Mes pas me guident instantanément vers la cantine. Mon ventre me rappelle à quel point je mange mal, ici. Il est en compote plus remplit d'alcool que de bouffe. J'attrape du pain de mie, je crois que c'est ma seule nourriture. Je me souviens de cette première entrevue avec Asmaa, du pain de mie, déjà. J’attrape également du nutella, et puis, je me fais un chocolat chaud. J'aime pas le café. Je suis resté plongé en enfance, là où le cacao coule à flot, qu'on en met toujours trop et qu'on finit avec du dépôt au fond du bol. J'aime mettre trop de cacao, boire mon lait comme un crado et me retrouver avec des moustaches. Je m'installe tranquillement à une table. Il est tôt, mon esprit est encore embrumé, rester au prime que j'ai vécu avec pas mal de sensations. J'essaie de me remémorer chacun des minutes, de comprendre le choix de certains candidats de partir, mais je n'y arrive pas. Je n'ai pas saisis cette histoire de tricherie. Ils accusaient la production et puis.. plus rien. Partis, envolés. J'avoue me foutre un peu des personnes parties. Je ne les portais pas particulièrement dans mon cœur. J'aurais juste aimé comprendre pourquoi. Que l'on nous explique plutôt que d'étouffer l'affaire par l'arrivée de nouveaux candidats. Dont la sœur d'Elliot, que j'ai embrassé, soit dit en passant. Je trempe ma première tartine de nutella dans mon bol et je l'engouffre dans ma bouche sans même la mâcher. Mon estomac réclame, mon estomac reçoit. Il est le maître et je ne fais que lui obéir comme un bon petit soldat. J'entends le sol craquer près de moi et pourtant, je ne fais pas attention. Je suis plongé dans mes pensées, absorbé par tous ces évènements qui se sont succédés à une vitesse folle, le soir du prime. Lorsque le visage de Raphaël m'apparaît, je ne peux empêcher ce soupire sortir de ma bouche. Je ne fais pas exprès. Mon cœur parle à ma place, je crois. Notre dernière entrevue s'est soldée par un échec et quelques mots froids. J'avoue regretter, le tout. En partie, du moins. « Salut. » je glisse quand même la bouche pleine. J'essaie de faire taire cette partie de moi qui regrette. Je joue les durs. Je ne souris pas. Je peine à ne pas être expressif. J'ai été si dur, si peu compréhensif, totalement égoïste. Nous sommes restés sur nos positions sans vouloir en changer. Comme deux idiots. Mais ça, je ne le lui avouerai pas. J'y arrive pas. « T'en veux ? » je lui demande en désignant le paquet de pain du bout du menton. C'est ma façon à moi de briser les hostilités. S'il comprend.. que la discussion commence – j'ai d'ailleurs l'impression de réussir à m'exprimer lors de conversations sérieuses depuis que je suis ici – et sinon.. tant pis.

Il ne pouvait plus s'infliger cela. Il était bien trop ridicule à s'accrocher à des personnes qui ne voulaient pas de lui, ou bien qui l'oublieraient d'ici peu de temps. Lui, il se savait capable d'aimer éternellement, tant il estimait avoir de l'amour à donner. Ses soeurs lui reprochaient bien souvent d'être trop romantique, trop sentimental, mais avant tout trop aimant. Il aimait plus qu'on ne l'aimait oui. Cela avait d'ailleurs toujours été comme cela. Il avait aimé son père d'un amour sincère, et celui-ci l'avait abandonné. Il avait aimée sa mère d'un amour profond, mais cette dernière s'était bien souvent amusée à lui pourrir la vie. Il avait aimées ses soeurs d'un amour inconditionnel, mais aucune n'avait hésité à mettre de la distance entre eux, lorsque l'amour, le véritable amour, celui que le suisse n'avait quant à lui jamais connu, avait frappé à leur porte. Il s'était retrouvé seul, délaissé, trop plein de chagrin, de regrets, de solitude. Il leur en avait même voulu de s'être éloignées, d'avoir imité leur père, sans pour autant s'être complètement évaporées, comme il avait pu le faire en son temps. Mais aujourd'hui qu'il perdurait au sein de cette surprenante aventure, Raphaël ne pouvait s'empêcher de penser qu'il se faisait beaucoup trop de mal en attendant de ses camarades qu'ils puissent l'apprécier autant que lui les appréciait. Est-ce qu'Elliot comprenait un jour qu'il n'était pas aussi mesquin qu'on aurait pu le penser, et qu'il avait simplement envie de passer du temps avec elle, pour la simple et excellente raison qu'elle le rendait heureux ? Est-ce que Lulu comprendrait que le fait qu'il lui ait offert son premier