S'il y a bien un endroit que Sully n'aurait honnêtement pas pensé trouver au sein de cette aventure, c'était très probablement ce supermarché. Bien sûr, il s'était dit que les candidats auraient quelques moyens de se réapprovisionner, mais il est vrai qu'il était pour le moins surpris maintenant qu'il se trouvait sur ce parking désert et devant cette façade équivoque. Mais il n'allait certainement pas rester planté ici, car ça n'aurait sans doute pas grand intérêt. Il avança alors en direction du magasin, sans pour autant se charger d'un caddie, estimant qu'il n'en aurait pas besoin. A vrai dire, il n'était pas certain d'avoir quoi que ce soit à "acheter" en ces lieux. Il allait probablement davantage en faire le tour, simplement pour visiter cet endroit qu'il ne connaissait pas encore. Rien ne disait d'ailleurs qu'il s'y éterniserait, car ça ne représentait tout de même pas un réel inédit, étant donné qu'il avait lui même un supermarché à proximité de chez lui, qu'il savait donc ce qu'il trouverait au sein de celui-ci, et qu'il était donc relativement peu probable qu'il soit franchement surpris. Il entra en tout cas dans le magasin et commença à s'y balader, passant de rayon en rayon, observant certains étalages, s'intéressant plus particulièrement à d'autres, mais ne saisissant toujours aucun produit. C'était peut être idiot, mais il était un peu gêné par ce système, celui de pouvoir prendre tout et n'importe quoi, sans avoir le moindre compte à rendre. Lui, ça le gênait un peu. Alors il préférait se contenter de toucher avec les yeux, histoire de ne pas être tenté de faire ce qu'on attendait certainement de lui. Non pas qu'il ait développé un certain esprit de contradiction, mais il avait toujours eu l'habitude de payer dans ce genre de situations, alors bon, il avait un peu de mal à se réjouir de cette pleine liberté. Toujours est-il que son regard finit par se porter sur l'un de ses camarades, manifestement Charles-Emmanuel, qui se trouvait alors un peu plus loin, au fond d'une allée. « Tu ne trouves pas ça un peu déstabilisant de pouvoir se servir à volonté ? » qu'il lui adressa alors, après s'être approché, n'étant pas certain que son camarade ait la même vision des choses, parce qu'après tout, Sully devait le seul mec suffisamment chiant pour trouver ça perturbant, hein. « Ça n'est pas très réaliste. » Parce que si la société fonctionnait comme ça, il y aurait comme un problème. Mais souhaitons en tout cas la bienvenue à Charles-Emmanuel, qui venait d'entrer dans le monde de Sully. Un monde où tout devait être concret et logique. Un monde incroyablement emmerdant, donc, oui.

Nombreuses étaient les choses qui étaient susceptibles de faire réfléchir Sully. Parce qu'en soit, il se prenait la tête au sujet de beaucoup de faits, et que ceux-ci n'étaient pas toujours d'une extrême importance. Ainsi, dans l'immédiat, le jeune homme en venait sérieusement à se questionner sur ce système un peu déstabilisant qui semblait inciter les candidats à considérer ce supermarché comme un libre-service d'une entière gratuité. A ses yeux, oui, c'était pour le moins perturbant, car il en venait à se dire que si tout fonctionnait réellement comme ça à l'extérieur, qu'il n'était plus utile de payer pour quoi que ce soit, la société rencontrerait un certain nombre de problèmes, à commencer par la chute de l'économie et le développement de tendances anarchistes. Car oui, il avait beau être entré dans ce supermarché depuis à peine cinq minutes, Sully était déjà tout à fait capable de tenir ce genre raisonnements. Et le pire, finalement, c'est qu'il semblait en plus chercher quelqu'un pour les partager. Bon, en réalité, il n'avait absolument pas prévu de croiser l'un de ses camarades et donc d'accoster ce dernier, mais le fait est qu'il avait aperçu Charles-Emmanuel à quelques mètres de lui, et qu'il n'avait naturellement pas pu résister à l'envie de s'approcher pour s’enquérir de son point de vue sur la chose. En soit, il n'attendait absolument pas que le jeune homme lui donne raison, car il respecterait tout naturellement que celui-ci puisse ne pas avoir le même avis que lui sur tout ça. Mais voilà que son camarade sembla aller dans son sens et développer une réflexion très semblable à la sienne. Ainsi donc, lui aussi trouvait que tout ça était pour le moins perturbant ? Nul doute que beaucoup de leurs camarades se satisfaisaient largement de ce système, alors il n'était pas déplaisant de constater que le point de vue de Charles-Emmanuel rejoignait le sien. Peut être parce que ça avait un coté assez rassurant, en fait, de voir qu'ils pouvaient être au moins deux à raisonner de cette manière. Sully se sentait moins seul, donc, oui. « C'est aussi ce que je pense, mais peut être que c'aurait été plus difficilement gérable, en fait. Je suppose que c'est comme ça qu'ils ont raisonné, au moment où ils ont décidé de dépourvoir les articles de ce magasin du moindre prix. Peut être aussi qu'ils voulaient opérer un certain contraste avec notre réalité. Mais je pense comme toi que ça n'aurait pas été plus mal de garder une certaine vraisemblance. » Sully était en tout cas disposé à se questionner sur les motivations de la Production, histoire de se mettre quelques peu à leur place. En soit, il réfléchissait beaucoup trop. C'est bien souvent ce qu'on lui disait d'ailleurs. Ainsi, il accueillit les propos de son camarade avec un sourire un peu gêné. « Parait-il. Mais je ne suis pas certain que ce soit une bonne chose, en soit. Je veux voir du sens et de la logique partout, et ça doit faire de moi quelqu'un d'affreusement pénible. » Il en avait conscience, c'était déjà ça. « Et je ne voudrais pas t’inquiéter, mais tu es pour le moins réaliste, toi aussi » reprit-il, en un sourire plus amusé. Ce serait terrible, effectivement, qu'il puisse penser de la même manière que Sully. « Mais je suppose que tu te prends quand même moins la tête que moi. » Ce qui ne serait pas bien difficile, en soit.