Orson était un fan de la première heure de la saga James Bond. Quand il était en pensionnant, il dévorait tous les romans de Ian Fleming et connaissait l'univers de l'agent 007 par cœur. Une passion qu'il partageait avec son père et ses grands frères. Il ne comptait plus les nombres de marathons qu'ils avaient fait. En particulier, pendant les vacances de Noël. Il adorait la saga dans son ensemble. Il n'y avait pas un film James Bond meilleur qu'un autre, mais il avait ses préférés. Surtout quand apparaissait Sean Connery à l'écran. Sinon, il avait tous les films et attendait avec impatience la prochaine adaptation. Il arriva dans les écuries et piqua deux-trois popcorns dans la machine. Il examina la bibliothèque de long en larde à la recherche d'un ou deux DVD James Bond. Il en trouva deux, il se retourna et croisa le regard d'un candidat. Celse. Il lui serra la main et le gratifia d'un sourire amical. - Vous préférez Daniel Craig ou Sean Connery ?, demanda-t-il en lui montrant sous le nez les deux jaquettes. En gros, ce qu'il demandait c'était si il préférait regarder Casino Royal ou Goldfinger. A lui de choisir. Le choix de l'anglais importait peu. Dans les deux cas, il serait content de regarder un film avec son camarade. Il ne le forçait pas. C'était une simple invitation à partager un moment convivial.

Je me dis qu’un bon petit film après ces trois heures de sport intensif devrait entamer avec perfection cette matinée. Avec un peu de chance, je vais y croiser un camarade et faire une nouvelle connaissance. Bingo. Orson, toujours élégant, toujours droit et noble dans l’expression, se tient près des dvds exposés dans la bibliothèque, un pack de maïs soufflé en mains. Je n’ai jamais été habitué à manger quoi que ce soit au cinéma, aussi j’y vais sans nourriture, et cette fois-ci ne fera pas exception. Je lui serre la main et réponds à son sourire. J’adore les James Bond, mais les derniers, il faut l’avouer, me laissent un peu perplexe. Où est passée la Classe Américaine ? Pourquoi James Bond le Grand est-il soudainement devenu un avatar de G.I Joe ? « C’est une question rhétorique ? » Je demande sur le ton de l’humour. Orson est bien trop cultivé et classe pour m’en vouloir ne pas fanatiser Daniel Craig. « Ce sera Sean Connery pour moi. Je suis amoureux de cette ambiance de fin de guerre froide, où la Russie et Cuba occupent les premières places de Grands Vilains », j’ajoute, les yeux brillants. Je suis heureux qu’Orson me propose de regarder ce film avec lui. Je l’observe un instant, perspicace. « Un fan de Fleming ? » Je ne serais pas étonné qu’il me réponde par l’affirmative. Etrangement, cette passion va bien à Orson. Il aurait été plus déstabilisant d’apprendre qu’il est raide des films de Stallone.