baiser faisait de lui quelqu'un qui comptait énormément à ses yeux, et qu'il ne supportait pas de le voir tourner autour d'autres personnes, simplement parce qu'il aurait voulu - et croyez bien qu'il reconnaissait avoir fauté, lui aussi - que des échanges aussi précieux que des baisers ou des caresses restent quelque chose d'exclusif entre eux, qu'ils ne partageraient avec personne ? Est-ce qu'Arès comprendrait qu'il ne voulait pas le perdre, malgré le fait qu'il ait pu lui donner mille raisons de le mépriser, parce qu'il comptait également à ses yeux, comme un ami essentiellement, mais également comme celui qui avait tâché de le mettre à l'aise, quelques temps auparavant, dans la salle de bain ? Et justement, lorsqu'il pénétra dans la cantine, voilà que Raphaël tomba sur son camarade, visiblement en train de déjeuner. « Salut » répondit-il, timidement et avec embarras. Son camarade semblait un peu contrarié. Lui en voulait-il toujours ? C'est ce qu'il craignait. « Oui, je te remercie » reprit-il, dans un sourire gêné, et avant de se saisir de pain. Il n'avait pas faim, honnêtement. Mais symboliquement, il préférait accepter. « Tu sais, je ... je regrette de t'avoir donné des raisons de m'en vouloir » articula-t-il, quelques peu attristé, mais sincère avant tout. Son regard fixa Arès avec une tendresse toute particulière. Il donnerait tout pour regagner sa sympathie.

Je suis nominé. Ces trois mots tourbillonnent dans ma tête. Il s'y cognent et me filent un mal de crâne monumental. Je n'ai pas réussis à dormir. Le sommeil ne m'a pas fait l'agréable surprise de sa présence. Mes traits sont tirés, mes yeux se font presque inexistants tant je suis fatigué. Et malgré tout, lorsque je ferme les yeux, je ne revois que le prime. Et tous ces visages grave qui prononcent mon nom. Je me sens mal aimer. C'est assez ridicule comme réflexion, lorsqu'on y pense. L'avis des gens m'importait tellement peu lorsque j'étais à l'extérieur. Je n'avais de toute façon pas le temps de m'attacher. Pas le temps de tisser des liens. Et lorsque quelques sentiments naissaient, que ce soit à l'égard d'un homme ou d'une femme, je disparaissais dans un avion en direction d'un autre pays. Je n'ai gardé aucun contact de mes voyages. Je suis un solitaire. Bon qu'à baiser, visiter, apprendre la langue et se casser vers d'autres horizons. Et malgré moi, cette aventure me rend sentimental. Je pense d'abord à Elliot de laquelle je me suis entichée. Une bourreau des coeur comme l'a si bien appelée Esther lors du prime. J'ai l'impression de m'être gouré sur son compte. Qu'une force surnaturelle m'en veux de ne m'être jamais attaché à personne et m'envoie la pareille maintenant. Que je puisse comprendre la douleur lancinante de sentiments non partagés. D'une communion pas réciproque. Je ne doute pas des sentiments d'Elliot. J'ai simplement l'impression qu'elle n'est pas sincère. Qu'elle a beau me promettre autant que je lui promet, je me donne plus qu'elle ne me rend. Et c'en est douloureux. Je détail le visage de Raphaël qui se trouve désormais en face de moi avec attention. Ces mots à lui, lors du prime, m'ont été favorables. J'ai envie de l'en remercier mais ma fierté me retient. Cette putain de fierté qui m'empêche de m'excuser quand j'ai l'impression qu'il est l'un des seuls qu'il me reste. Qu'il est sincère et m'apprécie à ma juste valeur. Que nous nous vexons pour un rien. Que notre amitié naissante devrait être bien plus forte. Que nous ne devrions pas nous battre pour une femme. « J'étais en colère, frustré.. mes mots ont dépassé ma pensée. » je réponds, mes prunelles plantées dans les siennes. J'avale une dernière bouchée de mon petit déjeuné. Y a pleins de mots qui se bousculent dans mon crâne, pleins d'incompréhension. Mais je sais, à cet instant qu'il faut que je recouse notre amitié. Que j'ai envie que Raphaël fasse partie intégrante de mon aventure. « Je pensais que tu serais un frein à ma relation avec Elliot.. J'ai réfléchis et j'ai maintenant l'impression que c'est elle qui pourrait être un frein à la notre.. » Ces mots sont difficiles à dire tant ils sont cruels pour elle. Et que mon coeur ne peut s'empêcher de battre la chamade quand je prononce, quand je pense à elle. Seulement, on m'a toujours appris qu'un pote valait mieux qu'une amourette. Je ne fais qu'appliquer cette règle.

