- Tu dors ?

Cette question, je ne sais pas combien de fois je l'avais entendue, ici, sur le nid. Suffisamment assez pour connaitre la petite voie aigüe d'Ismène par coeur, je peux vous l'assurer. Et pourtant, ce soir, ce n'est pas elle qui pose la question. C'est moi. Je me surprends à en faire ainsi, mais pas énormément non plus. On s'était bien rapprochés, malgré tout, depuis le début du jeu. Nous étions l'une des deux seules paires de candidats ayant survécu au jeu depuis son début, nous partageons le même lit depuis dix semaines à présent. C'est ma partenaire, et elle est née le même jour que moi. Protecteur. Je me sens protecteur envers elle. Inquiet. Je me sens inquiet à son égard. Je ne veux pas que le départ de Sully l'affecte trop. Je ne veux pas qu'elle soit triste. Je m'étais promis, aux débuts, de ne pas poser le moindre doigt sur elle afin de ne pas la déconcentrer, et voilà qu'un autre l'avait fait. J'espère qu'elle ne perdrait pas son objectif de vue pour autant. Si proches du but, nous sommes demi-finalistes ... Et si nous pouvions tous deux accéder en finale, ce serait le must. J'en serais ravi, voyez-vous. L'air de rien, j'ai appris à y tenir, à Ismène ... Un peu comme si c'était une petite soeur.

Elle n'arrive pas à fermer un œil. Ca fait une heure qu'elle essaye, mais rien. Elle qui tombe facilement de sommeil, là elle n'arrive pas à s'endormir. Une semaine plus tôt, elle en avait profité pour se glisser dans le lit de Sully pour parler, pour dormir avec lui. C'est à cet occasion qu'elle apprit qu'il l'aimait... Ou non, elle le savait déjà, mais c'est la première fois qu'il le lui disait réellement. Sans passer par quatre chemin. Un « je t'aime » tout simple, mais tellement beau. Elle avait cette nuit lâchée Cosmas au profit d'un autre, mais elle savait bien que celui-ci comprendrait. Il est compréhensif son partenaire et il sait qu'elle aime profondément Sully... Sauf que cette fois elle ne peut pas le faire. Elle ne peut pas s'échapper dans le lit de Sully, sauf pour trouver un lit vide et juste le souvenir de son odeur contre ses draps pas encore changé. Elle pense à ça et du coup, elle se colle un peu plus aussi sien, prenant la chaleur procurée par son bout de couverture comme la chaleur d'un Sully blottit contre elle. Elle a le droit de se faire des films et c'est comme ça qu'elle s'apaise un peu. En se disant qu'il est toujours là, dans ses pensées, mais aussi quelque part par là. Ca fait bizarre de penser ça, parce qu'il n'est pas mort. Il doit seulement être dans un autre état américain au jour d'aujourd'hui et qu'il la regarde peut-être à travers son écran. Alors qu'elle pense en silence, elle entend un petite voix lui demander si elle dort. Une petite voix, c'est exagéré : une voix masculine qui chuchote, tout simplement. Elle sait bien que c'est Cosmas et ça la fait sourire, parce que c'est elle qui l'embête en lui demandant ça normalement. « Non... » Qu'elle souffle à la manière de Cosmas, comme il fait habituellement. Elle sourit légèrement, avant de lui demander à son tour : « Et toi ? » Elle rit. Evidemment qu'il ne dort pas, sinon il n'aurait pas pu lui poser la question. Doucement, elle tourne son corps vers le sien. Elle ne voit rien dans le noir, mais au moins elle aura l'impression de bien lui parler en face à face. « Pourquoi tu ne dors pas toi... » Qu'elle lui demande, toujours aussi curieuse. Instinctivement elle se rapproche de Cosmas, mais elle sait qu'elle n'a rien à craindre avec lui. Qu'il la voit autrement que Sully. Qu'elle peut se coller légèrement à lui, sans pour autant attiser en lui une quelconque attirance.

