FANTINE

Je suis parvenu à forcer cette porte qui m’opposait résistance depuis un moment, et n’y ai trouvé qu’un placard. Un placard sombre et poussiéreux, mais qu’importe, il ferme c’est déjà ça, et puisque cette porte apparaissait comme condamnée pour tout le monde, j’imagine que personne n’aura l’idée de venir y fouiner. Enfin, personne... Je m’en fous des quelques vingt-cinq candidats, une seule m’inquiète. La porte entrouverte, le bistrot désert, je tire sur la corde pour faire entrer la chose dans le placard. Une chose récalcitrante, que je tente, comme je peux, de réconforter en lui parlant doucement, en lui affirmant que ça ne fera pas mal, que c’est juste temporaire, qu’elle n’a rien à craindre. Sauf qu’elle semble têtue et peu encline à m’obéir. Si bien que je gueule « Gina ! » frustré, tandis que derrière moi, une porte claque signifiant l’arrivée imminente d’un autre humain. Un humain qui me verra dans cette position, un humain qui s’inquiétera probablement pour ma santé mentale, un humain qui, je l’espère, ne sera pas celle dont je me cache. Je jette un coup d’oeil dans mon dos, remarquant une tignasse brune, et commence à paniquer légèrement en tentant de pousser la chose à l’intérieur du placard. Une chose qui freine des quatre fers en s’exprimant pour la première fois, son cri résonnant dans tout le bistrot. Je parviens, finalement, à la faire rentrer, avant de refermer vivement la porte sur elle, m’adossant à cette dernière l’air nonchalant. « Ha, salut ! » je lance, essoufflé, à Fantine qui s’approche. Et dans mon dos, la chose donne des coups de tête contre la porte. Mais elle n’a rien entendu, pas vrai ?

Je ne trouvais plus mes lunettes et pour bouquiner, cela risquait de poser problème, je me souvenais les avoir laissé au bistrot, il ne me reste plus qu'à les retrouver. J'ouvre la porte. Bam. « Gina ! » Ce cri me parvient tandis que je referme la porte derrière moi, un brin alertée je cherche la source de ce hurlement. J'entends un bruit animal par la suite, je suis tellement surprise que je ne parviens même pas à l'identifier. Je débarque et tombe sur Otello qui m'accueille avec une attitude feinte de "tu n'as rien, je t'embrouille" qui ne trompe personne. « Ha, salut ! » Je plisse les yeux, l'observant avec méfiance, il fait un piètre comédien. « Qu'est ce que tu as fais Otello ? » Je lui demande en croisant les bras sur ma poitrine avant d'entendre des bruits contre la porte, porte qu'il prend bien soin de cacher avec son corps. J'écarquille les yeux un instant, surprise. J'avance un pas vers lui. « Pardon .. » Je lui lâche en attendant qu'il se décale, ce qu'il ne fait pas. Je lève les yeux vers lui, il est sérieux ? Du coup, comme une gamine, ça me donne encore plus envie de voir ce qu'il peut bien cacher derrière cette porte. J'entends un bêlement. Je plaque ma main sur ma bouche, pendant quelques secondes. Il a osé enfermer la pauvre Blanquette, certes, je peux comprendre qu'elle est un brin agressive mais quand même... Il s'est occupé de la Bête, avec un B majuscule s'il vous plait. « L'homme qui murmurait à l'oreille des chèvres. » Je commente avant de pincer les lèvres. « Tu comptes en faire quoi ? » Je lui demande, très sérieusement, sans prendre la défense de la pauvre biquette, elle m'a tellement cherché ces dernières semaines. La torturer pour du lait ? La séquestrer ? L'oublier ? Tellement de possibilités il faut dire ...

