Au sein de l'aile qui nous était possible de visiter, l'une des salles retint tous particulièrement mon attention. C'était la salle de musique, une magnifique pièce aux couleurs du drapeau britannique, insonorisé où l'on pouvait, sans angoisse écouter notre musique sans risquer de déranger quiconque. Ainsi en ce début de soirée, je m'étais dirigé vers ce lieu, mon recueil de poème avec moi afin de compléter l'un de mes haïkus d'une émotion musicale qui lui était propre. Sur place, je tombais sur le morceau idéal : "Somewhere over the rainbow" de Judy Garland. Une hymne pure et délicate qui cachait malgré tous un texte profond et difficile. Je me laissais envahir, par les éclats de musique au point que je n'entendis pas la porte s'ouvrir, un jeune homme asiatique lui aussi venant tout juste de faire, dans la pièce, son apparition. Je lui souriais et baissais la musique. Ne désirant pas être mal jugée, je m'empressais de dire :

Désolé, je n'avais pas prévue d'être accompagné.

Un simple sourire, bref et sincère afin de ponctuer mon commentaire. Puis me rendant compte de la présence, quand même gênante, du léger fond sonore, je le stoppais intégralement. J'avais envie de mieux connaître, l'homme qui me faisait face et pour cela rien ne valait mieux qu'une atmosphère calme et apaisante.

Comme la plupart des personnes ici je n'en doutais pas, j'avais passé la majeure partie de ma journée à explorer les lieux, sans vraiment me presser et véritablement avoir rien prévu d'autre de ma journée, d'ailleurs. Pas que ce soit de gaité de cœur cela dit, j'avais toujours été quelqu'un qui ne tenait pas en place et l'idée même de me lever le matin sans avoir déjà prévu le programme de la journée me rendait nerveux ; Pas dans le sens désagréable, mais dans le sens où si je ne dépensais pas assez d'énergie dans la journée j'en emmagasinais trop et je devenais … fatiguant. Pour les autres tout du moins. Raison pour laquelle dès que l'extérieur nous avait été accessible j'avais foncé dehors, l'extérieur étant pratiquement mon habitat naturel, et j'avais dépensé tout ce qu'il m'était possible de dépenser comme énergie histoire de ne pas passer ma soirée à tourner en rond comme un lion en cage (parce que c'était tout à fait le genre de truc que j'étais capable de faire, dans le sens le plus littéral du terme). Je me connaissais en tout cas, je savais qu'une fois cela fait je me sentirais mille fois mieux, et je ne m'étais pas trompé ; J'étais bien plus détendu en ce début de soirée que je ne l'étais le matin en me levant, et pas uniquement parce que Camille avait passé la nuit à remuer comme un gamin turbulent dans le lit que nous partagions. Vingt heures, j'étais finalement remonté jusqu'à ma chambre pour y attraper la pomme que j'avais mis de côté avant que la cuisine ne nous soit plus accessible, et j'avais vadrouillé un peu sans trop savoir où dans l'aile Ouest, avant que mon attention ne soit attirée par de la musique s'échappant d'une pièce, au bout du couloir. J'avais sans doute jeté un coup d'oeil à l'intérieur le matin, mais à vrai dire je ne me rappelais déjà plus ce que contenait cette pièce, et puisque j'étais le genre à ne pas laisser mes questions sans réponse j'étais revenu sur mes pas, hésitant un instant avant de pousser la porte et de me retrouver dans la salle de musique. La mélodie de Somewhere over the rainbow était reconnaissable entre mille et la vision de la jeune femme qui fredonnait comme si elle n'entendait plus rien d'autre m'avait arraché un sourire. Jusqu'à ce qu'elle réalise ma présence du moins, après quoi elle avait avait précipitamment baissé le son avant de me dire « Désolée, je n'avais pas prévu d'être accompagnée. » Secouant légèrement la tête tout en croquant dans ma pomme, j'avais attendu d'avoir avalé ce que j'avais dans la bouche – ouais, j'avais quand même un minimum de manières – avant de lui répondre presque comme on répondait à un enfant qui pensait à tort avoir faire une bêtise « Non mais c'est bon, tu pouvais laisser, ça me gêne pas. Au contraire. » Et puis elle était là avant moi en plus de ça, si c'était à l'un de nous deux de faire des efforts c'était surtout à moi, premier arrivé premier servi comme on dit. D'autant plus que c'était la musique qui m'avait poussé à venir jusqu'ici, alors lui demander de l'arrêter n'aurait eu aucun sens. « Je te laisse si tu préfères, je voulais pas t'interrompre, ou te déranger ou … Enfin voilà, y'a plein d'autres pièces où je peux aller, si tu préfères être dans ton coin. » Ce n'était même pas dit comme un reproche d'ailleurs, j'en avais peut-être moi même pas encore ressenti le besoin aujourd'hui, mais je ne doutais pas que je finirai par avoir besoin d'un peu de solitude à un moment ou à un autre, et je serais bien content qu'on me laisse le loisir de le faire sans venir m'importuner.

