avec jorah.
Une odeur lui chatouille le nez. Pas une odeur agréable qu'on a tous envie de sentir ou qui nous rappelle les bons souvenirs de son enfance, quand on cuisinait avec sa mamie favorite, non, pas du tout. C'est une odeur atroce. Même en ayant faim, il trouve ça horrible, c'est dire. Il ne se trouve pas particulièrement compliqué, niveau bouffe. Enfin... tant que le cuisinier n'est pas mauvais, ça lui va. Bref. Le plus important, ce n'est pas les goûts de Grayson mais bien de savoir ce qui empeste comme ça. Quoique, il a déjà sa petite idée. Ça doit être du saumon ou une connerie du genre. Lui, cette odeur de poisson qui finit sa vie dans une poêle, il la supporte mal. Ça remplit toute la pièce. S'il avait su, il ne serait pas entré dans la cuisine. Il repère un candidat, l'un de ceux qu'il ne connaît pas plus que ça. Jorah, c'est son prénom, s'il se souvient bien. « C'est toi qui cuisines cette horreur ou c'est juste quelqu'un qui m'en veut ? » qu'il balance en croisant les bras. Mais bien sûr, oui, tout tourne autour de lui, ça paraît évident. Non mais, au fond, il s'en fiche de savoir qui cuisine ou qui a cuisiné du poisson, le plus urgent, ça serait juste d'aérer la cuisine, de jeter toute trace de poisson et... et de mettre tout un tas de désodorisant, voilà. Quelle idée de faire du poisson pour le déjeuner, franchement. Grayson, lui, il aime bien les poissons, mais seulement quand ils sont vivants. Et de préférence loin de lui. Mais bon.

C'est dans des moments comme celui-ci que Jorah prenait conscience qu'en dépit du fait d'avoir toujours porté un certain intérêt aux recettes de sa mère, il n'avait jamais appris grand chose de ces heures passées à l'observer dans sa petite cuisine aux murs oranges. Peut être parce qu'il avait souvent passé plus de temps à la contempler elle, que la façon dont elle épluchait des aubergines et éminçait des oignons. Toujours est-il qu'aujourd'hui, il était quand même sacrément embêté. C'était bien de prendre l'initiative d'essayer de préparer quelque chose, mais quand on n'est même pas fichu de passer moins de dix minutes à buguer devant le frigidaire, tout laissait déjà penser que ce ne serait pas une mince affaire. Et justement, alors qu'il avait fini par se décider pour du poisson, il ne manqua pas de constater qu'il était dépourvu de tous les bons réflexes qu'il aurait pourtant pensé posséder. Ainsi il se débrouilla comme il put durant les quinze premières minutes de sa recette, puis finit par se dire qu'il ferait peut être mieux de ne pas se poser plus de questions et par faire directement cuire le poisson. Poisson qui, à ce moment-là, commença vraiment à tirer une drôle de tronche. Pas de quoi décourager Jorah pour autant, cela dit. Mais ce qu'il n'avait pas prévu, c'est que ses petits exercices culinaires incommodent l'un de ses camarades, qui déboula dans la cuisine, en parlant d'une "horreur". D'abord, Jorah arqua un sourcil perplexe, puis il comprit que la seule chose qui justifierait cette appellation alors que le brun venait d'entrer était l'odeur du poisson. Et c'est vrai que ça ne sentait pas la rose depuis tout à l'heure. « J'avoue, c'est bien moi. Mais figure-toi que cette recette avait l'air drôlement prometteuse, tout au départ » qu'il exprima, pas tout à fait honnêtement mais juste histoire de tempérer les choses. Il examina finalement le fameux poisson et grimaça. « Maintenant, ce poisson a beau sentir aussi bon qu'il a bonne mine, peut être qu'il cache un potentiel insoupçonné, qui ne se révélera qu'une fois en bouche » qu'il nota, dans un élan d'optimisme. C'est vrai quoi, si on devait jeter tout ce qui pue et qui a une drôle de tête, bah, ça ferait de la place sur Terre, non ? Jorah se retourna en tout cas subitement vers son camarade. « Quoi ? J'ai bien entendu que tu te dévouais pour goûter ?! C'est vrai ? Mais avec plaisir, mon grand, je t'en prie ! » qu'il lança, à toute vitesse, parce que des fois ça marchait, hein, mine de rien. Rarement, mais quand même.

