Wade

MERCREDI 31 OCTOBRE - 14H19
QUARTIER D'ARAGON - ÉPICERIE

Nous étions en pénurie de cornichons. Aussi, puisque j'en étais le principal consommateur dans le nid, la tâche me revenait d'aller nous réapprovisionner en cornichons à l'épicerie, comme j'avais à le faire à chaque fois que le bocal du réfrigérateur de la cantine était vide. On allait pas se mentir, j'étais quasiment le seul candidat à piocher dans ce bocal. Rares étaient celles et ceux qui venaient picorer des cornichons comme je le faisais moi. Néanmoins je n'interdisais à personne d'en manger, que ce soit bien clair. Je m'étais donc rendu à l'épicerie cet après-midi, et mes pas me guidèrent de suite au rayon aromates. Cette fois-ci, fort heureusement, aucun bocal ne semblait avoir été dérobé. Bah, d'un autre côté Rumer avait quitté l'aventure dimanche soir... ceci expliquant cela... Hésitant sur le bocal que j'allais ramener avec moi à la cantine, j'entendis bientôt des pas raisonner non loin de là, me poussant automatiquement à détourner le regard et à poser celui-ci au bout du rayon. Effectivement, un candidat arrivait en ma direction, et pas n'importe lequel... Wade, dont j'avais fait une semaine plus tôt la connaissance, avait vraisemblablement dans l'idée de m'accoster. Ou alors il allait continuer son chemin et me snober, mais j'en doutais quand même. Il sifflotait d'ailleurs, preuve qu'il n'avait vraiment rien perdu de sa bonne humeur. Je le saluais d'un signe de la tête, lui offrant par la même occasion un sourire. Désolé, je ne pouvais guère faire d'avantage, ayant perdu la parole lors du prime et ne pouvant retrouver celle-ci qu'en fin de semaine. Jusque là, j'allais devoir me faire muet et ce ne serait certainement pas facile. Aussi, il tombait bien, le Wade. Parce que je n'arrivais pas à me décider entre un bocal de cornichons, et un autre. Je me saisis des deux, et les lui tendis, comme si j'attendais de lui qu'il m'aide à faire un choix. Je vous l'accorde, ces bocaux étaient en tous points identiques, mais je n'en demeurais pas moins indécis. Alors, quel bocal monsieur ? Ou plutôt quelle main : la gauche, ou la droite ? Remarquez par ailleurs que le bocal que je tenais fermement dans ma main gauche semblait disposer d'un oignon supplémentaire. Cela allait-il faire la différence, et surtout, Wade allait-il remarquer ce détail qui avait toute son importance ? Voyons s'il avait le sens de l'observation.

Je venais de finir de manger. Une bonne omelette, avec des œufs frais, directement prit à la source. Bien meilleur. Une fois mon ventre rempli, je fis la vaisselle. Et oui je faisais des efforts, moi qui était pourtant du genre à tout laisser dans l’évier une fois fini. Et ne la faire que quand ça devenait plus que nécessaire. On avait des roulements avec mes colocs, chacun son tour. Mais ici…Je faisais la mienne et puis voilà. Bref, une fois tout ça fini, je décidai de prendre la direction de l’épicerie. Je voulais voir si jamais ils n’avaient pas mis quelques babioles pour halloween. Genre des trucs pour faire des faces, dans ce gout là. J’adorais cette fête, et j’y participais toujours activement. D’ailleurs il me tardait de la soirée, j’imaginais qu’on allait en avoir une sur le thème. C’était obligé, puisque de toute manière le village s’était mis dans l’ambiance, avec des déco partout. Bref, en pénétrant dans l’épicerie, qui aperçus je ? Maliiik. Et devinez ce qu’ils avaient dans les mains. Des pots de cornichon ! A croire qu’il ne s’en séparait plus. « Hey cornichonman ! » lui dis je dans un sourire pour le saluer. Il se contenta de me faire un signe de tête et de me rendre mon sourire. Aaaaah oui ! « Han c’est vrai que tu ne peux plus parler ! » Il me regarda alors, deux pots en main, comme pour que je choisisse lequel était le meilleur. Euh…comment dire, c’est que c’était un peu les mêmes. J’approchai mon visage alors, pour mieux examiner les bocaux en question. Il ne fallait pas faire les choses à la légère. C’était sérieux là, je n’avais pas le droit à l’erreur. « Hm… Je dirais celui là » dis je en lui montrant celui qu’il tenait dans la main droite. « Non attends ! J’ai pas dis que c’était mon dernier mot ! » Limite si j’avais pas une perle de sueur sur le front là. Attendez, c’était un choix crucial ! « Finalement je prends l’autre, il a un oignon en plus. Ouep, c’est celui là. Je valide ma décision » Alors, j’avais bon ?