Le jeune homme croqua dans sa pomme avant de tenter de me rassurer, il m'expliqua que je pouvais laisser ma musique, que ça ne le gênait pas, bien au contraire. Ce qui au fond, me fit sourire. Je ne pus donc m'empêcher de dire :

Monsieur a d'excellents goûts alors.

Je remettais doucement la musique tout en conservant une oreille attentive sur la discussion. Il m'expliqua qu'il pouvait, si je voulais me laisser, qu'il y avait d'autre pièce etc… etc… etc… D'un regard, je tentais de le rassurer avant de reprendre :

Non reste, je disais cela comme ça… En plus ça me fait toujours plaisir d'avoir de la compagnie…

Depuis le début de l'aventure et la séparation en deux maisons, j'avais cette affreuse sensation d'être seule contre tous. Ainsi,  cela me faisait plaisir de croiser quelqu'un d'agréable, une personne cultivé avec qui je pouvais parler sans contrainte. J'étais persuadé qu'il n'était pas le seul candidat à posséder ces qualités, mais mise à part Aliénor, je n'avais encore trouver cela ailleurs. Alors que je me perdais dans mes pensées, je me rendis compte que je ne m'étais pas présenté :

Au fait, je suis Mai-Lan, mais tu peux m'appeler Mai.

Je laissais filer quelques secondes avant de conclure :

Et toi ? Tu t'appelles ?

Une simple et brefs questions, histoire d'entamer les banalités. Ces questions basiques que tout être humain se rencontrant pour la première fois se devait de se poser. Ces questions exclue, à cette instant précis, je m'inquiétais plus pour mon image, mon profil parfait n'ayant pas été revérifié depuis plusieurs heures.

