Dans l'obscurité nécessaire de la nuit, la sibylline silhouette d'une enfant égarée se glissa sous la douche. Encore vêtue tant d'un de ses larges t-shirt et d'un fin boxer de coton blanc, elle semblait avoir émergé de son sommeil pour se perdre dans les méandres chaotiques de songes abstraits, connus d'elle seule mais bien ancrée dans une réalité la rejetant farouchement. Pourtant, elle était là, presque délirante. La fièvre au front, elle fit couler l'eau froide, glacée, afin de s'y glisser, lascive et amoureuse. A force de traîner dans l'hostilité hivernale, elle avait attiré l'attention d'une quelque maladie bien superficielle qui, elle le savait, n'allait lui apporter qu'un vague renouveau dans le stoïcisme collectif de l'endroit. Jouissant singulièrement de son état pourtant médiocre, Deirdre, infante d'une folie inadéquate, laissait l'eau ruisseler doucement et coller, peu à peu, le tissu à sa peau. Par endroit, se dessinaient les évidences de son corps, et la transparence de ses vêtements n'aidait en rien. Seule et infiniment impudique, elle n'y pensait pas. Délicieusement plongée dans un état de semi conscience, elle subissait fièrement les assauts de ce choc de température, la froideur de l'eau allant à accroître son malaise que pour l'apaiser au fur et à mesure du temps. Il faudrait encore un moment, un long moment, et, sur le coup, elle était bel et bien capable de jouir d'un tel mal-être. Son corps hurlait son désespoir, mais elle ne soufflait mot d'aucune plainte. Elle adorait. Et, dans ses divagations, elle se laissa doucement choir sur le sol, assise contre la paroi, le dos endolori par la crispation, les cheveux rabattus sur son fin visage et, surtout, les doigts dessinant de longues arabesques dans les flaques d'eau qui, constamment, reprenaient leur source du jet qui ne tarissait d'aucun effet. Elle était là, chaotique et inquiétante. Il faisait nuit. Tant et si bien qu'elle paraissait à hauteur d'un animal reclus dans sa tanière.

Cela devait facilement faire un siècle que je me tournai encore et encore dans mon lit. Le sommeil m'avait quitté, celui-ci ne voulait décidément pas de moi cette nuit. Je tournai tellement que j'eu peur de réveillé cette pauvre Poppy, il me fallait autre chose. Il me fallait aller prendre l'air ou simplement dégourdir mes longues et fines jambes. M'extirpant de mon lit en prenant soin de ne pas réveiller la jeune blonde qui dormait à mes côté, je décidai de partir. De voyager à travers la maison tandis que celle-ci serait simplement habitée l'obscurité et le silence. En effet, les habitants devaient probablement dormir comme des souches à cette heure-ci du jour. Pourtant le bruit de l'eau dans la salle de bain, me forçai à marcher intriguée en direction de celle-ci. Avaient-ils oublié de couper l'eau ou bien n'étais-je pas la seule réveillée ici. Pénétrant dans la pièce, c'est Deirdre que j'aperçus assise dans la douche encore vêtue de ce t-shirt. Elle ne semblait pas être bien ... En tant normal c'est d'étrange que je l'aurai qualifiée. L'étrange n'est pas négatif, bien au contraire. Deirdre est intrigante. Deirdre, on a envie de savoir ce qu'elle cache derrière ce qu'on aperçoit. M'avançant vers elle dans cette douche, je me baissais à son niveau. Quelques gouttes d'eau me tombant dessus, une seule chose me vint en tête. Glaciale. Alors que je ne pouvais me passer de l'eau chaude voir brûlante sur mon corps. C'est dans l'eau froide que la mystérieuse Deirdre restait, immobile, presque inerte. « Est-ce que tu vas bien ? »

Paupières mi-closes, Deirdre appréciait le chemin ruisselant de l'eau sur ses mèches. Les gouttes perlaient doucement pour s'écraser sur le sol carrelé de la douche. En soi, c'était là un chaos formidable, microscopique et pourtant si cruel. D'un sens artistique aussi farouche qu'il était courageux, elle en parvenait même à oublier les céphalées qui s'étaient emparées de son crâne à force de se soumettre ses tempes à la douleur d'une eau glacée. Pourtant, et derrière ce rideau ombrageux, le pantin vit paraître la silhouette d'une inconnue. Et quelle inconnue... Deirdre mit de longues minutes à remettre le nom de Maxime sur ces courbes, et plus encore sur ce visage. Elle n'avait qu'à peine entrevu la jeune femme. Elle ne se souvenait pas de lui avoir vraiment parlée. Cependant, et malgré tout, c'était celle-là même qui se trouvait devant elle, pratiquement agenouillée afin d'ancrer son regard dans le sien. Et tout cela pour savoir si elle allait bien. Que ce fût sincère ou seulement machinal, Deirdre la dévisagea avec intérêt avant qu'elle n'accepte d'écarter ses cheveux de son visage et d'entrouvrir les lèvres. « Tu risques de tomber malade si tu restes là... » Loin de ce qu'il semblait en être, Deirdre ne faisait pas preuve de bienveillance en soi. Ce n'était jamais qu'un simple constat. L'eau était froide, très froide, et les poumons n'en demandaient pas tant. « Je vais bien, lâcha-t-elle alors machinalement. » C'est tout ce que les gens voulaient entendre, qu'on allait bien. « Je vais bien. »

