Je referme doucement le roman que j’ai entre les mains, savourant les derniers instants volés que ce livre a su me faire vivre.  Je ne regrette pas ce choix, ce fut parmi mes plus belles découvertes durant cette aventure – du moins, jusqu’à présent. Une proposition que m’avait fait l’un de mes camarades, d’autant plus. J’ai du mal à me rappeler lequel, mais ça a peu d’importance. Mon soucis premier, pour l’heure, et de trouver un nouveau livre de chevet, et je sais, par connaissance de cause, que ce sera une tâche ardue. Ce n’est pas tant que je sois bien difficile, mais j’ai tout de même mes critères quand vient le temps de choisir une œuvre littéraire digne de ce nom. Ceci dit, inutile d’en faire une plate et longue discussion. Je me contenterais d’aller rapporter celui-ci, et peut-être que mon regard agile saura visualiser la prochaine cible de mes nuits d’insomnies. Je quitte donc le confort de mon lit pour aller rejoindre la bibliothèque. Pièce d’ordinaire bien vide, surtout à cet heure. Peu de mes comparses lui rendait visite. Amery était de ces gens-là, mais je risque bien peu de le croiser là-bas, vu son nouveau statut d’exclu. Dommage, même si je le connaissais peu, il était de bonne compagnie. Loin d’être du genre envahissant, non. Il avait, comme moi, ce tempérament distant, détaché. La solitude nous plaisait, nous la cherchions même. Nous pouvions nous trouver dans la même pièce sans jamais vraiment nous parler, et ça nous convenait. Je n’avais partagé ça avec nul autre dans ce Nid. Étonnamment, l’endroit n’est pas libre à mon arrivée. Mais la personne qui s’y trouve ne me dérange pas. Au contraire. Je délaisse mon livre sur l’une des tables et m’avance vers le jeune homme, dont la mine déconfite n’annonce rien de bon. Je ne connais pas autant Camille qu’Orson, mais je sais reconnaître ces humeurs. Et celle que son visage laisse présagée m’alarme un tantinet. Je n’ai point l’habitude de le voir aussi démoralisé. Je me pose à ses côtés. J’ai envie de parler, de lui demander ce qui ne va pas. Mais ce n’est pas moi. Je ne questionne jamais ce qui ne me regarde pas. Mais puisque je me suis toujours considérée comme l’une de ces amies, et que les amis, c’est fait pour ça, je pose un geste, tout simple, pour tenter de le consoler. Ou du moins, de lui apporter un peu de bien-être. Mes bras l’enlacent, le capturent et je le serre contre moi. Sans rien dire. Parce qu’il est inutile de parler.

Je n’avais pas la prétention d’être au-dessus de tout et d’ignorer tous les ragots qui circulaient dans ce château. J’essayais, tout autant que possible, de me garder ‘pure’ face à tout ce qu’on pouvait entendre, mais disons que les images affichées lors du prime ne pouvaient pas être plus claires. Je pouvais aisément supposer la cause de la peine qui se collait au visage de Camille, ou du moins, la personne responsable de ce chagrin apparent. Il faut dire que mon camarade était souvent comme un livre ouvert, laissant transparaître plus que nécessaire ces états d’âme. Une chose que j’étais moi-même incapable de faire.  Ne jamais laisser paraître quelconque faiblesse, tel était ma devise.  Je ne pleurais jamais. Voir très rarement, quand les sanglots me prenaient par surprise, comme lors de cette nuit-là. Les larmes, ces traitresses. Je déteste me retrouver dans cet état d’esprit, et je ressentais un curieux malaise lorsque l’un de mes proches souffrait. Car j’étais aussi incapable de les voir soumis aux caprices de leurs émotions de la sorte. Je ne pouvais le supporter. Si les seules larmes d’India m’avaient poussée à vouloir la réconforter, alors qu’elle n’était pour moi qu’une inconnue, je vous laissais imaginer à quel point j’étais troublée face à Camille. Et ma réaction, bien qu’insensé aux yeux de certains – ceux qui me connaissait le moins – était purement logique aux miens. J’enlaçais tendrement le candidat dans mes bras, et je le sentis bientôt s’abandonner à ces caresses apaisantes, ses mains resserrant leur étau autour de mon corps pour me serrer tout contre lui. Je sentis son souffle chaud tout contre mon cou alors qu’il me remerciait. Il n’avait point besoin de le faire. « Ce n’est rien. » Ma main passa doucement dans ces cheveux, alors que notre étreinte s’éternisait. Je ne ressentais pas le besoin de m’éloigner. Il pouvait rester là aussi longtemps qu’il lui plaira. Libre à lui de même dormir dans mes bras, cette nuit, s’il en sentait le besoin. Orson pouvait bien se passer de ma compagnie pour ce soir. Je le sentis bientôt se détendre, et je délaissais l’emprise que j’avais sur lui afin qu’il puisse reculer et reprendre sa place, mais je ne le laissais pas tant s’éloigner, non. Je posais délicatement ma tête contre son épaule. « Fais gaffe à ton cœur, Camille. Ne laisse pas n’importe qui te le ravir... » murmurais-je à son oreille.