AKELA

Il faisait étonnement chaud pour un jour d'hiver, si bien que j'en étais venu à me demander si ce n'était pas Cupidon qui s'amusait à augmenter la température du globe. Vêtu d'un débardeur surmonté d'une chemise dont les pans pendaient séparément, j'avais donc entrepris un petit roadtrip dans la forêt, principalement pour profiter de ce brin de chaleur qui était venu caresser le nid. Autant vous dire que cela se faisait de plus en plus rare et qu'il n'était pas question que je loupe une seule seconde de celle ci. Pourtant, il était tard, probablement deux heures du matin, voire un peu plus... ou un peu moins ? A vrai dire, j'avais totalement perdu la notion du temps, là, tout de suite. Oui, je n'avais pas envie de penser que dans quelques heures, je serais dans mon lit à gaspiller un peu plus ce temps qui me semblait si précieux, et dont j'avais déjà bien trop sous-estimé l'importance. Cela faisait dix semaines que j'étais dans le nid, et j'étais certain d'y rester encore une semaine de plus puisque lors du prime dernier, j'avais signé ma place pour les demi-finales. Ça me semblait encore totalement improbable. Moi, en demi-finales. Improbable oui, mais tellement valorisant, d'un côté. Parce qu'il était certain que je ne me serais jamais imaginé aller aussi loin, non, d'ailleurs j'étais tout aussi heureux de savoir que mon partenaire et moi avions réussi ensemble. Oui. Probablement allions nous être séparé lors du prochain prime, mais je n'avais jamais espéré pouvoir aller aussi loin en sa compagnie. J'étais presque sûr que si nous n'avions jamais réellement été nominé, c'était principalement grâce à lui. Tout le monde l'aimait bien Akela, et ils avaient drôlement raison. D'ailleurs, pour célébrer tout ça, je lui avais donné rendez-vous dans la forêt. Oui, dans un endroit que j'aimais vraiment beaucoup. J'avais même pris la peine d'installer pleins de petites bougies placées dans des globes, et disposée un peu partout sur le terrain, afin de l'éclairer. Au centre, j'avais laissé là, abandonné, un pistolet et quelques munitions. Oui, ce soir, nous allions jouer au paintball ! Je m'étais donc caché derrière un arbre, en attendant que ma proie s'approche de l'objet abandonné, et lorsque mon partenaire s'était finalement baissé pour ramasser celui ci, je lui avais tiré dessus en lâchant un « Gnahaha, je t'ai eu ! » j'étais trop fort, quand même non ? Oui, enfin si je restais trop longtemps là, sans bouger, j'allais probablement me recevoir le retour de bâton, hm.

Fallait bien s'appeler au moins Camille pour parvenir à accomplir l'exploit de me faire retrouver autre chose que mon lit à une heure pareille. Et pourtant, si y'en avait aussi bien un ici qui devait avoir remarqué que nous avions deux rythmes de sommeil totalement différents c'était bien lui, le couche-tard de service, qui devait sans doute me trouver affalé sur notre lit, roupillant à poings fermés presque tous les soirs lorsqu'il se rappelait enfin que dormir était nécessaire à sa survie et qu'il était donc grand temps qu'il dorme, justement. Pourtant tout cela ne l'avait pas empêché de m'annoncer comme si c'était totalement normal qu'il avait prévu un truc cool ce soir, et que je devais donc le retrouver dans la forêt, à deux heures du matin. Dans la forêt. A DEUX HEURES DU MATIN. Et moi, au lieu de faire remarquer à Camille qu'il avait du se cogner un peu trop fort la tête en glissant dans la douche ce matin-là ... et bien j'avais dit oui. Parce que j'avais aucune volonté, parfois. Et parce que j'avais aussi terriblement besoin de me changer les idées, sans doute, ce que Camille n'était peut-être pas non plus sans ignorer. Bon ceci dit, des nuits en forêt j'en avais déjà passé, et dans une végétation bien plus dense que les trois pauvres arbres qui se battaient en duel dans la forêt du nid, alors c'était pas franchement ce qui allait me faire peur ; Quoi que de ne pas savoir quelle idée lumineuse Camille avait bien pu avoir, ça en revanche ça me faisait un peu peur, hm. Mais bon j'allais pas lui faire faux bon après lui avoir dit oui, surtout qu’étonnamment il faisait plutôt bon ce soir-là, presque trop bon pour que ce soit crédible à vrai dire. Enfin j'avais jamais trop testé le climat parisien mais y'avait pas besoin pour savoir qu'il ne pouvait pas faire une telle chaleur fin novembre sans que Cupidon n'y mette un peu du sien ; Et j'étais pas celui qui allait se plaindre, tout ce froid et cette grisaille ça finissait par me miner le moral. Aussi troquant mes tongs contre une paire de baskets - parce que j'étais pas non plus stupide au point d'aller en forêt avec des tongs, surtout dans l'obscurité - j'avais quitté le château pour les jardins vers deux heures moins le quart, prenant la direction de la forêt. Rapidement je n'avais eu qu'à me laisser guider par la lumière, mais je n'avais pas tardé non plus à trouver que quelque chose clochait ; C'était trop silencieux. Pas silencieux dans le sens je t'attends sagement en dialoguant avec moi-même dans ma tête, mais plutôt silencieux dans le sens je prépare une connerie. Et je crois que j'avais plus ou moins compris de quoi il retournait dès le moment où mes yeux s'étaient posés sur le pistolet à paintball laissé là, sur un tas de feuilles mortes, avec les munitions adéquates. « Gnahaha, je t'ai eu ! » J'avais pas eu le temps de réagir ou de me retourner, et voilà déjà la manche de mon tee-shirt aspergée de peinture verte. Oui bon, effectivement il m'avait eu, mais s'il espérait vraiment que j'allais en rester là et ne pas lui rendre la pareille mais en pire, il me connaissait mal, huhu. « T'as aucune idée de ce à quoi tu viens de t'exposer, là. » lui avais-je d'ailleurs assuré d'un ton narquois tout en me retournant dans sa direction ... et ni une ni deux, j'avais disparu derrière un buisson, pistolet et munitions à la main. « Magnanime, je te laisse une dernière chance d'aller te planquer avant de déclencher les hostilités. » J'étais trop généreux là honnêtement, huhu. En même temps, défier au paintball un type qui avait vécu plus de la moitié de sa vie sur une base militaire, c'était un peu comme défier au limbo un gosse qui aurait vécu dans un cirque avec des parents acrobates, hm. Et comme j'étais du genre à avoir légèrement l'esprit de compétition ... mais légèrement, hein.