Deidre, qui était-elle ? D'où venait-elle ? Je ne savais rien d'elle, je crois bien même que jamais auparavant je ne lui avait adressé un mot dans la maison. Non, c'était clair : Jamais je ne lui avais parlé. Accroupie à son niveau, je m’inquiétais assez de son état. L'eau gelée continuait de couler sur son corps et sur le mien, bien que la quantité n'était pas la même. Celle-ci me fit remarquer que j'allais être malade. Elle n'avait pas tord mais elle ? « Tu sais, je pense que si l'une d'entre nous doit être malade ce sera toi ... » A une poupée de porcelaine, voilà à quoi elle me faisait penser. Une jolie poupée de porcelaine qui se casserait si elle tombait sur le sol. Je ne dis pas que Deirdre est fragile, simplement que c'est l'image qu'elle renvoyait. Ses phrases sonnaient plutôt faussement, si pour elle, elle allait bien je ne pouvais pas lui attribuer ces quelques mots. Elle semblait malade, déjà. Je posai alors doucement ma main sur son front bouillant que l'eau avait cependant légèrement refroidit. « Tu es brûlante Deirdre ... Tu devrais sortir et te sécher ... Allait au chaud. Ce serait le mieux. » Mes fins doigts quittèrent alors son front. Tandis que je restai à ses côté attendant une réponse de sa part. Ce n'est pas parce que je ne lui avait jamais parlé que son état ne m’inquiétais pas. Certains vous diront que je pense un peu trop aux autres, mais c'est dans ma nature, je ne pense pas pouvoir changer maintenant. D'ailleurs, je n'en ai pas envie.

Deirdre était déjà malade, elle le savait. Suante sous ses draps, elle n'avait pas même essayé de faire tomber la fièvre. Tout ce qu'elle avait alors imaginé, ce n'était que cette douche, et ces eaux froides déversées sur son corps, prêtes à rompre ses os. Elle ne s'inquiétait pas, et personne n'avait à s'en inquiéter. Elle était bien, là, en dépits du triste état dans lequel elle apparaissait. Bien sûr, Maxime ne pouvait pas comprendre cette impression, plus encore parce qu'elle ne connaissait rien de son interlocutrice. Elle n'était certainement pas tombée sur une malade coopérante qui, aux premiers signes de faiblesse, se faisaient docile et plaintive. Maxime ne s'en inquiéta pas plus, ou moins, elle l'incita seulement à s'extirper de là, afin de se sécher. Deirdre, elle, secouait déjà la tête de gauche à droite, doucement mais certainement. Elle ne voulait pas entendre parler d'une sensation aride sur sa peau. Elle s'aimait ruisselante, comme prisonnière d'un iceberg fondant peu à peu au contact de sa peau brûlante. Pourtant, et certainement parce que ses doigts le lui permettaient encore pour quelques secondes seulement, la jeune irlandaise leva le bras afin de couper l'eau. Elle n'en fût pas plus réchauffée, au contraire. « Je ne veux pas que tu tombes malade. » Chez Deirdre, ce n'était ni de l'inquiétude ni de la bienveillance, juste une sorte de souhait presque transcendant. « Pourquoi tu ne dors pas ? s'enquit-elle finalement. Il est encore tôt, tu devrais être dans ton lit. » D'un vague geste de la main, la fragile poupée sembla vouloir le repousser ou, tout du moins, lui faire comprendre qu'elle pouvait filer, qu'elle n'avait pas à rester ici, et moins encore pour elle. L'idée, en elle-même, lui semblait déjà aberrante.

Comment devais-je réagir face à un mystère tel que Deirdre ? Je ne savais pas, et ne le saurai sans doute jamais. Elle était si complexe, j'avais l'impression qu'elle venait d'un monde et moi d'un autres. Deux mondes qui n'auraient peut-être pas du se rencontrés, deux mondes qui aurait du continuer leurs chemin comme des droites parallèles. Et pourtant, ma trajectoire avait été dévié et c'est elle que j'avais retrouvé ruisselante dans cette salle de bain. Mouillée et probablement malade fût la chaleur que j'avais aperçu ma main posée sur son front. L'eau s'arrêta soudainement de couler sur nous. Penser qu'elle m'aurait alors suivit pour se réchauffer dans des vêtements propres et sous une couverture aurait été de trop avec Deirdre. La seule chose qu'elle voulait c'était ne pas m'infliger une quelconque maladie qu'aurait pu être provoqué par cette froideur inquiétante. Je ne répondis d'ailleurs rien au souhait qu'elle avait formulé. Que pouvais-je bien lui dire ? Rien. Une question passa alors le cap de ses lèvres, comme si son monde s'ouvrait un peu au mien. Un simple mot pouvait qualifier le pourquoi du comment je me retrouvais aussi mouillée qu'elle dans cette salle de bain et puisqu'elle semblait éviter de longues phrases inutiles, je lui répondis simplement en haussant les épaules « Insomnies». Elle semblait vouloir mon départ, avait-elle peur que sa présence me dérange ? Elle ne devait pas. Je n'étais pas comme ça, si ça avait vraiment été le cas cela fait bien longtemps que je serai partie. « Je vais pas te laisser ici... Dans cet état. Sauf, si c'est vraiment ce que tu veux. »