Je hoche doucement la tête. Y'aura toujours des gens crédules pour croire à un peu tout. Le fonctionnement du monde découle de cette constatation. D'ailleurs, je ne suis pas suffisamment naïve pour m'imaginer ne jamais faire partie de cette masse naïve facilement manipulable ; je n'ai pas toujours la lucidité nécessaire pour m'apercevoir que je suis menée en bateau. Ça viendra, j'imagine. Avec le temps. « À mon avis y'a un peu des deux. À la radio ou dans les journaux, je pense globalement que c'est que des mytho', mais je suis déjà tombée sur des bouquins ou de gros essais et quand tu les lis tu sens bien que le mec est à fond dans sa théorie. Il justifie complètement ses interprétations et tout par rapport à des trucs genre stellaires et tout, et je comprends que les gens un peu influençables se laissent berner, parce que y'a vraiment des marques de raisonnement. »  Je crois que c'est ça qu'on appelle des sophismes, mais je suis pas sûre tout d'un coup alors je préfère me taire. Toujours est-il que moi je n'adhère pas à choses là. Je suis trop terre-à-terre, faut croire. Et puis Lewis est tout heureux de m'apprendre quelque chose, et ça me fait sourire jusqu'à ce que je réalise que si je suis l'exception à la règle, ça signifie que je suis l'une des rares personnes qu'il a pu rencontrées avec des connaissances plus maigres que les siennes, ce qui n'est pas franchement très flatteur quand on y réfléchit bien. Et puis je connais pas bien McGyver non plus. Décidément... Je hausse les épaules. « Y'a trop de classiques. Parfois j'ai l'impression que j'aurais pas assez de toute ma vie pour les voir tous. » C'est vrai ça, mon père il me reproche tout le temps de pas connaître mes classiques, mais j'ai pas que ça à faire non plus ; lui il a vécu bien plus longtemps que moi, il comprend pas que j'ai pas pu voir autant de trucs que lui, que mathématiquement c'est improbable, et que c'est pas ma faute à moi. « Me dit pas que t’es le genre de fille qui brûlent les affaires de son ex en compagnie de tes copines ? » J'esquisse un petit sourire coupable. « Si. Tu devrais essayer, c'est très cathartique. Je sais que ça peut sembler ridicule, mais c'est aussi amusant et je te jure qu'on se sent mieux après. Ça aide à tourner la page. » Et puis si je garde les affaires, les photos, tout ça, je bade après. C'est tellement tentant de se faire du mal avec tous les souvenirs d'une relation perdue, au bout d'un moment faut savoir avoir recours aux grands moyens. De là, on en vient à causer buveurs de vin, et Lewis a l'air étonné d'apprendre qu'il n'a pas la tête à boire du vin. Il me demande même s'il y a un genre particulier. Une nouvelle fois, je hausse les épaules en énonçant « Bien sûr. » comme si cela relevait de l'évidence, avant de préciser le fond de ma pensée. « Ils portent la moustache et sont souvent coiffés d'un haut-de-forme. Cela va de soi. » L'air condescendant que je prends au début finit par s'estomper progressivement tandis qu'un sourire pas très sérieux vient flotter sur mes lèvres. On en revient au bain, et mon partenaire me confie ne pas en avoir pris depuis belle lurette. Je souris à l'évocation des bains que sa mère lui préparait, j'imagine tout à fait la scène. « T'avais encore des jouets et tout, genre le bateau, le poisson cracheur d'eau, tout ça tout ça ? » Ça me manque un peu, honnêtement. Tout était tellement plus fun quand on était gosses. Pourquoi on n'a plus le droit à ces trucs là maintenant ? Je retombe d'ailleurs en enfance, l'espace de quelques secondes, en sculptant une belle barbe de mousse à mon partenaire, avant de contempler rêveusement mon travail, jusqu'à ce qu'il décide de me rendre la pareille. Sage et docile, je reste immobile le temps qu'il installe le tout, et pose finalement doucement mes doigts dessus quand il en a terminé ; j'ai quatre ans d'âge mental alors forcément ça m'amuse carrément. « J'suis pas sûre que mère Noël elle a une barbe comme ça. Mais en tant que femme à barbes je vais pouvoir être embauchée dans un cirque, ça m'ouvre de nouveaux horizons professionnels ça ! » je me réjouis, enthousiaste, en continuant de tâter ma nouvelle pilosité bulleuse.