C'était un peu débile, mais j'étais bien content d'avoir en face de moi quelqu'un qui, de part les caractéristiques physiques que nous partagions - faites pas vos innocents, vous voyez très bien de quoi je parle - ne risquait pas dès le début de la conversation de me demander si j'étais chinois. Enfin, j'avais rien contre les chinois moi, si ça se trouve j'en avais une en face de moi en plus, mais bon fallait avouer que c'était quand même agaçant de s'entendre associé au même pays en permanence juste parce qu'on avait les traits plus asiatiques qu'occidentaux. Tous les asiatiques n'étaient pas chinois bon sang de bois. Enfin bref, déjà elle elle avait l'air sympa, et je ne disais pas simplement ça parce qu'elle m'avait dit « Monsieur a d'excellents goûts alors. » bien que cela aidait un peu, je l'admets. Cela dit c'était pas parce qu'elle me semblait sympa que ça me donnait le droit d'interrompre, voir de foutre en l'air, ce qu'elle avait prévu de faire en venant ici. Je voulais pas non plus avoir l'air de m'imposer. « Non reste, je disais cela comme ça … En plus ça me fait toujours plaisir d'avoir de la compagnie … » Bon, dans ce cas là je supposais que j'allais rester, et essayer tant bien que mal de me sociabiliser un peu, comme étaient censés le faire les êtres humains normaux. Enfin en théorie, et de toute façon j'avais jamais été vraiment normal comme garçon, je crois qu'on me l'avait assez répété ça. M'enfin du coup, j'avais bien envie de savoir son prénom à cette fille, ça serait déjà un bon début ; Je m'apprêtais même à lui poser la question mais elle semblait avoir lu dans mes pensées. Enfin, elle m'avait devancé, quoi. « Au fait, je suis Mai-Lan, mais tu peux m'appeler Mai. » Mai-Lan. MAI-LAN, fallait que je l'imprime dans mon esprit, histoire de le retenir. Parce que j'avais toujours beaucoup de mal avec les prénoms au début, alors là en retenir autant d'un coup autant dire que cela relevait du supplice chinois - sans mauvais jeu de mots - et que j'allais devoir faire un gros effort si je ne voulais vexer personne. D'ailleurs, valait peut-être mieux que je prévienne tout de suite « Faudra pas te vexer si je te le redemande une ou deux fois au début, j'ai du mal avec les prénoms en général. Mais je note, ça sera Mai alors. » Comme le mois de mai, presque comme la conjonction de coordination ; Ouais, je faisais avec les mémo techniques que je pouvais, excusez-moi. « Et toi ? Tu t'appelles ? » Bah voilà, j'en oubliais la politesse de base en plus, non mais parfois j'étais vraiment irrécupérable. « Ah oui, désolé. Akela. Et tu peux m'appeler ... hm, bah ... Akela, quoi. » En même temps essayez donc de faire un surnom ou un diminutif avec mon prénom. Pas que j'en ai envie de toute façon, il me plaisait mon prénom, j'avais aucune envie de les changer lui et sa signification, surtout pas si c'était pour me retrouver affublé d'un surnom ridicule ou stupide à souhait. « Tu faisais quoi là toute seule ? » avais-je finalement décidé de demander, pour faire la conversation et parce que fallait bien commencer quelque part. Mais bon, j'étais peut-être un peu trop direct, chez moi tout le monde parlait à tout le monde comme ça alors j'avais un peu l'habitude quoi. « Enfin, tu me dis si je pose trop de questions, hein ? Tu fais quoi dans la vie d'ailleurs ? »

Le jeune homme avait un charme certain et un accent des plus sexy. En gros, tout pour me plaire, en apparence en tous cas. En effet, dans ce monde, peut de personne avait pour le moment réunis autant de critère, à mes yeux, favorables. Mais il ne fallait pas faire trop vite des plans sur la comète, il nous fallait apprendre à nous connaître, avant que je puisse me fixer. Je l'entendis de me demander de l'excuser s'il ne s'en rappelait pas au début. Je lui souriais et disais :

Pas de soucis. J'ai moi aussi quelques fois du mal avec les prénoms.

Même si j'arrivais globalement à m'en sortir, il arrivait que je sois prise d'un trou noir, d'un blanc. Impossible de me souvenir du nom, même si le visage me disais quelque chose. Enfin avec son prénom, Akela, qu'il m'annonça juste après, je ne risquais pas de l'oublier. Celui-ci étant si différent des autres, si particulier et intéressant en même temps. Un simple nom promesse de biens belles choses. Une fois se petit couplet réglementaire fait, il me demanda ce que je faisais ici. Mon regard basculant de ses yeux à mon carnet, je lui répondais :

J'écrivais des haïkus, des petits poèmes d'origine japonaises dont j'ai appris la fabrication par ma mère. C'est mon moyen de pensée, d'exprimer tous ce que je n'ose dire ou faire ressentir autrement.

Je n'osais trop en dire, voulais garder des choses cachées en moi. J'étais plutôt secrète comme fille et là parler de mes haïkus, cela faisait déjà beaucoup pour moi. Quand Akela me demanda de lui dire s'il me posait trop de question, juste avant de me questionner sur ma vie, je souriais et répondais :

Non, ne t'inquiète pas. J'ai juste pas l'habitude... Dans la vie je suis jeune fille au pair dans une grande maison de Westminster et le reste du temps je suis un cursus en littérature étrangère.

Je lui avais déjà dis tellement de choses, je ne savais plus quoi rajouter, juste quelques mots...

Et toi ? Qu'accepte-tu de me dire sur ta vie ?

Je laissais libre cours à ses choix, à sa volonté. Il était libre de me dire ce qu'il désirait, je ne lui en voudrais pas, bien au contraire. On venait tous ici avec nos secrets et l'un des buts qu'on se fixais enfin que je me fixais en pénétrant dans le nid, c'était de les conserver le plus longtemps possible.