jeune homme avait tendance à pencher pour la seconde éventualité. « Elle n'a pas l'air de vouloir de ce que je lui propose. Est-ce que je m'y prends mal ? Le problème doit venir de moi, mais je ne vois pas tellement en quoi ... » Parce qu'il était évident que le fait qu'il soit particulièrement gauche n'aidait pas. Si ça se trouve, son embarras effrayait simplement la chèvre. Il ne manquerait plus que ça, tiens.