Il n'y a eu qu'une fois, une seule fois, où je n'ai pas senti le souffle de la respiration d'Ismène tant elle était proche de moi, la nuit. C'était il y a peu de temps, et je m'en souviens, de cette nuit. J'avais souri, parce que je m'étais dit qu'elle était allée dans le lit de Sully. C'était la seule explication possible, et j'en étais rendu heureux, pour elle. J'aurais fait de même si Odessa en avait eu une place vide dans le sien, après tout, de son temps parmi nous. Ismène me répond alors. Elle ne dort pas. Sa voix brise le silence de plomb dans le dortoir. J'espère qu'on ne dérange pas les rares seuls qui sont encore ici. Bon, elle chuchote, c'est bien. Elle a été à bonne école, et a vite appris à adopter mes habitudes. Je me demande si je suis le seul à l'entendre. Je l'espère, et je le suppose. Sinon ... Tant pis pour les autres. C'est surtout le rire d'Ismène qui me fait peur, dans cette situation. Je ne veux pas qu'on réveille tout le dortoir, non plus : après, ils nous détesteraient ! Elle me demande si moi, je dors, et je souris, avant de chuchoter :

- Oh, bah oui, profondément ! Elle me demande alors pourquoi je ne dors pas, ce à quoi je fais mine de réfléchir. Je ne crois pas qu'elle peut me voir, là, dans l'obscurité, non plus ... Enfin, bref. Toujours est-il qu'étonnamment, je n'ai pas de réponse à sa question.

- J'sais pas. Je lui avoue alors, à la façon désinvolte d'un gamin de sept ans. Le gamin qui sommeille en moi a, semble-t-il, parlé, pour la première fois en ... Longtemps. Ismène le réveille, je crois. Elle me donne envie de revivre aux temps de l'innocence, très certainement. Elle se colle contre moi, et je l'embrasse sur le front, comme un père le ferait avec sa fille. Comme je l'ai souvent fait à la mienne, bien qu'en ces temps là, j'étais debout, et non allongé face à elle.

- Et toi ? Je lui demande alors. J'ai envie d'ajouter "Sully ?" Mais je m'abstiens, de peur de réveiller une plaie à peine cautérisée.

Cosmas lui répond, à la manière d'un gamin, qu'il dort oui et profondément. Ismène lâche un nouveau rire, qu'elle essaye d'amoindrir en cachant son visage dans le draps qui la recouvre. Comme il lui répond ça, elle lui demande rapidement: « Et est-ce que tu fais un rêve? » Rien que pour voir ce qu'il pourrait lui répondre. Avant finalement qu'elle ne lui demande pourquoi il ne dormait pas. Il avait peut-être une raison. Une raison comme elle, elle en avait une, mais apparemment non. Il ne sait pas pourquoi. Elle fait une petite moue: c'est encore plus énervant de ne pas savoir dormir et sans savoir pourquoi. Ismène ne peut s'empêcher de se coller à lui. Elle sourit légèrement quand elle sent les lèvres de Cosmas sur son front. Et puis, il lui demande ce qu'il en est pour elle. Pourquoi elle, elle ne dort pas. Elle pose sa tête pas loin de celle de Cosmas. Elle croit même sur son oreiller à lui, pour venir chuchoter avec une petite voix paniquée: « Je crois que c'est parce que j'ai peur des vilains monstres... Et aussi parce que j'ai entendu quelqu'un rire comme ça: 'Mouwahahahahahah' au loin et ça fait rudement peur ! » Elle ne peut pas s'empêcher de dire des bêtises. C'est plus fort qu'elle. Même dans un moment plus sérieux, ou elle aurait pu se confier et bien non. Il n'y a peut-être qu'avec Enoch qu'elle peut rester sérieuse. Peut-être par peur de se faire gronder parce que c'est son grand-frère de cœur, mais pas Cosmas. Bah non, lui il est né le même jour qu'elle alors c'est... C'est son jumeau de cœur. Et un jumeau, ça n'engueule pas son autre jumeau, ou en tout cas c'est comme ça dans sa tête... Pourtant malgré tout, elle ne peut s'empêcher de penser à Sully, parce que c'est « à cause » de lui qu'elle ne dort pas. Sully, qui ne lui a toujours pas laissé de message sur son blog. Elle sait que c'est tôt, mais elle ne veut pas perdre contact avec lui. Même un simple bonjour de sa part lui suffira, puisque c'est assez suffisant pour se dire qu'il pense à elle. Du coup, elle sent ses lèvres trembler, signe qu'elle a envie de pleurer. Elle est silencieuse pour ça, du coup Cosmas n'a pas forcément la possibilité de le sentir, sauf qu'en étant proche de lui ainsi, il sent peut-être qu'une goutte tombe de sa joue. Alors tout de suite elle dit, toujours en rigolant : « Je pleure pas hein... C'est toi qui m'a postillonné dessus ! » Elle lui offre une petite tape sur l'épaule, comme pour le gronder et puis elle lâche un nouveau rire.