« Qu'est ce que tu as fais Otello ? » Je dois avoir la tronche du gamin prit en faute pour qu’elle me renvoie l’attitude de la mère irritée. J’essaye de ne rien laisser paraître pourtant, mais Gina semble décidée à ne surtout pas y mettre du sien. J’essaye de te sauver la vie, idiote ! A-t’on déjà vu, Mitch Buchanan aka David Hasseloff se faire accuser de viol après un bouche-à-bouche salvateur ? Quelle conne cette chèvre ! Je tente de feindre quelques quintes de toux pour masquer le bruit des cornes dans le bois vermoulu, mais bientôt je suis contraint d’y ajouter quelques pas chassés pour empêcher Fantine d’atteindre la poignée. Ce qui doit offrir un tableau plutôt étrange, en fait, à bien y réfléchir. Mais je m’en sors plutôt pas mal, à vrai dire, du moins jusqu’à ce qu’un bêlement à fendre l’âme s’élève de derrière la porte et nous immobilise elle et moi, chacun dans une position étrange, moi tordu, elle courbée. « T’as entendu ça ? » je demande en tendant l’oreille vers l’opposé de la porte, un index pointé vers cette oreille, dans une attitude surjouée à mort. Et pourtant j’y crois. Je suis Gene Kelly, là. « Ca venait de dehors, je crois. » Mais bien sûr ! Tellement crédible que lorsque je reporte mon attention sur Fantine après la pause théâtrale dit “arrêt sur image” de rigueur, elle s’est redressée et, la paume sur la bouche, me contemple avec consternation. « L'homme qui murmurait à l'oreille des chèvres. » Elle se moque ? Ok, elle se moque. « C’est pas ce que tu crois ! » je tente de protester. Sauf que cette exclamation confirme bien souvent l’inverse, et là, j’en viens à imaginer tout ce qu’un homme peut faire avec une chèvre. Oh mon Dieu ! « Tu comptes en faire quoi ? » « Rien de sexuel ! » je m’empresse de lui répondre pour virer cette image de sa tête mais aussi de la mienne. En espérant ne pas la lui avoir mise, justement. « J’essaye de la sauver... » je souffle alors, en me penchant à l’oreille de la jeune femme, comme si quelqu’un risquait de nous entendre dans ce bristrot désert. Mais à peine cette pensée effleure mon esprit, que la porte claque à nouveau, et que, dans un geste dénué de toute réflexion si ce n’est la panique pure et simple, j’accroche la taille de Fantine et la ramène dos à la porte, avec moi. Un bras autour de sa taille, l’autre posé sur la poignée, je sifflote dans une attitude de feinte nonchalance que j’imagine totalement crédible. Ouai. Heureusement que la personne ressort après nous avoir jeté un regard perplexe. La porte claque juste au moment où biquette fonce une nouvelle fois dans la porte, provoquant un craquement sonore. Ils se sont planté, c’est pas une chèvre, c’est un bélier. Et là je plains tout ceux qui en ont goûté à son lait.

« L'idée ne m'était jamais venue à l'esprit ! » Elle a bien de la chance, parce qu’à partir de cet instant, moi je me tape des images pas vraiment souhaitées ni souhaitables en tête. Cela dit, la bonne nouvelle, c’est que ce n’est jamais moi qui tiens le rôle principal dans le film zoophile qui se déroule lentement. Tout un tas de candidats y passent, jamais moi. Et je félicite mon cerveau de m’épargner de la sorte. Quoiqu’il en soit, que je sois ou non acteur, le film n’en demeure pas moins dérangeant, et je le chasse d’un mouvement de tête tout en expliquant à l’inquisitrice que je suis sur le point de sauver Gina-la-chèvre. M’enfin, c’est évident, non ? « Tu essaies de la sauver en l'enfermant dans un placard ? » Visiblement, non, donc. Je suis sur le point de lui expliquer mon geste par tout l’historique du projet, lorsque je me trouve interrompu par une arrivée imprévue. Encore une fois, je crains qu’il s’agisse de Gina-la-pas-chèvre, et c’est dans cette hypothèse que j’accroche Fantine à la taille, et la ramène jusqu’à moi pour feindre une attitude totalement nonchalante, dos à une porte, l’un contre l’autre, le regard vers le plafond, les lèvres lâchant un sifflement approximatif. Ok, a bien y réfléchir, y a sûrement moins suspect comme attitude, mais dans le feu de l’action... « C'était très naturel. » Ha ? Ha non, c’était du sarcasme... L’espace d’un instant j’ai cru, je lui ai même renvoyé le sourire fier, avant de le perdre rapidement. « Il faudra que tu m'apprennes à siffler d'ailleurs » J’hausse un sourcil en tentant de déceler un nouveau sarcasme, mais biquette met à mal mon enquête en défonçant une nouvelle fois la porte, provoquant un sursaut de Fantine. « Elle est possédée .. » Je suis assez d’accord avec elle, sur ce coup, et je préfère me reculer de la porte avant de me taper une paire de cornes au niveau de l’entre-jambe. Ne trouvant rien de rassurant à répondre à Fantine, je préfère garder le silence tout en récupérant une chaise dont je cale le dossier sous la poignée de porte, ce qui, entre nous, ne sert strictement à rien, mais ça fait bien ce genre d’action. « Tu sais qu'elle va tout abîmer si tu la laisses ici. » Je sais, oui ! C’est ce que mon regard lui répond, alors que je tente de foutre le plus de poids possible sur la chaise, pour la rendre plus lourde. Mais pas sûr que le pot de fleur soit très efficace dans ce cas. « Si elle parvient à passer la tête, on mettra un cadre autour et on prétendra à un trophée de chasse. » Très crédible, ça aussi. « J’ai pas le choix, de toute manière. Je fais ça pour son bien. » je tente de me justifier, en posant une caisse de bière sur la chaise. « T’entends ? Je fais ça pour ton bien, Gina ! » je finis par gueuler contre la porte, imaginant la chèvre entendre, comprendre, et s’asseoir sagement. Très crédible aussi.