Tout candidat ici savait que lorsqu'il était amené à me croiser dans les rayons de cette épicerie, c'est qu'il n'y avait plus de cornichons à la cantine et que, donc, j'étais en quelque sorte chargé de réapprovisionner tout le nid. C'était une habitude que j'avais prise chaque semaine, celle de me rendre à la supérette et d'aller y dégoter un, voir même plusieurs bocaux de cornichons si je sentais qu'il me faudrait en consommer d'avantage cette semaine. Et justement, c'était un peu le cas. Car privé de l'un de mes sens, il me faudrait à coup sûr faire le plein de cornichons dans les jours à venir - c'était même indéniable. Aussi, je ne tardais pas à me saisir de deux bocaux entre lesquels, hélas, je ne parvins à faire un choix. Je n'avais par ailleurs pas envie de ramener les deux, puisqu'au final je réalisai que la place laissée aux bocaux de cornichons dans le réfrigérateur de la cantine ne pouvait en accueillir qu'un seul. Je ne pourrais donc repartir qu'avec un seul bocal, mais lequel ?... Wade arriva au même instant, tandis que je me trouvais en pleine indécision. « Hey cornichonman ! » Je le saluais quant à moi d'un signe de la tête, ne pouvant guère faire d'avantage. « Han c’est vrai que tu ne peux plus parler ! » Héhé, bien vu filou ! C'est alors que je me dis que quitte à être là, autant que Wade se rende utile non ? Pas qu'il faisait d'ordinaire office de plante verte dans le nid, mais disons qu'au moins cet après-midi il me serait d'une aide précieuse. Aussi, je lui tendis les deux bocaux. J'attendais maintenant de lui qu'il m'aide à faire un choix. Il sembla prendre son rôle très au sérieux, et porta bientôt attention au moindre détail de ces deux bocaux. « Hm… Je dirais celui là » Ouh, attention ! Grossière erreur ! Ce n'était pas le bocal auquel je pensais, celui que j'avais à l'esprit ! Heureusement, conscient de sa terrible faute, il se rattrapa juste à temps. « Non attends ! J’ai pas dis que c’était mon dernier mot ! » Il était moins une tout de même. « Finalement je prends l’autre, il a un oignon en plus. Ouep, c’est celui là. Je valide ma décision » J'agitais la tête et arborais un large sourire. Il pouvait par là comprendre qu'il avait réussi sa mission avec brio ! Chapeau l'artiste ! Je reposai en rayon le bocal qui s'était vu "éliminer", pour ne garder en main que celui doté de l'oignon supplémentaire. Et c'est alors que je fis ce à quoi Wade ne devait certainement pas s'attendre : je dévissai le couvercle du bocal, et piochai à l'intérieur, en sortant donc l'oignon clairement visible puisque au dessus d'une montagne de cornichons. Je finis par le lui tendre, un grand sourire aux lèvres. Oui, j'avais effectivement ouvert un bocal de cornichons en pleine épicerie ! MAIS ! Moi, je n'avais fait qu'en retirer un oignon, et non un cornichon, ce qui rendait l'acte bien moins odieux, vous en conviendrez ! Maintenant, restait plus qu'à espérer que Wade aime les oignons, à l'image d'Asmaa qui elle, en raffolait. Oh oui, je tendais à penser que tout le monde aimait ça, les oignons. On pouvait même affirmer que cela se mangeait sans faim, ces petits trucs. Mon regard, ainsi que mon sourire ne signifiaient plus qu'une chose, désormais : CADEAU !

