Première semaine de jeu. Au fil des jours, il est facile d'oublier le but de l'aventure, on se laisse bercer par le rythme de l'émission et des animations, et l'effervescence de la vie en communauté éclipse peu à peu toutes ces histoires de secret à découvrir. Je ne sais pas si j'aurais les épaules pour ça – découvrir un secret. Je ne sais pas vraiment si cela tient uniquement à l'intelligence et à l'observation, ou s'il n'y aurait pas une question de chance, ou d'une espèce de qualité innée, un prérequis dont on ne peut savoir si on le possède ou non tant qu'on n'a pas été confronté à cette situation particulière. C'est que je suis à peu près certaine qu'il y a des gens très futés qui pourraient rentrer bredouille d'un tel jeu. Curieuse et intriguée, je m'installe donc dans la salle de vidéosurveillance, prête à prendre des notes sur mon petit calepin si je devais apercevoir quoi que ce soit de suspect ou d'intéressant – mais sans trop y croire. Au moins, je repère un peu mieux les visages des différents candidats, c'est une façon comme une autre d'apprendre à les connaître et je dois avouer que j'aime assez ce sentiment d'omniscience, comme s'ils étaient tous mes sims que j'avais laissé en mode liberté quelques minutes, ou comme si j'étais Dieu qui les regardait du haut de son petit nuage ou un truc dans le genre. Perdue dans mon observation, je ne prête qu'une attention minime à mon environnement immédiat, si bien que, lorsque j'entends un bruit provenant de derrière moi, je ne peux m'empêcher de sursauter sur le canapé en me retournant brusquement, comme si on m'avait pris la main dans le sac - mais je ne fais rien d'interdit pourtant, n'est-ce pas ? « Oh, salut. » je fais à l'inconnue en portant machinalement la main à la poitrine. J'esquisse un léger sourire dans sa direction. Je m'en voulais un peu d'avoir été si facile à surprendre, et surtout de me sentir si coupable quand il n'y en avait vraisemblablement aucune raison. Je me recale alors sur le canapé en ajoutant : « Tu viens espionner nos petits camarades de jeu j'imagine ? Sache que tu n'as rien loupé en tout cas, je suis là depuis une demi-heure mais j'ai rien eu à me mettre sous la dent de bien croustillant. » Juste un ou deux types qui se grattent les fesses quand personne ne regarde, et une nana qui se cure le nez.

Oui, la salle de vidéo-surveillance. Je veux. Tout de suite. Juste le temps de trouver où ça se situe. C'est un château, il y a des portes et des couloirs partout, tout se ressemble, je te laisse imaginer le bordel. Et j'suis moyennement patiente, moi, donc je sens que ça va me saouler vite fait. Bon, d'accord, il suffit que j'dise ça et paf, t'as la bonne porte qui apparaît comme par magie. Crevarde. Tu l'as peut-être remarqué, peut-être hein, là, je suis dans une humeur moyenne. Dans le sens où il va m'en falloir peu pour tomber soit dans le côté chiant où j'suis « méchante », comme ils disent tous, soit du bon côté, le côté où je peux me montrer presque agréable. On verra. J'entre dans la pièce, je claque même pas la porte derrière moi. Mais même sans ça, j'arrive à faire peur à la nana qui est là. Je suis trop forte, en fait. Ou alors, j'ai déjà une sacrée réputation de psychopathe dans ce jeu. Non, peut-être pas déjà, quand même. La pauvre, je l'ai surprise. « Prends pas l'air surpris, j'ai même pas balancé un « bouh », rien. » je lui fais remarquer. Je dis ça comme ça. Cependant, c'est vrai que là, elle n'a aucune excuse. Sauf s'il se passe un truc passionnant sur les écrans et que c'est pour ça qu'elle n'a pas prévu que je rentre. Hypothèse qui se casse la gueule quand elle me dit qu'il se passe rien. Je soupire, je vais m'asseoir à côté d'elle. « Ça m'étonne pas, ils sont soporifiques. » Oui, je suis déçue, bien sûr que j'le suis. Ça aurait été cool qu'ils fassent des trucs un peu dingues. Sinon, on va vite se faire chier. « Bon, à ton avis, c'est lequel, ou laquelle hein, comme tu veux, qui a l'air le moins chiant ? Et lequel tu as déjà envie de frapper ? Je le répéterai à personne, promis. » Petit sondage rapide. Histoire de savoir si elle a déjà repéré des têtes à claques ou non. Moi, je sais qu'ils vont tous m'agacer donc bon, la question ne se pose pas.

Face à la remarque, mon air surpris s'évanouit aussitôt pour être remplacé par un léger sourire. « Heureusement, vu ma réactivité j'crois que j'aurais fait une crise cardiaque si t'avais fait ça. » je lance, railleuse, parce que j'aime me moquer de tout le monde, y compris de moi-même – à défaut d'avoir une meilleure cible là tout de suite sous la main. Puis l'autodérision c'est important dans la vie, on pète un câble rapidement quand on se prend trop au sérieux. La nana vient me rejoindre, commentant au passage l'attitude des candidats, et je ne peux qu'approuver d'un signe de tête quand elle les qualifie de soporifique. « Mais c'est normal, c'est le début du jeu. Y'aura plus de remous quand des couples auront commencé à se former et que y'aura des crêpages de chignon sur qui a dit quoi dans le dos de machin… » j'ajoute en reportant mon regard sur l'écran, visiblement très confiante par rapport à la suite des évènements. Parce que ça se passe comme ça dans toutes les émissions de télé-réalité, nan ? Dans les émissions de télé-réalités comme dans les cours de récré, le principe est le même, finalement, comportalement parlant. Pas besoin de caméra au lycée, Facebook et les ragots suffisent. « La nana avec la choucroute noire dans les cheveux, et la blonde qui ressemble à une poupée barbie, Kinga là, elles ont pas l'air trop ennuyantes. C'est le genre de nanas qui font grimper l'audimat. Au niveau des mecs, y'a deux-trois fouteurs de merde qui risquent de durer un moment aussi, mais j'ai pas retenu les noms. » je réponds distraitement en continuant d'observer les écrans (j'sais pas si c'est ce qu'elle entendait par "chiant"). Je m'en détourne seulement pour regarder ma camarade afin de répondre à sa seconde question, un sourire malicieux aux lèvres. « Et si j'avais eu envie de frapper quelqu'un, je l'aurais déjà fait. » Mais techniquement, il est possible que j'ai envie de frapper les gens que je trouve les moins chiants, j'sais pas si c'est paradoxal ou non et, au fond, je m'en tape. « Et toi ? Y'a déjà des noms sur ta liste noire ? » je lui retourne la question, l'air de rien, en étendant mes jambes devant moi nonchalamment.