Nombreuses étaient les choses que regrettait Raphaël. Il regrettait d'avoir fait preuve de trop de faiblesse depuis le début du jeu, d'avoir été bête au point de s'être attaché à des personnes qui finissaient par le décevoir, et également d'avoir connu une petite crise avec Arès, qui restait à ses yeux quelqu'un d'important, mais surtout quelqu'un de bien. Dans cette histoire, il regrettait surtout de s'être permis de poser une question malvenue et indiscrète à son camarade, ainsi que d'avoir indirectement et involontairement provoqué ce dernier en laissant penser qu'il n'avait pour idée que de s'interposer entre Elliot et lui, comme s'il prendrait un malin plaisir à se mettre entre eux, à tester leur couple, voire à le mettre délibérément à mal. Alors qu'il va de soi que cela n'avait jamais été dans ses intentions. Il s'était simplement exprimé avec maladresse, et avait hélas bien vite remarqué que son camarade n'était pas franchement disposé à lui laisser la moindre chance de lui expliquer ce qu'il en était vraiment. Heureusement, en cette matinée, les choses étaient sensiblement différentes. Il se trouvait assis face à un Arès probablement fébrile au sujet de sa nomination, et sans doute encore un peu contrarié quant à leur entrevue de l'autre fois, mais qui reconnaissait avoir été colérique et frustré au point d'avoir adressé des mots un peu trop bouleversants à Raphaël, qui l'avait évidemment pris avec beaucoup de tristesse. Il n'y avait qu'à voir comment s'était conclue leur discussion. Par des larmes, de la colère, de la rancune ... Il ne pouvait donc que se réjouir du fait que tout cela soit visiblement derrière eux. « Je sais, Arès. Et je ne t'en veux évidemment pas. » Parce qu'il était principalement fautif, dans tout cela. Il n'avait qu'à agir et s'exprimer différemment, histoire que son camarade n'en vienne pas à penser qu'il pourrait vouloir se mettre en travers de son chemin, tout de même. Raphaël adressa alors un timide sourire à son camarade, tandis que celui-ci reprit la parole. Il l'écouta attentivement, avant de se sentir horriblement gêné. « Non, je ... c'est moi, j'ai tout gâché » répliqua-t-il en soupirant. L'on pouvait dire ce que l'on voulait, il s'était plus ou moins mis entre ces deux-là. L'attitude d'Elliot, il ne la cautionnait pas pour autant, mais il était tout de même la source du problème, non ? « Tu sais, le regard que tu m'as lancé l'autre jour, près du lac ... il m'a probablement fait plus de mal que tes paroles. Je ... je ne cherche pas à te culpabiliser, juste à te dire que ... que j'ai lu énormément de haine dans ce regard. J'ai eu tellement peur ... peur de toi, peur de ce que tu pourrais me faire ... » Parce qu'il l'avait indirectement menacé, et que cela lui restait en mémoire. A noter que tout cela l'avait traumatisé. La preuve, il ne pouvait s'empêcher de revenir là dessus, alors que tout ce qu'il voulait, c'était retrouver le lien qui s'était construit au tout début de l'aventure. Un lien de confiance.

