+ Teddy

On ne peut pas vraiment dire que je fume, et en fait je ne fume pas. Disons que je crapote, de temps en temps, quand je m'ennuie et que je me dis que peut-être je devrais un peu encrasser ma santé comme tous les autres jeunes. Mais je ne suis pas accro à la nicotine non plus, si je décide de ne plus jamais toucher à une clope de ma vie je le fais, un point c'est tout. Mais donc ce soir, après avoir grignoter un morceau, j'ai réussi à piquer une cigarette et un briquet à quelqu'un et je suis donc sorti sur le balcon pour fumer tranquillement et ne pas saturé l'air à l'intérieur du nid avec ma fumée. C'est que je pense aux autres, moi, quand même un peu de temps à autre. Non parce que je suis sûr que tous le monde me pense égoïste à souhait mais je fais pleins de trucs pour les gens, même s'ils ne s'en rendent pas forcément compte. Tss. On devrait me remercier plus souvent d'exister. Oui bon d'accord, parfois j'en fais un peu trop avec mon égaux surdimensionné, pourtant je fais vraiment des efforts pour le mettre en sourdine, franchement. Je me souviens même de la période où je jouais au gentil avec les gens dans les coulisses avant l'émission. C'est que je sais faire semblant d'être vraiment un garçon sympathique. Je suis un aussi bon acteur que Jasmine, et pourtant moi j'ai jamais pris de cours, sauf que j'ai jamais joué dans aucun film. J'ai eu un premier rôle dans la pièce de l'école une année mais à part ça le monde du cinéma ne m'a jamais trop tenté. M'enfin peut-être, éventuellement, un jour, si on me propose un truc super bien, je dis pas que je dirais oui, je dis pas que je dirais non, mais j'y réfléchirais surement à nouveau. Mais bref, de toute façon pour l'instant la question ne se pose pas. Je me rends compte que j'en suis déjà à la moitié de ma cigarette, merde, déjà. Et une petite brune arrive près de moi. Je souffle une bouffée de fumée avant de lui sourire et de lui adresser la parole. « Tu fumes, petite Teddy ? » Que je demande, curieux de sa réponse. N'empêche que j'ai un peu peur qu'elle se mette à me bombarder de questions en retour, mais bon, je prends le risque. Puis elle a de la chance, je suis de bonne humeur aujourd'hui.

Le soir l’air est toujours un peu plus frai, ce qui fait vraiment un bien fou lorsque le soleil s’est donné un malin plaisir à tous nous réchauffer excessivement durant la journée. Souhaitant prendre un simple bol d’air sur le balcon, en apercevant un grand blond de dos au travers de la baie qui pouvait s’apparenter à Esteban j’avais hésité un instant car des fois il m’énervait beaucoup et il me rappelait trop tous ces gens de l’extérieur dont je faisais overdose. Finalement, jugeant que ce n’était pas un si mauvais garçon et que de toute façon je pourrais le jeter par-dessus le bord si jamais il m’embêtait un peu trop, je le rejoignis. Il fumait. Oh. Mh. Je n’avais osé qu’une seule fois ici, en plein milieu de la forêt et cachée, peut-être bien que c’était une des siennes que j’avais piqué mais la cigarette et moi… c’est un petit tabou. Mes parents seraient déshonorés s’ils le savaient et puis disons que c’est un moyen de me persuader que je peux faire ce que je veux de moi quelque part bien qu’au final les ficelles qui me tiennent ne puissent jamais être coupées. La famille est beaucoup trop puissante, voyez-vous. Je salue Esteban puis m’installe pour regarder la vue si jolie la nuit. « Tu fumes, petite Teddy ? » Mon regard venant se poser sur sa cigarette puis sur le visage de l’espagnol, je me concentre pour prononcer mon petit mensonge à merveille. « Non. » J’essaie de faire en sorte que mes yeux ne me trahissent pas car je ne voudrais pas qu’Esteban comprenne, si j’en fais tout un secret c’est parce que ça entacherait vraiment mon image de petite fille parfaite qu’il faut que je continue de respecter même isolée de la société bien qu’au final le simple fait de participer à cette émission sera dégradante pour mes proches… qu’importe, mes parents voyagent tellement qu’ils ne le sauront jamais. « C’est mauvais pour l’image, mais je sais fumer pour raisons mondaines. » L’air détaché, je reporte mon attention sur le paysage. « Puis c’est beaucoup plus pratique pour certaines affaires, enfin c’est ce qu’on m’a appris mais je n’ai pas encore essayé. » En parlant de cela, bien que j’ai remarqué qu’Esteban venait d’une classe sociale proche voir similaire de la mienne je n’ai pas vraiment eu l’occasion de m’informer sur ce qu’il faisait réellement dans la vie. « Toi aussi c’est pour ces raisons ? »