C'est une horreur, oui, exactement. Oh, il sent bien le coup que cette foutue odeur va lui rester dans les narines pendant quinze jours. Il pourrait même en cauchemarder la nuit, ça, oui. C'est vraiment terrible. Pourquoi est-il le seul à venir se plaindre de cette puanteur ? C'est dingue. Meilleure question encore : comment quelqu'un peut-il faire cela à un aliment, à la base, comestible ? Ça le dépasse. D'accord, ça vient peut-être du fait que, avouons-le franchement, il n'est pas très fan de poisson. Pire encore, il déteste ça. Surtout à cause de l'odeur, c'est vrai. Traumatisme d'enfance, peut-être. Pas qu'il ressent le besoin de trouver une explication. Il s'en fout, de ne pas avoir la moindre raison justifiant cela. Tout ce qu'il veut, c'est que cette odeur ait disparu dans l'heure qui va suivre. C'est peut-être un peu optimiste de sa part, certes. Cela dit, autant dire qu'il n'est pas dupe quant aux paroles du candidat. Recette prometteuse ? Bien sûr et quelle recette peut vraiment l'être en étant à base de poisson, s'il vous plaît ? N'importe quoi. Oh et ouais, il doute que ça soit bon, hm. Et il ne va pas s'y tenter. Alors quand Jorah laisse entendre que l'américain a donné son accord, il arque un sourcil, affiche une mine sceptique. Vraiment ? Il compte vraiment lui faire avaler ce truc dégueulasse ? Il n'a pas envie de mourir aujourd'hui, merci bien. « Ah, oui, je m'en ferai une grande joie ! » qu'il lance tout de même, affichant même un sourire exagéré. Non mais il déconne hein, bien sûr. Toutefois, il s'empare du plat et va le balancer directement à la poubelle, en un regard satisfait. « Je me sens mieux. » souffle-t-il, posant sa main au niveau de son cœur, en signe de grand soulagement. Au moins ça. « Et ne fais pas la tronche, je t'ai probablement évité une mort lente et douloureuse. » Oh, oui, sans aucun doute. Rien que pour ça, il devrait être récompensé.

Jorah était maintenant certain d'une chose : si du jour au lendemain il était contraint d'abandonner son boulot, il n'opérerait pas une reconversion radicale dans la cuisine. Ce n'était pas un domaine dans lequel il semblait promis à un grand avenir, autant s'entendre sur le sujet. Parce que bon, c'est vrai que maintenant que son camarade le soulignait, il n'avait pas franchement cuisiné quelque chose d'agréable à renifler, sans compter qu'en plus de ça, son poisson avait l'air d'avoir connu plus d'une guerre. Peut être était-il parti trop confiant ou avait-il merdé sur un point très précis de la recette - qui avait pris une tournure de plus en plus improvisée au fil des minutes - toujours est-il qu'il pouvait difficilement donner tort à son camarade. Cela dit, condamner ce poisson lui paraissait un peu extrême. Qui sait s'il n'y avait pas quelque chose à en tirer, finalement ? Certes, il sentait les pieds et inspirait autant confiance que s'il avait passé trois jours dans le fond des chiottes, mais autant relativiser. Le mieux était encore de goûter. Pas lui, non, plutôt ce grand bouclé, qui se ferait sûrement une joie de se porter volontaire ... Oh tenez, justement, il venait de le faire. Du moins, c'est ce que Jorah eut envie de croire, du fond de son cœur. Mais alors qu'il eut l'espoir d'avoir réussi son coup, voilà que le type mit le plat à la poubelle. « Tu ne lui as laissé aucune chance ! » qu'il s'exclama alors, résigné, en s'adossant au mur le plus proche dans un mouvement dramatique. Et maintenant, il ne voulait pas que Jorah fasse la tête, sous prétexte qu'il lui aurait sauvé la vie ? Bah tiens ! « J'en avais pas l'intention, mais ... mais c'est un peu facile de partir du principe qu'il était immangeable ce poisson, alors que t'as précisément refusé d'y goûter. » Jorah avait d'autant plus envie de croire au potentiel dudit poisson maintenant qu'il était à la poubelle. Toute une logique, évidemment. « Alors dis-moi, qu'est-ce qui m'empêche d'en récupérer les restes, de les foutre au mixeur et de les partager entre ton bain de bouche et ton jus d'orange favori, hm ? En laissant de coté le fait que je vienne de partager mes plans avec toi, bien entendu ... » Bon, Jorah et les stratégies machiavéliques, ça faisait trente-deux, ça aussi c'était une certitude.