Raphaël a l'air profondément désolé. Et profondément touché, également. Je m'en veux. Je m'en veux d'avoir été aussi dur avec lui. D'avoir pu pensé que son comportement était purement égoïste et que peut-être il faisait semblant d'être si sensible et de ne pas comprendre la situation. Je ne l'ai pas laissé s'exprimer, parlant avec ma rage, apeuré - en quelque sorte - par le fait qu'il puisse m'évincer, prendre ma place. Et je ne peux que m'en vouloir. Il a beau dire que tout est sa faute, nous sommes tous les deux des fautifs. Tous les deux ridicules de s'être disputés de la sorte pour une femme. « T'as rien gâché du tout Raph.. » je réponds en prenant le droit de l'appeler de nouveau Raph. Et pas Raphaël.. Ce diminutif pour lequel il m'avait reprit avant de s'en aller en larmes l'autre jours, près du lac. Je crains sa réponse, je me demande si j'ai de nouveau le droit de l'appeler ainsi ou si je suis contrains de continuer à l'appeler par son prénom complet comme si nous étions deux étrangers. Mon petit déjeuné n'a plus aucune importance. Je me fiche de mon cacao, je suis pris par cette conversation. Par ce désir de tout reconstruire, pierre par pierre afin que nous puissions retrouver cette amitié et cette tendresse née dans une salle de bain. J'ai envie de continuer à l'aider à aller de l'avant. Je baisse le regard. J'ai tellement honte de moi, de ce que j'ai pu faire transparaître à ce moment, au lac. J'étais enragé, tellement que je ne m'en souviens pas. Comme dans une phase, comme si quelqu'un d'autre s'était emparé de moi. « Je ne t'aurais rien fait.. j'suis pas violent.. » enfin je crois. Je n'ai jamais eu recours à mes poings, à mes pieds. Je n'en ai jamais eu besoin. Je plonge le nez dans mon cacao comme un exutoire. J'ai tellement honte de moi, de l'impression que je lui ai renvoyé.. « Je m'en veux tellement de t'avoir fait pleurer. » je dis en un murmure. J'aime pas m'excuser. J'aime pas montrer mes faiblesse, j'ai énormément de mal avec tout ça. Et je pense que ça se ressens. Je suis tendu, à la limite de vouloir m'enfuir..

Raphaël avait vécu ces derniers jours dans la peur de ne jamais plus retrouver la complicité qu'il avait pu développer avec Arès. Ce dernier avait eu des mots très durs, très douloureux à son égard la semaine passée. Sans compter qu'au prime, il ne lui avait pas paru beaucoup plus chaleureux. Du coup, il avait réellement craint que son camarade veuille simplement le chasser de sa vie, histoire de ne plus rien avoir à faire avec lui, ce qu'il aurait pu comprendre, étant donné qu'il se positionnait très clairement comme le responsable de toute cette histoire. Sans doute aurait-il du s'abstenir de faire preuve d'autant de curiosité, ce qui lui avait apparemment valu de passer pour un petit sournois mal intentionné aux yeux d'Arès. Ce dernier avait-il sérieusement cru que Raphaël aurait pour idée de mettre à mal sa relation avec Elliot ? Parce que soyons clairs, ce ne fut jamais dans ses intentions délibérées. Il avait peut être voulu agir égoïstement, mais jamais il n'aurait osé faire quoi que ce soit de véritable pour les éloigner. Il n'était pas comme ça. Et il appréciait Elliot, tout comme il appréciait Arès. Il voulait leur bonheur, et si celui-ci devait leur parvenir en étant ensemble, alors c'est tout ce qu'il saurait leur souhaiter. Et du coup, il regrettait atrocement d'avoir donné des raisons à Arès de douter de lui, de sa sincérité, de ses intentions. Peut être lui était-il apparu comme un manipulateur, une sorte d'acteur qui se plairait à jouer les pleurnichards pour mieux duper ? C'est ce qu'il avait supposé, un court instant. Et naturellement, de telles pensées n'avaient pu que l'abattre un peu plus. Lorsqu'Arès lui fit savoir qu'à ses yeux, il n'avait rien gâché, Raphaël lui adressa un sourire bienfaisant. Il venait de le nommer Raph à nouveau, mais ça ne le dérangeait pas. Ça ne le dérangeait plus, disons. Parce qu'il est vrai qu'il avait préféré lui interdire un tel usage la dernière fois. Mais ici, aujourd'hui, c'était différent. Arès lui fit ensuite savoir qu'il n'aurait jamais fait preuve de violence à son égard, chose que Raphaël avait sérieusement redouté, lorsqu'il avait été face à ce jeune homme si dur, si froid, si menaçant. Il n'osa rien ajouter, mais il failli se risquer à articuler que, de toute manière, il ne se serait pas débattu. Aux prochaines paroles de son camarade, Raphaël fut gêné. Effectivement, il avait pleuré lors de leur dispute. Mais il ne lui en voulait pas, vraiment, pas du tout. « C'est justement ce qui fait de toi quelqu'un de bien ... » commença Raphaël, avant d'avancer sa main vers celle de son camarade, sans pour autant oser la saisir. « ... tu ... tu dis t'en vouloir de m'avoir fait pleurer. Mais sache que la plupart de ceux qui l'ont fait avant toi n'ont jamais ressenti la moindre culpabilité. » Il lui adressa un sourire sincère, son regard plongé dans le sien. « Tu la mérites, tu sais » reprit-il, peut être un peu maladroitement, mais toujours avec autant de sincérité. Et finalement, il prit sa main pour la serrer dans la sienne. Un geste amical qui, il l'espérait, ne serait pas mal interprété par Arès.

