L'eau, c'était sa vie, son univers, sa passion. L'eau la rendait heureuse, la calmait quand ses nerfs lâchaient, lui remontait le moral quand il était au plus bas. L'eau était sa meilleure amie, au fond. Parce que des amis, Mado n'en avait pas. Elle avait son frère, Ezra, son fils, Aaron, quelques collègues, quelques clients, mais personne d'extérieur à qui elle pouvait véritablement se raccrocher. Alors elle se raccrochait à l'eau. Parce qu'elle y était née et parce qu'elle voudrait y mourir. Elle se trouvait bête de penser de la sorte, quelques fois. Mais il était indéniable qu'en plus d'être son élément, l'eau était son échappatoire. Nager la remplissait d'un bien intense qu'elle ne saurait trop expliquer. Elle savait simplement qu'elle aurait préféré ne pas avoir à exercer la natation aux autres, pour garder sa passion pour elle, et rien que pour elle, jalousement. Elle se retrouvait à apprendre à des petits vieux à faire des longueurs de piscines, devait gérer des groupes scolaires particulièrement entreprenants, alors que ça n'était pas ce qu'elle voulait. Elle n'avait jamais voulu que sa passion tourne comme ça. Elle mentirait si elle disait que son boulot ne la rendait jamais heureuse, parce qu'en soit il était probable qu'il l'épanouisse d'un point de vue humain, mais il est vrai que Mado était plus ou moins déçue d'avoir manqué de volonté pour avoir accepté si facilement un poste moyennement attrayant, mais suffisamment bien rémunéré pour qu'elle ne se soit pas longtemps posée de questions. En ce jour, si elle se baignait, ça n'était que pour elle. Aucune Madame Tullet ne lui réclamerait une leçon, aucun Monsieur François ne lui confierait sa classe pour l'après-midi. Elle était seule, tranquille, apaisée. Elle se laissait flotter sur le dos, les yeux clos, l'esprit ailleurs. Elle se coupait du monde pour retrouver ce contact si plaisant avec l'eau. Mais bientôt, lorsqu'elle crut entendre quelqu'un accéder à la piscine par l'escalier qu'elle pourrait voir si elle se donnait la peine de tourner un petit peu la tête et, surtout, de rouvrir les yeux, elle comprit que son calme était déjà menacé. Les yeux toujours clos, elle tenta une approche visant à éloigner tout intrus de son espace vital. « Je ne sais pas qui tu es, ni ce que tu viens foutre là, mais j'étais tranquille et j'aimerais le rester. Donc essaie de revenir dans, disons, une petite heure. Ou deux. Parce que là, vois-tu, j'essaie de méditer. Et je ne pourrai pas le faire si je sais qu'un péquenot nage dans le même bassin que celui où j'essaie de me détendre. Allez, sois mignon, laisse-moi. » Employer le masculin était bien général, puisqu'il était tout de même possible qu'elle s'adresse en réalité à une jeune femme. Elle n'en savait rien. Et elle ne voulait pas le savoir. Elle n'attendait en soi ni réponse ni quelconque manifestation. Elle n'attendait qu'un départ. Rien qu'un départ.

Se retrouver seule, ne serait-ce qu'une petite heure, vous savez, soixante petites minutes, ça n'était donc pas possible ? Fallait-il perpétuellement que dans chaque endroit où elle se rendait, quelqu'un s'y rende aussi ? Parce qu'en soi, si elle entrait dans une pièce déjà occupée, elle pouvait aisément en sortir, et partir à la recherche d'un autre lieu à coloniser. Mais ce qui était particulièrement chiant en soi, c'était quand elle était tranquille, seule, et que quelqu'un croyait bon de débarquer à l'improviste. Ouais, ça, ça pouvait très clairement la saouler. Après, on s'étonnait du fait qu'elle soit si peu disposée à être de bon poil, mais il fallait bien reconnaître que les gens s'arrangeaient bien pour apparaître au pire endroit, au pire moment. Comme ce type là, qui se croyait malin de débarquer alors qu'elle essayait de méditer. Parce que oui, clairement, elle s'y essayait. Flottant sur l'eau et tâchant de ne plus penser à rien, c'est même très exactement ce qu'elle s'employait à tenter depuis déjà quelques minutes. Mais il avait fallu que le mec se pointe, alors évidemment, il n'eut pas droit à un accueil très chaleureux. Et encore, qu'il s'estime heureux, certains avaient eu pire. Genre, bien pire. Et donc, il trouvait ça, comment venait-il de dire, ah oui, "sympathique". Bah oui, clairement. Puisque