La tension était à son comble. Avais je réussis le test du pot de cornichon ? N'avais je pas fait une grave erreur en changeant à la dernière minute de choix ? Peut être aurais je du suivre mon idée première ? Ce n'était jamais bon de bifurquer comme ça... Et pourtant je l'avais fais. J'allais savoir si j'allais le regretter ou non. J'en retenais presque mon souffle là. Alors, le verdict ? Un sourire se dessina finalement sur ses lèvres alors qu'il arbora un grand sourire. Ouuuuuuuui, alléluia ! J'avais bon. Ouf. M'en voilà soulagé. C'est alors que fait surprenant, il dévissa le bocal en question, pour en sortir un oignon, et me le tendre ! Mais sacrilège, je croyais que c'était interdit de faire une chose pareille. N'était il pas en train d'enfreindre la loi concernant les cornichons là ?  « T'es sur ? Tu ferais vraiment ça pour moi ? » Et bien dites donc, m'en voilà tout honoré. J'attrapai alors l'oignon qu'il me tendit. Je le mis alors à ma bouche pour le manger.  « Hm...C'est excellent » Alors qu'en réalité c'était juste horrible. Je détestais ça. Mais je me voyais mal refuser, je ne désirais pas le vexer le petit. Voilà, l'était englouti. Eurk.  « Alors, comment ça se passe ton interdiction de parler ? Pas trop dur ? En tout cas je t'admire mec. Parce que moi, j'aurais déjà craqué depuis longtemps. On m'enlève la parole, et je suis malheureux comme les pierres. Mais toi non, t'as l'air de gérer, tranquille. » Comme un pro le fifou.

Si nous nous étions trouvés dans un jeu télévisé style "qui veut gagner des pépètes", Wade aurait assurément touché le pactole. Parce que voilà, il avait porté son choix sur le bon bocal, celui contenant un oignon en plus, ce qui prouvait qu'il était doté d'un très bon sens de l'observation. Aussi, je ne tardai pas à ouvrir le bocal et y piocher l'oignon en question. Je crois que ce geste, venant de moi surtout, le surprenait quelque peu mais roh, ça n'était jamais qu'un oignon. Un oignon dont je lui fis d'ailleurs don l'instant d'après. « T'es sur ? Tu ferais vraiment ça pour moi ? » Oh bah maintenant qu'il le disait, j'allais peut-être le lui reprendre en fin de compte. Quelle question, non vraiment, c'était un cadeau. Et un cadeau ne se refuse pas, hein, on le sait tous. Aussi, Wade se saisit de l'oignon et le porta à sa bouche. « Hm...C'est excellent » fit-il, pensant sans doute tromper tout le monde. Mais je voyais à son œil qui déviait sur le côté et au drôle de bruit que produisit l'ingurgitation du petit oignon qu'en fin de compte, il n'aimait pas du tout ça. Et vous croyez qu'il me l'aurait dit ? NON ! QUE NENNI ! Au contraire, il faisait comme s'il adorait ça. Je n'étais pas dupe, qu'on se le dise. « Alors, comment ça se passe ton interdiction de parler ? Pas trop dur ? En tout cas je t'admire mec. Parce que moi, j'aurais déjà craqué depuis longtemps. On m'enlève la parole, et je suis malheureux comme les pierres. Mais toi non, t'as l'air de gérer, tranquille. » Ah vraiment, je donnais l'impression de gérer la chose ? Et bien pourtant laissez-moi vous dire que je vivais un calvaire depuis dimanche au soir. Et ce calvaire ne prendrait fin que dans cinq jours. D'ici là, j'aurais très certainement fait une dépression ! Les dépressions, voyez-vous, ça me connaissait quand même un peu. On ne s'en douterait pas à me voir d'ordinaire enjoué et souriant, et pourtant... On a tous nos faiblesses, et nos vilains petits secrets hein. Je fis, en quelque sorte, comprendre à Wade que non, je ne le vivais pas aussi bien qu'il le lui semblait. Et pour ce faire, rien de tel qu'un balancement de la tête de gauche à droite, une petite moue boudeuse et un pouce retourné, s'il vous plait. Mais si, vous savez, comme lorsqu'on veut dire : "hm, too bad !" Bah voilà, moi, j'étais dans une bad, very bad situation. De toute manière, ce genre de choses, là, se voir interdire la parole par la production et tout, bah ça ne pouvait arriver qu'à un type comme moi. Heu, oups ! Pardon Rumer.