Je n'arrive pas à mettre des mots sur les émotions que je ressens présentement. Tout se chamboule dans ma tête, tout s'entrechoque et me donne une migraine horrible. J'aimerais me taper la tête contre les mûrs. Tout effacer et recommencer différemment. Ne pas entrer dans cette rage qui m'a complètement habitée et consumé l'espace d'un instant. Et qui, en l'occurrence, a briser quelque chose entre notre amitié et notre complicité naissantes. Je m'en veux Raph, si tu savais comme je m'en veux.. Je psalmodie tandis que Raphaël reprend la parole. Ces mots, sont visage, son ton sont doux. Il m'apaise, me donne envie d'y croire. J'ai tellement peur qu'il m'en veuille, d'autant plus que ce serait légitime. Parce que je n'ai été qu'un sombre con, incapable de se contenir, incapable de faire taire ses sentiments. J'ai honte de ce que j'ai pu être. Ce n'est tellement pas moi. A menacer un ami pour l'amour d'une fille. Ça parait tellement ridicule. J'ai quand même la force de m'excuser. Je n'ose pas le lui dire mais, m'excuser est un geste que je ne fais pratiquement jamais. Je suis fier, bien trop fier pour oser. J'ai beau avoir tord, je me mure dans un silence, dans une obstination qui peut facilement vexer, frustrer et briser une amitié. Face à Raphaël, à ses faiblesses, à cette tristesse qu'il m'a transmise, je ne peux pas résister. Je baisse ma garde, volontairement ou non, je n'en sais rien mais.. je m'excuse. Du mieux que je le peux, en essayant de ne pas avoir l'air niais et ridicule. Ses réponses me font chaud au coeur, elles me confortent dans le fait que je ne me suis pas efforcé pour rien. Que mes efforts n'ont pas été vains et que baisser ma garde ne m'a pas porté préjudice. Je ne sais pas quoi ajouter, quoi dire de plus. Si les gens se plaisent à le voir pleurer, ce n'est pas mon cas. Raphaël est un homme si touchant qu'il est vraiment trop douloureux de lui faire du mal.. « Il n'ont pas su te voir comme je te vois. » je réponds, avec le plus de douceur dont je peux faire preuve. Je laisse sa main prendre la mienne, et je réponds à son étreinte. Ses mots sont tellement tendres, j'en souris, sincèrement. Un petit sourire, timide. Est-ce que je la mérite réellement ? J'en ai parfois des doutes.. Elliot est si indomptable, j'ai parfois peur de ne pas savoir l'apprivoiser. Que notre relation est basée sur une douce utopie qui finira par passer. « Je.. -- je doute parfois.. souvent, en fait. » je bafouille, je ne trouve pas les mots à mettre sur mes maux. Je passe mon autre main sur mon visage, perdu. « Elle est sauvage, imprévisible.. j'ai peur de ne pas être à la hauteur, parfois. » je tente de tout mettre en ordre, comme je le peux. Ca donne une phrase assez décousue mais qui a un sens. Je pose finalement ma seconde main sur notre étreinte déjà constituée. « Raph.. entre Lulu et toi .. » je ne termine pas ma phrase, je la laisse en suspend. J'ai peur qu'il ne la prenne mal comme j'ai pris mal la sienne, l'autre jour au sujet de Tris et moi-même. J'ai juste envie de savoir. C'est un élan de protection. J'ai envie de le protéger d'une potentielle peine supplémentaire.