Teddy arrive vers moi et instinctivement, je lui demande si elle fume, puisqu'en général c'est ici que vienne les fumeurs, ou même ceux qui ne le sont pas forcément mais qui viennent tirer sur une clope de temps à autre. Elle répond d'abord que non, elle ne fume pas, mais je sais très bien mentir moi aussi, et vu que je pense un peu savoir de quel monde elle vient, la haute société plus ou moins comme moi, je sais qu'elle dit pas la vérité pour faire bien, comme si c'était une gentille petite fille. Sauf que ça marche pas avec moi, enfin là en l'occurrence j'ai du mal à la croire, même si elle se donne des airs de petite fille mignonne et parfaite, moi je suis certain qu'elle est pas si parfaite que ça par moment. Elle se corrige en prétendant savoir fumer quand il le faut, pour raisons mondaines comme elle dit, même si c'est mauvais pour son image. Et parait-il que c'est plus pratique pour certaines affaires. « Mouais, pas sûr. » Que je commente, plus pour moi en fait. Après j'en sais rien, je suis pas encore sur le marché du travail, mais c'est vrai que mon père fume de sacré cigares et qu'il en offre à ses clients les plus fidèles et anciens, donc peut-être que c'est vrai dans le fond. La brune me demande si c'est aussi pour ces raisons que je fume. « Non, pas vraiment. » Que je dis en m’efforçant d'avoir l'air neutre. « C'est surtout pour faire comme les autres, puis pour faire chier mon père. Lui fume mais moi j'aurais pas le droit, tu vois. Sauf que je prends le gauche. » Que je lui explique. Je vois pas pourquoi lui pourrait et pas moi, après tout. Puis depuis que je suis majeur, à part me payer mes études je lui demande rien, surtout pas des conseils de santé donc voilà. « Ils sont comment tes parents ? » Je suis assez curieux de savoir. Est-ce qu'ils sont comme mon père, du genre à pas trop s'occuper d'elle mais à quand même lui gâcher la vie d'un tas de manière inimaginables ou est-ce qu'ils ont été présents et affectueux, comme de vrais parents devraient l'être, me semble-t-il.

La cigarette mondaine permet à faciliter le premier contact. Demander un simple briquet et ainsi s’imposer dans un groupe de discussion devient plus aisé avec un cylindre de tabac coincé entre les doigts plutôt que bredouille et lors des meetings il n’y a pas à dire c’est très utile. Père me l’a enseigné une fois, ce fut rapide comme d’habitude puisque lorsqu’il est de passage ce n’est toujours que pour un court instant mais je lui en suis reconnaissante car ça me sera très utile à l’avenir. Du moins c’est ce qu’il m’a dit alors je le crois, bien évidemment. Esteban n’est pas convaincu par mes paroles, je me contenterai d’un regard en coin, toute réplique m’enfoncerait. Il a très bien compris et ça ne m’étonne pas. Quant à l’espagnol je me demande bien pourquoi lui il ne se cache pas, non pas que pour ma part ce soit une consommation régulière mais disons que je préfère véhiculer une image totalement vierge plutôt qu’une contrastée. Il dit que c’était pour faire comme les autres. Mh, d’accord. Et pour embêter son père. Je comprends tout à fait cette dernière raison et ce qui l’a motivé à passer à l’acte, si j’ose dire. Esteban ne doit pas beaucoup s’entendre avec son père, il doit y avoir un conflit entre eux mais c’est ce qui arrive bien souvent dans ce milieu malheureusement. « Je vois. Tu es le petit rebelle. » L’air malicieux et taquin, je recentre mon attention sur le magnifique paysage qui s’offre à nous. Cependant en me demandant comment sont mes parents Esteban provoque le relâchement de mes traits, mon visage se fermant. Mes parents sont absents. Je ne peux cependant pas le lui dire, un simple regard en direction d’une caméra me rappelle que je dois me comporter correctement et maitriser mes paroles. « Ils sont doués et ont réussi dans la vie. Ils sont traders alors souvent occupés par une oreillette et à voyager. » Mon regard vient rencontrer celui d’Esteban car je sais qu’il comprendra sans que je n’ai à le dire explicitement. « Ils ne savent pas que je suis là. Je me demande s’ils vont le découvrir d’eux-mêmes ou si quelqu’un va leur téléphoner pour leur dire… mh oui, ça sera surement le cas. » Je soupire, pensant à voix haute. Tout se sait, la mère d’une amie de la petite école avait déjà dû appeler la mienne pour se tenir aux cancans, je voyais déjà l’image d’ici… « Tu es venu ici pour embêter ton père ? » Ce serait un bon moyen de le faire, j’imagine.