Mado était connue pour être sympathique, elle aussi. Oui, oui. Quoi qu'il en soit, c'est à ce moment là qu'elle fut certaine du sexe de la personne qui venait d'entrer, puisqu'elle n'avait même pas pris la peine d'ouvrir les yeux et qu'elle ne se fiait ainsi qu'à sa voix. En tout cas, le jeune homme ne semblait pas tellement désireux de décamper. Il le dit lui même, d'ailleurs. Et là, Mado rouvrit les yeux. Gneh ? Il allait vraiment rester, donc ? Sans nager, certes, mais tout de même. Est-ce qu'elle était censée supporter ça ? Probablement. Mais est-ce qu'elle le voulait ? Assurément pas. Alors elle soupira, tâcha de se détendre à nouveau, mais sans y parvenir. Parce qu'elle ne pensait qu'à ce type, là, pas loin. Et c'était du genre à la déconcentrer, et pas qu'un peu. Alors elle quitta sa position et réémergea son corps. Hésitante, elle finit par nager vers lui. Oui, parfaitement. « Et donc, attendre comme le dernier des cons, t'es forcé de le faire ici ? » Et là, elle redevenait désagréable. Elle ne le faisait même pas exprès, elle était simplement peu disposée à faire des efforts, vu qu'il avait mise à mal sa séance de relaxation. Et sous pression comme elle était, dieu sait qu'il aurait mieux valu qu'elle se passe sans encombre. « Laisse-tomber » finit-elle par soupirer, avant de profiter de sa proximité avec le bord pour y grimper, s'y asseoir et laisser ses yeux se perdre dans les profondeurs de la piscine. Non, elle n'essayait plus de méditer. Là, elle essayait de se comprendre.

Oui, ce fut un accueil glacial. Et clairement, ce type aurait toutes les raisons du monde d'en vouloir à Mado qui, décidément, ne savait pas comment s'y prendre pour réclamer un peu de tranquillité. Peut être aurait-il volontiers accepté de la laisser si elle avait pris la peine de s'adresser à lui plus gentiment, moins agressivement du moins ? Oui, probablement. Ainsi donc, s'il semblait maintenant décidé à rester dans les parages, elle était peut être la seule qu'elle devait blâmer. Autant dire que par moments, Mado détestait être aussi impulsive. Parfois, elle aimerait être comme Ezra, plus disposée à faire des concessions pour les autres, plus apte à trouver des compromis qui satisfassent tout le monde, plus capable de prendre les choses avec légèreté. Elle avait hérité des pires cotés du caractère de leurs parents : la froideur de leur mère et l'impulsivité de leur père. De quoi expliquer son comportement discutable de tout à l'heure. Regrettait-elle d'avoir si tôt agressé ce pauvre jeune homme ? Probablement. Du moins, un tantinet. Parce qu'elle était bien la première à admettre que personne ne méritait d'être traité ainsi, et qu'elle avait été un peu dure pour peu de choses en soi. Le pire, c'est qu'elle trouva le moyen d'en rajouter, en l'insultant cette fois. Clairement, elle se trouvait un peu minable. Alors elle préféra s'abstenir de poursuivre la discussion et s'assagir en prenant place sur le bord du bassin. Et puis elle se mit à réfléchir. A son comportement. A ce que cela lui coûtait. Clairement, elle aimerait être apte à se contrôler de temps à autres, mais c'était un dur travail sur elle-même qu'elle n'osait pas entreprendre. Sans doute de peur de se rendre compte qu'elle était tout bonnement incapable d'être autre chose que cette garce amère et injuste qu'elle présentait bien souvent. Mais voilà que la jeune femme fut bientôt surprise. Et pour cause, son camarade déclina son identité. Alors c'était lui, qu'elle avait agressé bien injustement, qui faisait un pas vers elle ? Le fixant avec une certaine stupéfaction, Mado lui était silencieusement reconnaissante d'essayer, malgré tout, de rattraper le coup. Elle le trouvait courageux, aussi. Sachant qu'elle se savait capable de disjoncter à nouveau. « Et moi Mado. Mais tu peux tout aussi bien me faire payer mon accueil de tout à l'heure en me surnommant de la manière dont tu le souhaites. Je pense le mériter. » Ainsi donc, s'il préférait opter pour "la furie du bassin", elle ne lui en tiendrait pas rigueur. « Je ne suis pas toujours très sociable, comme tu as du le remarquer. » Oui, peut être l'avait-il effectivement noté au moment où elle l'avait sommer de disparaitre pour ne pas l'importuner, hm.