Raphaël avait besoin d'Arès. Il avait besoin de lui comme il avait besoin de Lulu, d'Elliot, ou de quiconque qui compterait à ses yeux ici, à savoir pas mal de monde. Arès était un peu comme le frère qu'il n'avait jamais eu - il n'avait effectivement que trois sœurs - et parvenait généralement à lui permettre de se sentir bien, de se sentir en confiance. Et il avait tellement souffert l'autre jour, lorsqu'ils avaient été en froid, qu'il en avait vite conclu qu'il comptait énormément à ses yeux. Il avait donc besoin de lui pour continuer de se battre, pour continuer de lutter contre ses démons, contre ses craintes. Il était un élément clé, un élément essentiel à sa guérison. Il ne voulait plus penser au fait que leur affection respective pour Elliot avait failli les séparer pour de bon. Il souhaitait se focaliser sur Arès, sur ce tempérament qui l'intriguait tant, sur le fait qu'il puisse être si gentil, si compréhensif lorsqu'il ne se sentait pas menacé. Et justement, à cet instant précis, Raphaël avait l'impression de pouvoir retrouver la complicité qui était née entre eux quelques temps auparavant. Il avait à faire à quelqu'un de bien, il en était persuadé. Pour preuve, et contrairement à bien des personnes, Arès disait s'en vouloir d'avoir fait pleurer Raphaël. Il disait regretter. Et de telles paroles ne manquèrent pas de le toucher. Généralement, quand on le faisait pleurer, on ne s'en excusait pas. On s'en fichait éperdument ou bien on en riait. Mais il était effectivement bien rare que l'on s'en excuse. Arès, lui, venait de le faire. Et cela lui confirmait une chose : il aurait perdu beaucoup si leur amitié n'avait pas survécu à cette sordide histoire de pseudo-compétition. Les paroles d'Arès lui firent naturellement plaisir. Effectivement, il était probable qu'il ne le voit pas de la même manière que bien des personnes qu'il avait pu connaitre. Voilà pourquoi il se sentait bien en sa compagnie. Un sourire complice naquit alors sur les lèvres du suisse, qui venait de prendre la main d'Arès pour la serrer doucement. Un contact qui aurait pu gêner le jeune homme, mais que celui-ci accepta volontiers. De quoi définitivement rassurer Raphaël. Il fit alors savoir Arès qu'à ses yeux, il méritait Elliot, qu'il ne nomma pas expressément. A la réponse de son camarade, il afficha une moue compréhensive. « C'est normal de douter. Plus encore, c'est humain de douter » affirma-t-il. Lui, il doutait sans arrêt. Dans son cas, c'était assurément problématique. Mais si Arès doutait "parfois", voire "souvent", ça n'était encore que raisonnable. « Au fond, elle doit t'impressionner. Ou son tempérament t'impressionne, du moins. Je suis quasiment sûr que la réciproque est vraie, je ... je me demande si vous n'avez pas peur d'être incroyablement compatibles, malgré vos possibles différences. » Okay, il s'improvisait psychiatre, on aura décidément tout entendu. Et si ça n'était pas compréhensible, rien d'étonnant à cela, il s'essayait rarement à l'analyse psychologique de ses semblables, hm. Mais voilà qu'Arès déposa sa seconde main sur celles déjà liées et commença une phrase qui gêna clairement le suisse. Lulu. Il mentionnait Lulu. Il cherchait à parler de leur relation. Raphaël se mit à rougir comme un enfant, avant de baisser quelques peu la tête. « Je suis perdu » avoua-t-il subitement, tandis qu'une larme trouva malin de glisser le long de sa joue. Larme qu'il chassa immédiatement, histoire de passer pour autre chose qu'un faible, pour une fois. « Il ... il est tout ce dont j'ai besoin. Avec lui, je ... je me sens différent ... je me sens bien, je ... je me sens désirable, et ... et plus que jamais capable de désirer ... » Sur ces mots, il remonta son regard jusqu'à celui d'Arès. Il espérait qu'il ne le jugerait pas. Parce qu'il insinuait clairement qu'un homme pouvait lui plaire. Et ayant été confronté à l'homophobie d'une mère trop conventionnelle pendant des années, il ne savait pas comment son nouvel entourage pourrait percevoir ces choses là. Peut être qu'il dégouterait Arès, au fond.