Regarder un film n'était pas prévu au programme. En faisant le tour, il s'était retrouvé près des écuries par hasard, en se promenant. Il invita son camarade à se joindre pour le visionnage d'un film de James Bond. Connery ou Craig ? Était-ce une question rhétorique ?, qu'il répliqua avec humour. Il s'esclaffa. Le blond opta alors pour Sean Connery. Son sourire s'agrandit. Parfait. - Bon choix. Tu as bon goût., lui dit-il en posant sa main sur son épaule. Il la retira pour ouvrir le boîtier DVD de Goldfinger et le fourra dans le lecteur. Il alluma la télévision et tourna la tête vers le jeune homme lorsqu'il lui parla. Il hocha légèrement la tête, puis lui sourit. - Oui. Il rit légèrement. Fan ? Le mot était faible. Cela virait presque à l'obsession parfois. Il aimait parfois glisser quelques références dans certaines de ses conversations. Ni vu, ni connu. - C'est en quelque sorte une tradition familiale., qu'il lui expliqua d'un ton amusé. Plus qu'une tradition. C'était carrément un héritage familial. Ils se passaient les romans de père en fils, c'est dire si son paternel ne avait pas forcé ses frères et lui à les lire. Ses sœurs en étaient exemptes, car ce n'était réservé qu'un lectorat exclusivement masculin. Chose que Orson trouvait ridicule. La tradition en elle-même l'était également. Il ne s'en plaignait pas outre mesure. - J'ai l'impression de t'avoir déjà vu quelque part. Il le dévisagea un instant. Son visage lui était familier. Cette impression ne l'avait quitté depuis leur réunion pour la mission collective. Ce visage, il l'avait forcément vu quelque part. Où ? Il ne s'en rappelait plus. Etant physionomiste, l'allure de son camarade ne pouvait pas passer inaperçue. Il réfléchit et murmura : - A la télévision, je crois. Il était presque sûr de l'avoir vu sur une chaîne sportive ou dans une émission quelconque. Il se trompait peut-être. Il voyait tellement de gens dans sa vie qu'il serait capable de s'en mêler les pinceaux. Et pourtant, le physique du bellâtre était tout de même marquant.

Orson a cessé de me vouvoyer en ce qui semble être un temps record pour ses habitudes, et je lui en suis reconnaissant. J’accroche bien avec lui, depuis le début et sans le connaitre, je n’aurais pas aimé le tutoyer et être vouvoyé trop longtemps. Je ne doute pas de son éducation, encore moins de son train de vie : il a l’air d’un mondain habitué aux distinctions, mais je n’oublie pas d’où moi je viens. Et si je parle aussi bien et m’habille aussi cher que le plus parfait des aristocrates, c’est dans la rue que j’ai grandi. Le contact de la main d’Orson contre mon épaule est apaisant. Là d’où je viens, c’est comme ça qu’on fonctionne. Dans les pays de l’Est, vous n’imaginez pas la portée symbolique qui réside dans une main posée sur une épaule. Orson connait ce code. Son compliment m’arrache un sourire amusé. « Content de le savoir », je réponds à peine moqueur, bien plus amical. Orson a de quoi se permettre de se placer en maitre du bon goût, c’est indéniable, aussi j’accepte ce compliment avec humilité. Une tradition familiale, vraiment ? Le père d’Orson était-il agent secret ? Orson lui-même a-t-il bossé pour le FBI ? Le genre de métier qui irait particulièrement bien avec son allure, mais peut-être pas avec son caractère ? On m’a dit que les agents secrets étaient de véritables hypocrites, or, Orson a l’air d’avoir la main sur le cœur et la parole sincère. J’en suis là de mes réflexions – les dernières paroles d’Orson m’ont laissé songeur – quand il me pose la question qui tue. Je fronce à peine les sourcils, avant de me reprendre. Ce ne serait pas poli de lui laisser comprendre que sa question me procure une certaine gêne, mais il faut avouer que c’est bien le cas. Je sais où Orson m’a vu. Je n’aurais jamais imaginé qu’il puisse avoir, un seul jour dans sa vie, regardé un match sur la chaine de l’UFC. Peut-être un soir d’insomnie, dans une chambre d'hôtel, lors d'un long et fastidieux déplacement professionnel... Qui sait. Je décide de la jouer sincère. Après tout, je n’ai aucune raison de ne pas l’être avec Orson. « Tu as du regarder l’UFC, j’y fais des combats de MMA », je réponds d’un ton qui se veut léger. En vérité, Orson a dû me voir en train d’exploser la gueule d’un adversaire coriace, répandant du sang sur tout le ring, ou encore affalé sur ma chaise pendant que mon oncle et entraineur me verse de l’eau dans le caleçon et me presse des glaçons sur l’arcade. Bon. « Comme James Bond, en… plus frontal », je tente avec un mince sourire.