Je voudrais chasser toute cette gêne qui s'est immiscée en moins de temps qu'il ne le fallait pour dire ouf, entre nous. Et je regrette tellement cette petite entrevue dans la salle de bain où nous avions fini par nous retrouver nus, tous les deux, rouge comme des pivoines. C'était gênant, c'était assez.. bizarre mais c'était bon. Parce que mon ventre ne se retournait pas à cause de la haine ou de la déception mais parce que j'étais gêné. Parce que mon visage ne se baissait pas de honte et de tristesse mais de gêne. Donnez-moi une gomme, que j'efface cette péripétie. J'en écrirai une autre, une beaucoup plus heureuse. Une qui ne nous éloignera pas mais nous permettra de nous rapprocher, au contraire. Et je jure de ne plus recommencer, de me contenir et ne pas laisser la haine m'envahir. Et je jure de m'occuper de Raphaël comme j'ai pu m'occuper de mon petit frère quand nos parents ont jugé meilleur de nous abandonner aux mains de nounous incompétentes pour vivre leur passion. « C'est normal de douter. Plus encore, c'est humain de douter » C'est humain et c'es nouveau pour moi. J'ai tellement eu l'habitude de vivre comme je l'entendais, de façon excessive et tout à fait spontanée, sans ne jamais me poser de questions. L'argent de mes parents m'a empêcher de vivre comme je l'entendais. Je suis devenu un robot, contrôler par leur pognon. Le fils indigne qui n'a pas su s'intéresser à l'archéologie comme ils l'auraient voulu. Le parias, le brouillon avant le chef d'oeuvre qu'est mon frère. Incapable d'aimer, incapable de douter, de s'attacher. Bon qu'a fuir quand ça devient trop sérieux. J'ai envie de lui dire tout ça, de me confier, me dévoiler, brise le silence sur ma personne. Montrer que je ne suis pas le tombeur qu'ils pensent, qu'il y a plus que ça. Mais je n'en ai pas la force, pas le courage. J'ai peur de décevoir, peur d'être la risée du monde. « Au fond, elle doit t'impressionner. Ou son tempérament t'impressionne, du moins. Je suis quasiment sûr que la réciproque est vraie, je ... je me demande si vous n'avez pas peur d'être incroyablement compatibles, malgré vos possibles différences. » Ma tête s'est baissée, mes yeux se sont fermés. Ses mots me touchent tant ils sont la vérité. J'ai laissé tomber ma garde et le moindre mot m'atteint. « J'ai peur de tomber amoureux d'elle. J'ai.. j'ai envie de tout donner, de lui montrer mon vrai visage, mais.. j'ai peur d'être déçu, de souffrir à l'arrivée. » Qu'elle ne soit pas celle que je pense et la réciproque fait tout aussi peur. J'ai peur que l'on s'aime à s'en faire mal. L'amour m'a toujours rebuté, je l'ai fuis comme la peste. Je ne m'attendais pas à ce qu'il me tombe dessus à Fake Lover. J'attendais de cette aventure qu'elle me permette d'être indépendant, de ne plus avoir besoin des tunes de mes parents. Pas qu'il me permette de connaître la douleur des sentiments. C'est douloureux mais putain qu'est-ce que c'est bon. Et je pense que Raphaël sait de quoi je parle. Les images ne mentent pas et hier, sont baiser avec Lulu n'a fait qu'un tour dans ma tête. « Je suis perdu » j'ai envie de lui crier 'bienvenue au club, poto' et lui taper sur l'épaule mais de l'humour dans ces circonstances serait malvenu, je pense. Je me contente de le regarder, le détailler et je vois une réelle peine. Il est gêné et peiné. Pourtant, il se confie. Et ça me fait chaud au coeur. « Il ... il est tout ce dont j'ai besoin. Avec lui, je ... je me sens différent ... je me sens bien, je ... je me sens désirable, et ... et plus que jamais capable de désirer ... » Je ressers mon étreinte tandis que son regard s'élève jusqu'au mien. Je le couve, le regarde tendrement. Je me réinvente psychanalyste. J'ai envie de l'aider à s'en sortir. Au fond, nous sommes dans la même galère. Et la violence avec laquelle Sven m'a envoyer mon incompréhension des homosexuels à la gueule me permets de comprendre, maintenant. Raphaël est l'exemple parfait de l'homme qui me permettra de comprendre. « Tu as l'air d'avoir tellement souffert.. Raph. Fonce, laisse-toi aller. Il te rend heureux, il te permet d'être vivant, de tout oublier. Ne gâche pas cette occasion d'être heureux, ne gâche pas l'occasion de vivre. » je lui dit, plus sincère que jamais.

Avoir passé une partie non négligeable de son passé sans la moindre présence masculine avait eu tendance à considérablement affaiblir Raphaël. En abandonnant sa famille, son père avait abandonné un fils déjà fragilisé de nature, qui aurait bien aimé pouvoir compter sur son géniteur pour gagner en confiance en lui, en assurance, comme les autres garçons. Mais il n'avait pas pu. Il était devenu le seul homme de la famille, complètement émasculé par une mère insupportable et trois sœurs égoïstes. Il n'avait jamais tellement été un homme. Il aurait pu le devenir, à l'âge adulte, mais il avait du s'occuper de sa mère malade et dépressive, qui s'était naturellement faite une joie de lui faire la vie dure, en l'accaparant, en l'empêchant de s'épanouir, de voler enfin de ses propres ailes. Elle avait fini par mourir, et tout n'en avait été que pire. Il avait perdu son dernier parent, la femme qui l'avait élevé, peut être pas de la meilleure manière possible, mais tout de même. Il s'était retrouvé seul, tellement seul. Sa solitude n'avait alors eu d'égal que la culpabilité qui l'avait rongé. C'était de sa faute. Tout était de sa faute. L'abandon de son père, la folie de sa mère, la mort de cette dernière ... Il était la cause de tous ces malheurs. Il les avait causé. Et il vivait encore aujourd'hui avec tout cela sur la conscience. Il n'aurait de toute manière aucun moyen d'oublier, aucun moyen de passer à autre chose. Il s'entêtait à le vouloir, à essayer. Mais dans le fond, il savait pertinemment que sa culpabilité ne le laisserait jamais tranquille. Ils se débrouillaient tous à merveille pour la lui rappeler, au quotidien. Arès était un peu comme le frère qu'il n'avait jamais eu, et qui aurait assurément rendu son adolescence plus supportable. En compagnie d'un autre jeune homme, il aurait vécu différemment c'est certain. Et son camarade lui apparaissait en quelques sortes comme un protecteur. Arès était quelqu'un de bien, quelqu'un de confiance. Il voulait oublier la peur qu'il lui avait faite la semaine passée. Il voulait le voir uniquement comme il lui apparaissait à cet instant précis. Là, sa main dans la sienne, cette complicité retrouvée, il se sentait terriblement bien. Il osa par ailleurs évoquer Elliot, mais sans trop s'avancer, histoire que son camarade puisse l'arrêter avant qu'il ne se risque à être un peu trop curieux. A ses yeux, Arès méritait Elliot. Il la méritait tellement. Ils étaient différents, sur certains points, mais ils n'en étaient pas moins compatibles pour autant. Peut être étaient-ils fait l'un pour l'autre ? Son esprit romantico-naïf avait tendance à le penser. Arès disait alors voir peur de tomber amoureux, comme de montrer ce qu'il était vraiment pour le regretter par la suite. Un sourire compréhensif gagna alors les lèvres du suisse. Il le comprenait, oui. Parce que lui même avait peur de tout, tout le temps. Il se mettait à sa place et ressentait ses craintes, ses appréhensions. « Vous êtes tous deux fantastiques. Vous méritez tous deux d'être heureux, vous ... Aimez-vous. Donnez-vous une chance, et ... et adviendra ce qui doit advenir. Je range mon pessimisme au placard pour t'assurer que je vous pense capables d'être heureux ensemble. Faites-vous confiance, livrez-vous, et tout devrait bien se dérouler ... » Et il se sentait atrocement pathétique de lui sortir tout cela alors qu'il n'avait jamais vécu en couple. Amoureux, il l'avait été, mais il n'avait jamais osé l'avouer. Et Lulu, dont lui parla Arès ... lui donnait envie de considérer les choses différemment. Il ne savait pas tellement ce qu'il se passait entre le tatoué et lui, mais c'était fort, extrêmement fort ... Il lui faisait tellement de bien. Avec lui, tout était si beau, si vivant ... Et croyez bien que s'il ne craignait pas de faire peur à Lulu, il tenterait le tout pour le tout pour comprendre ce qui leur arrivait. Son camarade serra un peu plus sa main, et un doux sourire illumina son visage. Arès semblait le comprendre. Tous deux avaient peur, en somme. Ils constataient s'être trop attachés, avoir probablement développé de forts sentiments, et la suite les effrayait. L'un était là pour l'autre, quand celui-ci était là pour le premier. « J'ai peur de n'être qu'un jouet pour lui, qu'un jouet avec lequel il a envie de s'amuser, pour le laisser tomber par la suite ... Je connais si peu de choses de Lulu, je ... je ne connais rien de Lulu. » Son nom, plus ou moins son âge et ... c'est tout. Il avait du s'éprendre d'un parfait inconnu. Etait-ce aussi valable que dans le cas d'Arès ? Peut être pas. Du coup, il se sentait affreusement bête.